LAHALLE (Agnès), Les écoles de dessin au XVIIIe siècle. Préface de Marcel Grandière.
LAHALLE (Agnès), Les écoles de dessin au XVIIIe siècle.
Préface de Marcel Grandière. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006, 360 p., ill. noir et blanc.
Texte intégral
- 1 Les écoles de dessin au XVIIIe siècle. Entre arts libéraux et arts mécaniques, thèse de doctorat (...)
1En France, la création en nombre important – une soixantaine – d’écoles de dessin au siècle des Lumières constitue un phénomène majeur en termes d’innovation éducative. Publiques, gratuites, mais aussi laïques, ces écoles urbaines d’un nouveau type proposent une forme d’enseignement qui n’avait guère d’équivalent jusqu’alors, puisqu’elles dispensent des leçons de dessin aux apprentis et aux artisans (de sexe masculin) dont le métier nécessite des connaissances graphiques, complétant ainsi l’apprentissage en atelier effectué auprès d’un maître. Si l’histoire des écoles de dessin au XVIIIe siècle fait l’objet d’un regain d’intérêt depuis environ deux décennies, c’est le plus souvent sous la forme de monographies sur des artistes-professeurs ou des établissements. En revanche, peu d’études se sont attachées à aborder le phénomène des écoles de dessin dans son ensemble, c’est-à-dire à l’échelle nationale autant qu’à l’échelle locale, et dans ses aspects institutionnels et pédagogiques, mais aussi humains et matériels. Reprenant l’essentiel de la thèse qu’elle a soutenue en 20051, ce livre d’Agnès Lahalle vise à combler cette lacune en mobilisant de très nombreuses sources d’archives, tant locales que nationales. Après un premier chapitre précisant les principaux facteurs – pédagogique, culturel, économique et social, politique – qui ont favorisé l’émergence des écoles de dessin, l’auteur étudie leur mise en place, ainsi que leur fonctionnement administratif et pédagogique : modalités de création, statuts, financement et installation matérielle font ainsi l’objet d’une analyse détaillée, tout comme les plans d’études, les méthodes et les pratiques d’enseignement, sans oublier ces acteurs essentiels que sont les professeurs et leurs élèves.
- 2 Le sens du mot « artiste » évolue considérablement au XVIIIe siècle. Dans l’ouvrage d’A. Lahalle, (...)
2Environ un siècle s’écoule entre la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculpture, en 1648, et les premières créations pérennes d’écoles de dessin. Entre 1750 et 1792, celles-ci se multiplient au rythme d’une par an en moyenne, la déclaration royale de 1777, qui soumet les établissements provinciaux à l’autorité de l’Académie royale, ne freinant en rien ce développement. Des artistes – le plus souvent des peintres2 –, des mécènes, des amateurs d’art, éventuellement réunis en société, sont bien souvent à l’origine de ce mouvement de créations qui met en jeu les réseaux locaux de sociabilité, loges maçonniques ou académies provinciales. Totalisant un quart des initiatives, les villes et, dans une moindre mesure, les États provinciaux, jouent cependant un rôle essentiel puisqu’il leur revient de statuer sur les demandes de création, de loger et d’équiper les établissements, de les gérer, via un bureau d’administration, et de contribuer à leur financement afin d’assurer la gratuité, totale ou partielle, des études. Les subventions publiques accordées par les municipalités et/ou les États, parfois par le roi, sont généralement complétées par des financements privés (dons et legs, souscriptions ou fondations) que procurent des notables locaux soucieux de faire acte de bienfaisance, mais aussi, dans certaines villes, les communautés de métier, qui marquent ainsi leur intérêt pour cette nouvelle forme d’enseignement.
3D’une ville à l’autre, les caractéristiques des écoles de dessin sont extrêmement variables. Plus d’une dizaine de professeurs exercent à Bordeaux et à Marseille, mais un seul à Dijon avant 1786, les écoles à professeur unique étant néanmoins très peu nombreuses. De même, le nombre d’élèves scolarisés oscille entre quelques dizaines et plusieurs centaines selon les lieux, l’école parisienne de Jean-Jacques Bachelier arrivant en tête avec une capacité d’accueil théorique de 1 500 élèves. Le terme générique d’école de dessin masque aussi la diversité des statuts, dont dépendent le fonctionnement et l’enseignement dispensé. Il faut en effet différencier les simples « écoles de dessin » des « écoles académiques » et autres « académies ». Ces dernières calquent leur organisation pédagogique sur celle de l’Académie royale de peinture et de sculpture, à laquelle elles sont généralement affiliées et dont elles dépendent étroitement. Dotées d’un corps professoral nombreux, auquel sont associés artistes et amateurs au sein d’un « corps académique », elles disposent, sous réserve d’autorisation, d’une classe pour dessiner d’après le modèle vivant et proposent en outre des leçons de peinture et de sculpture. Mais comme les écoles de dessin ordinaires – et contrairement à l’Académie –, elles ont essentiellement pour vocation de former des artisans et d’accueillir aussi bien les « commençants » que des dessinateurs déjà expérimentés. Enfin, quelques écoles bénéficient du titre « d’école royale » et disposent ainsi d’une plus grande indépendance administrative et pédagogique à l’égard de l’Académie. Certains académiciens parisiens ne voient d’ailleurs pas sans inquiétude la multiplication des écoles de dessin, qui contribueraient, selon eux, à encombrer et donc à dévaloriser la profession d’artiste à un moment où celle-ci s’émancipe du modèle corporatif des métiers et gagne en prestige social.
4Il est vrai que les contenus et les méthodes d’enseignement en vigueur dans ces écoles sont très largement empruntés aux modalités de formation des peintres et des sculpteurs. En effet, la plupart des professeurs sont des artistes (70 % de peintres, 21 % de sculpteurs) formés dans la tradition académique, et l’étude de la figure humaine, considérée comme le fondement de l’enseignement du dessin et éventuellement complétée par des leçons d’anatomie et de perspective, occupe une place prépondérante. Mais, contrairement à l’Académie royale, les écoles de dessin sont résolument pluridisciplinaires, ce qui permet aux élèves d’être orientés vers le genre de dessin le plus approprié à leur métier, présent ou futur : architecture, ornement, fleurs, etc., mais aussi d’étudier les mathématiques. À cet égard, l’étude d’A. Lahalle fournit de nombreuses indications sur les pratiques d’enseignement (les dispositifs matériels ne sont pas oubliés), quasiment invariables d’une école à l’autre, et dont les maîtres-mots sont imitation et émulation : les leçons de dessin sont basées sur la « copie » d’estampes, de dessins ou de plâtres, voire du modèle vivant, et de fréquents concours rythment l’année scolaire afin de favoriser les progrès des élèves. Si ces concours jouent un rôle pédagogique important, les prix qu’ils permettent d’obtenir (notamment l’exemption, totale ou partielle, des droits de maîtrise dans certaines villes), la cérémonie très solennelle de leur distribution, ainsi que l’exposition publique des travaux réalisés par les lauréats, constituent pour ces derniers autant d’éléments de reconnaissance sociale. Parvenir à cette reconnaissance n’est pas sans contreparties : être élève dans une école de dessin, c’est aussi se plier aux prescriptions d’un règlement qui exige assiduité, respect des horaires, des locaux et du personnel, décence du propos et du vêtement, etc. Le comportement des élèves, principalement des enfants (les plus jeunes ont entre 8 et 10 ans) et des jeunes adolescents, est en effet une préoccupation majeure des promoteurs des écoles de dessin, qui espèrent inculquer, non seulement des compétences graphiques, mais aussi des valeurs morales à une jeunesse réputée indolente.
5Les élèves ne sont pas seuls à pouvoir tirer bénéfice de la fréquentation d’une école de dessin. Les professeurs, auxquels A. Lahalle consacre un chapitre, y trouvent aussi leur compte : « Issus pour la moitié d’entre eux d’un milieu non artistique, les voilà tous hissés au rang d’artiste » (p. 189). La charge professorale n’est pas sans avantages, à la fois matériels et symboliques. Certes, elle signifie obéissance aux autorités locales et induit certaines obligations, comme la production régulière de modèles pour les élèves. Mais, outre l’assurance d’une rémunération convenable (analogue à celle des professeurs d’autres institutions d’enseignement), qu’il est possible de compléter par des leçons particulières ou des cours au collège voisin et par des commandes privées, le professorat offre privilèges fiscaux ou exemptions militaires et se double parfois de la fonction de peintre de la ville, qui procure des revenus supplémentaires et un surcroît de considération.
6Le positionnement des écoles de dessin « entre arts libéraux et arts mécaniques » constitue le fil directeur de cette étude. L’ouvrage révèle ainsi les tensions qui se font jour, entre la vocation a priori ouvrière de ces écoles, et l’inspiration académique de l’enseignement qu’elles dispensent. Le lecteur trouvera peut-être excessive la tendance de l’auteur à distinguer ce qui est « artistique » de ce qui ne l’est pas, et à vouloir déterminer à tout prix de quel côté penchent les écoles de dessin, quitte à conclure que ces dernières « hésitent entre arts mécaniques et arts libéraux » (p. 292, souligné par nous). Alors que, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la frontière entre les beaux-arts et les arts du décor est loin d’être nette ni étanche, les écoles de dessin ne jouent-elles pas plutôt la carte de la proximité entre activités artistiques et activités artisanales, quand l’Académie royale cherche au contraire à les dissocier ? Au total, cet ouvrage très bien documenté constitue une excellente synthèse d’ensemble, à la croisée de l’histoire des institutions éducatives et de celle des disciplines scolaires.
Notes
1 Les écoles de dessin au XVIIIe siècle. Entre arts libéraux et arts mécaniques, thèse de doctorat en histoire de l’université d’Angers, sous la direction de Marcel Grandière, 2005.
2 Le sens du mot « artiste » évolue considérablement au XVIIIe siècle. Dans l’ouvrage d’A. Lahalle, il désigne généralement les peintres, sculpteurs, graveurs et dessinateurs.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Renaud Enfert (d'), « LAHALLE (Agnès), Les écoles de dessin au XVIIIe siècle. Préface de Marcel Grandière. », Histoire de l’éducation, 117 | 2008, 117-120.
Référence électronique
Renaud Enfert (d'), « LAHALLE (Agnès), Les écoles de dessin au XVIIIe siècle. Préface de Marcel Grandière. », Histoire de l’éducation [En ligne], 117 | 2008, mis en ligne le 20 octobre 2008, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/586 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.586
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