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Notes critiques

CAGNOLATI (Antonella) et CANALES SERRANO (Antonio Francisco) (dir.), Women's Education in Southern Europe : vol. 1

Arricia : Aracne, 2017, 295 p.
Rebecca Rogers
p. 122-126
Référence(s) :

CAGNOLATI (Antonella) et CANALES SERRANO (Antonio Francisco) (dir.), Women's Education in Southern Europe : vol. 1, Arricia : Aracne, 2017, 295 p.

Texte intégral

1Saluons la publication de ce volume utile qui donne voix à des chercheurs et chercheuses de l’Europe du Sud travaillant sur l’histoire de l’éducation des filles. Les recherches sur cette question existent évidemment pour l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce mais il est rare de les voir rassemblées ainsi. Après notre ouvrage avec James Albisetti et Joyce Goodman, Girls’ Secondary Education in the Western World (Palgrave, 2010), qui incluait un chapitre sur l’Espagne, le Portugal, l’Italie et (un peu) la Grèce post-ottomane, voici une publication qui montre le dynamisme de cette recherche « du Sud ». L’introduction revendique une posture théorique spécifique : celle de s’affranchir des interprétations déterminées par les expériences de l’Europe du Nord. Dans leur chapitre introductif, Antonella Cagnolata et Antonio Francisco Canales Serrano – « Speaking out from the South in their own voices » – explicitent leur objectif qui est de décrire des situations historiques peu connues et de proposer des interprétations basées sur les contextes historiques spécifiques de ces pays. Les voix que l’on entend ne sont pas uniquement celles d’historiennes et d’historiens des pays de l’Europe du Sud, mais également celles des femmes et des hommes qui ont créé des écoles, édité des revues ou édicté des règlements concernant les filles. Leur présentation côte à côte dans les neuf chapitres du volume, vise une « internationalisation des résultats » ; autrement dit, les éditeurs souhaitent contribuer à un échange plus nourri avec un lectorat d’ailleurs, pour que cette « mosaïque de situations historiques peu connues » soit incorporée dans un récit collectif commun (p. 13). Ce compte rendu apporte sa petite pierre à cet objectif.

2Issu d’un projet de recherche collectif élaboré dans le cadre de la dix-septième conférence de la Sociedad Española de Historia de la Educación, le volume garde les traces de ces origines espagnoles puisque quatre des neuf chapitres portent sur différents aspects de l’éducation féminine en Espagne : Raquel Vázquez Ramil analyse (en espagnol) la Residencia de Señoritas de Madrid entre 1915 et 1936 ; Luz Sanefliu aborde, également en espagnol, l’histoire des associations féministes durant la Deuxième République ; José Luis Hernandes Huerta s’intéresse (en anglais) aux femmes présentes dans le mouvement Freinet en Espagne entre 1931 et 1939 et Antonio Canales Serrano fait découvrir (en anglais) le projet de baccalauréat féminin pour les jeunes filles écrit par le père Errondonea en 1943, en le situant dans les débats sur l’enseignement secondaire féminin du début du régime de Franco.

3Si les chapitres sur l’Espagne portent sur des objets précis ou des périodes temporelles bien spécifiques, ceux portant sur le Portugal, l’Italie et la Grèce ont des ambitions synthétiques plus grandes. Christina Rocha détaille le développement de l’enseignement secondaire public pour les filles au Portugal à travers l’étude des premiers lyceum pour filles entre 1888 et 1921. Helena Costa Araújo analyse avec finesse la construction sexuée du métier d’institutrice au Portugal entre 1870 et 1933. Le chapitre (en italien) d’Angela Carbone et Dorella Dinarado aborde dans un temps long l’histoire de l’éducation des filles en Italie en lien avec l’opinion publique et la presse au XIXe siècle et jusqu’en 1925. Enfin, les deux chapitres sur la Grèce abordent respectivement l’identité professionnelle des enseignantes grecques du XIXe siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres (Katarina Daskaloura) et l’évolution de l’éducation féminine de 1929 à 1979 (Vassilis Foukas).

4Comme cette présentation le laisse présager, le caractère « mosaïque » annoncé dans l’introduction se confirme au fil de la lecture. Les éditeurs n’ont imposé ni langue, ni organisation, ni longueur communes. Ainsi, l’étude de la résidence pour señoritas à Madrid est particulièrement détaillée, courant sur plus de cinquante pages ; elle donne des aperçus sur l’accès des filles aux études supérieures, aux bourses d’études qui permettent aux étudiantes et aux professeurs de voyager et de s’ouvrir à l’étranger, et propose des portraits de pédagogues fort nourris, comme celui de Maria de Maetzu y Whitney, institutrice chargée de mission pédagogique à l’exposition franco-britannique de 1909, active dans la Fédération française des femmes diplômées de l’université lors de sa création après la Première Guerre mondiale et directrice de la résidence entre 1915 et 1936. Créatrice d’un modèle d’éducation « intégrale » selon l’auteure, cette figure remarquable par la modernité et l’ambition de sa vision pédagogique pour les femmes sera licenciée en 1936 et s’exile alors en Amérique latine où elle s’implique dans des actions éducatives jusqu’à sa mort en 1948. L’autre chapitre hors normes porte sur les enseignantes du mouvement Freinet en Espagne : 40 sur 240 à partir de 1933. L’auteur y propose une succession de portraits de vingt-deux de ces femmes et termine par une annexe de quatre pages qui résume leurs trajectoires. Si le terme prosopographie ne figure pas dans le chapitre, c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit.

5La plupart des thématiques abordées dans les autres chapitres nous sont familières en France : détails sur les lois qui ouvrent l’accès aux études aux filles ainsi que celles qui restreignent cet accès dans les périodes autoritaires ; détails sur les programmes d’enseignement qui font ressortir le caractère très sexué de ceux-ci ; analyses de l’arrivée des femmes dans le métier d’enseignement ; portraits de femmes et de quelques hommes qui ont marqué par leurs écrits, leurs initiatives ou leur vision l’éducation des filles. Il est beaucoup question des luttes pour l’accès aux études ou pour la reconnaissance des mêmes droits que les hommes, resituées dans des contextes politiques spécifiques. Nous découvrons ainsi, sous la plume d’Antonio Canales, le poids du conservatisme phalangiste dans les écrits dénonçant toute revendication égalitaire de la part des inspecteurs Adolfo Maillo ou Agustin Serrano de Haro dans les années 1940. Pour ce dernier, il ne faut « aucune connaissance scientifique du tout pour les filles. La cuisine, oui, la cuisine ! Elle doit constituer leur grand laboratoire » (p. 242, traduction personnelle). Le contraste est grand avec la vision de Marie de Maetzu mentionnée auparavant.

  • 1 Katarina Dalakoura, « Between East and West, Sappho Leontias (1830-1900), and her educational theo (...)

6Quelques portraits se détachent par la qualité de l’analyse ou l’originalité des figures présentées. L’Italienne Wanda Bruschi Gordux dite « Donna Wanda », par exemple, publie des textes fascinants au début de la période fasciste, notamment dans un journal qu’elle fonde en 1921. Elle défend une image de la femme bourgeoise qui s’émancipe, n’est pas confinée à la maison, s’engage dans des causes humanitaires, sociales ou de bienfaisance, et qui travaille à l’extérieur. Elle est accusée de détruire la famille, mais tient bon, militant pour une éducation généralisée, identique pour les filles et les garçons. Les auteures ne poursuivent pas l’analyse au-delà de 1925, ce qui est un peu dommage, mais elles montrent clairement toute l’ambivalence des prises de position de certaines femmes dans ces périodes de transformations politiques importantes. Le très bel article de Katarina Daskaloura sur les enseignantes grecques fait également ressortir les paradoxes de ces femmes qui entrent dans une profession définie d’emblée en termes « dé-professionnalisants », associées au foyer, avec comme tâche la formation de futures mères de famille. Mais l’enseignement et le contact avec des milieux étrangers offrent pour certaines une voie de sortie de cette vision normative de la féminité ; c’est le cas de Sapho Leontias, à laquelle l’auteure a déjà consacré un article dans Paedagogica Historica1.

7Terminons cet aperçu forcément réducteur du contenu du volume avec le portrait du jésuite espagnol Ignacio Errondonea et son projet de baccalauréat féminin en 1943. Si celui-ci ne voit pas le jour, Antonio Canales montre avec subtilité toutes les ambiguïtés d’un projet de formation secondaire pour les jeunes filles aisées de cette période. Centré sur un projet d’éducation religieuse, culturelle et domestique, le projet d’Errandonea résonnait avec les idéaux sexués du régime de Franco, mais était en décalage complet avec les réalités de la période. La similarité de ce projet avec celui présenté dans Bachelières ou jeunes filles (1949) par le français Paul Crouzet incite à prendre au sérieux la longue résistance dans les sociétés latines aux projets égalitaires de formation pour les milieux bourgeois. Ancien directeur de l’éducation dans les colonies, Crouzet développe une opposition bien rétrograde aux revendications féminines françaises ; les différences entre Nord et Sud ne sont peut-être pas aussi tranchées que l’on imagine.

8Malgré tout, les éditeurs ont bien raison de vouloir attirer l’attention sur la situation de l’éducation des filles dans l’Europe du Sud et d’ajouter leurs histoires à une conversation plus internationale. Un deuxième volume est d’ores et déjà annoncé. Espérons que le pari osé d’un volume trilingue – anglais, espagnol, italien – puisse rencontrer l’intérêt des spécialistes francophones. En nourrissant un dialogue avec les voisins du Nord, les éditeurs nous incitent à questionner nos points de vue et proposent des pistes stimulantes pour des travaux à venir plus systématiquement comparatifs.

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Notes

1 Katarina Dalakoura, « Between East and West, Sappho Leontias (1830-1900), and her educational theory », Paedagogica Historica, vol. 51, no 3, 2015, p. 298-318.

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Pour citer cet article

Référence papier

Rebecca Rogers, « CAGNOLATI (Antonella) et CANALES SERRANO (Antonio Francisco) (dir.), Women's Education in Southern Europe : vol. 1 »Histoire de l’éducation, 152 | 2019, 122-126.

Référence électronique

Rebecca Rogers, « CAGNOLATI (Antonella) et CANALES SERRANO (Antonio Francisco) (dir.), Women's Education in Southern Europe : vol. 1 »Histoire de l’éducation [En ligne], 152 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/4913 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.4913

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Auteur

Rebecca Rogers

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