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Note critique

MARCHAND (Philippe), Donnez-moi des nouvelles… Collèges et collégiens à travers les correspondances familiales. 1767-1787

Lille : Presses universitaires du Septentrion-Archives départementales du Nord, 2018, 450 p. [préface de Pierre Caspard, postface d’Alexis Donetzkoff]
Boris Noguès
p. 205-208
Référence(s) :

MARCHAND (Philippe), Donnez-moi des nouvelles… Collèges et collégiens à travers les correspondances familiales. 1767-1787, Lille : Presses universitaires du Septentrion-Archives départementales du Nord, 2018, 450 p. [préface de Pierre Caspard, postface d’Alexis Donetzkoff]

Texte intégral

1Les correspondances constituent un outil précieux pour l’historien qui souhaite s’appuyer sur d’autres sources que les archives institutionnelles ou les publications. Grand lecteur d’archives, Philippe Marchand nous propose ici un choix de 463 lettres échangées par les parents avec leurs enfants placés en pension au collège, ou bien, plus souvent, avec les responsables de ces éducations (le principal ou le précepteur), quelquefois avec des représentants ou alliés qui les aident dans leur entreprise éducative. Si les enfants sont bien au cœur de ces missives, il convient cependant de souligner que ce sont les parents et plus largement les adultes qui ont la parole, l’ouvrage ne comportant que très peu de lettres écrites par les enfants, comme le regrette également Philippe Marchand. Si le volume fourmille de détails sur les élèves, il invite donc aussi à ouvrir le chantier de l’histoire de la parentalité, qui ne manquera certainement pas d’advenir un jour prochain.

2Les lettres choisies ressortent de trois ensembles distincts, qui forment chacun une des trois parties du livre : le premier est composé des envois adressés par divers parents au principal du collège de la ville de Lille, Jacques-Marie Lepan ; suivent la correspondance de Jean-Baptiste Carpentier, puis celle Bon-François Fruict. Les lettres reçues par Lepan sont classées par provenance, illustrant clairement l’intensité des échanges internationaux et la porosité de la frontière dans cette région, avec près des trois quarts des familles clientes installées dans les Pays-Bas autrichiens, les Provinces-Unies, l’Angleterre ou l’Irlande. À l’inverse, les correspondances Carpentier et Fruict respectent l’ordre chronologique, ce qui permet de suivre pendant plusieurs années les vicissitudes de l’éducation des fils respectifs et, surtout du côté Carpentier, la forte mobilité qui les caractérise. Pour chacun de ces corpus, Philippe Marchand fournit une introduction de dix à vingt pages qui présente le contexte et les acteurs principaux. Tout au long de l’ouvrage, des notes permettent systématiquement d’identifier les individus qui apparaissent et d’éclairer le vocabulaire ou les pratiques inconnus des lecteurs peu familiers du XVIIIe siècle ou du contexte lillois. De ce point de vue, il est difficile de prendre en défaut le patient travail d’édition réalisé, même si l’appareil critique aurait encore pu être enrichi : on aurait ainsi pu expliciter davantage les critères de tri qui ont présidé à la constitution de ce recueil, et indiquer la part que représentent les lettres publiées dans l’ensemble conservé (ce qui n’est fait que pour Carpentier). D’une manière plus générale, la richesse du matériau rassemblé appellerait de nombreux commentaires, comptages et analyses. Mais il s’agirait d’un autre livre, qui risquerait au final d’embrasser toute l’éducation collégienne de la fin du XVIIIe siècle. La sagesse a sans doute été de s’en tenir aux 450 pages disponibles aujourd’hui, qui fournissent une série de témoignages éclairants sur les pratiques éducatives des milieux élitaires à la fin du XVIIIe siècle.

3Pour en donner une idée, on peut présenter les préoccupations les plus fréquentes de ces parents qui suivent à distance les études de leurs enfants, préoccupations qui sont également distribuées dans les trois ensembles retenus, de ce point de vue très homogènes (ou est-ce un effet de la sélection opérée ?). La question la plus récurrente est sans doute celle de l’argent, qu’il s’agisse de payer la pension au principal, d’organiser les transferts ou de réguler les dépenses personnelles des collégiens, toujours soupçonnés d’excès en la matière. « Ce qui me choque dans mon fils, c’est la depence qu’il fait, je suis surpris et je ne le puis comprendre a quoi va son argent de poche » s’interroge une mère, tandis qu’un père interpelle directement son rejeton qui a tendance à recourir inconsidérément aux maîtres de musique : « D’ailleur mon petit ami vous ne considerés point que tous ces differents maitres coutent beaucoup. Je m’appercois que vous me feriés trouver le fond de ma bourse » (lettres 7 et 17). Autre sujet fréquent d’inquiétude et de réprimande, le travail insuffisant : « j’etois fort mecontente de sa paresse » écrit la même mère (l. 8), alors que Carpentier paraît assez lucide sur l’un de ses fils, « sujet qui a besoin d’être un peu poussé au travail » (l. 237), et n’hésite pas un peu plus tard à menacer « s’il persiste dans son inaplication, il faut qu’il abandonne les études pour apprendre un metier pour vivre » (l. 241).

4Mais les parents ne manquent pas aussi de manifester un attendrissement plein d’indulgence, soit en trouvant des raisons ou des excuses aux difficultés (« baucoup d’attention et d’assiduité pourroit en plus grande partie remedier au manquement de memoire laquelle j’ai reconnu toujour en lui un peu foible », l. 14), soit en soulignant les qualités qui contrebalancent ou consolent des défauts : «  il est volage mais d’un bon naturel ce qui est le principal » (l. 114). La rudesse de certaines admonestations n’empêche pas l’expression d’une affection incontestable, particulièrement à l’occasion des maladies, qui occupent une place importante dans ces correspondances. À l ’annonce d’un rétablissement, « la maman ce tranquilise, car vous ne scauriés imaginer combien elle idolatre ses enfants » (l. 18). Dans un autre registre, tel père, officier commandant une forteresse, interdit toute violence à l’encontre de ses enfants et proclame son amour pour eux : « Jaime mes enfans, vous deves les scavoir. Je veuts leur donner de leducation. Mais je ne veuts pas quils soient battu. On peut trouver tant dautre facon de punir sans en venir aux coups » (l. 91). Comme Philippe Marchand (p. 17), difficile de ne pas céder à la tentation de confronter ces témoignages aux assertions anciennes mais rééditées de la philosophe Élisabeth Badinter.

5La finalité utilitaire des études transparaît souvent, dans ce milieu où domine la bourgeoisie négociante, l’office et les manieurs d’argent. Un père affiche sans ambages ses priorités pour son fils : « son plus grand besoin etant de connoittre a fond son ortographe francois ainsi que l’arithmitique » (l. 134). Les Hollandais veulent apprendre le français (ils viennent à Lille pour cela), quand les Français (dont Carpentier) ne négligent pas le flamand, les deux étant indispensables à la conduite des affaires dans la région. Les choses sont plus contrastées pour le latin : certains demandent de ne pas trop insister, alors que d’autres comme Fruict refusent d’accéder à la demande d’allègement du précepteur, qui soulignait combien le cadet avait peu de dispositions pour cette langue. Cet utilitarisme n’est cependant pas étroitement pratique, car les mentions de maîtres de musique, par exemple, sont nombreuses.

6Les résultats de cette éducation sont scrutés avec attention par les parents. Fruict bénéficie du compte rendu détaillé du précepteur, qui restitue au passage la manière dont l’échec est ressenti, selon lui, par l’enfant : « Villerval [Louis-François de Sales Fruict, le plus jeune des fils] a été nommé le sept [ième] en version et il vient d’être le dernier en thème. Cette chûte a laquelle je m’attendois ne m’a pas surpris, mais elle a affligé ce cher enfant au point de l’abbattre tout à fait. Je lui ai dit qu’il prendrait sa revanche » (l. 397). On le voit avec ce dernier exemple, outre l’abondance et la diversité du matériau fourni, cet ouvrage a ainsi le grand mérite d’immerger à hauteur d’homme le lecteur dans l’univers éducatif du XVIIIe siècle en lui montrant espoirs, inquiétudes et pratiques quotidiennes de chacun. Bien mieux qu’une approche idéaliste, il constitue en ce sens une excellente entrée dans un monde dont il restitue les multiples dimensions à travers l’expérience directe des acteurs.

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Pour citer cet article

Référence papier

Boris Noguès, « MARCHAND (Philippe), Donnez-moi des nouvelles… Collèges et collégiens à travers les correspondances familiales. 1767-1787 »Histoire de l’éducation, 151 | 2019, 205-208.

Référence électronique

Boris Noguès, « MARCHAND (Philippe), Donnez-moi des nouvelles… Collèges et collégiens à travers les correspondances familiales. 1767-1787 »Histoire de l’éducation [En ligne], 151 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/4587 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.4587

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Auteur

Boris Noguès

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