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Comptes rendus

LANFREY (André). – Marcellin Champagnat et les Frères Maristes. Instituteurs congréganistes au XIXe siècle

Paris : Édition Don Bosco, 1999. – 324 p.
Anne-Marie Chartier
Référence(s) :

LANFREY (André). – Marcellin Champagnat et les Frères Maristes. Instituteurs congréganistes au XIXe siècle.– Paris : Édition Don Bosco, 1999. – 324 p.

Texte intégral

1Fondée en 1817 dans un village de la Loire, à La Valla, la première école des frères Maristes essaime en 1823 vers le Rhône et en 1824, vers l’Ardèche. En 1861, elle est bien installée dans le Sud-Est et le Nord de la France, compte 1681 frères et 301 établissements, en 1903, 4240 frères et 595 établissements. De toutes les congrégations de frères créées au XIXe siècle, les Maristes sont ceux qui ont le mieux réussi. À la veille de la dissolution par les décrets Combes, ils sont installés (en fait, dès les lois Ferry), en Amérique du Nord et du Sud, en Turquie, au Moyen-Orient et jusqu’en Chine. En remontant aux origines de la fondation (sa thèse de 3ecycle portait sur la période 1850-1904), le mariste André Lanfrey propose une étude de cas sans hagiographie, propre à éclairer à la fois l’histoire religieuse de la France post-révolutionnaire et les concurrences à l’œuvre dans l’effort de scolarisation rurale.

2Histoire religieuse : la Restauration voit fleurir les congrégations qui veulent rechristianiser la France par l’éducation des pauvres et des enfants. Le fondateur, Marcellin Champagnat (1789-1840), n’a ni le charisme d’un saint ni l’imagination d’un grand pédagogue. En revanche, il ferait un bel « idéal-type » de la reconquête catholique : fils d’un paysan entreprenant qui a donné des gages à la révolution jacobine, il n’est parvenu « à lire et à écrire qu’avec des peines infinies, faute d’instituteurs capables ». Au petit séminaire où il entre sans vocation, il est un élève médiocre. Au grand séminaire de Lyon, il découvre, dans la mouvance du courant ultra, un modèle d’apostolat mêlant les mythes de la confrérie secrète et dévote, de la mission héroïque des jésuites et la volonté de régénérer la France. Il entre dans la Société de Marie de Lyon en 1816, année de son ordination, et forme vite le projet de créer, à côté des pères Maristes (prêtres), une branche de frères, du fait de « l’urgente nécessité de créer une Société qui pût, avec moins de frais, procurer aux enfants des campagnes le bon enseignement que les frères des Écoles chrétiennes procurent aux pauvres de villes » (Lettre au roi Louis-Philippe en 1834). André Lanfrey montre à quel point le modèle congréganiste popularise une figure d’enseignant professionnel qui n’a pas de tutelle au village et refuse d’être chantre ou sacristain. Il n’a pas forcément la faveur des curés qui préfèrent un instituteur laïc qui les seconde dans les tâches cultuelles, tout en prenant en charge catéchisme et alphabétisation. Il n’a pas davantage l’appui inconditionnel des évêques, puisque les congrégations, avec leurs règles propres, échappent aux autorités diocésaines. Quant aux frères des Écoles chrétiennes, ils regardent avec condescendance et inquiétude ces frères qui les concurrencent dans les bourgs, en offrant leurs services à moindre frais. Alors que l’historiographie a surtout retenu les conflits entre école catholique et école laïque, A. Lanfrey pointe des tensions internes à l’Église et des clivages qui distribuent autrement les cartes de la tradition et de la modernité.

3Histoire scolaire : c’est celle des écarts à combler entre un projet passéiste dans ses sources mais que la conjoncture (politique et sociale) oblige à un dynamisme permanent pour sa survie comme école publique, gratuite, reconnue par l’État. Ainsi, la pédagogie rurale des Maristes adopte en l’adaptant le mode simultané des frères des Écoles chrétiennes, leur progression et leur emploi du temps, mais comme elle recourt aussi à des moniteurs dans la petite classe, elle peut se déclarer « simultanée-mutuelle ». Elle ne vise au départ qu’une alphabétisation minimale mais elle doit enrichir son programme des matières nouvelles au fur et à mesure que celles-ci sont imposées par la loi. Elle réunit l’été les frères pour des retraites spirituelles mais celles-ci deviennent des stages pour réviser orthographe, grammaire, histoire ou arpentage. Comme l’État impose des brevets de qualification plus sévères, il faut élever la formation des futurs frères. Au départ, M. Champagnat recrute largement de jeunes ruraux tentés de sortir de leur condition, dont beaucoup savent à peine lire. Il compte sur l’internat pour éprouver leur caractère, leur inculquer de nouvelles habitudes de vie et les catéchiser ; il compte sur leur « mise en apprentissage » dans les classes pour leur apprendre ce qu’il faut savoir (lire, écrire et compter) et comment l’enseigner en jouant le rôle de moniteur. Ceux qui ne passent pas le brevet restent auxiliaires d’un titulaire (ce que la loi de 1881 interdira). Une telle « modestie » intellectuelle risque de déqualifier l’ordre et de le priver d’élèves au fur et à mesure que montent les exigences : « Nous serons de bons catéchistes, mais nous tâcherons aussi de devenir des instituteurs habiles » (circulaire de 1840). Le livre d’A. Lanfrey retrace ainsi les évolutions nées des tensions de fond entre l’apostolat catholique et l’enseignement des savoirs profanes. Alors que l’on pense souvent les congrégations enseignantes du XIXe siècle comme les troupes défensives d’un ordre ancien, dociles aux injonctions de leur hiérarchie, A. Lanfrey voit son ordre comme une initiative « de terrain ». Celui-ci est obligé concrètement (par ses choix et ses refus, ses réactions et ses décisions pragmatiques) d’élaborer un modèle original pour relier religion, éducation et savoirs. Comme ce modèle ne s’est guère explicité théoriquement, il faut en reconstruire la genèse dans l’histoire même de l’institution. Aucun risque, donc, de confondre indûment l’histoire des idées pédagogiques et l’histoire de l’éducation.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne-Marie Chartier, « LANFREY (André). – Marcellin Champagnat et les Frères Maristes. Instituteurs congréganistes au XIXe siècle »Histoire de l’éducation [En ligne], 85 | 2000, mis en ligne le 12 octobre 2008, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/429 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.429

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Auteur

Anne-Marie Chartier

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