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Notes critiques

POUCET (Bruno), VALENCE (David) (dir.), La loi Edgar Faure. Réformer l’université après 1968

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 254 p.
Yves Verneuil
p. 216-219
Référence(s) :

POUCET (Bruno), VALENCE (David) (dir.), La loi Edgar Faure. Réformer l’université après 1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 254 p.

Texte intégral

1La loi Edgar Faure de 1968 fait basculer le monde des universités d’un modèle à un autre. On en connaissait assurément les grandes lignes ; mais sa conception et sa mise en œuvre n’avaient pas fait l’objet d’analyses spécifiques. Ce fut l’objet d’un colloque tenu sous les auspices de la fondation Charles de Gaulle en novembre 2011. Le présent ouvrage en constitue les actes. Il est classiquement articulé en trois parties : le pouvoir face aux transformations de l’enseignement supérieur avant 1968 ; la fabrication de la loi ; sa mise en œuvre.

2La première partie montre un pouvoir devant faire face au défi de la massification. Laurent Jalabert décrit clairement les conséquences de cette mutation, ainsi que l’approche gouvernementale pour y répondre. Bruno Poucet montre que le général de Gaulle était d’autant plus en déphasage avec les aspirations modernisatrices d’une partie du corps universitaire que les universités étaient un monde qui ne lui était pas familier. L’enjeu de ces deux contributions était de ne pas tomber dans la téléologie : faire comme si la loi Edgar Faure avait été inéluctable. Au contraire, comme l’écrit Bruno Poucet dans la conclusion de ce volume, elle était « improbable ». Sa contribution, comme celle de Laurent Jalabert, montre bien qu’avant 1968 le pouvoir gaulliste s’orientait dans une tout autre direction, marquée par l’élitisme. La première partie s’achève par une contribution de Sabrina Tricaud, qui se demande si l’éducation fut un « domaine réservé » pour Georges Pompidou, Premier ministre, puis président de la République. La contribution est bien rédigée, mais n’apporte pas grand-chose de neuf.

3La seconde partie décrit l’élaboration de la loi, ainsi que les réactions qu’elle a suscitées. La contribution d’Antoine Prost constitue assurément le clou de ce volume. Son récit des différentes étapes de la rédaction du projet de loi permet non seulement d’observer le fonctionnement institutionnel et le mécanisme de la prise de décision, mais encore de mettre au jour certains points controversés qui ont été finalement retirés du texte définitif : les Grandes écoles sont restées indépendantes ; la mission des universités ne mentionne pas leur « rôle critique » ; le président du CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) fut finalement le ministre, ce qui empêcha cette institution d’être l’État dans l’État qu’elle aurait pu devenir en vertu du projet primitif. En revanche, Edgar Faure obtint, contre le sentiment du général de Gaulle, le maintien du droit des bacheliers à s’inscrire dans les universités. Les contributions de François Audigier, de Nassera Mohraz et d’Ismail Ferhat, qui portent respectivement sur les débats parlementaires, l’attitude de l’UNI (Union nationale inter-universitaire, association étudiante située à droite sur l’échiquier politique, créée en 1969) et les réactions des syndicats enseignants, montrent toutes qu’au-delà des postures ou des refus de principe des groupes gauchistes, les réticences les plus explicites provinrent paradoxalement des groupements en principe dévoués au pouvoir gaulliste. En fait, les gaullistes sont partagés : François Audigier montre bien que la fracture passe au sein du groupe UDR. Le refus de l’UNI est plus radical, qui interprète la loi Faure comme l’organisation de la « subversion marxiste » apparue en plein jour en Mai 68. Pour lutter contre la subversion, l’UNI s’implante prioritairement (contrairement aux idées reçues) dans les UER de sciences humaines. Mais ses succès électoraux concernent essentiellement les professeurs d’université. Dans une contribution aux sources malheureusement pas toujours référencées, Ismail Ferhat montre que ce sont surtout les organisations syndicales les plus radicales, à droite comme à gauche, qui ont contesté la loi Edgar Faure. Intéressant est le cas du SNESUP (Syndicat national de l’enseignement supérieur), que son extrémisme voue, selon Ismail Ferhat, à être désavoué par une majorité d’adhérents, ce qui permet une reprise en main par une direction « communisante ». Cette lecture politique pourrait être complétée par une considération pragmatique : dans le monde universitaire, la politique de la chaise vide fait courir des risques en termes de carrière. Un regret : aurait pu être approfondie, dans cette seconde partie, la question du lien que les universitaires « conservateurs » souhaitent voir instaurer entre les universités et les milieux économiques.

4Consacrée à la mise en œuvre de la loi, la troisième partie débute par une contribution de Charles Mercier portant sur le cas emblématique de l’université de Nanterre, qui fait la une des journaux. Alors que la plupart des commentateurs prédisaient pour les nouvelles universités des « régimes d’assemblée », René Rémond fit montre d’une conception très « présidentialiste » des institutions universitaires. Arnaud Desvignes confirme par ailleurs le goût de René Rémond pour l’autonomie universitaire, puisque le président de l’université de Nanterre plaide au sein de la Conférence des Présidents d’Universités en faveur de la priorité des diplômes d’université sur les diplômes nationaux. La CPU se range à son avis, mais le CNESER, sous l’impulsion de Georges Vedel, se prononce dans l’autre sens. Peut-on en conclure, avec Arnaud Desvignes, que l’État brise l’autonomie des universités ? Mais sa contribution ne montre-t-elle pas qu’un certain nombre d’universitaires vont, de ce point de vue, au-devant du désir d’une partie de l’administration centrale de conserver le contrôle ? La contribution de Jérôme Aust décrit le cas des universités lyonnaises, marqué par des tensions politiques qui aboutissent à l’opposition des universités Lyon 2 et Lyon 3. Enfin, la contribution de Pierre Lamard et d’Yves Lequin décrit les origines et la naissance de l’université de technologie de Compiègne (UTC), une université qui, écrivent-ils fort justement en conclusion, s’inscrit moins dans l’esprit de la loi Faure que dans le cadre de la politique gaulliste des années 1966-1967. Au total, cette troisième partie confirme-t-elle, comme se le demandait son titre, que la loi a été peu ou mal appliquée ? Ce point de vue semble en tout cas confirmé par deux témoins, à l’époque hauts fonctionnaires au ministère de l’Éducation nationale, Jacques de Chalendar et Pierre Trincal : à une phase d’effervescence créatrice succéda une phase de suivi vigilant d’une réforme à laquelle le président Pompidou n’était pas favorable, puis, avec l’arrivée d’Alice Saunier-Seïté, de réorientation de la politique universitaire. Dans l’esprit de l’histoire du temps présent, ces intéressants témoignages sont complétés par une précieuse présentation (Sylvie Le Clech et Emmanuelle Picard) des archives de l’enseignement supérieur conservées au Archives nationales (fonds des cabinets ministériels et de l’administration centrale essentiellement).

5Même si le texte eût pu être débarrassé de ses coquilles et confusions (p. 136 : Pierre Poujade au lieu de Robert Poujade), cet ouvrage apporte donc d’importantes précisions et éclaire d’un jour nouveau la genèse, l’élaboration et l’application de la loi Edgar Faure. Dans son introduction, Bruno Poucet en souligne le rôle fondateur et ajoute : « elle pose les questions que les lois de 1984 puis de 2007 affronteront à leur tour, signe qu’elle entame quelque chose de profond dans la conception de l’Université en France. Et qu’il y a des résistances. Hier comme aujourd’hui ». Mais en 1968 l’antagonisme se réduisait-il à une opposition entre progressistes et conservateurs ? Il apparaît qu’une autre réforme avait été conçue avant Mai, dans une tout autre direction, que certains auraient aimé reprendre. Par ailleurs, même si le témoignage de Pierre Trincal souligne le soutien des milieux patronaux au principe de l’autonomie et si celui de Jacques de Chalendar rappelle la volonté d’Edgar Faure de « débureaucratiser », peut-on considérer que les oppositions de 2007-2009 furent de même nature que celles qui se manifestèrent en 1968 ? Peut-on réduire les divergences à l’opposition entre jacobins et girondins ? La loi Edgar Faure avait limité la durée de la fonction de président d’université. Depuis a surgi une conception managériale, à laquelle s’associe parfois une bureaucratisation des universités autonomes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Verneuil, « POUCET (Bruno), VALENCE (David) (dir.), La loi Edgar Faure. Réformer l’université après 1968 »Histoire de l’éducation, 148 | 2017, 216-219.

Référence électronique

Yves Verneuil, « POUCET (Bruno), VALENCE (David) (dir.), La loi Edgar Faure. Réformer l’université après 1968 »Histoire de l’éducation [En ligne], 148 | 2017, mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 14 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/3834 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.3834

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Auteur

Yves Verneuil

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