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Notes critiques

GUTIERREZ (Laurent), MARTIN (Jérôme), OUVRIER-BONNAZ (Régis) (dir.). Henri Piéron (1881-1964), Psychologie, orientation et éducation

Toulouse, Octarès Éditions, 2016, 266 p.
Jean-Yves Seguy
p. 199-202
Bibliographical reference

GUTIERREZ (Laurent), MARTIN (Jérôme), OUVRIER-BONNAZ (Régis) (dir.). Henri Piéron (1881-1964), Psychologie, orientation et éducation, Toulouse, Octarès Éditions, 2016, 266 p.

Full text

1Cet ouvrage rassemble les textes présentés lors du colloque consacré à Henri Piéron, organisé à Paris à l’Institut national d’étude du travail et de l’orientation professionnelle les 27 et 28 novembre 2014. Dans sa postface, Jean-Luc Bernaud insiste sur le fait qu’Henri Piéron a été « un acteur et un témoin majeur de la naissance de la psychologie scientifique française mondiale » (p. 263). Tout l’ouvrage s’emploie à mettre en évidence cette idée, se gardant des risques d’une simple juxtaposition d’exposés, pour proposer un ensemble de contributions, de portraits croisés qui conduisent à saisir progressivement la complexité du personnage. S’il est évident que Piéron fut un acteur essentiel d’une psychologie scientifique en construction au début du XXe siècle, posant avec fermeté les bases institutionnelles de cette discipline en devenir, il fut aussi ce témoin qui écrit l’histoire d’un champ de recherche, mettant tout à la fois en évidence des connaissances fondamentales et des savoirs tournés vers les applications pratiques, en particulier, celles de l’orientation professionnelle. Cet ouvrage montre également que l’influence de Piéron dépasse largement le cadre national et qu’il a établi des relations suivies avec des chercheurs européens (Belgique, Espagne, Italie, Suisse), mais aussi avec des chercheurs d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil en particulier), contribuant ainsi, à travers l’expression de convergences de vues, à la construction d’une psychologie scientifique internationale.

2Cette approche conduit les directeurs de l’ouvrage à découper les textes en trois grandes parties : Henri Piéron et la psychologie scientifique, Henri Piéron et la psychologie appliquée, Piéron figure internationale de la psychologie.

3La première partie de l’ouvrage montre que Piéron est certes un scientifique de haut niveau, mais qu’il est aussi et surtout un homme d’institution. Il veut défendre une psychologie scientifique se dégageant de certains errements interprétatifs, pour s’intéresser à ce qui est vraiment observable, le comportement (même s’il prend ses distances vis-à-vis d’une psychologie du comportement au sens strict portée par Watson et son behaviorisme) appréhendé au moyen d’une méthode rigoureuse, la méthode expérimentale.

4Les différentes contributions de cette première partie permettent de préciser et caractériser cette conception. Le chapitre rédigé par Alexandre Klein montre en quoi Piéron a pu être considéré comme l’héritier de Binet, tout en s’en démarquant résolument. Il apparaît ainsi que, s’il y avait bien chez Piéron et Binet l’idée de fonder une psychologie scientifique, leurs conceptions s’inscrivent dans deux modèles épistémologiques différents. Si Binet souhaite construire une psychologie s’insérant dans le champ des sciences humaines, Piéron situe son projet du côté des sciences de la nature, ce que ses travaux de psychophysiologie révèlent clairement. C’est en particulier ce que montrent Serge Nicolas et Yannick Gouden, en mettant en évidence cette référence à la psychologie physiologique, outil permettant de se démarquer d’une psychologie « fondée sur la spéculation philosophique » (p. 42). Piéron affirme bien sa volonté de rechercher des lois scientifiques. Les auteurs rappellent d’ailleurs l’existence d’une loi dite de Piéron, conçue dans le cadre de ses travaux sur les sensations et établissant un lien formalisé entre l’intensité excitatrice et les temps de réaction des sujets. Mais si ses travaux sont importants et reconnus, c’est bien par son rôle institutionnel que Piéron marque le milieu de la psychologie dans le long terme, en étant un « maître formateur, un animateur de la science » (p. 56). On précise encore les conceptions de Piéron dans le chapitre de Bernard Prot dans lequel est présentée, malheureusement un peu rapidement, son opposition à Marcel Mauss en 1924. Le sociologue défend l’idée d’une approche globale de l’homme, quand Piéron, toujours à la recherche de lois psychologiques, préfère considérer les « fonctions aussi isolées que possible » (texte de Piéron de 1924, cité par Prot, p. 64). Il ne suffit toutefois pas de définir ce qui relève de la psychologie scientifique, il faut aussi en établir les contours. C’est ce que Renaud Evrad et Stéphane Gumpper montrent en faisant état d’un intérêt assez étrange de Piéron pour la métapsychie, la parapsychologie, ou la télépathie, attention en fait révélatrice de la volonté subtilement montrée par les auteurs, d’établir des frontières nettes entre ce qui relève de la science et ce qui n’en relève pas. Jérôme Martin complète cette approche de la figure d’un Piéron défenseur de la psychologie scientifique, en montrant qu’il écrit l’histoire de la discipline tout en la faisant vivre. Ce cadre d’analyse étant fixé, Jérôme Martin révèle la manière dont la position prépondérante de Piéron a pu par exemple favoriser l’idée d’une orientation quasi exclusivement fondée sur la psychologie, alors que d’autres histoires pourraient mettre en avant des jeux d’influences radicalement différents.

5La deuxième partie, consacrée à la place de Piéron dans la psychologie appliquée fait la part belle au rôle essentiel mené dans le domaine de l’orientation professionnelle. Michel Huteau, partant de l’ancrage positiviste et républicain de Piéron, montre qu’en matière d’orientation professionnelle, il souhaite la construction d’une société rationnelle et juste (en référence à la biocratie de Toulouse) où chacun occuperait une place correspondant à ses aptitudes héréditaires. Cette vision d’un chercheur sortant de son laboratoire et se préoccupant de l’évolution de la société est complétée par le texte de Laurent Gutierrez qui expose la manière dont Piéron s’engage dans le processus de réforme, en particulier à travers ses interventions dans la commission Langevin-Wallon. Il s’agit bien pour lui de réformer l’école en vue d’une démocratisation tenant compte de la diversité des élèves, et conduisant à une différenciation de l’enseignement grâce aux méthodes actives.

6Le rôle joué par Piéron dans le processus d’institutionnalisation de la psychologie, déjà évoqué, est aussi à l’œuvre pour ce qui concerne l’orientation, tant par la constitution d’un lieu de formation et de recherche, l’INOP, puis l’INETOP, dont l’histoire est présentée par Régis Ouvrier-Bonnaz, que par la participation à la constitution d’un nouveau corps de professionnels, les conseillers d’orientation, dont Paul Lehner fait une présentation historique précise. Au-delà de cette institutionnalisation, Piéron réfléchit aux outils qui doivent contribuer à la mise en œuvre d’un processus rationnel d’évaluation et d’orientation. C’est ce qui est présenté dans deux chapitres, l’un de Marco Saraceno qui porte sur le rôle de Piéron dans la constitution de l’école française de psychotechnique, en particulier à travers les débats épistémologiques le distinguant de Laugier et Lahy, et l’autre de Philippe Chartier sur les études de docimologie dont on peut percevoir encore maintenant certains prolongements dans les réflexions sur l’évaluation à l’école.

7La dernière partie montre l’imposante figure internationale que représente Piéron. Ses nombreux échanges épistolaires, par exemple avec Decroly, tels que montrés par Sylvain Wagnon, ou avec Claparède, mis en valeur par Martine Ruchat, révèlent la manière dont se construit et s’enrichit une pensée personnelle (par exemple pour ses travaux sur le sommeil) alimentée par la confrontation amicale. Les auteurs ont par ailleurs su révéler, derrière le scientifique rigoureux, la personne humaine attentive aux préoccupations et malheurs de ses amis. L’ouvrage montre enfin des liens sans doute peu connus, entretenus par Piéron avec la psychologie espagnole et en particulier Emilo Mira (Angel C. Moreu), la psychologie argentine (Maria Andrea Piñeda), la psychologie italienne, par le biais de la Rivista di Psicologia (Glauco Ceccarelli), ou encore la psychologie brésilienne (Caroline Bandeira de Melo et Régina Freitas Campos).

8Ce bref résumé ne rend pas compte de la richesse de l’ouvrage qui, en mettant en évidence les rencontres, les jeux de filiation, d’oppositions institutionnelle et épistémologique, montre la complexité de pensée d’un homme, Henri Piéron, mais surtout la manière dont un champ disciplinaire inséré dans un contexte social donné se constitue peu à peu, essaime et se diversifie. C’est une partie de l’histoire de la psychologie scientifique naissante et de ses applications, qui est écrite ici. La diversité des auteurs de cet ouvrage, historiens, psychologues, spécialistes de l’orientation, du travail, a permis de mettre en valeur la pluralité des facettes d’un personnage dont l’œuvre mérite encore assurément d’être étudiée, analysée et mise en perspective. Gageons que ce livre contribuera à l’émergence de nouvelles recherches sur Henri Piéron.

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References

Bibliographical reference

Jean-Yves Seguy, GUTIERREZ (Laurent), MARTIN (Jérôme), OUVRIER-BONNAZ (Régis) (dir.). Henri Piéron (1881-1964), Psychologie, orientation et éducationHistoire de l’éducation, 148 | 2017, 199-202.

Electronic reference

Jean-Yves Seguy, GUTIERREZ (Laurent), MARTIN (Jérôme), OUVRIER-BONNAZ (Régis) (dir.). Henri Piéron (1881-1964), Psychologie, orientation et éducationHistoire de l’éducation [Online], 148 | 2017, Online since 31 December 2017, connection on 04 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/3778; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.3778

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