Navigation – Plan du site

AccueilNuméros147Notes critiquesJean-Paul Martin, La Ligue de l’e...

Notes critiques

Jean-Paul Martin, La Ligue de l’enseignement. Une histoire politique (1866-2016)

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 605 p. [collab. Frédéric Chateigner et Joël Roman, préf. Jean-Michel Ducomte]
Françoise F. Laot
p. 209-213
Référence(s) :

Jean-Paul Martin, La Ligue de l’enseignement. Une histoire politique (1866-2016), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 605 p. [collab. Frédéric Chateigner et Joël Roman, préf. Jean-Michel Ducomte]

Texte intégral

1Ce volumineux ouvrage sur la Ligue de l’enseignement vient combler une lacune de l’historiographie. En effet, si plusieurs travaux sur cette institution avaient déjà été publiés en France et à l’étranger, ceux-ci ne portaient que sur certains aspects ou périodes spécifiques. Fêtant son cent-cinquantenaire en 2016, la Ligue a donc a confié à Jean-Paul Martin la mission de reprendre son histoire des origines à nos jours.

2L’angle choisi fait porter l’analyse à la fois sur le projet idéologique de Ligue et sur les relations qu’elle entretient avec les différents pouvoirs en place. Ces deux aspects, indissociablement liés, évoluent sous la pression des événements, des décisions gouvernementales ou des positions parlementaires, tantôt dans le sens d’un rapprochement des points de vue, tantôt dans celui d’une prise de distance, voire d’une franche opposition. Pour tenir le fil de cette exigence, l’auteur présente un récit chronologique organisé entre trois périodes : des origines à 1914, de 1914 à la Ve république et des années 1960 à aujourd’hui ; qu’il croise avec des analyses thématiques transversales, sur la question associative et la laïcité.

3Que cet ouvrage résulte d’une commande a contraint l’auteur à certains choix, dont celui de se faire aider pour les périodes les plus contemporaines, mais aussi celui, plus radical, de faire l’impasse sur certaines sources afin de respecter les délais, une date anniversaire ne pouvant être reportée. Ainsi, les 57 cartons transportés à Moscou pendant la Seconde Guerre mondiale, récemment récupérés, n’ont-ils pas été ouverts ! Qu’aurait permis de plus la consultation de ces archives au destin si rocambolesque ? Cette publication ne clôt donc pas le sujet.

4La première partie montre comment cette « structure atypique » devient progressivement un acteur reconnu de la IIIe République en se spécialisant dans l’action éducative en tant qu’action politique. Nous suivons pas à pas les différents épisodes de cette histoire fluctuante.

5À l’origine, la Ligue, créée à la suite de l’appel de 1866 de Jean Macé qui s’est inspiré de la Ligue belge de l’enseignement, n’est qu’un simple label, un projet auquel adhèrent différents cercles de tailles et de contenus différenciés, inégalement répartis sur le territoire national. Le mouvement fait ses premiers pas à travers les bibliothèques populaires, puis l’activité pétitionnaire (le mouvement du sou contre l’ignorance, en 1871-1872). Il commence à se structurer à partir de 1878 puis s’installe dans la République des républicains. Chaque nouveau président (Léon Bourgeois, Ferdinand Buisson, Arthur Dessoye) imprime sa marque et un mode de collaboration avec l’État-enseignant dont il est, a été ou sera, également un membre actif.

6Les adhérents de la Ligue sont des groupements divers, dont le nombre, parfois difficile à estimer, varie beaucoup d’une époque à l’autre. Martin, dressant une rapide sociologie des cercles urbains à la fin des années 1860, note une nette dominante bourgeoise. La composition politique, est essentiellement centriste, les socialistes ayant été tenus à l’écart. S’affirmant comme un « réseau des réseaux », le rôle de la Ligue consiste à apporter son appui technique et matériel à différentes initiatives d’éducation populaire (cours d’adultes, catalogues de livres pour les bibliothèques populaires, réseaux de conférenciers, prêts de vues sur verre et de « lanternes magiques » au tournant du siècle, etc.). Elle initie également des activités plus ponctuelles : une enquête sur la laïcité en 1872, la commémoration du centenaire de la Révolution française ou encore l’érection de monuments à la gloire de grands républicains. Les congrès nationaux rythment la vie de l’institution. Martin en détaille les débats, les tensions, les liens parfois compliqués avec les loges maçonniques, les positions clivées sur l’éducation militaire, etc. La laïcité fait l’objet de nombreuses définitions successives, entre visions déiste et radicale.

7En conclusion de cette première période l’auteur souligne que, tout en développant une « voie moyenne », la Ligue a su mettre en œuvre un « modèle associatif de nature éminemment politique » consistant à préparer les réformes et à s’assurer qu’elles sont, par la suite, bien appliquées.

8Devenue Confédération générale des œuvres laïques en 1929, la Ligue gagne en complexité. Elle s’appuie sur des fédérations départementales et sur des grandes sections spécialisées, les UFO, (Unions françaises des œuvres) dans les domaines de l’éducation physique, du cinéma éducateur, des colonies de vacances, etc. Le chapitre rédigé par Frédéric Chateigner présente ces dernières comme des laboratoires de l’« animation » et de la formation des cadres de l’éducation populaire.

9Se centrant sur l’enseignement primaire, la Ligue voit l’arrivée massive des instituteurs dans ses instances dirigeantes. Elle se rapproche du Syndicat national enseignant (SNI) et développe une identité fondée sur le rassemblement des gauches, confortée par le Front populaire. Durant les années d’occupation, elle s’en tire moins bien que d’autres mouvements. Sa dissolution est prononcée en 1942. Cette sanction s’applique aussi au Cercle parisien qui a pourtant rendu un hommage appuyé à Pétain, tandis que nombre de ligueurs entraient dans la Résistance. Néanmoins elle échappe au transfert de ses biens que le gouvernement de Vichy n’a pas eu le temps de mettre à exécution. Après le débarquement en Afrique, un conseil général de la Ligue se forme à Alger, puis, à la Libération, un bureau provisoire s’installe au siège du Cercle parisien collaborationniste. Pour autant, l’avenir est incertain. Guéhenno y voit un « vieux groupement qui doit céder la place », avant de lui octroyer finalement une subvention confortable. Durant la IVe République, la Ligue retrouve une puissance croissante, avec l’arrivée de grandes associations qui adhèrent à la Confédération tout en conservant leur autonomie, comme, Peuple et Culture, les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Ceméa), la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture (FFMJC), etc.

10L’idée laïque évolue durant cette période, avec d’un côté un État qui tente à plusieurs reprises de mettre définitivement fin à la guerre scolaire et de l’autre, une Ligue qui défend le projet de nationalisation intégrale de l’enseignement. Souhaitant étendre les règles de la laïcité scolaire au monde associatif, elle va jusqu’à préconiser toute absence de contacts entre associations laïques et confessionnelles, y compris dans le cadre de rencontres sportives, au point d’apparaître totalement fermée au pluralisme aux yeux de nombreux mouvements laïcs, partenaires ou adhérents. Mais l’État laïque tendant après-guerre à traiter tous les mouvements de façon égale, la Ligue échoue dans sa ligne de « laïcité identitaire militante ». Le projet inabouti du ministre Billères constitue le « dernier rêve brisé ». En effet, un monopole d’État de l’éducation permanente ne passera pas l’épreuve du feu. La laïcité « de combat » devra céder du terrain.

11La Ligue va s’opposer frontalement à la Ve République et tenter d’entraver l’application de la loi Debré qui instaure un système contractuel avec les écoles libres. Sur ce plan, elle connaîtra une suite de déconvenues jusqu’à l’échec du Spulen (Service public unifié et laïc de l’éducation nationale) au lendemain de la grande manifestation de 1984. Les temps changent : autrefois considéré comme une entreprise d’aliénation des consciences privant les citoyens de l’accès à la connaissance et au libre arbitre, l’enseignement religieux ne fait plus peur. Hier si intransigeante, la Ligue entame alors un dialogue avec les religions, notamment avec l’Islam, qu’elle va découvrir, jusqu’à ouvrir le débat de l’enseignement des religions en tant que « faits durables et positifs de culture » (p. 418).

12Plutôt rurale, la Ligue doit évoluer pour s’adapter à un monde qui devient citadin. Elle investit les « quartiers », se lance dans l’action « socio-culturelle », perd peu à peu les enseignants qui constituaient son noyau dur. Elle les remplace par des animateurs professionnels, dont elle devient l’employeur centralisé quand les mises à disposition de fonctionnaires sont menacées puis totalement supprimées. Elle diversifie ses domaines d’interventions (mutuelles, gestion d’établissements médico-sociaux, formation et conseil aux entreprises, etc.) et devient peu à peu un véritable entrepreneur de l’économie sociale. Elle y brouille son image : culture militante et logique économique ne font pas bon ménage.

13Dans les années 1990, elle surmonte une crise financière catastrophique au prix d’un assainissement drastique de la gestion, de licenciements et de l’hypothèque de l’immeuble Récamier. Après une très forte progression du nombre d’associations affiliées au début de la période, elle perd 45 % de celles-ci dans les années 1980, puis leur nombre se stabilise. Relativement à l’explosion associative qui caractérise la période, la Ligue a perdu de sa superbe.

14Œuvrant au « vivre ensemble » et à la réflexion citoyenne, elle se rallie à « l’idéologie associative », exaltant la société civile, les corps intermédiaires et la démocratie participative. En revendiquant aujourd’hui l’autonomie associative, elle renoue avec des fondamentaux, de Tocqueville à Bourgeois, pour qui les associations constituaient un élément de résistance à l’expansionnisme de l’État.

15Ces réflexions sont en partie menées dans le cadre des Cercles Condorcet qui démarrent en 1986. Sorte de « franc-maçonnerie profane » (p. 413), ils visent à refaire de la Ligue un mouvement d’opinion. Or, la laïcité va bientôt connaître un tournant droitier avec la première « affaire des foulards islamiques » en 1989. Face aux « clivages inter-laïques », entre revendication d’un droit à la différence et logique prohibitionniste vis-à-vis de l’Islam, la période s’achève sur l’image d’une Ligue ouverte et tolérante.

16Au terme de cette lecture, parfois ingrate, tant les informations sont touffues et se succèdent un peu trop vite, il reste l’impression d’un long voyage en immersion dans le temps, rythmé par des « éléments de langage » ou rhétoriques qui surgissent puis disparaissent, comme autant de marqueurs idéologiques des époques traversées.

17Le pari de faire une histoire politique nous semble tenu étant donné la difficulté de la tâche qui consistait à tirer des fils de cet amoncellement de données. Les trois périodes ne sont toutefois pas également développées, la deuxième – surtout pour les années d’occupation –, étant la moins détaillée. Mais on revient ici au problème des sources. Quelques thématiques mériteraient soit approfondissement, comme l’engagement colonial de la Ligue, à peine esquissé, ou les difficultés de son internationalisation ; soit au contraire un résumé synthétique, comme ses rapports fluctuants avec la franc-maçonnerie. Les chapitres transversaux sur la laïcité, traitée comme un thème politique et non philosophique, sont véritablement éclairants et proposent une mise à distance salutaire des débats actuels. Un regret : il manque un bref récapitulatif de la chronologie. De même, l’introduction dans l’index, des principales institutions citées, internes et externes à la Ligue, aurait été bienvenue. On imagine que, peut-être, des choix d’édition visant à limiter le nombre de pages d’un volume déjà très épais ont prévalu, mais c’est dommage car ces éléments auraient constitué une aide bien utile.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Françoise F. Laot, « Jean-Paul Martin, La Ligue de l’enseignement. Une histoire politique (1866-2016) »Histoire de l’éducation, 147 | 2017, 209-213.

Référence électronique

Françoise F. Laot, « Jean-Paul Martin, La Ligue de l’enseignement. Une histoire politique (1866-2016) »Histoire de l’éducation [En ligne], 147 | 2017, mis en ligne le 30 juin 2017, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/3334 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.3334

Haut de page

Auteur

Françoise F. Laot

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search