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L’éducation du prince par les arts du discours au XVe siècle : l’oratio comme outil de formation et jeu de regards à la cour de Francesco Sforza

The education of the prince through the art of speech in the 15th century: the oratio as a training tool and a ballet of glances at the court of Francesco Sforza
Monica Ferrari
p. 9-36

Résumés

En Italie, dans la seconde moitié du XVe siècle, les cours représentent une sorte de laboratoire culturel où, entre persistances et mutations, se redéfinissent les idées et les stratégies visant à l’éducation des princes et des élites, à partir de l’entourage des princes en devenir. La cour des Sforza, qui récemment a fait l’objet de nombreuses études, est un point d’observation intéressant pour analyser un dispositif de formation conçu à l’intention de ceux qui sont appelés, par leur naissance, à « gouverner les autres ». Dans ce dispositif, les arts du discours jouent un rôle central et participent également aux mécanismes de légitimation du pouvoir sous des formes qui ont marqué leur empreinte dans l’histoire italienne et européenne. S’il est vrai que la lettre – outil de communication in absentia – contribue à l’intériorisation d’un certain style de vie et de la situation de chacun dans la hiérarchie sociale, ainsi qu’à un processus d’individuation très précoce pour les princes, les enfants de Francesco Sforza et de Bianca Maria Visconti disposent de plusieurs autres outils centrés sur la parole. Un discours en latin, écrit manu propria par Ludovico Maria Sforza adolescent, pour être prononcé en public dans une occasion significative pour la vie de la cour, nous aide à comprendre quelques aspects d’un itinéraire de formation, entre la représentation de soi dans le présent et la promesse d’avenir. Ce document permet de mieux comprendre aussi quelques éléments d’un dispositif pédagogique, centré sur un jeux de regards entre le jeune prince, ses parents et la culture des ses maîtres.

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Texte intégral

Tout système d’éducation est une manière politique de maintenir ou de modifier l’appropriation des discours, avec les savoirs et les pouvoirs qu’ils emportent avec eux. (Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 46).

  • 1 Sur la notion heuristique de « costume educativo », à savoir l’ensemble de stratégies, utilisées d (...)
  • 2 La bibliographie sur ce sujet est désormais très riche. Pour des revues bibliographiques récentes, (...)
  • 3 Les études de Eugenio Garin représentent un point de repère incontournable, notamment : L’educazio (...)
  • 4 Galeazzo Maria (1444-1476), Ippolita Maria (1445-1488), Filippo Maria (1448-1492), Sforza Maria (1 (...)
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  • 6 Pour une discussion de la littérature sur la cour européenne, voir Beatrice Del Bo, « Le corti nel (...)
  • 7 Les dates de naissance et de mort de ce grand humaniste sont incertaines ; on connaît mieux celles (...)

1À partir du milieu du XVe siècle, lorsque Francesco Sforza (1401-1466) conquiert le pouvoir, la cour de Milan devient un « laboratoire culturel » d’un grand intérêt pour l’historien des mœurs éducatives1. Les éducations princières2 représentent, dans cette période et dans ce contexte, un observatoire privilégié du débat sur la formation des élites à cette époque3 et de l’évolution, entre être et devoir être, de stratégies et pratiques pédagogiques. Les huit enfants de Francesco Sforza et Bianca Maria Visconti (1424/1425-1468)4 « vont à l’école »5, de la cour6. On organise un entourage complexe, fait de « précepteurs » (magistri) et « gouverneurs » (governatori) chargés de la formation des héritiers (garçons et filles) d’une nouvelle dynastie qui aura un poids déterminant pour l’équilibre de toute la péninsule italienne. Dans les cours italiennes du XVe siècle, on expérimente des stratégies et des méthodes éducatives innovantes, centrées sur la redécouverte des auteurs de l’Antiquité et sur l’intériorisation de modèles de conduite. L’écriture, surtout épistolaire, et l’institutio oratoria y jouent un rôle déterminant pour ceux qui doivent apprendre à gouverner. On peut, dans cette perspective, mentionner le travail de Vittorino da Feltre à Mantoue, pendant la première moitié du XVe siècle, et son école, où des enfants de princes et des élèves méritants apprenaient les nouveaux savoirs des humanae litterae. L’école de Vittorino7 constitue un modèle important pour la cour de Milan aussi, au moment où s’amorce la définition d’un schéma de formation pour les princes italiens et pour des dynasties récentes comme celle des Sforza en quête de légitimité politique et sociale.

I. Éducations princières au XVsiècle

  • 8 Par exemple, Ascanio Maria Sforza, qui deviendra cardinal, achève ainsi son parcours de formation (...)

2Dans la familia complexe des Sforza, dans la seconde moitié du XVe siècle, le paterfamilias exerçait un pouvoir absolu. À côté de lui, il y avait son épouse, qu’il pouvait investir en son absence de responsabilités politiques importantes. Plusieurs entourages s’occupaient de l’éducation de leurs enfants, d’une part à l’« école » de la cour (où une série de magistri enseigne à différents élèves) et d’autre part à l’extérieur de la cour, lors de leurs déplacements d’une résidence seigneuriale à l’autre, dans les villes du duché ou dans d’autres villes et d’autres cours, à l’occasion de leurs voyages. Ces parcours formatifs sont établis sur la base d’une nette diversification des statuts envisagés, dès leur naissance, pour chacun des enfants8.

3Si des magistri, choisis avec soin par leurs parents, étaient chargés de tâches éducatives précises, un ou plusieurs « gouverneurs » étaient responsables de l’organisation de la journée des jeunes Sforza ainsi que de leur entourage, dans le cadre d’un réseau serré de rapports entre la cour et d’autres lieux de formation, au premier rang desquels on trouve le Studium papiense (l’université de Pavie). À la cour des Sforza, la continuité du rapport entre magister et élève n’est pas donnée une fois pour toutes, pour des raisons différentes, à cause, entre autres, de la vie (itinérante) des princes et de leurs enseignants. Par exemple, la grammaire de Baldo Martorelli (1420/27-1475) nous permet de supposer que, pendant une certaine période, celui-ci s’occupe à la fois de l’éducation de Ippolita Maria et de Galeazzo Maria ; mais après 1457 nous savons, grâce à la correspondance, que le personnage chargé principalement de s’occuper de Galeazzo Maria est Guiniforte Barzizza (1406-1463), qui le suit dans ses voyages auprès d’autres cours.

4Les enfants Sforza bénéficient, seuls et/ou avec d’autres membres de la familia, de moments didactiques souvent informels et de différentes pratiques culturelles et d’apprentissage. Les occasions éducatives peuvent être confiées, en l’absence du précepteur en service, aux intellectuels présents à la cour (les médecins, par exemple), dans des lieux qui varient in fonction aussi des résidences des seigneurs.

  • 9 Pour une analyse générale de ce problème (et des sources) et pour une revue de la littérature, nou (...)
  • 10 Pris au sens d’un ensemble d’éléments en interaction réciproque qui réalise un programme d’action (...)

5De nombreuses études ont été consacrées aux pratiques pédagogiques à la cour des Sforza9, où se perfectionne un dispositif10 visant à préparer les héritiers à l’exercice du pouvoir. À l’intérieur d’un tel programme de formation, les arts du discours tiennent un rôle central pour des hommes et des femmes appelés à occuper le devant de la scène politique dans des occasions officielles et publiques de grande importance. Dès leur plus jeune âge, les fils et les filles de Francesco Sforza et Bianca Maria Visconti deviennent des protagonistes du théâtre de la politique : en tant qu’ambassadeurs auprès d’autres cours, il leur faudra souvent démontrer, tout d’abord par la parole, qu’ils sont des émules précoces de leurs parents, et donc une garantie d’avenir pour une jeune dynastie qui tâche de se légitimer et de se faire respecter bien au-delà des frontières du duché de Milan.

  • 11 Dario Mantovani (dir.), Almum Studium Papiense. Storia dell’ Università di Pavia. vol. 1 : Dalle o (...)

6Dans le cadre de ces nouvelles réflexions sur la formation des enfants Sforza pendant la seconde moitié du XVe siècle, les études publiées récemment sur les relations entre la cour milanaise et son université, dès sa naissance (1361)11, s’avèrent un outil précieux. Pendant la période qui nous intéresse ici, l’université de Pavie compte parmi ses membres les personnages – pour la plupart, médecins et hommes de lettres – qui dominent le débat culturel dans le duché de Milan et, plus généralement, en Italie. Souvent, ils font aussi partie de l’entourage des Sforza, jouant plusieurs rôles à la cour et tissant des relations avec les membres de la familia du duc et de la duchesse.

  • 12 Voir Federico Piseri, « Governatori e “magistri a schola” nelle corti sforzesche », art. cit. Sur (...)
  • 13 Sur les précepteurs des Sforza, voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., passim ; Pao (...)
  • 14 Sur les médecins des Sforza, et notamment sur Cristoforo da Soncino, nous renvoyons, pour une bibl (...)
  • 15 Dans ce recueil d’écrits on trouve, par exemple, une Instructione circa el governo del nostro Illu (...)

7Bien des choix sous-jacents à la structuration du parcours de formation des enfants et petits-enfants de Francesco Sforza sont dus à l’entrelacement du dessein politique de leurs parents et de leurs gouverneurs, soigneusement sélectionnés parmi les plus fidèles familiares de haut rang12, et du projet culturel et politique de précepteurs tels que Francesco Filelfo (François Philelphe, 1398-1481), Guiniforte Barzizza (1406-1463, fils du bien plus célèbre Gasparino [1360-1431]), Baldo Martorelli (1420/27-1475, élève de Vittorino), Giorgio Valagussa (1428-1463, élève de Guarino Veronese)13, ou de médecins tel Cristoforo da Soncino, auquel on attribue la rédaction d’une réflexion sur l’« ordine da servare » (l’ordre qu’il faut maintenir) dans sa vie, à l’intention du comte Galeazzo14. Ce texte fait partie d’un ensemble d’écrits concernant la famille Sforza (ms. ital. 1585 de la Bibliothèque nationale de France). À mi-chemin entre les regimina sanitatis et l’établissement de l’emploi du temps quotidien du prince en devenir, l’exemplum attribué à Cristoforo da Soncino a la valeur d’une institutio principis qui s’inscrit dans un ensemble d’autres textes semblables attribués à plusieurs personnages de la cour consacrés aux règles de conduite et de vie pour l’héritier du duché15. La lecture de ces documents nous aide à comprendre, au moins au niveau idéal, quelles étaient les pratiques éducatives qu’on attendait des gouverneurs, précepteurs et médecins chargés du fils aîné et de tout son entourage.

  • 16 ibid., p. 75 : « Del parlare continuo glie faciano ricordo et persuasione che parli expeditamente (...)
  • 17 Ibid., p. 72 et 73 « Et questa sia regula generale de non mai abandonarlo d'ochio da canto veruno (...)
  • 18 Ibid., p. 74 : « Nel passare per la cità o altri lochi sempre metta mente de reverire ogna persona (...)

8Le texte de Cristoforo da Soncino permet ainsi de repérer les qualités attendues du prince et les moyens de les lui faire acquérir. Il souligne l’importance de l’elocutio et de la pronuntiatio du princeps, de sa maîtrise de l’art de la parole : « Quant à l’élocution, qu’on lui rappelle et qu’on le persuade sans cesse qu’il faut parler aisément et avec gravité et éviter d’embrouiller les mots »16. Le prince doit en outre être surveillé, pendant la journée, par un entourage qui s’occupe à chaque instant de sa formation, en corrigeant ses fautes, mais sans que les autres s’en aperçoivent, pour ne jamais le contredire publiquement. Il faudrait donc que quatre gouverneurs contrôlent le fonctionnement concret d’un véritable dispositif panoptique : « Et qu’en règle générale on ne le quitte jamais des yeux […], qu’ils persistent dans cette attitude de façon à lui faire comprendre qu’il ne pourra pas faire un seul pas sans être observé et vu »17. Le jeune prince ne devrait se montrer que dans sa magnificence, son « humanité » et sa « douceur » : « Lorsqu’il se promène dans la ville ou dans d’autres lieux, qu’il veille toujours à saluer chacun selon sa condition en adressant aux personnes un doux regard, par-ci par-là, de façon à charmer chacun avec ses yeux et son visage »18.

  • 19 L’exemple le plus considérable de cette prise de possession est le Grand Tour de Charles IX sous l (...)

9Cet ensemble de textes souligne la spécificité du parcours du jeune prince milanais, appelé à un exercice constant de distinction, fondé sur un contrôle absolu et « spéculaire », où l’intériorisation de l’humanitas et de la douceur contribue à le rendre magnifique. La promenade dans la ville est un aspect important de cet exercice pour le jeune prince appelé à resserrer le réseau de relations qui garantissent son pouvoir et à marquer le territoire par son passage, selon un modèle de gestion du pouvoir qui remonte à une tradition ancienne dont on retrouve des échos en France au XVIe et au XVIIe siècle, avec la ritualisation du tour du royaume, des entrées royales ou des « voyages dynastiques » de début du règne19.

10Entre la persistance de rituels liés à l’exercice du pouvoir et les innovations dans le style de vie, un modèle éducatif particulier prend forme à la cour des Sforza comme auprès d’autres dynasties du XVe siècle. Il est fondé sur une reprise de la culture de l’Antiquité prônée par des intellectuels engagés par ailleurs sur le front des nouvelles institutions de formation, depuis les écoles-pensions jusqu’aux universités, et qui sont appelés à éduquer les enfants des seigneurs. La particularité des pratiques et des stratégies de l’éducation curiale par rapport à d’autres contextes de formation est liée à leur visée : l’humanitas et la douceur sont utiles à l’exercice d’un pouvoir qui rend différent le seigneur-paterfamilias.

11Pour mieux comprendre l’exercice oratoire de Ludovico Maria Sforza qui est au centre de nos réflexions, on présentera d’abord quelques aspects de ce parcours de formation qui se met en place et qui se perfectionne à la cour milanaise, grâce au travail d’une série d’intellectuels reliés entre eux par un réseau de relations et par plusieurs expériences d’étude et de formation dans des milieux différents.

II. Typologie des « textes » du prince

12Si les princes doivent laisser une trace de leur passage et de leur pouvoir à la cour et dans la ville, ils doivent à leur tour apprendre à décoder les signes, à connaître leurs implications et leurs références, dans un exercice herméneutique incessant dont le but est de les aider à gérer leur propre image.

  • 20 Sur la notion de « texte », voir Cesare Segre, Avviamento all’analisi del testo letterario, Turin, (...)
  • 21 Sur ce thème, voir la note 9 ci-dessus et, pour une bibliographie, Monica Ferrari, Federico Piseri (...)
  • 22 La bibliographie sur ce sujet a été remarquablement enrichie, ces dernières années, non seulement p (...)
  • 23 Voir Isabella Lazzarini, « Materiali per una didattica delle scritture pubbliche di cancelleria ne (...)

13C’est pour cette raison aussi que, dès leur plus jeune âge, les enfants des Sforza s’appliquent au décodage et à la construction de « textes » écrits, c’est-à-dire d’un « tissu »20 de messages, confiés principalement à l’écriture. Dans la typologie variée de textes rédigés par les petits Sforza qui nous sont parvenus, le genre épistolaire se signale par son abondance. En témoignent les lettres, conservées au cours des siècles par les soins des chancelleries et aujourd’hui aux Archives d’État italiennes (à Milan, Mantoue, Modène, par exemple) ou ailleurs, comme à la Bibliothèque nationale de France. Ces lettres, adressées par des enfants à leurs parents ou à d’autres membres de la familia, autographes ou rédigées par un scribe, ont été l’objet d’études récentes21, signe de l’intérêt croissant des spécialistes de plusieurs champs disciplinaires pour l’épistolographie du XVe siècle22. Les études sur les pratiques épistolaires en tant qu’exercices didactiques se sont avérées une voie de recherche importante pour la connaissance des pratiques culturelles des cours italiennes, où la distinction sociale et politique passait par l’intériorisation précoce d’un style de vie. Au XVe siècle, la pratique de la rédaction d’une lettre « familiale » par un prince ou une princesse en devenir fixe, dans un document destiné à durer dans le temps, par son contenu et par ses caractéristiques formelles23, quelques aspects essentiels des règles de la communication et des relations de pouvoir entre pairs − avec ses propres parents, avec d’autres membres de la cour, avec les subordonnés − et accoutume très tôt à l’exercice d’un parler-de-soi et des autres visant à l’intériorisation de la suprématie.

  • 24 Voir Monica Ferrari, « Un padre e i suoi figli: segni dell’affetto e ruolo sociale nell’ambito di (...)
  • 25 Archivio di Stato di Milano (désormais ASMi), Carteggio Sforzesco, Potenze Sovrane, Galeazzo Maria (...)
  • 26 Bibliothèque nationale de France (désormais BnF), ms. ital. 1588, f. 239 r.

14Dans certains cas, l’analyse de la correspondance de princes enfants (rédigée le plus souvent, mais pas exclusivement, en langue vulgaire) met en lumière une spécialisation précoce des rôles à l’intérieur de la même génération de frères et sœurs, habitués dès leur première enfance, souvent par leurs précepteurs, à des exercices d’écriture spécifiques, tout en respectant des modèles stylistiques communément répandus24. Par exemple, dans une lettre écrite, par personne interposée, à son père Francesco, le 23 décembre 1452, Galeazzo Maria Sforza, âgé de huit ans, exprime son intention de le prendre pour modèle et de marcher sur ses traces pour la gloire impérissable de leur lignée25. Les lettres des enfants à leurs parents, rédigées principalement par les chanceliers et les scribes de la cour, et plus rarement autographes, sont le témoignage d’une dette constante d’obéissance et de tendresse envers leur père et leur mère. En même temps, il s’agit de véritables exercices de composition sur un « sujet », visant à intérioriser un habitus de conduite fondé sur le devoir du compte rendu et du respect de la hiérarchie sociale, garantie d’ordre et de stabilité, dont le sommet est représenté par le princeps-paterfamilias et par son épouse. Le 4 juin 1459, Galeazzo Maria, qui se trouve à Venise, écrit à sa mère par l’entremise de son chancelier, Giovanni Luca : il entend la renseigner, par ses lettres, sur tout ce qui va se passer au jour le jour26.

15On peut prendre, à titre d’illustration du rôle éducatif des pratiques épistolaires, une lettre de Ludovico Maria Sforza, âgé alors de quinze ans (1467), à sa mère, dans laquelle il confirme que l’exercice épistolaire en latin, surtout lorsque la lettre est autographe, est lié à une forme d’intériorisation de valeurs et de conduites, renforcées par la difficulté de l’écriture :

  • 27 « Rengratiandola de tanta demonstratione de amore verso mi suo figliolo et servitore in sollicitar (...)

« Je vous remercie pour la tendresse que vous montrez pour moi, votre enfant et votre serviteur, en me sollicitant et m’encourageant à suivre la vertu par laquelle on acquiert la gloire auprès de Dieu Tout-puissant et la renommée dans le monde, et on atteint toute belle dignité, et je déclare que je vais m’efforcer autant que possible d’apprendre et d’écrire de ma main en latin, et de me conduire en toute chose de façon telle que Votre Excellence sera bien contente et satisfaite de moi »27.

  • 28 Par cette expression, qui figure dans le titre de son étude bien connue, Sull’orlo del visibile pa (...)
  • 29 Turin, Biblioteca Reale, ms. Varia 75, dernière table.
  • 30 Londres, Brit. Mus. Add. 21984.
  • 31 Milan, Biblioteca Trivulziana, ms. 2167 et 2163.
  • 32 Pour la bibliographie sur ce sujet et pour une analyse pédagogique, voir Monica Ferrari, Lo specch (...)
  • 33 Voir, par exemple, Luisa Giordano (dir.), Ludovicus Dux, Vigevano, Diakronia, 1995 ; Evelyn S. Wel (...)

16Mais il ne s’agit pas que de lettres : les textes écrits que les enfants Sforza s’exercent à décoder et à construire sont variés. Un autre exercice important auquel ils s’adonnent était sans aucun doute le décodage d’œuvres et de textes appartenant, pour ainsi dire, à deux mondes, et qui pour cette raison ont été définis par Giovanni Pozzi comme autant de formes d’expression et de communication « mixtes », composées « sull’orlo del visibile parlare » (« au bord du parler visible »)28. On peut citer les textes enluminés, transcrits par eux ou par d’autres, expressément composés en vue de leur éducation. À quinze ans, dans le château de Crémone, pour témoigner de sa formation rhétorique et d’un pénible exercice d’écriture, Ludovico il Moro écrit de sa propre main, sous la dictée de Filelfo, une série de gloses à la Rhetorica ad Herennium, qui par la suite seront finement enluminées : à la dernière page, on voit, assis l’un face à l’autre, l’élève, plongé dans son exercice d’écriture, et le précepteur sur sa chaire29. Le texte entier se développe selon un double registre mixte d’images et de mots, d’exempla des exploits des grands hommes et de gloses dictées par le précepteur et transcrites par son élève concernant un texte fondamental pour l’apprentissage de la rhétorique. Sa sœur Ippolita Maria Sforza transcrit, toujours de sa propre main, le traité De Senectute30. Pour le fils encore enfant de Ludovico Maria et de Beatrice d’Este, Massimiliano Ercole Sforza (1493-1530), on compose la Grammatica del Donato et le Liber Jesus31, deux manuscrits très précieux pour leurs enluminures raffinées32 qui montrent le petit prince mais aussi quelques personnages de son entourage et des détails de sa vie quotidienne. Dans ce cas, comme dans celui des gloses à la Rhetorica ad Herennium, le registre iconique se combine, dans les pages d’un livre, avec des pratiques d’écriture et avec des exercices de première alphabétisation, basés sur deux ouvrages d’usage courant à cette époque que leur apparat iconographique rend uniques. Mais il y a aussi d’autres « textes » à décoder : pensons aux tableaux, aux fresques, aux projets d’urbanisme, conçus, décrits, et parfois réalisés, ainsi qu’aux espaces et aux milieux où se déroulaient les occasions sociales de ces enfances princières de la seconde moitié du XVe siècle. Les enfants figurent souvent, avec leurs parents, sur les murs des palais et les pages des livres, pour représenter la magnificence de la cour33.

  • 34 Pour une discussion sur ce sujet, notamment à propos de la première génération des Sforza, voir Mo (...)

17Même en bornant notre réflexion aux textes issus des pratiques d’écriture, nous sommes confronté à une assez grande variété d’exercices et des documents éclairant les parcours éducatifs des enfants Sforza, qui découle des modalités, elles-mêmes variables, de leur mise en œuvre : des lettres autographes, pour la plupart en langue vulgaire, plus rarement en latin, dont le « sujet » était souvent choisi par le précepteur pour confirmer les progrès de l’élève et la réussite de son enseignement, mais aussi des lettres rédigées par d’autres personnes (scribes ou chanceliers) en relation directe avec ceux qui s’occupaient des plus jeunes et avec l’élève-destinataire, ainsi que des livres conçus ad usum delphini. Beaucoup de bibliothèques européennes contiennent les transcriptions d’ouvrages d’auteurs classiques latins ou de gloses dictées par le précepteur à son élève34 − autant de témoignages de leur application à un exercice d’écriture autographe, souvent accompagné après coup d’enluminures et de finitions précieuses.

  • 35 Voir BnF, ms. lat. 7855 et 7856. Le ms. lat. 7855, relié, se compose de six feuillets, sur le prem (...)
  • 36 Anna Maria Cesari, « Un’orazione inedita di Ippolita Sforza e alcune lettere di Galeazzo Sforza »,(...)
  • 37 Voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., notamment p. 29 ; Maria Nadia Covini, Donne, (...)

18À la Bibliothèque nationale de France on peut trouver deux orationes (discours latins) très intéressantes, autographes et prononcées vraisemblablement par deux adolescents : Ludovico Maria Sforza et son frère Sforza Maria35. D’autres discours sont conservés ailleurs : Anna Maria Cesari cite, par exemple, un discours de Ippolita Sforza contenu dans un manuscrit de la Biblioteca Ambrosiana de Milan, qui pourrait avoir été rédigé vers 146036. De plusieurs autres discours nous ne possédons pas le texte écrit, mais des attestations de leur existence par la correspondance des Sforza. On sait ainsi que Galeazzo Maria Sforza et sa sœur Ippolita Maria prononcèrent d’importants discours en 1459, à l’occasion de la diète voulue par le pape Pie II, et que, comme le rappelle Maria Nadia Covini, Galeazzo Maria avait été invité à Venise en 1455, chargé d’une mission diplomatique pendant laquelle il avait fait preuve de ses talents d’orateur37.

III. Parler pour écrire, écrire pour parler

19Mariarosa Cortesi a récemment consacré une étude au « discours prononcé » (et transcrit). En soulignant l’importance de l’art oratoire dans la période qui nous intéresse ici, que ce soit à la ville, à la cour et à l’Université, elle écrit :

  • 38 Mariarosa Cortesi, « Il discorso pronunciato. Alcuni aspetti dell’arte oratoria », in Dario Mantov (...)

« Mais la parole n’est pas seulement utile à la transmission du savoir, elle se constitue aussi comme un moyen de diffusion de faits de coutumes, de célébration des institutions, d’autoreprésentation, et la déclamation publique, prévue par les statuts du Studium, confiée à des orateurs diserts qui parfois improvisaient ou qui aimaient mieux mettre par écrit le contenu de leur discours, enrichit la typologie de cette éloquence »38.

20Entre la ville, la cour et l’Université, le déploiement pluriel de l’acte oratoire renforce son importance aux yeux aussi des précepteurs des princes enfants de la seconde moitié du XVsiècle lombard, qui à leur tour s’adonnent, par métier, au même exercice de l’art.

21Comme l’affirme Mariarosa Cortesi, derrière les exercices de rhétorique des enfants de Francesco Sforza il y a les travaux de leurs précepteurs, des penseurs et des intellectuels occupés à renouveler les manières et les formes d’un des savoirs qui ont caractérisé pendant des siècles l’exercice du pouvoir, sous ses différents aspects, en Occident : l’art du discours visant à la persuasion. Et si la rhétorique apprend à persuader, alors elle est doublement importante pour un prince en formation.

  • 39 Sur ces thèmes, au centre d’un vif débat, qui déborde le cadre de la présente étude, et pour une b (...)

22Tout d’abord, de par sa nature même, l’art de bien dire se révèle une technique didactique utile pour intérioriser des stylèmes et des formules d’usage, à côté des notions et des valeurs d’une pédagogie des élites qui veut se renouveler grâce à l’enseignement de ce que Garin appellera « l’humanisme civil ». Ensuite, elle procure à des enfants princiers, soumis, dès leur plus jeune âge, à l’apprentissage des savoirs de la politique, l’occasion d’acquérir, par l’usage et l’exercice, la maîtrise de compétences et d’habiletés persuasives essentielles à la diplomatie39. Enea Silvio Piccolomini (1405-1464), le pape Pie II, dans son texte à l’intention de Ladislas de Hongrie, souligne l’importance de l’éloquence pour le princeps dans le cadre des cours du XVe siècle, en s’appuyant en partie sur les auteurs de l’Antiquité, et notamment Quintilien. Selon lui, le travail de la voix, l’entraînement à la pronuntiatio et donc, en général, l’apprentissage de l’élocution sont essentiels dans une compétition oratoire qui est tout d’abord un exercice entre des individus appartenant au même monde et se reconnaissant réciproquement comme tels :

  • 40 Enea Silvio Piccolomini [Pie II], « Tractatus de liberorum educatione », in Eugenio Garin (dir.), (...)

« Il faut tout d’abord travailler ta voix, pour qu’elle ne fasse pas vibrer de faibles notes féminines, qu’elle ne tremble pas comme chez les vieillards, qu’elle ne soit pas trop bruyante. Que les mots soient prononcés clairement, que le son de chaque lettre soit bien énoncé ; que les syllabes finales ne soient pas hachées ; que la voix ne soit pas engorgée ; quand la langue sera devenue agile, le visage aussi sera plus détendu, le discours plus expressif […] lorsque tu auras bien appris ces règles, tu rivaliseras d’éloquence ornée et grave avec tes camarades pour sortir vainqueur aussi bien dans celui-là que dans tout autre exercice »40.

  • 41 Cet ensemble hétéroclite de documents concernant des règles de vie (BnF, ms. ital. 1585) contient (...)

23Cicéron est le premier des rhéteurs conseillés au princeps pour l’apprentissage d’un art de la parole qui s’avère nécessaire dans la société de cour au XVe siècle, même si Enea Silvio Piccolomini déclare qu’il veut faire de Ladislas de Hongrie un souverain accompli et non un rhéteur de profession. De la même façon, les éducateurs (précepteurs, gouverneurs et médecins) qui composent l’entourage du « conte Galeazo » dans le Milan de la seconde moitié du XVe siècle et qui rédigent pour lui une série de textes déontiques sur les règles de la vie quotidienne d’un petit prince, se soucient de son élocution. En effet, on souhaite que ceux qui sont chargés de l’éducation du princeps lui proposent sans cesse une série d’exercices de pronuntiatio pour lui apprendre à s’exprimer aisément et correctement : le jeune prince doit se lever le matin, s’habiller, dire ses prières à voix haute en prononçant clairement et distinctement les mots, pour aller ensuite à la messe et « in schola ». Et à chaque instant de sa journée, il faut lui rappeler la nécessité de parler « aisément et avec gravité »41.

  • 42 Voir Pier Paolo Vergerio, « Dei nobili costumi e studi liberali della gioventù » in Eugenio Garin, (...)
  • 43 Voir, à côté des études citées de Garin, Grendler et Black, les réflexions bien connues de Battist (...)
  • 44 Sur le rôle joué par la rhétorique dans cette respublica des lettres idéale, voir Marc Fumaroli, L (...)

24Selon Pier Paolo Vergerio, par ailleurs, l’éloquence sert avant tout à éclaircir ses propres pensées et à communiquer correctement avec les autres42. La rhétorique succède à la grammaire dans le curriculum studiorum d’un princeps, qui comprend l’exercice des armes et les lettres. Toutefois, nous sommes là à un moment où l’on discute de la structure et du contenu du curriculum, où se multiplient non seulement les institutions du prince visant à dessiner le parcours de formation idéal pour ceux qui doivent apprendre à « gouverner les autres », mais aussi de nouvelles grammaires expressément rédigées dans ce but : dans le débat culturel, on redéfinit alors l’arbor scientiarum et la notion même de grammaire par rapport aux autres arts du discours, et par conséquent la pratique de la première alphabétisation, entre les écoles et la cour43, tandis que l’Université compte parmi ses maîtres quelques-uns des plus célèbres représentants de ce débat44.

  • 45 Dont quelques-unes sont dispersées dans des archives et des bibliothèques différentes : à ce propo (...)

25Comme nous l’avons déjà évoqué, plusieurs sources45 témoignent de l’emploi de l’oratio par les enfants Sforza non seulement dans des occasions domestiques et familiales, mais au cours d’importants événements publics.

  • 46 Voir BnF, ms. ital. 1586, f.29r.
  • 47 Voir BnF, ms. ital. 1588.

26Le 24 janvier 1452 Gabriele da Narni, un « familier » des Sforza, communique au duc que son fils aîné Galeazzo Maria (âgé de huit ans) a fait preuve de ses talents d’orateur à Ferrare46 ; d’autres lettres importantes de la correspondance des Sforza sont conservées, où l’on témoigne au seigneur de Milan du rôle joué, à plusieurs occasions, comme orateur et diplomate, par ce même fils au cours de l’année 1459 (et donc, à quinze ans)47. Le 27 avril 1459, Galeazzo Maria est à Florence ; ceux qui l’accompagnent, parmi lesquels il y a son oncle maternel, Lancillotto del Maino, relatent à son père Francesco :

  • 48 Voir BnF, ms. ital. 1588, f. 228r: « Illustrissime princeps et excellentissime domine, […] hogi ma (...)

« Très illustre prince et très excellent seigneur, […] ce matin, l’illustre fils de Votre Excellence, après avoir entendu la messe, se rendit à pied, avec son cortège, afin de mieux se montrer à tout le monde, chez le Pape, comme Sa Sainteté le lui avait ordonné par l’entremise de M. Otto dal Carretto, et il le trouva entouré de dix cardinaux. Lorsqu’il fut là, il prononça son discours à genoux, et il le fit avec une posture et une voix si dignes, si conformes à la personne et au lieu, que non seulement MM. Otto et Nicodemo et nous qui vous écrivons, qui étions les seuls présents, étions presque saisis d’admiration, mais le Pape et les cardinaux aussi, en se regardant l’un l’autre, se montrèrent plus qu’éblouis par un si digne exploit, à un tel âge. Une fois le discours achevé, Sa Sainteté le Pape prit la parole, toujours en latin […] et après avoir loué l’urbanité et la clarté du discours et la conformité de l’élocution, prononça ces paroles : “laudamus […]” et il ajouta qu’au vu de l’âge du comte, cela était certainement surnaturel ; il l’exhorta ensuite à cultiver et les Lettres et les Armes, en affirmant que ces deux choses pouvaient le faire ressembler aux grands hommes de l’Antiquité qui encore aujourd’hui jouissent d’une renommée et d’une admiration sans pareil dans le monde et qu’avec une seule de ces deux parties l’homme n’est pas accompli… »48.

27Ce témoignage permet de comprendre quelles devaient être les caractéristiques d’une oratio prononcée par Galeazzo Maria Sforza devant le pape (et sa cour). À son tour, la même année, Ippolita (d’un an plus jeune que son frère Galeazzo Maria) prononce devant le pape, à Mantoue, un discours en latin avec une telle maîtrise que l’assistance la juge « surnaturelle, au vu de son âge et de son sexe », comme son frère l’écrit à leur père le 28 mai 1459 :

  • 49 BnF, ms. it. 1588, f. 236r : « […] incomenzò a dire una oratione quale fornita nostro Signore risp (...)

«  […] elle commença à prononcer un discours, et quand elle l’acheva, notre Seigneur, en lui répondant en latin, la félicita, en vérité non sans raison, parce que non seulement ce discours était par lui-même très élégant et digne, mais elle l’avait prononcé d’une façon si convenable et appropriée, que sans aucun doute elle y avait ajouté de l’élégance »49.

  • 50 Pour des informations bibliographiques à propos du ms. lat. 7855 (Ludovici Mariae Sfortiae, dum an (...)

28Si les témoignages concernant des discours prononcés par les enfants de Francesco Sforza et Bianca Maria Visconti abondent, rares sont les textes qui sont arrivés complets jusqu’à nous. Voilà pourquoi nous avons décidé d’analyser ici, à titre d’exemple caractéristique, une oratio, peu étudiée50, prononcée par Ludovico il Moro à l’âge de onze ans (1463) devant ses parents à l’occasion des fêtes de Noël. Il s’agit d’un document intéressant sous plusieurs aspects. En effet, l’exercice oratoire du jeune prince est complété par sa rédaction autographe, qui aide à fixer, sur la page et dans son esprit, des notions et des valeurs de référence, et qui en plus transforme en un « texte » destiné à être conservé un acte qui, sans cela, serait trop éphémère. La mention « de Pavie au Roys Louys XII », au verso du dernier feuillet du discours de Ludovico Maria Sforza (conservé à la BnF), signifie qu’on le considérait un écrit digne de figurer non seulement dans la bibliothèque de son auteur mais aussi dans celle du vainqueur. Il faut donc aussi chercher à comprendre pourquoi ce document a été produit en vue d’être conservé dans la bibliothèque des Sforza, comme l’atteste le projet iconographique qui accompagne sa première page, encadrée de miniatures avec les armoiries de la famille.

IV. Un miroir pour la cour

  • 51 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 44.
  • 52 Ibid., p. 61.
  • 53 Ibid., p. 218.
  • 54 Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de (...)
  • 55 Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 46-47.

29On peut emprunter à L’archéologie du savoir de Michel Foucault un certain nombre de notions heuristiques pour relire le texte écrit par Ludovico Maria Sforza à onze ans. Foucault propose en effet une analyse des « relations entre des énoncés »51 qui se rapportent à un objet donné, qui sont enchaînés selon certaines modalités et qui sont orientés par un système de topoï ou lieux communs. Il s’interroge sur les conditions « pour qu’apparaisse un objet de discours »52 et les systèmes de relations et de règles qui le concernent. Son « archéologie » vise, en somme, à « définir les règles de formation d’un ensemble d’énoncés »53. Ces questions, décisives dans le cadre de la réflexion de Foucault sur « l’ordre du discours » (1970), s’appliquent bien au domaine disciplinaire de la rhétorique, partie intégrante du curriculum de formation des élites européennes pendant une très longue période qui se termine, au moins du point de vue institutionnel, au XIXe siècle54. Les « rituels de la parole », « les sociétés de discours », « les groupes doctrinaux », « les appropriations sociales » : voilà ce que Foucault définit comme « les grandes procédures d’assujettissement du discours ». Il se demande : « Qu’est-ce, après tout, qu’un système d’enseignement, sinon une ritualisation de la parole ; sinon une qualification et une fixation des rôles pour les sujets parlants ; sinon la constitution d’un groupe doctrinal au moins diffus ; sinon une distribution et une appropriation du discours avec ses pouvoirs et ses savoirs ? »55.

  • 56 Voir Michel Foucault, L’archéologie du savoir, op. cit.
  • 57 Sur la société des princes, voir Lucien Bély, La société des princes (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, (...)

30On sait bien que, depuis la réorganisation des arts libéraux à l’époque carolingienne jusqu’à la naissance des Universités et, ensuite, à la ratio studiorum des collèges des Jésuites, les artes sermocinales (grammaire, rhétorique et dialectique) ont été au centre d’élaborations théoriques et de pratiques didactiques qui les ont consacrées comme une étape essentielle dans l’acquisition des savoirs des classes dirigeantes, à différents niveaux. À l’intérieur et hors des institutions de formation ainsi que dans les cours princières, les arts du discours sont le fondement d’un système politique qui, pour reprendre les réflexions de Foucault, se base sur l’ordre d’une série de savoirs et sur certaines « formations discursives », renforcées par les pratiques d’écriture56. Le XVe siècle, comme le rappelle Eugenio Garin, marque un tournant dans un processus qui évolue, bien sûr, mais essentiellement afin de préserver les équilibres sociaux, jusqu’à l’avènement de ce cataclysme pour la société des ordres et des princes que fut la Révolution française57.

  • 58 Voir, sur le thème de distinction dans la longue durée, Pierre Bourdieu, La distinction. Critique (...)
  • 59 C’est ce que souligne aussi Silvia Marcucci dans La scuola tra XIII e XV secolo, op. cit., p. 32.
  • 60 Voir Monica Ferrari, « Reggere gli altri: la formazione del principe tra arte, mestiere e professi (...)

31Pendant des siècles, en Occident, la recherche de la distinction sociale58, nécessaire au maintien de l’ordre dans une société inégalitaire, s’est basée, à ses plus hauts niveaux, sur la maîtrise des arts du discours59. S’il est vrai, en effet, qu’un prince doit se soucier surtout de l’action, de la décision et du choix, comme le montre un vaste débat européen entre le XVe et le XVIe siècle60, on souligne tout autant que, pour gouverner, il faut se faire aimer et bâtir un système de consensus. C’est Xénophon qui le rappelle dans sa Cyropédie, redécouverte et valorisée justement au XVe siècle par des hommes tels que Francesco Filelfo et Poggio Bracciolini. Et on sait bien que, selon cette tradition, pour se faire aimer un prince a besoin, comme général, de la capacité de persuader ses armées et, comme diplomate, de la capacité de persuader ses pairs.

  • 61 Françoise Waquet, Le latin ou l’empire d’un signe (XVIe-XXe siècle), Paris, Albin Michel, 1998.
  • 62 Sur la difficulté d’identifier les maîtres dans un système « préceptoral » complexe s’adaptant aux (...)
  • 63 Voir Marco Rizzi, La questione dell’Ad Diognetum, Milan, Vita e Pensiero, 1989 ; A Diogneto, éditi (...)

32Plusieurs études montrent combien les précepteurs misent sur la rhétorique et le latin en recomposant le cursus éducatif des élites du XVe siècle italien qui marquera toute la Renaissance européenne. Françoise Waquet évoque à ce propos « l’empire d’un signe », c’est-à-dire la domination du latin (et de la constellation de discours qui l’entoure) sur la société européenne pendant une très longue période61. Les orationes (discours) des enfants Sforza témoignent de ce poids de la rhétorique et du latin dans ce grand laboratoire culturel qu’est la cour. Ludovico Maria Sforza adolescent souligne ainsi, dans le discours en latin qu’il adresse à ses parents, le rôle de son père dans l’équilibre politique de la péninsule italienne, et pas seulement en Italie. Cette performance oratoire du fils des Sforza se produit à l’intérieur d’une communauté qui partage un certain type de pratiques et de rituels discursifs, pour reprendre des catégories de Foucault, appartenant à la fois à l’oralité et à l’écriture. L’ordre du discours et les topoï qui étayent la thèse centrale du jeune orateur en témoignent. C’est à son père, en effet − pivot, point de départ et point d’arrivée du discours – que l’on doit, selon le fils, la paix en Italie ; mais cela ne doit pas l’amener à l’orgueil et à l’arrogance. Le sujet de ce discours, que le fils adresse essentiellement à son père et qu’il rédige (probablement sous la dictée d’un de ses magistri) pour le prononcer devant ses parents, est le pouvoir mis en relation avec l’ordre social, avec une hiérarchie qui, avant d’être humaine, est divine. Encore une fois, sans aucun doute, c’est un magister, non identifié, qui a conçu, sur la base d’exempla puisés dans l’Antiquité et dans la Bible, le sujet (« tema ») de ce discours ; on peut supposer qu’ensuite son texte a été transcrit sous la dictée par Ludovico Maria Sforza et appris par cœur avant d’être prononcé en public62. Dans le cas de cet exercice, il s’agit d’une exhortatoria au culte divin, c’est-à-dire d’un discours qui s’inscrit justement dans un type d’exercice rhétorique bien établi, visant à louer et, en même temps, à exhorter quelqu’un d’un rang plus élevé que celui qui le prononce. Le genre protreptique occupe une place importante dans la philosophie et la rhétorique anciennes (d’Aristote à Isocrate). Le logos (discours) protreptique (exhortation) devient, à l’époque chrétienne, un genre littéraire qui exprime des éléments typiques de l’apologétique visant à amener son destinataire à un choix de valeurs63.

33Quoique subordonné au pater familias, le fils s’adresse à ses parents − et surtout à son père − en latin, pour montrer ses progrès dans les études de rhétorique, sa connaissance de l’histoire sacrée et de la langue qui convient à celui qui est destiné à gouverner les autres, sa maîtrise d’une constellation discursive et d’une série de pratiques à l’intérieur d’une communauté sociale solidement structurée du point de vue hiérarchique. Toutefois, par son discours organisé selon les principes de la rhétorique de son époque, le jeune prince devient lui-même porteur d’un message de respect d’une hiérarchie, d’un ordre, justement, sur lequel se fonde toute la société des princes qu’il veut représenter devant ses parents.

  • 64 Voir BnF, ms. lat. 7855, f. 1r: « Si unquam in huiuscemodi solennitatibus gratiae immortali deo no (...)
  • 65 BnF, ms. lat. 7855, f. 2r: « Gubernat cuncta deus, quod, praeter Epicuros, caeteri omnes confirman (...)

34Après le prologue, qui débute par une évocation de l’occasion particulière où le discours est prononcé64, Dieu « tout puissant » est évoqué à plusieurs reprises dans un texte qui se fonde essentiellement sur des loci bibliques : ici, les bons et les méchants du Vieux Testament ainsi que les patriarches d’Israël (David et Josué, Moïse et Abraham) sont des exemples et des modèles, positifs ou négatifs, proposés aux Sforza, appelés à se charger d’un pouvoir qui les a propulsés très rapidement bien haut. Comme le fils le rappelle à ses parents, et notamment à son père, qui trop haut monte s’effondre avec fracas, si Dieu n’est pas de son côté : c’est là la thèse centrale d’un discours qui aborde un sujet crucial pour un homo novus tel que Francesco Sforza65.

35Les citations de maximes latines confirment le message biblique et en même temps témoignent de l’érudition de l’orateur, de sa capacité à recourir à l’inventio de loci communes importants, par exemple : « Non nobis, sed toti mundo ».

  • 66 BnF, ms. lat. 7855, f. 1v: « Tibi omnipotens deus adeo omnia sedata, omnia tranquilla esse decrevi (...)

36Résumons les aspects principaux de ce discours qu’un fils adresse à ses parents. Ludovico Maria Sforza parle à la première personne. Il déclare qu’à ce moment-là sa patrie vit une saison resplendissante grâce à son père et à sa mère ; pour cette raison, il faut rendre grâce à Dieu (« agite gratias deo ») qui a apaisé tous les troubles66. Toutefois, il faut que les puissants se souviennent que, sans la volonté de Dieu, il ne tombe pas même une seule feuille des arbres (« si nec minimum quidem folium […] in terram cadit sine nutu divino »).

  • 67 BnF, ms. lat. 7855, f. 4r: « David Goliam philisteum viribus admirandum lapillo dumtaxat prostravi (...)

37Les exempla bibliques67 viennent à l’appui de cette thèse qui attribue à Dieu tout pouvoir, afin qu’avant de combattre celui qui a le commandement rende compte de sa conduite devant Dieu sur la façon dont il cultive la justice (« considerent Imperatores quales in deum sint, quo pacto iusticiam colant »).

38Le discours s’achève en affirmant que ce nouvel astre des Sforza, descendu du ciel sur la terre, ne fait que confirmer le portrait d’un princeps idéal, capable d’agir exclusivement selon la vertu.

39Iustitia, religio, pietas, liberalitas, clementia : voilà les virtutes fondamentales que le fils rappelle à l’attention de ses parents justement parce qu’il les voit confirmées chez eux :

  • 68 BnF, ms. lat. 7855, f. 5v: « Non est opus exhortatione Excellentissime Princeps ad iustitiam ipsam (...)

« Il n’est pas nécessaire, très excellent prince, de vous exhorter à la justice, à la libéralité, à la pitié, à la religion et à toutes les autres vertus que vous avez aimées à tel point que je crois que pour cette raison vous avez acquis un tel pouvoir. Je m’adresserai donc à vous, ma très illustre mère, mais puisque je vois régner chez vous tout genre de vertus, je suis obligé de me taire »68.

40Pour cette raison, Ludovico Maria Sforza juge « felix » (heureuse) celle qu’il appelle sa patria (« patrie »), Milan, et, avec elle, ses frères et sœurs, issus de tels parents, et donc descendants de ce lignage.

41Comme dans beaucoup de textes de cette époque (entre autres, ce De principe que Bartolomeo Sacchi, dit Platina [1421-1481], écrira quelques années plus tard), dans les paroles de Ludovico Maria Sforza se dessine ainsi le profil idéal d’un dux qui, à côté de son épouse, gouverne tous les autres grâce à la vertu. Sa force viendrait, selon la thèse exposée dans ce discours, tout d’abord du respect d’une hiérarchie céleste et terrestre, d’une pietas, déclinée ensuite dans l’exercice de la clémence ici-bas.

42Ce genre de considérations s’insère dans le cadre plus général des discours sur la virtus princière attestés, au début du XVe siècle, par l’œuvre de Pier Paolo Vergerio, De ingenuis moribus et liberalibus studiis adulescentiae. Vergerio affirme qu’il faut, dès la première enfance, poser les bases du bien-vivre et former l’esprit à la vertu (« iacenda sunt igitur in hac aetate fundamenta bene vivendi, et formandus ad virtutem animus »). Dans l’introduction de son traité, Enea Silvio Piccolomini déclare à Ladislas de Hongrie :

  • 69 « Si quem virtuti operam dare totumque se bonis prebere artibus oportet, hunc esse te, Ladislae, r (...)

« Quiconque est doué de raison admettra que, s’il faut imposer à quelqu’un de s’adonner à la vertu et se préparer avec toute sa personne aux bons arts, ce quelqu’un, Ladislas, glorieux souverain, c’est vous »69.

  • 70 À ce propos, nous renvoyons aux études de Eugenio Garin citées ci-dessus ; en outre, sur Filelfo é (...)
  • 71 Voir la lettre du 1er octobre 1475, envoyée par Francesco Filelfo à Matteo Triviano, précepteur de (...)

43Vittorino da Feltre et ses élèves, Guarino, Francesco Filelfo, l’un des précepteurs de Ludovico Maria Sforza, Gasparino Barzizza, dont le fils Guiniforte fut chargé de s’occuper de Galeazzo Maria, Bartolomeo Sacchi dit Platina (dans son De principe pour Federico Gonzaga) ou encore Baldo Martorelli qui suivra Ippolita Maria Sforza à Naples70, insistent sur ce thème de l’éducation des mœurs et à la virtus71.

44Dans le recueil de règles de vie pour le comte Galeazzo cité ci-dessus, on rappelle un principe éducatif de base pour les princes :

  • 72 « Et con qual megliore et più aconza ragione gli ocorrerà gli persuada la virtù, monstrandogli qua (...)

« Et pour cette meilleure et plus convenable raison, il faudra le persuader d’embrasser la vertu, en lui montrant combien elle est glorieuse chez n’importe qui, mais surtout chez ceux qui doivent imposer des normes et des règles aux autres »72.

45Au-delà du sujet de ce discours, qui révèle des aspects importants de la civilisation dans laquelle est plongé Ludovico Maria Sforza adolescent, à mon avis, cet exercice rhétorique, dans son ensemble, institue la cour comme scène pédagogique et formative permanente pour le jeune Sforza et pour ses familiares, pour ses parents ainsi que pour tous ceux qui la fréquentent : ce qui est en question, c’est l’un des problèmes fondamentaux pour un prince nouveau entre le XVe et le XVIe siècle, un problème repris par la suite, avec des inflexions diverses, par beaucoup de personnages, notamment Machiavel : comment et pourquoi conquiert-on le pouvoir, comment le garde-t-on, comment le renforce-t-on, comment peut-on éviter qu’il ne s’effondre ?

46Un jeu de regards s’installe ainsi entre le fils et ses parents (en particulier, son père). Si, dans le texte du discours, qui propose une série d’exempla, le magister n’apparaît pas, ce sont bien en fait la culture civique de l’humanisme et ses maîtres qui sont, à travers le genre de l’oratio, les interlocuteurs des princes sur la scène de la cour.

47Ainsi, un genre littéraire issu d’une très longue tradition, celui de l’institutio principis et des miroirs des princes (où l’on dessine l’image de celui que l’on voudrait voir gouverner), s’associe à l’exercice rhétorique d’un adolescent qui s’efforce de complaire (par le travail de son esprit, de sa parole et de sa main), à ses parents et à ses éducateurs, ses modèles à différents titres.

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Notes

1 Sur la notion heuristique de « costume educativo », à savoir l’ensemble de stratégies, utilisées de façon plus ou moins explicite et/ou consciente, mais aussi de méthodologies liées à des occasions spécifiques (formelles et informelles), d’idéologies et d’aspects concrets de l’éducation, voir Egle Becchi, « Premessa » dans le numéro 23 de Quaderni della Fondazione Giangiacomo Feltrinelli, 1983, consacré au thème « Per una storia del costume educativo ». L’étude des « mœurs éducatives » dans les cours européennes est le sujet d’un volume de 2010, issu des actes d’un colloque organisé à Pavie quelques années plus tôt : voir Monica Ferrari (dir.), Costumi educativi nelle corti europee (XIV-XVIII secolo), Pavie, Pavia University Press, 2010. Voir aussi: Collectif, I saperi nelle corti/Knowledge at the Courts, in Micrologus, vol. 16, 2008.

2 La bibliographie sur ce sujet est désormais très riche. Pour des revues bibliographiques récentes, voir l’appareil critique de Monica Ferrari, Lo specchio, la pagina, le cose. Congegni pedagogici tra ieri e oggi, Milan, FrancoAngeli, 2011 ; Antonella Cagnolati (dir.), La formazione delle élites in Europa dal Rinascimento alla Restaurazione, Rome, Aracne, 2012 ; voir aussi la section monographique, sous la direction de Maria Pia Paoli, de la revue Annali di storia dell’educazione e delle istituzioni scolastiche, n° 20, 2013.

3 Les études de Eugenio Garin représentent un point de repère incontournable, notamment : L’educazione umanistica in Italia, Bari, Laterza, 1949 ; L’educazione in Europa 1400-1600, Rome/Bari, Laterza, 1976 (1re éd. 1957) – trad. fr. L’éducation de l’homme moderne : la pédagogie de la Renaissance, 1400-1600, Paris, Hachette, 2003 ; Eugenio Garin (dir.), Il pensiero pedagogico dello Umanesimo, Florence, Sansoni-Giuntine, 1958.

4 Galeazzo Maria (1444-1476), Ippolita Maria (1445-1488), Filippo Maria (1448-1492), Sforza Maria (1451-1479), Ludovico Maria (1452-1508), Ascanio Maria (1455-1505), Elisabetta Maria (1456-1472), Ottaviano Maria (1458-1477).

5 Pour une revue du sujet controversé de la « scolarisation » de premier niveau (entre latin et langue vulgaire) pendant le Moyen Âge italien dans un système complexe de magistri et d’écoles payantes, différentes dans leur typologie et dans leurs visées des contenus de l’enseignement, voir Monica Ferrari et Federico Piseri, « Scolarizzazione e alfabetizzazione nel Medioevo italiano », Reti Medievali Rivista, vol. 14, n° 1, 2013, p. 315-350. En ligne : ˂http://rivista.retimedievali.it˃. Ici, on ne citera que les textes de Paul F. Grendler, Schooling in Renaissance Italy. Literacy and Learning (1300-1600), Baltimore/London, Johns Hopkins University Press, 1989 et les études, plus récentes, de Carla Frova, « Scuole », in André Vauchez (dir.), Dizionario enciclopedico del Medioevo, Paris/Rome/Cambridge, Éd. du Cerf/Città Nuova, 1999, vol. 3, p. 1759-1761 ; Robert Black, Humanism and Education in Medieval and Renaissance Italy. Tradition and Innovation in Latin Schools from the Twelfth to the Fifteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Id., Education and Society in Florentine Tuscany. Teachers, Pupils and Schools c. 1250-1500, Leiden/Boston, Brill, 2007 ; Id., « Le scuole e la circolazione del sapere », in Gino Belloni, Riccardo Drusi (dir.), Umanesimo ed educazione, Costabissara (Vicenza), A. Colla, 2007, vol. 2, p. 287-307.

6 Pour une discussion de la littérature sur la cour européenne, voir Beatrice Del Bo, « Le corti nell’Italia del Rinascimento », Reti Medievali Rivista, vol. 12, n° 2, 2011, en ligne : ˂http://rivista.retimedievali.it˃ ; Marcello Fantoni (dir.), The Court in Europe, Rome, Bulzoni, 2012. Sur les réseaux de relations dans les cours italiennes du XVe siècle, voir Isabella Lazzarini, Amicizia e potere. Reti politiche e sociali nell’Italia medievale, Milan/Turin, Bruno Mondadori, 2010. Sur la cour entre le XVe et le XVIsiècle comme institution éducative, voir Laura Vanni, Il cortigiano. Un modello formativo del Cinquecento italiano, Rome, Anicia, 2013 ; sur les figures de l’éducation dans les cours européennes entre le XVe et le XVIIIe siècle, voir Annali di storia dell’educazione e delle istituzioni scolastiche, n° 20, 2013, section monographique citée.

7 Les dates de naissance et de mort de ce grand humaniste sont incertaines ; on connaît mieux celles de la vie de son école (probablement 1423-1446). Voir, à ce propos, l’étude récente de Anja-Silvia Goeing, Summus Mathematicus et Omnis Humanitatis Pater. The Vitae of Vittorino da Feltre and the Spirit of Humanism, Dordrecht, Springer, 2014.

8 Par exemple, Ascanio Maria Sforza, qui deviendra cardinal, achève ainsi son parcours de formation à Pavie. Voir, à ce propos, Marco Pellegrini, Ascanio Maria Sforza. La parabola politica di un cardinale-principe del Rinascimento, Rome, Istituto Storico italiano per il Medioevo, 2002, 2 vol. ; Paolo Rosso, « La scuola nelle corti tardomedievali dell’Italia nord occidentale: circolazione di maestri e di modelli », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, vol. 127, n° 1, 2015. En ligne : <http://mefrm.revues.org/2414> (consulté le 12 février 2016).

9 Pour une analyse générale de ce problème (et des sources) et pour une revue de la littérature, nous renvoyons, sans aucune prétention d’exhaustivité, à quelques-unes des études qui ont été publiées en Italie depuis 2000 : Monica Ferrari, « Per non manchare in tuto del debito mio ». L’educazione dei bambini Sforza nel Quattrocento, Milan, FrancoAngeli, 2000 ; ead., « Stralci di corrispondenza famigliare nella seconda metà del Quattrocento: il caso dei Gonzaga e degli Sforza » in ead. (dir.), I bambini di una volta. Problemi di metodo. Studi per Egle Becchi, Milan, FrancoAngeli, 2006, p. 15-40 ; ead., Lo specchio, la pagina, le cose, op. cit. ; Maria Nadia Covini, « Emozioni e diplomazia. Principini e principesse di casa Sforza nelle missioni politiche a Venezia », in ead., Donne, emozioni e potere alla corte degli Sforza. Da Bianca Maria a Cecilia Gallerani, Milan, Unicopli, 2012, p. 71-87 ; Federico Piseri, « Ex Castroleone. Vita materiale ed educazione sociale nelle epistole delle “corti” sforzesche », Annuario dell’Archivio di Stato di Milano, 2, 2012, p. 46-83 ; Id., « Governatori e “magistri a schola” nelle corti sforzesche. Un primo approccio prosopografico », Annali di storia dell’educazione e delle istituzioni scolastiche, n° 20, 2013, p. 41-54 ; Paolo Rosso, « La scuola nelle corti tardomedievali dell’Italia nord occidentale », art. cit.

10 Pris au sens d’un ensemble d’éléments en interaction réciproque qui réalise un programme d’action en devenir grâce à certaines circonstances et certains outils.

11 Dario Mantovani (dir.), Almum Studium Papiense. Storia dell’ Università di Pavia. vol. 1 : Dalle origini all’età spagnola. t. 1 : Origini e fondazione dello Studium generale, Milan, Cisalpino/ Monduzzi Editoriale, 2012.

12 Voir Federico Piseri, « Governatori e “magistri a schola” nelle corti sforzesche », art. cit. Sur les familiares à la cour des Sforza de la seconde moitié du XVe siècle, voir Gregory Lubkin, A Renaissance Court. Milan under Galeazzo Maria Sforza, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 1994.

13 Sur les précepteurs des Sforza, voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., passim ; Paolo Rosso, « La scuola nelle corti tardomedievali dell’Italia nord occidentale », art. cit. ; Silvia Marcucci, La scuola tra XIII e XV secolo. Figure esemplari di maestri, Pise/Rome, Istituti editoriali e poligrafici internazionali, 2002. Sur Filelfo, Barzizza, Martorelli et Guarino (1374-1460), voir aussi Dizionario Biografico degli Italiani, ad vocem. Encore sur Filelfo, récemment, Jeroen De Keyser, Francesco Filelfo and Francesco Sforza: Critical edition of Filelfo’s Sphortias, De Genuensium deditione, Oratio parentalis and his Polemical Exchange with Galeotto Marzio, Hildesheim, Georg Olms, 2015.

14 Sur les médecins des Sforza, et notamment sur Cristoforo da Soncino, nous renvoyons, pour une bibliographie récente aussi, à : Chiara Crisciani, Monica Ferrari, « Medici a corte. Ruoli, funzioni, competenze », in Dario Mantovani (dir.), Almum Studium Papiense, op. cit., vol. 1, t. 1, p. 761-774 ; Marilyn Nicoud, Le prince et les médecins. Pensée et pratiques médicales à Milan (1402-1476), Rome, École française de Rome, 2014.

15 Dans ce recueil d’écrits on trouve, par exemple, une Instructione circa el governo del nostro Illustrissimo Signore et de la familia de casa soa attribuée à Franchino Caimi, « gouverneur » des enfants Sforza. Pour une transcription et une discussion des documents concernant l’« ordine da servare nella vita del conte Galeazo », voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., p. 58-80.

16 ibid., p. 75 : « Del parlare continuo glie faciano ricordo et persuasione che parli expeditamente et cum gravità et si abstenga dal avolupare le parole ». La transcription des documents manuscrits respecte la graphie originale avec quelques normalisations ; nous traduisons les passages cités des textes latins et italiens.

17 Ibid., p. 72 et 73 « Et questa sia regula generale de non mai abandonarlo d'ochio da canto veruno […] servino cum la perseverantia tale modo che lui intenda essergli impossibile movere uno pede che non sia notato et veduto ».

18 Ibid., p. 74 : « Nel passare per la cità o altri lochi sempre metta mente de reverire ogna persona secondo loro gradi: con dolce vista mó qua, mó là guardando le persone, in modo para che cum ochii e capo acarezi ognuno ».

19 L’exemple le plus considérable de cette prise de possession est le Grand Tour de Charles IX sous la conduite de sa mère Catherine de Médicis, voir Jean Boutier, Alain Dewerpe, Daniel Nordman, Un tour de France royal. Le voyage de Charles IX (1564-1566), Paris, Aubier, 1984. Dans le cas des « voyages dynastiques » de Louis XIII entre 1614 et 1615, voir Madeleine Foisil (dir.), Journal de Jean Héroard, Paris, Fayard, 1989, vol. 1, Introduction générale, troisième partie, chapitre III, Parcourir le royaume, p. 320-329 ; Madeleine Foisil, L’enfant Louis XIII. L’éducation d’un roi. 1601-1617, Paris, Perrin, 1996, p. 158-168.

20 Sur la notion de « texte », voir Cesare Segre, Avviamento all’analisi del testo letterario, Turin, Einaudi, 1985 ; Gianfranco Marrone, L’invenzione del testo, Rome/Bari, Laterza, 2010. Ces études mettent en lumière l’importance d’une notion de texte qui correspond pleinement à l’étymologie du mot (du latin textus : tissu). Marrone souligne, dans une perspective sémiotique, la nécessité d’« inclure dans cette définition la dimension collective, non auctoriale et surtout non intentionnelle, de la signification sociale et culturelle, de façon à comprendre dans la catégorie de texte n’importe quel phénomène social et culturel pourvu de sens, fourni de quelque support d’expression solidaire de quelque contenu de signification » (ibid., p. 14 ; nous traduisons).

21 Sur ce thème, voir la note 9 ci-dessus et, pour une bibliographie, Monica Ferrari, Federico Piseri, « Tra resoconto della quotidianità e progetto di futuro: la lettera come strumento pedagogico nella corte sforzesca della seconda metà del Quattrocento », in Christian Høgel, Elisabetta Bartoli (dir.), Medieval Letters between Fiction and Document, Turnhout, Brepols, 2015, p. 431-443 ; Monica Ferrari, Isabella Lazzarini, Federico Piseri, Autografie dell’età minore. Lettere di tre dinastie italiane tra Quattrocento e Cinquecento, Rome, Viella, 2016. Pour les Gonzaga, je signale : Isabella Lazzarini, « Un dialogo tra principi. Rapporti parentali, modelli educativi e missive familiari nel carteggi quattrocenteschi (Mantova, secolo XV) », in Monica Ferrari (dir.), Costumi educativi nelle corti europee, op. cit., p. 53-76.

22 La bibliographie sur ce sujet a été remarquablement enrichie, ces dernières années, non seulement pour la période historique qui nous intéresse ici, mais aussi, plus largement, par une série de colloques internationaux : voir, par exemple, Antonio Castillo Gómez, Verónica Sierra Blas (dir.), Cartas – Lettres - Lettere. Discursos, prácticas y representaciones epistolares (siglos XIV-XX), Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá, 2014 (pour une bibliographie centrée principalement sur Milan et Mantoue au XVsiècle, voir, dans ce volume, l’étude de Monica Ferrari et Federico Piseri et celle de Isabella Lazzarini) ; Christian Høgel, Elisabetta Bartoli (dir.), Medieval Letters between Fiction and Document, op. cit. À propos de la lettre en tant que forme de communication plurimillénaire voir, pour sa revue de la littérature aussi : Armando Petrucci, Scrivere lettere. Una storia plurimillenaria, Rome/Bari, Laterza, 2008. Plus récemment, à propos du Moyen Âge et de l’âge moderne, voir : Guglielmo Barucci, Le solite scuse. Un genere epistolare del Cinquecento, Milan, FrancoAngeli, 2009 ; Lodovica Braida. Libri di lettere. Le raccolte epistolari del Cinquecento tra inquietudini religiose e « buon volgare », Rome/Bari, Laterza, 2009 . Sur le XVe siècle, d’un intérêt particulier, aussi, la section monographique de Reti Medievali Rivista, vol. 10, 2009, sous la direction de Isabella Lazzarini, intitulée I confini della lettera. Pratiche epistolari e reti di comunicazione nell’Italia tardomedievale ; dans cette section voir, par exemple, Francesco Senatore, « Ai confini del “mundo de carta”. Origine e diffusione della lettera cancelleresca italiana (XIII-XVI secolo) » (du même auteur, « Uno mundo de carta ». Forme e strutture della diplomazia sforzesca, Napoli, Liguori, 1998) et Maria Nadia Covini, « Tra cure domestiche, sentimenti e politica. La corrispondenza di Bianca Maria Visconti duchessa di Milano (1450-1468) » (auteur, en outre, de « Scrivere al principe. Il carteggio interno sforzesco e la storia documentaria delle istituzioni », Reti Medievali Rivista, vol. 9, n° 1, 2008).

23 Voir Isabella Lazzarini, « Materiali per una didattica delle scritture pubbliche di cancelleria nell’Italia del Quattrocento », Scrineum rivista, 2, 2004 ; Francesco Senatore, « Ai confini del “mundo de carta” », art. cit.

24 Voir Monica Ferrari, « Un padre e i suoi figli: segni dell’affetto e ruolo sociale nell’ambito di una ‘ familia ’ del XV secolo », in Egle Becchi (dir.), Figure di famiglia, Palerme, Fondazione Nazionale « Vito Fazio-Allmayer », 2008, p. 51-69 et Monica Ferrari, Federico Piseri, « Una formazione epistolare: l’educazione alla lettera e attraverso la lettera nelle corti italiane del Quattrocento », in Antonio Castillo Gómez, Verónica Sierra Blas (dir.), Cartas – Lettres - Lettere, op. cit., p. 21-42.

25 Archivio di Stato di Milano (désormais ASMi), Carteggio Sforzesco, Potenze Sovrane, Galeazzo Maria Sforza, b. (enveloppe) 1461, doc. 77. Pour sa transcription, voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., p. 115-116.

26 Bibliothèque nationale de France (désormais BnF), ms. ital. 1588, f. 239 r.

27 « Rengratiandola de tanta demonstratione de amore verso mi suo figliolo et servitore in sollicitarme et spronarme ad seguire la virtude mediante la quale se acquista gloria appresso l’onnipotente Idio e fama al mondo, et se ascende ad ogne felice grado, dico ch' io me sforzarò per quanto me serà possibile sì del imparare et del scriverli de mia mano in latino, quanto d’ogne altra cosa deportarme talmente ch’essa vostra excellentia haverà ad remanere ben contenta et satisfacta de mi », ASMi, Carteggio Sforzesco, Potenze Sovrane, Ludovico Maria Sforza, b. 1468, doc. 72. Pour sa transcription, voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., p. 116-117.

28 Par cette expression, qui figure dans le titre de son étude bien connue, Sull’orlo del visibile parlare (Milan, Adelphi, 1993) et qui est tirée du Purgatoire de Dante, Giovanni Pozzi désigne toute communication « mixte d’images et de textes » (p. 11).

29 Turin, Biblioteca Reale, ms. Varia 75, dernière table.

30 Londres, Brit. Mus. Add. 21984.

31 Milan, Biblioteca Trivulziana, ms. 2167 et 2163.

32 Pour la bibliographie sur ce sujet et pour une analyse pédagogique, voir Monica Ferrari, Lo specchio, la pagina, le cose, op. cit.

33 Voir, par exemple, Luisa Giordano (dir.), Ludovicus Dux, Vigevano, Diakronia, 1995 ; Evelyn S. Welch, Art and Authority in Renaissance Milan, New Haven/Londres, Yale University Press, 1995. Pour une bibliographie sur ces thèmes, voir le catalogue (sous la direction de Mauro Natale et Serena Romano) d’une exposition qui a eu lieu récemment à Milan, Arte lombarda dai Visconti agli Sforza. Milano al centro dell’Europa, Milan, Skira, 2015. Il ne faut pas oublier, en outre, que Galeazzo Maria Sforza est, au moins en principe, l’interlocuteur idéal d’Antonio Averlino, dit le Filarète, dans son célèbre Trattato di architettura, utopie à la fois pédagogique et politique.

34 Pour une discussion sur ce sujet, notamment à propos de la première génération des Sforza, voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., et aussi ead., « Lettere, libri e testi ad hoc per la formazione delle élites: uno studio di casi fra Quattrocento e Settecento », in Maria Pia Paoli (dir.), Saperi a confronto nell’Europa dei secoli XIII-XIX, Pise, Edizioni della Normale, 2009, p. 27-55. Le thème de l’apprentissage des pratiques d’écriture entre le Moyen Âge et l’âge moderne est depuis longtemps au centre d’un très vaste débat international portant sur l’alphabétisation et les livres « de texte » (à l’intérieur ou hors des institutions éducatives) à partir, entre autres, des études d’Attilio Bartoli Langeli, Piero Lucchi, Armando Petrucci, Maurizio Piseri, Marina Roggero, Xenio Toscani (en Italie), Pierre Caspard, Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Willem Frijoff, Dominique Julia (en France), Antonio Viñao Frago, Antonio Castillo Gómez (en Espagne), mais aussi de Gian Paolo Brizzi, André Chervel, Anthony Grafton, Franz Bierlaire, ainsi que de Robert Black et Paul F. Grendler, cités précédemment. Voir, par exemple, pour une bibliographie, et sans aucune prétention à l’exhaustivité : Alfred Messerli, Roger Chartier (dir.), Lesen und Schreiben in Europa. 1500-1900, Basel, Schwabe, 2000 ; Emidio Campi, Simone De Angelis, Anja-Silvia Goeing, Anthony Grafton (dir.), Scholarly Knowledge. Textbooks in Early Modern Europe, Genève, Droz, 2008 ; Boris Noguès, Philippe Savoie (dir.) Institutions et pratiques scolaire dans la longue durée (XVIe-XVIIe siècle). Hommage à Marie-Madeleine Compère, Histoire de l’éducation, n° 124, 2009 ; Lire, écrire et éduquer à la Renaissance. Mélanges en l’honneur de Franz Bierlaire, textes réunis par Annick Delfosse et Thomas Glesener, Bruxelles, Archives et bibliothèques de Belgique, 2013. Enfin, et non des moindres, les suggestions précieuses offertes à ce propos par le colloque qui a eu lieu en Corse en 2014, où a été présentée une première version de la présente étude. Pour une revue bibliographique sur une question au carrefour de très nombreuses pistes de recherche, voir Monica Ferrari, Federico Piseri, « Scolarizzazione e alfabetizzazione nel Medioevo italiano », art. cit. L’apprentissage des arts du discours chez les élites gouvernantes, chez les enfants des « Grands », dans la « société des princes » est un aspect de ce problème, pourvu, toutefois, de ses caractéristiques propres qu’il faut reconstruire au cas par cas, en les contextualisant : rien qu’à titre d’exemple, pour souligner justement l’importance et les modalités d’écriture d’une série de lettres en tant qu’exercice rhétorique latin dans d’autres contextes de cour, à l’âge moderne, voir Sylvène Edouard, « The books used by Mary Stuart for the exercice on “Acquérir de la doctrine” (1554-1555) », in Stephanie Hellekamps, Jean-Luc Le Cam, Anne Conrad (dir.), Schulbücher und Lektüren in der Vormodernen Unterrichtspraxis, Berlin, Springer, 2012, p. 185-201.

35 Voir BnF, ms. lat. 7855 et 7856. Le ms. lat. 7855, relié, se compose de six feuillets, sur le premier desquels figurent les armoiries des Sforza ; au verso du dernier on lit « de Pavie au Roy Louys XII ».

36 Anna Maria Cesari, « Un’orazione inedita di Ippolita Sforza e alcune lettere di Galeazzo Sforza », Archivio Storico Lombardo, série 9, vol. 4, 1964-1965, p. 50-64.

37 Voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., notamment p. 29 ; Maria Nadia Covini, Donne, emozioni e potere…, op. cit., p. 77. Sur Galeazzo Maria orateur et diplomate adolescent, voir en outre : Marcello Simonetta, Rinascimento segreto. Il mondo del Segretario da Petrarca a Machiavelli, Milan, FrancoAngeli 2004, p. 117-119.

38 Mariarosa Cortesi, « Il discorso pronunciato. Alcuni aspetti dell’arte oratoria », in Dario Mantovani (dir.), Almum Studium Papiense, op. cit., p. 639-652, notamment p. 647 (nous traduisons).

39 Sur ces thèmes, au centre d’un vif débat, qui déborde le cadre de la présente étude, et pour une bibliographie, nous renvoyons, pour de simples raisons de concision, à Arianna Arisi Rota (dir.), Formare alle professioni. Diplomatici e politici, Milan, FrancoAngeli, 2009 ; Andrea Gamberini, Isabella Lazzarini (dir.), Lo Stato del Rinascimento in Italia, Rome, Viella, 2014 (voir, à ce propos, l’étude de Isabella Lazzarini sur la diplomatie).

40 Enea Silvio Piccolomini [Pie II], « Tractatus de liberorum educatione », in Eugenio Garin (dir.), Il pensiero pedagogico dello Umanesimo, op. cit., p. 236-237 : « Formanda est in primis vox, ne feminea exilitate frangatur, neve seniliter tremat aut nimium bohet. Expressa sint verba, suis queque littere sonis enuncientur, non excidant extreme syllabe, non audiatur vox in faucibus atque, ut expedita sit lingua, et os absolutius expressiorque sermo […] His postquam preceptis institutus fueris, equales tuos orationis ornatu gravitateque superare contendes, ut victor evadas, tum in hoc tum in omni laudabili exercitio ».

41 Cet ensemble hétéroclite de documents concernant des règles de vie (BnF, ms. ital. 1585) contient des textes de plusieurs auteurs ; ici, il est question en particulier de deux rédactions différentes d’une règle de vie attribuée à Cristoforo da Soncino, voir Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit., p. 68 et p. 75.

42 Voir Pier Paolo Vergerio, « Dei nobili costumi e studi liberali della gioventù » in Eugenio Garin, L’educazione umanistica in Italia, op. cit., p. 80-81.

43 Voir, à côté des études citées de Garin, Grendler et Black, les réflexions bien connues de Battista Guarino (1434-1493) dans son De ordine docendi ac studendi ou de Enea Silvio Piccolomini sur l’éducation d’un prince.

44 Sur le rôle joué par la rhétorique dans cette respublica des lettres idéale, voir Marc Fumaroli, La République des lettres, Paris, Gallimard, 2015.

45 Dont quelques-unes sont dispersées dans des archives et des bibliothèques différentes : à ce propos, pour les inventaires de la bibliothèque de Pavie (et pour une liste des discours des enfants de Francesco Sforza), voir : Élisabeth Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza ducs de Milan, au XVe siècle, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1955 ; ead., La bibliothèque des Visconti et des Sforza ducs de Milan au XVe siècle. Supplément, Florence, chez L.S. Olschki, Paris, Librairie F. De Nobele, 1969 ; Anna Giulia Cavagna, « “ Il libro desquadernato: la carta rosechata da rati ”. Due nuovi inventari della libreria visconteo sforzesca », Bollettino della società pavese di storia patria, vol. 41, 89e année, 1989, p. 29-97 ; Maria Grazia Albertini, « La biblioteca dei Visconti e degli Sforza: gli inventari del 1488 e del 1490 », Studi Petrarcheschi, vol. 8, 1991, p. 1-238 ; Maria Grazia Albertini Ottolenghi, « Note sulla biblioteca dei Visconti e degli Sforza nel castello di Pavia », Bollettino della Società Pavese di Storia Patria, vol. 113, 2013, p. 35-68.

46 Voir BnF, ms. ital. 1586, f.29r.

47 Voir BnF, ms. ital. 1588.

48 Voir BnF, ms. ital. 1588, f. 228r: « Illustrissime princeps et excellentissime domine, […] hogi matina questo illustre figliollo di vostra excellentia, oldito missa, a pede con tuta la compagnia aciò che meglio la si potesse vedere, per l’ordine che la Santità del Papa gli fece dare per M. Octo dal Carreto ne andò da quella a la cui presentia quale trovò accompagnata de dece cardinali; poi ch’el fu, dixe l’oratione sua in genochiona, quale in vero pronunciò con tanto bono modo degni gesti de la persona et voce, al luocho et ale persone accomodata, che non solamente M. Octo et Nicodemo et nui che scrivemo quale senza altra compagnia eramo lì, li fece per admiracione quasi fuora de nui stesi usire, ma et Papa et cardinali, quali per guardare l’uno nel viso de l’altro perfectamente cognosoessemo essere più che maravegliosi de sì degno acto, in tale età, el quale fornito cominzò la Santità del Papa rispondendo sempre in latino […] dopo laudando l’oratione per essere polita et tersa et la pronuntiatione per essere facta con debito modo, dixe queste parole: “laudamus […]” adiungendo che considerata l’età del prefato conte per certo questa cosa era soprannaturale et subsequentemente il confortò a le littere et a le arme, dicendo che queste doe cose il potevano fare simile a li antiqui valenti homini che anche al dì d’hogi summa fama et laude hanno al mundo et che per una di queste parte l’homo non è compito… ».

49 BnF, ms. it. 1588, f. 236r : « […] incomenzò a dire una oratione quale fornita nostro Signore rispondendoli ale parte per latino summamente commendò, ne in vero senza rasone, però che ultra che l’oratione da si stessa fusse ornatissima et digna ley con si apti modi suave et accomodata voce la pronuntiò che per certo più presto adgiunse ornamento a l’oratione […] a chi pareva et pare la cosa essere stata sopra naturale considerata l’età et sexo ».

50 Pour des informations bibliographiques à propos du ms. lat. 7855 (Ludovici Mariae Sfortiae, dum annum suae aetatis undecimum ageret, oratio ad cultum divinum exhortatoria), voir le site de la Bibliothèque nationale de France (http://archivesetmanuscrits.bnf.fr) où l’on signale, par exemple : Élisabeth Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza ducs de Milan, au XVe siècle, op. cit., p. 337 ; ead., La bibliothèque des Visconti et des Sforza ducs de Milan au XVe siècle. Supplément, op. cit, p. 47 ; Maria Grazia Albertini, « La biblioteca dei Visconti e degli Sforza: gli inventari del 1488 e del 1490 », art. cit., en particulier p. 38. Voir aussi Jules Dukas, Recherches sur l'histoire littéraire du quinzième siècle, Paris, Léon Techener, 1876, p. 82-85 ; Giuseppe Mazzatinti, « Alcuni codici latini visconteo-sforzeschi della Biblioteca Nazionale di Parigi », Archivio Storico lombardo, 2e série, vol. 3, 1886, p. 17-58 ; Charles Samaran, Robert Marichal, Catalogue des manuscrits en écriture latine portant des indications de date, de lieu ou de copiste, Paris, CNRS, 1962, t. 2, p. 435 ; Luigi Firpo (dir.), Francesco Filelfo educatore e il “Codice Sforza” della Biblioteca Reale di Torino, Turin, UTET, 1967, p. 8-9 ; Monica Ferrari, « Per non manchare… » , op. cit., p. 29.

51 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 44.

52 Ibid., p. 61.

53 Ibid., p. 218.

54 Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Paris, Albin Michel, 1994.

55 Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 46-47.

56 Voir Michel Foucault, L’archéologie du savoir, op. cit.

57 Sur la société des princes, voir Lucien Bély, La société des princes (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 1999 ; Christof Dipper, Mario Rosa (dir.), La società dei principi nell’Europa moderna (secoli XVI-XVII), Bologne, Il Mulino, 2005.

58 Voir, sur le thème de distinction dans la longue durée, Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979.

59 C’est ce que souligne aussi Silvia Marcucci dans La scuola tra XIII e XV secolo, op. cit., p. 32.

60 Voir Monica Ferrari, « Reggere gli altri: la formazione del principe tra arte, mestiere e professione », in Egle Becchi, Monica Ferrari (dir.), Formare alle professioni. Sacerdoti, principi, educatori, Milan, FrancoAngeli, 2009, p. 197-221.

61 Françoise Waquet, Le latin ou l’empire d’un signe (XVIe-XXe siècle), Paris, Albin Michel, 1998.

62 Sur la difficulté d’identifier les maîtres dans un système « préceptoral » complexe s’adaptant aux événements de la vie des enfants princiers voir ci-dessus, note 9 : nous savons avec certitude que Francesco Filelfo dicte les gloses de la Rhetorica ad Herennium à Ludovico Maria en 1467, mais d’autres précepteurs aussi ont suivi le parcours de formation des enfants de Francesco Sforza et Bianca Maria Visconti dans des circonstances différentes de leur vie.

63 Voir Marco Rizzi, La questione dell’Ad Diognetum, Milan, Vita e Pensiero, 1989 ; A Diogneto, édition établie par Enrico Norelli, Milan, Edizioni Paoline, 1991 ; Id., Ideologia e retorica negli exordia apologetici. Il problema dell’« altro » (II-III secolo), Milan, Vita e Pensiero, 1993.

64 Voir BnF, ms. lat. 7855, f. 1r: « Si unquam in huiuscemodi solennitatibus gratiae immortali deo nobis sunt referendae, Illustrissimi parentes, hac praecipue tempestate, et habendas, et agendas esse censeo… » (« Si jamais dans des solennités de cette sorte nous devons rendre grâce au Dieu immortel, je pense, très illustres parents, que nous devons en particulier en cette occasion le remercier et lui exprimer notre reconnaissance… »). Sur l’incipit de ce discours, voir Carlo Godi, « Il Petrarca “inutilis orator” a Venezia: l’arringa per la pace tra Genovesi e Veneziani », in Rino Avesani, Mirella Ferrari, Tino Foffano, Giuseppe Frasso, Agostino Sottili (dir.), Vestigia. Studi in onore di Giuseppe Billanovich, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1984, en particulier t. 1, p. 411. Godi affirme : « Peut-être pourrait-on saisir un écho affaibli du premier discours de Pétrarque aux Vénitiens dans l’incipit du discours que Lodovico Il Moro, âgé de onze ans, et à l’école de Francesco Filelfo, a prononcé en 1463, à Noël, devant son père Francesco […], qui commence par « Si unquam in huiuscemodi solennitatibus » (BnF, ms. lat. 7855) » (nous traduisons).

65 BnF, ms. lat. 7855, f. 2r: « Gubernat cuncta deus, quod, praeter Epicuros, caeteri omnes confirmant philosophi: detrudit ex alto impios et exaltat virtute fulgentes et si quos malos tollit in altum, ut saepe videmus, idcirco permittit deus: ut graviore deinde lapsu cadant » (« Dieu gouverne toutes les choses, comme le confirment tous les autres philosophes, sauf Épicure : il précipite les impies et exalte ceux qui resplendissent de vertu et s’il élève un scélérat, comme on le voit souvent, il le fait pour cette raison, que sa chute soit ensuite plus ruineuse »). Voir : « Iam non ad culmina rerum iniustos crevisse queror, tolluntur in altum ut lapsu graviore ruant » (Claudien, In Rufinum [Contre Rufin], I, 21-23) (« Je ne me plains pas parce que les injustes ont atteint le sommet du pouvoir, ils n’ont été élevés si haut que pour qu’ils précipitent de façon plus ruineuse »).

66 BnF, ms. lat. 7855, f. 1v: « Tibi omnipotens deus adeo omnia sedata, omnia tranquilla esse decrevit ut summam felicitatem in posterum quilibet fore et polliceri et confirmare possit » (« Grâce à toi, Dieu tout-puissant a pacifié toutes choses et a établi que tout soit tranquille de sorte à pouvoir promettre et assurer le bonheur à la postérité »).

67 BnF, ms. lat. 7855, f. 4r: « David Goliam philisteum viribus admirandum lapillo dumtaxat prostravit » (« David terrassa Goliath le philistin, pourvu d’une force extraordinaire, avec un simple caillou »).

68 BnF, ms. lat. 7855, f. 5v: « Non est opus exhortatione Excellentissime Princeps ad iustitiam ipsam, ad liberalitatem, pietatem, relligionem: caeterasque virtutes colendas quarum adeo semper amator fuisti ut id propter te ad summam rerum pervenisse crediderim. Verterem me hoc loco ad te illustrissima mater. Sed cum omnium virtutum genus in te regnare conspiciam, obmutescam necesse est ».

69 « Si quem virtuti operam dare totumque se bonis prebere artibus oportet, hunc esse te, Ladislae, rex inclite, nemo, qui sapiat, inficias ibit ». Pour ces citations, voir Eugenio Garin (dir.), Il pensiero pedagogico dello Umanesimo, op. cit., p. 126-127 et p. 198-199.

70 À ce propos, nous renvoyons aux études de Eugenio Garin citées ci-dessus ; en outre, sur Filelfo éducateur de Ludovico Maria Sforza, voir Luigi Firpo (dir.), Francesco Filelfo educatore e il Codice Sforza della Biblioteca Reale di Torino, op. cit. Sur Martorelli instituteur des Sforza, voir Dario Cingolani, Baldo Martorello da Serra de’ Conti. Un umanista al servizio degli Sforza, Comune di Serra de’ Conti, Biblioteca comunale, 1983. Voir aussi, plus récemment, Monica Ferrari, « Per non manchare… », op. cit. ; Silvia Marcucci, La scuola tra XIII e XV secolo…, op. cit. ; Monica Ferrari, Lo specchio, la pagina, le cose, op. cit. ; Mariarosa Cortesi, « Il discorso pronunciato », art. cit.

71 Voir la lettre du 1er octobre 1475, envoyée par Francesco Filelfo à Matteo Triviano, précepteur de Gian Galeazzo Sforza, fils de Galeazzo Maria Sforza, transcrite in Luigi Firpo, (dir.) Francesco Filelfo educatore, op. cit., p. 110-111.

72 « Et con qual megliore et più aconza ragione gli ocorrerà gli persuada la virtù, monstrandogli quanto sia in ciaschuno gloriosa, ma più in quilli hanno a dare norma et regula ad altri». Pour la transcription cf. Monica Ferrari, « Per non manchare... », op. cit., p. 73.

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Pour citer cet article

Référence papier

Monica Ferrari, « L’éducation du prince par les arts du discours au XVe siècle : l’oratio comme outil de formation et jeu de regards à la cour de Francesco Sforza »Histoire de l’éducation, 143 | 2015, 9-36.

Référence électronique

Monica Ferrari, « L’éducation du prince par les arts du discours au XVe siècle : l’oratio comme outil de formation et jeu de regards à la cour de Francesco Sforza »Histoire de l’éducation [En ligne], 143 | 2015, mis en ligne le 30 juin 2018, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/3128 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.3128

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Auteur

Monica Ferrari

Université de Pavie

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Droits d’auteur

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