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Notes critiques

DROUX (Joëlle), HOFSTETTER (Rita) (dir.), Globalisation des mondes de l’éducation. Circulations, connexions, réfactions, XIXe-XXsiècles

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 287 p.
Sébastien-Akira Alix
p. 114-117
Référence(s) :

DROUX (Joëlle), HOFSTETTER (Rita) (dir.), Globalisation des mondes de l’éducation. Circulations, connexions, réfactions, XIXe-XXsiècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 287 p.

Texte intégral

1Le livre Globalisation des mondes de l’éducation dirigé par Joëlle Droux et Rita Hofstetter constitue une importante contribution à l’étude historique des dynamiques transnationales en éducation et une puissante invitation à poursuivre des recherches dans ce domaine. Composé d’études de cas solidement documentées, l’ouvrage obéit à une structure tripartite et « s’attache à mieux rendre visibles les circulations (d’acteurs, de politiques, de savoirs, d’aspirations) et sensible leur influence sur la co-production des systèmes éducatifs et des connaissances pédagogiques qui les fondent. » (p. 8-9).

2La première partie est consacrée à l’analyse de certains acteurs ayant joué un rôle important dans la mise en place d’un régime de circulation transnationale des savoirs pédagogiques aux XIXe et XXe siècles. Mari Carmen Rodríguez y montre comment l’Institution libre d’enseignement – fondée en 1876 par des enseignants progressistes de l’université de Madrid en réaction au « retour drastique à la confessionnalité catholique de l’État » (p. 33) – a pu contribuer à la diffusion des idées éducatives et à la constitution d’« espaces de médiation pédagogique » (p. 37) en Espagne. Dans le deuxième chapitre, Frédéric Mole étudie le parcours du dirigeant syndical français Georges Lapierre dans l’entre-deux-guerres. L’auteur y dévoile la manière dont Lapierre s’est s’assuré une légitimité en tissant des liens avec des sociétés savantes, avec « les grands acteurs de l’éducation nouvelle » (p. 58) et en multipliant les appartenances à des associations nationales et internationales, favorisant ainsi « la circulation et les échanges entre les acteurs de l’éducation » (p. 53). Béatrice Haenggeli-Jenni propose, quant à elle, une typologie des profils des femmes membres de la Ligue internationale d’éducation nouvelle (LIEN). Des praticiennes diplômées spécialistes de la petite enfance en quête de légitimité professionnelle aux « passeuses de savoirs » du Comité international de la ligue, en passant par les « femmes de l’enseignement secondaire » qui « utilisent l’international pour défendre des causes nationales » (p. 87), elle fait ressortir la dimension intime de l’investissement éducatif de ces femmes aussi bien que la pluralité des types d’engagement au sein de la LIEN, qui apparaissent socialement conditionnés. Dans le quatrième chapitre, Zoe Moody montre que l’institutionnalisation des droits de l’enfant à l’échelle internationale, telle qu’exprimée dans la Déclaration des Nations unies relative aux Droits de l’enfant (DDE), « a été rendue possible et facilitée par la présence de plateformes d’échange particulièrement efficaces » (p. 109) mettant en relation des acteurs transnationaux, dont l’action conjointe a contribué à la constitution d’une opinion publique internationale sensible à cette question ; la DDE constituant un point de jonction entre deux conceptions de la norme transnationale de l’enfance (p. 113).

3La deuxième partie de l’ouvrage porte sur l’alimentation, la consolidation et l’institutionnalisation du régime de circulation transnationale des idées et savoirs éducatifs dans la première moitié du XXe siècle. La contribution de Joëlle Droux est consacrée à l’étude du fonctionnement du Comité de protection de l’enfance (CPE) créé en 1925. L’auteure montre comment des organisations internationales, à l’origine en concurrence « pour s’imposer comme interlocuteur privilégié des agences intergouvernementales » (p. 125), ont progressivement travaillé de manière collective au sein du CPE « pour promouvoir globalement la cause et les droits de l’enfant » (p. 131). Dans le chapitre suivant, Rita Hofstetter invite le lecteur dans les « coulisses » du Bureau international d’éducation (BIE). Elle étudie la manière dont ses membres se sont évertués entre 1925 et 1946 à faire du BIE « LA plateforme permettant l’élaboration d’une charte des aspirations mondiales en matière éducative » (p. 165). L’auteure éclaire ainsi le « jeu complexe de solidarités et rivalités » (p. 151) qui a notamment pu s’instaurer entre le BIE et la LIEN et dévoile la manière dont le BIE est parvenu à s’assurer une légitimité internationale en érigeant le fédéralisme suisse en modèle. Leonora Dugonjic, quant à elle, remet en cause l’idée selon laquelle l’École internationale des Nations unies aurait été érigée en réponse à « un besoin » des fonctionnaires internationaux. L’offre a, en réalité, précédé la demande (p. 179) : les chercheurs du Teachers’ College de New York et les dirigeants de l’École internationale de Genève se saisissent de l’idée d’une école des Nations unies pour s’assurer une légitimité en proposant des projets concurrents ; celui des seconds est retenu en raison de leur appartenance à l’ONU et de la mise en avant des « parents sur le papier » (p. 184).

4La dernière partie de l’ouvrage aborde enfin la question délicate des effets concrets de l’internationalisation des idées et savoirs pédagogiques sur les systèmes éducatifs et leurs pratiques pédagogiques. Damiano Matasci met en lumière la superposition de deux usages de l’international par les réformateurs scolaires français au XIXsiècle. D’une part, la référence à l’étranger a pu conduire à la construction d’une rhétorique du « retard scolaire » de la France « pour légitimer la réforme du système scolaire public et pour soutenir la nécessité […] d’instaurer l’obligation scolaire » (p. 194). D’autre part, la comparaison internationale a pu être mobilisée « dans le cadre d’une stratégie de légitimation de la politique républicaine » (p. 198) ; la France étant présentée comme prenant la tête d’un mouvement général de « laïcisation de l’institution scolaire » (p. 199). Dans le chapitre suivant, Alexandre Fontaine étudie « les mécanismes de métissages pédagogiques et d’importation de savoirs scolaires entre la Suisse romande et la France » (p. 211) suite à l’exil des proscrits du 2 décembre 1851. Il montre que certaines réformes scolaires de la IIIe République peuvent être conçues comme des emprunts à la Suisse romande. Ces derniers ne se font toutefois qu’au prix de médiations et de retraductions en partie déterminées par la logique hexagonale et par les « préoccupations du moment » (p. 224) comme le révèlent les exemples des colonies de vacances et des méthodes de chant. Valeska Huber, quant à elle, propose une étude comparative de trois universités au Moyen-Orient durant l’entre-deux-guerres – l’université américaine de Beyrouth, l’université américaine du Caire et l’université hébraïque de Jérusalem. Elle montre que ces institutions sont « le théâtre de formes parfois complexes de transferts institutionnels » et qu’elles ont pu contribuer à « une certaine fragmentation sociale » (p. 253-254). Enfin, Marc Depaepe, Frank Simon et Honoré Vinck mettent en lumière, à partir de l’examen de l’œuvre éducative du missionnaire flamand Gustaaf Hulstaert au Congo belge, le phénomène d’appropriation des idées pédagogiques qui a lieu en contexte colonial. Les auteurs y montrent que le projet d’une « éducation indigéniste » défendu par Hulstaert – qui concilie sans tension un « certain nombre de principes didactiques de l’éducation nouvelle » (p. 277) et la « pédagogie normative catholique » (p. 267) – constitue une forme originale de la pensée éducative coloniale dans l’entre-deux-guerres ; ledit projet n’ayant toutefois jamais altéré la « grammar of schooling » (p. 260).

5En définitive, cet ouvrage collectif met en lumière la nécessité de questionner l’idée que les terrains éducatifs seraient « réfractaires à toute forme de métissage ou d’emprunt » (p. 8) et il fournit la preuve de l’utilité d’examiner les dynamiques transnationales pour enrichir l’étude historique de l’éducation. Il propose de plus des pistes de recherche stimulantes en invitant notamment à penser le transnational comme un lieu, une opportunité, un moyen dont les acteurs locaux de l’éducation se saisissent pour peser et faire bouger les lignes éducatives nationales.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sébastien-Akira Alix, « DROUX (Joëlle), HOFSTETTER (Rita) (dir.), Globalisation des mondes de l’éducation. Circulations, connexions, réfactions, XIXe-XXsiècles »Histoire de l’éducation, 144 | 2015, 114-117.

Référence électronique

Sébastien-Akira Alix, « DROUX (Joëlle), HOFSTETTER (Rita) (dir.), Globalisation des mondes de l’éducation. Circulations, connexions, réfactions, XIXe-XXsiècles »Histoire de l’éducation [En ligne], 144 | 2015, mis en ligne le 31 décembre 2015, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/3085 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.3085

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Auteur

Sébastien-Akira Alix

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