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Dossier

L’instruction dans les familles et la loi du 28 mars 1882 : paradoxe, controverses, mise en œuvre (1880-1914)

Homeschooling and the 1882 primary compulsory education Act in France: paradox, debates, implementation (1880-1914)
André D. Robert et Jean-Yves Seguy
p. 29-52

Résumés

Le présent article s’intéresse à un aspect peu exploré de la loi d’obligation scolaire du 28 mars 1882 consigné dans son article 4 concernant la possibilité d’une instruction à domicile : « L’instruction primaire […] obligatoire […] peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie ». Un premier temps de l’investigation est consacré à l’examen du cadre juridique liant l’instruction obligatoire et la possibilité de la réaliser dans les familles. En appui sur la publication des Débats parlementaires, sont ensuite analysés les débats et controverses auxquels cette disposition particulière a donné lieu (1880-1882), à propos notamment de l’instauration du principe d’un examen à l’intention des enfants instruits dans leurs familles, de son contenu, de sa fréquence et de la composition des jurys. Dans un troisième temps enfin, sur la base d’un fonds déposé aux Archives nationales et du recours à quelques archives municipales significatives, l’étude met au jour les difficultés de mise en œuvre de cet aspect de la loi, le caractère mitigé des premiers bilans établis par les autorités académiques au sujet des contrôles effectués par les commissions scolaires (entre 1885 et 1914), et surtout la disparité des traitements selon l’origine socioculturelle des publics considérés, les moins élevés dans la hiérarchie sociale n’apparaissant pas traités avec le plus de ménagement.

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Texte intégral

  • 1 Journal officiel de la République française, Loi du 28 mars 1882, art. 4. Idem pour les articles su (...)
  • 2 Articles L 131-1 et L 131-2 du Code de l’éducation.

1Relative à l’organisation de l’enseignement primaire obligatoire, la loi du 28 mars 1882 est moins connue sous l’aspect du traitement qu’elle réserve à l’instruction dite dans les familles. Celle-ci se voit explicitement désignée dès l’article 4 : « L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie »1. L’article 7 confirme avec netteté : « Le père, le tuteur, la personne qui a la garde de l’enfant, le patron chez qui l’enfant est placé, devra, dans les quinze jours au moins avant l’époque de la rentrée des classes, faire savoir au maire de la commune s’il entend faire donner à l’enfant l’instruction dans la famille ou dans une école publique ou privée ». L’article 16 (toujours en vigueur avec des modifications dans l’actuel Code de l’éducation2) spécifie les conditions dans lesquelles cette possibilité offerte aux familles doit faire l’objet d’un contrôle par l’État :

« Les enfants qui reçoivent l’instruction dans la famille doivent, chaque année, à partir de la fin de la deuxième année d’instruction obligatoire, subir un examen qui portera sur les matières de l’enseignement correspondant à leur âge dans les écoles publiques […] Si l’examen de l’enfant est jugé insuffisant et qu’aucune excuse n’est admise par le jury, les parents sont mis en demeure d’envoyer leur enfant dans une école publique ou privée dans la huitaine de la notification et de faire savoir au maire quelle école ils ont choisie ».

  • 3 Nous retenons une définition, parmi d’autres possibles : délimitation d’un espace spécifique séparé (...)
  • 4 Archives nationales [désormais AN], F/17/12214-12215. Archives municipales de Grenoble, 1R1, 1R19, (...)
  • 5 Les bornes de la période étudiée sont déterminées par les documents d’archives analysés, mais aussi (...)

2La loi elle-même ni aucune de ses dispositions pratiques ne sont allées, comme on le sait, sans des débats houleux à la Chambre des députés, au Sénat et dans la société. Dans les développements qui vont suivre, il s’agira – tout en rappelant quelques éléments structurels de ces débats – d’interroger le sens de la disposition quasi dérogatoire que constitue l’instruction dans la famille par rapport à l’esprit dominant de la loi d’obligation, tel que l’a alors perçu l’opinion et tel que la mémoire nationale l’a retenu, consistant au fond dans l’imposition d’une « forme scolaire »3, publique ou privée. N’y a-t-il pas un paradoxe dans le fait que la République autorise elle-même les conditions sinon d’une transgression, du moins d’un contournement de ses propres orientations fondamentales, permettant aux pères de famille de conserver la liberté de ne pas confier leurs enfants à une école ? Le centre de l’investigation concernera – sur la base d’archives à ce jour inexploitées4 – les modalités d’une mise en œuvre régulée de l’instruction dans les familles de la fin du XIXe (années 1880) au début du XXe siècle (années 19105), selon deux axes, national et local : le premier touche aux controverses parlementaires suscitées par le principe même d’un examen puis par la question de la fréquence et du contenu de cet examen, le second à l’effectivité ou non des dispositifs d’évaluation finalement retenus et à ce que révèlent les documents disponibles quant à l’ampleur du recours à cette possibilité légale, à la qualité des familles qui l’utilisent et aux types de réactions des autorités en cas de difficultés. Trois temps scanderont notre démarche : rappel des décisions officielles affectant le choix parental de l’instruction à domicile ; nature des débats suscités en amont par ces décisions ; réalités de la mise en œuvre.

  • 6 Jules Ferry l’a été du 4 février 1879 au 23 septembre 1880, puis du 31 janvier au 29 juillet 1882, (...)

3Dans l’ouvrage qu’elle lui a consacré, Mona Ozouf entend synthétiser ce qui a fait le paradoxe incarné et soutenu – selon elle avec succès – par l’homme politique Jules Ferry tout au long de sa carrière, et partant par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts6 :

  • 7 Mona Ozouf, Jules Ferry : la liberté et la tradition, Paris, Gallimard, 2014, p. 100.

« Positiviste et libéral. Deux allégeances qui se combattent, deux vocables qui jurent ensemble. Pour le positiviste, rien n’est plus précieux que l’unité spirituelle de la nation, garantie par l’autorité de la science et l’universalité de la morale. Pour le libéral, héritier des Lumières, confiant dans la valeur de l’être individuel, la liberté est principielle. Or, comment imaginer construire l’unité sur la liberté ? L’exercice de la liberté est source de dissidence individuelle et de désordre collectif. Tel est, tout au long de la vie, le dilemme de Ferry »7.

4Avec la loi du 28 mars 1882, et plus particulièrement avec sa disposition relative à l’instruction dans les familles, c’est à une sorte d’illustration de cette difficile dialectique entre rôle unificateur de l’État et liberté individuelle que nous assistons en matière d’instruction des enfants. Surmontées au niveau politique malgré la rudesse des affrontements, les difficultés s’éprouvent dans la réalité de la mise en place concrète des décisions et peuvent servir de révélateur des positionnements sociaux des républicains.

I. Cadre juridique relatif à l’obligation scolaire et à l’instruction dans les familles

5Au-delà de la dimension philosophique que revêt l’argumentation concernant l’agencement entre obligation et liberté, la République a entendu se doter d’outils permettant de vérifier la réelle mise en place de la loi et de contrôler tous les mécanismes de son instauration. Parmi ces outils, certains ont un caractère général et affectent la question de l’instruction dans les familles, d’autres sont spécifiquement liés à ce dispositif particulier.

1. Dispositions générales

  • 8 Journal officiel de la République française, loi du 28 mars 1882, art. 5.
  • 9 Ibid.

6Dans chaque commune des commissions municipales scolaires sont créées pour « surveiller et encourager la fréquentation des écoles »8. Leur rôle apparaît d’emblée essentiel puisqu’il s’agit en particulier de repérer, voire de mesurer, l’absentéisme des élèves, afin de mettre en œuvre les actions visant à relancer et, dans certains cas, à sanctionner telle famille n’ayant pas respecté les préceptes de la loi. Chaque commission se compose du maire (président), « d’un des délégués du canton, et, dans les communes comprenant plusieurs cantons, d’autant de délégués qu’il y a de cantons, désignés par l’inspecteur d’académie, de membres désignés par le conseil municipal en nombre égal, au plus, au tiers des membres de ce conseil »9. La présence de représentants de la municipalité et de membres désignés par l’inspecteur d’académie montre le souci de mobiliser toutes les forces en présence, et peut-être d’établir une forme de contrôle des uns par les autres.

  • 10 Le premier rapport statistique sur l’instruction primaire remonte à 1829, des inventaires des établ (...)
  • 11 Création en 1876 d’une commission permanente d’organisation de la statistique de l’enseignement pri (...)
  • 12 Jean-Noël Luc, op. cit. p. 48.
  • 13 Journal officiel de la République française, loi du 28 mars 1882, art. 8.
  • 14 AN, F/17/12214 – F/17/12215. Une lettre du ministre aux préfets du 7 septembre 1882 préconise l’uti (...)

7Alors même que les outils statistiques employés par l’administration scolaire sont antérieurs à la loi Guizot10, un nouveau palier est franchi en matière de statistique scolaire sous la Troisième république dès 187611 et à la faveur de la loi de 1882, avec la mise en œuvre de procédures de recueil de données très détaillées dont les résultats doivent permettre d’agir le plus rapidement possible auprès des familles. Comme le précise Jean-Noël Luc, « en faisant recenser, scrupuleusement et régulièrement, les élèves présents, le ministère souhaite tout à la fois montrer les insuffisances des progrès antérieurs, mesurer les améliorations futures et, même y contribuer en suscitant chez les parents une prise de conscience défavorable à l’absentéisme »12. Le rôle des commissions scolaires consistant en particulier à établir des listes de présence, cette mission est précisée dans l’article 8 de la loi : « Chaque année, le maire dresse, d’accord avec la commission municipale scolaire, la liste de tous les enfants âgés de six à treize ans, et avise les personnes qui ont charge de ces enfants de l’époque de la rentrée des classes »13. C’est à partir de la constitution de ces listes que l’ensemble de la procédure est enclenchée, puisque, les familles ayant été informées, elles doivent inscrire leur enfant dans une école publique ou privée, ou faire savoir qu’elles assureront l’instruction à domicile. Pour faciliter ces opérations de recueil des informations, sont élaborés divers formulaires : modèle de lettre du maire au père de famille, modèle de réponse du père de famille au maire, lettre du maire accusant réception de la déclaration du père de famille, lettre de rappel du maire, formulaire de déclaration de l’instruction à domicile14.

  • 15 Journal officiel de la République française, loi du 28 mars 1882, art. 12.

8L’article 12 de la loi précise que lorsqu’un enfant « se sera absenté de l’école quatre fois dans le mois, pendant au moins une demi-journée, sans justification admise par la commission municipale scolaire, le père, le tuteur ou la personne responsable sera invité, trois jours au moins à l’avance, à comparaître dans la salle des actes de la mairie, devant ladite commission, qui lui rappellera le texte de la loi et lui expliquera son devoir »15. Si la famille ne répond pas, et si elle récidive dans les douze mois qui suivent cette infraction, la commission municipale scolaire ordonne l’inscription pendant quinze jours ou un mois, à la porte de la mairie, des noms, prénoms et qualités de la personne responsable, avec indication du fait relevé contre elle. En cas de nouvelle récidive, la commission scolaire (ou l’inspecteur primaire) devra adresser une plainte au juge de paix, ce qui pourra entraîner des condamnations à des peines de police. Cet ensemble de dispositions générales, clairement définies et délimitées constitue un cadre dans lequel les questions propres à l’instruction dans les familles se posent également, puisque cette modalité d’instruction conjugue, pour fonctionner, le jeu d’instances de régulation et de contrôle, l’usage d’outils de recueil de la réalité de l’instruction en famille, et une série de sanctions ayant dans tous les cas pour but de protéger l’enfant, y compris face à sa famille.

2. Dispositions particulières relatives à l’instruction dans les familles

9Comme nous l’avons indiqué en introduction, l’article 16 de la loi est entièrement consacré à l’instruction dans la famille et instaure le principe d’un examen annuel de vérification à partir de la deuxième année d’instruction obligatoire. Le jury de cet examen est composé de l’inspecteur primaire ou de son délégué, d’un délégué cantonal, d’une personne munie d’un diplôme universitaire ou d’un brevet de capacité. Les membres de ce jury sont choisis par l’inspecteur d’académie, conférant ainsi à l’institution scolaire la responsabilité du bon fonctionnement de cette instance d’évaluation. Comme pour le reste de la loi, à partir de la définition claire du cadre de fonctionnement et des acteurs de la mise en œuvre, sont évoquées les sanctions prévues en cas de manquement aux règles instituées. Une liberté est ainsi de fait offerte, mais dans un cadre qui, s’il est transgressé volontairement ou involontairement, conduit à une prise de décision insérant l’enfant et sa famille dans le dispositif commun de l’inscription dans un établissement scolaire.

10L’arrêté du 22 décembre 1882 précise ce que doit être l’examen auquel se voient astreints les enfants relevant de l’instruction à domicile. L’article 5 de cet arrêté notifie la place des épreuves écrites et orales :

  • 16 Arrêté du 22 décembre 1882 fixant les conditions des Examens prescrits par la loi du 28 mars 1882 p (...)

« L’examen consiste en épreuves écrites ; il n’y a lieu à épreuves orales qu’autant que les premières auraient été jugées insuffisantes. En ce cas, les deux séries d’épreuves ont lieu le même jour »16.

11L’article 6 retient l’attention en ce qu’il fixe un ensemble de règles censé fonder une certaine forme d’égalité entre les enfants suivant l’instruction à domicile et ceux suivant une scolarité dans un établissement public ou privé. Cette volonté n’est toutefois pas poussée à son terme, tous les points du programme n’étant pas abordés chaque année. Par exemple, les enfants de huit à neuf ans ne sont interrogés que sur l’écriture. La consultation des cahiers des enfants doit toutefois permettre de dépasser le cadre des seules épreuves écrites éventuellement proposées.

  • 17 « De huit à neuf ans : Écriture ; De neuf à dix ans : Écriture. Premiers éléments d'arithmétique (a (...)

« Les épreuves écrites consistent, soit en devoirs écrits sous la dictée et sous le contrôle du jury, soit dans les devoirs faits à domicile et communiqués avec une attestation d’authenticité par le père de famille conformément à la formule ci-annexée. Le jury a toujours le droit de faire procéder à de nouvelles épreuves en sa présence »17.

12L’article 7 du même arrêté porte sur les épreuves orales facultatives, et précise qu’elles

« comprennent une épreuve de lecture et de courtes interrogations sur tout ou partie des matières énumérées dans l’article 6. L’épreuve de lecture se fera dans les recueils de morceaux choisis en usage dans les écoles publiques ou dans les classes élémentaires des lycées ».

  • 18 Circulaire du 12 septembre 1884 adressée aux préfets relative aux examens des enfants instruits à d (...)

13Ultérieurement, une circulaire signée le 12 septembre 1884 par Armand Fallières18, alors ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, indique l’esprit dans lequel cet examen doit être organisé. Cette circulaire a essentiellement pour but de rassurer des familles inquiètes face à une procédure qui pourrait s’avérer par trop autoritaire.

14Le propre de cet examen, ce qui le distingue, par exemple, du certificat d’études, c’est qu’il consiste à juger non pas du degré de l’instruction, mais du fait même qu’il y a une instruction. La commission n’a pas devant elle des candidats à classer entre eux ou comparativement avec les élèves de telle ou telle école, mais des enfants qui viennent faire constater qu’ils reçoivent le minimum d’instruction requis par la loi. Elle n’a pas à dire si on les instruit mieux ou moins bien qu’ailleurs, plus ou moins vite, dans tel esprit et d’après telles méthodes, mais uniquement si on les instruit. C’est pour bien marquer cette limite imposée aux investigations et aux appréciations du jury d’examen, que le Conseil supérieur a voulu que le père de famille pût se borner à présenter les cahiers de son enfant, avec une attestation d’authenticité signée par lui et par l’enfant ; le jury ne recourra aux épreuves orales que dans le cas où l’examen de ces devoirs écrits lui démontrerait que l’enfant est assez mal dirigé pour risquer de ne pas savoir, à la fin de la période scolaire, lire, écrire, compter et répondre aux questions les plus élémentaires sur l’histoire et la géographie de son pays.

15Les termes de l’arrêté du 22 décembre 1882 et de la circulaire du 12 septembre 1884 sont assurément emblématiques de la préoccupation de dépassement des contradictions analysées plus haut, entre volonté d’une instruction pour tous voulue par la République, et liberté individuelle des familles. Il s’agit en effet de présenter un cadre clair, avec des disciplines scolaires scrupuleusement énumérées, une gradation des exigences, en lien avec ce qui est demandé aux élèves inscrits dans les écoles. Au-delà de ce cadre, se manifeste une certaine souplesse dans l’application de ces règles générales. Les épreuves écrites peuvent être limitées à la consultation des cahiers des enfants. Même s’il est demandé une attestation d’authenticité à la famille, il est indéniable que la situation semble plus confortable pour ces enfants que pour les élèves confrontés quotidiennement à l’école à des formes diverses d’interrogations écrites et orales. En outre, le caractère facultatif du recours à l’oral doit permettre de dégager le jeune enfant et sa famille des situations inquiétantes d’interrogation face à un jury composé de plusieurs personnes. Pour autant, les détracteurs de la loi ne l’entendent pas ainsi et ont constamment dénoncé, dans le processus d’élaboration du texte, des atteintes intolérables à la liberté individuelle aussi bien sur un plan général qu’à l’occasion de questions plus techniques touchant au contrôle de l’instruction à domicile.

II. Débats et controverses autour de l’obligation scolaire et de l’instruction dans les familles

  • 19 Paul Bert (1833-1886), député de l’Yonne de 1872 à 1886. Il fut un éphémère ministre de l’Instructi (...)
  • 20 Charles-Hippolyte Ribière (1822-1885), sénateur de l’Yonne de 1876 à sa mort en 1885. Courant de la (...)

16Alors qu’un premier projet de loi a été déposé dès le 20 janvier 1880, ce n’est que le 28 mars 1882 que la loi a finalement été votée, au terme de très nombreux débats à la Chambre des députés et au Sénat, où les rapporteurs (Paul Bert19 à la Chambre, Charles-Hippolyte Ribière20 au Sénat) et le ministre Ferry ont dû organiser une défense militante des principes d’obligation et de ceux concernant le contrôle de l’instruction à domicile.

1. Contestation globale de la loi et enrôlement de la question de l’instruction dans la famille

  • 21 Marie-Raymond de Lacroix de Ravignan (1829-1891), sénateur des Landes de 1876 à 1888. Issu d’une fa (...)

17C’est en premier lieu l’esprit de la loi, articulant obligation et laïcité, qui fait l’objet de la contestation de l’opposition parlementaire. Alors que ses défenseurs considèrent cette loi comme la mieux à même de permettre l’exercice de la liberté de conscience de chacun, dans les rangs de la droite, à la Chambre et au Sénat, est défendue l’idée selon laquelle la liberté du père de faire bénéficier ses enfants d’un enseignement intégrant une dimension religieuse se trouve fondamentalement mise en cause. Le sénateur Marie de Lacroix de Ravignan21 s’inquiète ainsi des contraintes faites au père de famille.

  • 22 Débats parlementaires. Compte rendu de la séance du 13 juin 1881 au Sénat.

« L’inscription d’office qu’édicte le paragraphe 2 de l’article 8 est une véritable pénalité. J’ajoute que c’est une pénalité très sérieuse puisqu’elle confisque le droit d’option. En réalité, pourquoi cette inscription d’office ? Est-ce que l’avis du maire venant avertir paternellement les parents ou les tuteurs qu’ils ont oublié de remplir une prescription de la loi, est-ce que cet avis ne suffirait pas ? Pourquoi donc cette inscription d’office ? Je ne veux pas soutenir que c’est pour imposer l’École d’État, mais en vérité j’aurais le droit de le dire, et je ne peux pas accepter cette disposition »22.

  • 23 Charles Chesnelong (1820-1899), sénateur inamovible de 1876 à 1889. Il fut toute sa vie une figure (...)

18Si les rapporteurs de la loi mettent bien en avant le fait que le père a le choix entre trois modes d’instruction –  école publique, école privée et instruction à domicile – ils se voient opposer des arguments insistant sur les impossibilités matérielles et financières auxquelles risquent d’être confrontées nombre de familles. Ainsi, au nom de la liberté, le sénateur Chesnelong23 n’hésite pas à prétendre défendre la cause des plus pauvres et à enrôler la question de l’instruction dans la famille :

  • 24 Débats parlementaires. Compte rendu de la séance du 16 mars 1882 au Sénat.

« Des écoles libres, il y en a dans les grands centres et nous les y maintiendrons à force de sacrifices, tant du moins qu’elles ne seront pas étouffées par le réseau de lois oppressives que vous avez formé autour d’elles. Mais dans les 28 000 communes de France qui n’ont pas 2 000 âmes de population, il n’y a pas et il ne saurait y avoir d’école libre ; […] Et ne me dites pas qu’il restera aux pères de famille la ressource de l’éducation domestique. Si l’instruction au foyer est à la disposition des favorisés de la fortune, elle n’est à la portée ni des familles pauvres ni même de celles dont la position est restreinte, c’est-à-dire de la grande masse des familles françaises. […] Venir dire à ces familles que leur liberté est sauve, parce qu’elles peuvent appeler un précepteur chez elles, alors que ce moyen coûteux d’éducation n’est pas à leur usage, alors que leur position le leur interdit, je le déclare, c’est une amère moquerie »24.

2. Mise en cause du principe d’un examen, de sa place, de sa fréquence, de la composition des jurys

  • 25 Rapport fait au nom de la Commission chargée d’examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des (...)

19La question de l’examen, donc du contrôle exercé par l’État sur les familles instruisant au domicile, suscite des débats qui mettent en jeu un arrière-plan plus général touchant à la question de savoir de qui l’enfant est « la propriété ». Charles-Hyppolyte Ribière, dans son rapport présenté le 21 mai 1881 rédigé au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi25, fait état de critiques formulées par certains membres de la commission les amenant à envisager de désobéir à la loi. Balayant les arguments présentés par les sénateurs qui s’opposent au principe de l’examen, Ribière considère comme inacceptable

  • 26 Ibid.

« qu’une loi constitutionnellement votée ne fût pas partout et de tous obéie. L’enfant n’est pas une propriété ; les liens qui l’attachent à la famille constituent moins des droits que des devoirs. Le premier soin de ces devoirs est son éducation et son instruction. La société n’intervient que pour s’assurer de son accomplissement ; et le moyen le plus rationnel qui lui soit offert n’est-il pas un examen dont les formes, le lieu et les conditions seront fixés par un règlement et qui sera passé en temps utile, devant des hommes dont il est difficile, surtout à l’avance, de suspecter l’esprit de justice et de sagesse »26.

  • 27 Jean Delsol (1827-1896), sénateur de l’Aveyron de 1876 à 1894. Il siégea à droite, oscillant entre (...)
  • 28 Débats parlementaires. Compte rendu de la séance du 21 mars 1882 au Sénat.

20Lors de la séance au Sénat du 21 mars 1882, le sénateur Jean Delsol27, présente un autre type d’argument pour remettre en cause le principe de l’examen28 :

« Et, en effet, ce n’est pas seulement l’instruction primaire que le père de famille doit à ses enfants, il leur doit encore la nourriture et l’entretien (Art. 203 du code civil). Cet article met sur la même ligne cette triple obligation du père de famille : il doit nourrir, entretenir et élever ses enfants. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’instruction, vous mettez le père de famille en suspicion, vous l’astreignez à venir prouver par un examen annuel, qu’il a rempli ses obligations vis-à-vis de ses enfants ; et lorsqu’il s’agit de nourriture, de l’entretien, vous ne prenez aucune espèce de disposition analogue ».

21Ce raisonnement, révélateur de la défiance de nombre de parlementaires à l’égard d’un pouvoir de l’État jugé excessif conduit le sénateur à formuler un propos à caractère plus général. Il lui apparaît que l’article 16 est totalement contraire à toutes les règles de la législation française, car intervertissant les situations. Au lieu que ce soit à l’autorité de l’État de prouver que le père de famille a manqué à ses obligations, on astreint le père de famille « comme un débiteur de mauvaise foi à prouver qu’il n’y a pas manqué ».

  • 29 Débats parlementaires. Compte rendu de la séance du 23 juillet 1881 à la Chambre des députés.
  • 30 Ibid.

22D’autres débats, en apparence plus techniques car relatifs aux modalités de mise en œuvre de l’examen, ont agité les sénateurs et députés. Un long débat concerne en particulier le moment et la fréquence de l’évaluation. Paul Bert, rapporteur du projet à la Chambre des députés doit en effet développer lors de la séance du 23 juillet 1881, une argumentation soutenue pour s’opposer à une disposition de certains sénateurs visant à instaurer les épreuves d’examen une seule fois, lorsque l’enfant atteint l’âge de 10 ans révolus, en vue de dégager les familles d’une trop grande pression exercée par l’État29. Paul Bert entend montrer que l’article 16 concentre une bonne partie des enjeux de la loi sur l’obligation. Selon le rapporteur, alors que l’article 4 précise que l’instruction est obligatoire à partir de six ans révolus, en cas d’adoption de la proposition sénatoriale relative à un examen unique l’article 16 déclarerait implicitement que l’obligation serait de fait reculée jusqu’à 10 ans. Paul Bert ajoute que, quand les enfants auront subi avec succès l’examen unique, ils pourront ensuite se dispenser de toute autre forme d’enseignement. Un père de famille qui aurait envoyé son enfant à l’école de sept à dix ans, pourrait à bon droit demander à bénéficier du même examen unique. La conséquence en serait que les écoles se videraient des élèves de plus de dix ans. Le rapporteur évoque enfin le cas des enfants qui fréquentent de manière irrégulière l’école, dont les pères seraient ainsi incités à donner une instruction à domicile avec la seule contrainte de l’examen unique à dix ans. « Vous aurez ainsi supprimé, pour cet enfant, quatre années d’une fréquentation scolaire très utile malgré son irrégularité »30. Ces arguments ont été entendus puisque la disposition sénatoriale a été retirée.

23Un autre point d’achoppement porte sur la composition des jurys. Les sénateurs opposés à la loi proposent ainsi qu’il soit prévu qu’un membre de la famille puisse en faire partie. Jules Ferry s’y refuse résolument. Il prend soin de préciser que c’est l’inspecteur primaire et non la commission scolaire qui doit avoir la direction de cette épreuve, et s’emporte face à la suspicion exprimée.

  • 31 Débats parlementaires – Compte rendu de la séance du 21 mars 1882 au Sénat.

« Qui peut les choisir dans un sentiment hostile à tel ou tel enfant ? Ce sont des terreurs imaginaires »31.

  • 32 Ibid.

24On notera toutefois l’esprit de conciliation qui semble animer le ministre puisqu’il reconnaît que l’administration pourra éventuellement choisir comme troisième juré le maître ou le professeur d’un des candidats. De tels choix apparaîtront parfois nécessaires du fait de la pénurie de maîtres pourvus du brevet de capacité ou de titres universitaires32. En revanche, il ne s’agit en aucun cas d’inscrire cette possibilité dans la loi. Tout l’esprit du texte est présent dans cet échange, voulant associer une fermeté, un cadre clair, en admettant une certaine latitude dans l’interprétation de la loi.

III. Modalités et premiers bilans de la mise en œuvre de l’instruction dans les familles et son contrôle

  • 33 AN, F /17/12 214-12 215.

25La volonté du pouvoir d’aller vite dans l’application de la loi étant affirmée, celle-ci est rapidement précisée par une série de textes. Le 7 septembre 1882, une lettre à en-tête de la direction de l’Enseignement primaire est adressée par le ministre aux préfets leur rappelant les différentes étapes ayant suivi la promulgation de la loi du 28 mars33 : appel à la constitution des commissions municipales scolaires dès le 29 mars ; circulaire du 13 juin reprécisant les attributions et fonctions desdites commissions ; envoi le 30 juillet des modèles (le mot est explicitement employé) d’imprimés à utiliser par les maires pour s’adresser aux familles et établir un état de la scolarisation des enfants sous le régime de l’obligation (de 6 à 13 ans).

  • 34 Voir ci-dessus note 13.

26Ces modèles, joints à la lettre ministérielle, correspondent aux différentes situations des familles par rapport à l’instruction de leurs enfants, telles qu’anticipées par le législateur et définies dans le cadre juridique34. En possession de ces imprimés, les maires, sous le contrôle des préfets, sont censés pouvoir effectuer aisément le recensement des élèves en situation d’obligation d’enseignement. Le ministre conclut sa lettre en soulignant auprès des préfets le caractère de « vaste enquête » que contient ce dispositif, et toute son importance quant à l’établissement de « l’exacte vérité sur notre situation scolaire ». Le recensement des élèves déclarés à domicile et des non déclarés permettra de repérer l’existence de toute « commune ou section dépourvue d’école », et de remédier au plus vite à cet état de fait déplorable, conformément aux idéaux de la République.

1. Effectifs, répartition sexuée, absentéisme aux examens des enfants instruits dans les familles

  • 35 Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts, Statistiques de l’enseignement primaire – To (...)
  • 36 AN, F /17/12 214-12 215.

27En application des dispositions précédentes, les inspections académiques ont – département par département – pour mission de faire remonter au ministère les relevés d’élèves instruits à domicile ainsi que les résultats des examens annuels, écrits et oraux, par sexe et par tranche d’âge. On relève en tout 9 905 élèves instruits dans leur famille en France en 1886. Si l’on rapporte cet effectif à celui des enfants âgés de 6 à 13 ans inscrits dans un établissement scolaire (4 743 063), on obtient un résultat montrant bien le caractère marginal de cette option familiale puisque 0,21 % des enfants sont concernés35. Une présentation de quelques chiffres contenus dans quelques rapports départementaux disponibles36 autorise à se faire une idée de ce nombre généralement assez limité d’enfants concernés (de 8 à 13 ans), inscrits comme instruits dans la famille et donc convoqués pour l’examen. Ainsi pour l’année 1885 :

Tableau 1 : nombre d’enfants instruits à domicile et convoqués à l’examen en 1885 dans quelques départements

Département Garçons Filles
Ardennes 12 27
Calvados 46 83
Charente-inférieure 34 91
Doubs 47 56
Haute-Loire 3 13
Indre 11 1
Marne 37 82
Nièvre 9 17
Pyrénées-Orientales 14 10
Rhône 68 113
Seine-et-Oise 27 82
Vosges 10 30
Yonne 20 32
  • 37 Source : nombre d’élèves de six à treize puis quatorze ans dans les écoles primaires – 1876-1958, i (...)
  • 38 Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts, Statistiques de l’enseignement primaire, t.  (...)
  • 39 Cf. Françoise et Claude Lelièvre, Histoire de la scolarisation des filles, Paris, Nathan, 1991 ; Fr (...)
  • 40 Françoise Mayeur, L’éducation des filles en France au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2008, p. 33-34.
  • 41 Il s’agit de Marie d’Agoult qui s’est aussi fait connaître littérairement sous le pseudonyme mascul (...)
  • 42 Rebecca Rogers, Les bourgeoisies au pensionnat. L’éducation des filles au XIXe siècle, Rennes, Pres (...)

28Partout, dans ce petit échantillon, le nombre de filles est supérieur à celui des garçons, sauf dans l’Indre et les Pyrénées-Orientales. Il est possible, pour avoir un ordre d’idée de ce que représentent ces répartitions au regard de la scolarisation des filles et des garçons, de comparer ces chiffres à la répartition nationale des élèves inscrits dans les écoles primaires durant l’année scolaire 1884-188537. On relève 2 313 705 garçons et 2 249 153 filles, ces dernières représentant ainsi 49,3 % des effectifs. Ces données, renseignant sur une fréquentation théorique, permettent de remarquer que la quantité de filles en situation d’instruction à domicile est proportionnellement plus importante que celle que l’on pourrait attendre au regard des effectifs totaux théoriques. En examinant ces répartitions dans les départements considérés en 1886-188738, on retrouve un décalage analogue, excepté quelques situations atypiques. Mentionnons à titre d’illustration les données d’un département très peuplé, tel le Rhône. On constate que les filles représentent 49,8 % des effectifs scolarisés, mais 62,4 % des enfants enregistrés dans une situation d’instruction en famille. Ces quelques éléments donnent à voir que les filles restent plus retenues à la maison, héritage d’une période pendant laquelle elles étaient systématiquement moins scolarisées que les garçons39, ce que Françoise Mayeur désigne sous la formule « le poids des traditions » : « Dans l’aristocratie, dans la bourgeoisie, une vieille tradition veut que le garçon aille achever son éducation loin de sa famille […] pour la fille, la mère suffit »40. Au cours du XIXe siècle, des exemples comme ceux d’Aurore Dupin (future George Sand) ou Marie de Flavigny (future Daniel Stern41), étudiés par Rebecca Rogers, montrent qu’en cas de scolarisation au pensionnat, celle-ci est souvent tardive chez les jeunes filles (13 ans pour Aurore, 16 ans pour Marie), ce qui laisse supposer une éducation et instruction à domicile au préalable42.

  • 43 AN, F/17/12 214-12 215.
  • 44 Ibid.

29Les tableaux statistiques43 font parfois apparaître un décalage notable entre le nombre d’enfants convoqués pour l’examen et le nombre d’enfants effectivement présents. Tout le monde ne répond pas à l’appel ; ainsi dans la Nièvre, sur 26 convoqués, garçons et filles, 17 se sont rendus à l’examen, ce qui fait dire à l’inspecteur d’académie : « Quant aux 9 enfants qui ne se sont pas présentés, j’ai fait prendre des informations sur les motifs que pourraient invoquer les familles responsables ». Dans son rapport de janvier 1886, le préfet du Calvados précise « que sur 129 enfants astreints au dit examen, 39 ne se sont pas présentés et que sur les 92 enfants examinés, 89 ont produit des cahiers établissant qu’ils reçoivent une instruction suffisante et que 3 ont dû subir les épreuves spéciales qui n’ont pas été jugées satisfaisantes »44. Plus d’un quart des enfants convoqués ne se sont donc pas présentés aux épreuves. Ce taux peut être moins élevé (11 % par exemple pour les filles dans le département de la Marne en 1885), mais atteste dans tous les cas une impossibilité de soumettre l’ensemble des enfants concernés à cette obligation de contrôle.

  • 45 La Croix, 17 octobre 1884.

30Ces décalages peuvent sans doute être expliqués par des refus de certaines familles de se soumettre à la procédure d’examen. Le quotidien La Croix du 17 octobre 1884 évoque sous le titre « un noble exemple » le cas du comte d’Anthenaise qui a notifié à l’inspecteur d’académie de son département son refus que ses enfants se rendent à la convocation pour l’examen : « Je manquerais à tous mes devoirs de chrétien et de père de famille en soumettant mes filles à une inquisition aussi inconvenante et aussi odieuse »45.

  • 46 AN, F/17/12 214-12 215.

31Le décalage évoqué plus haut peut aussi être le fait d’une imperfection des statistiques, en particulier au regard des modifications parfois extrêmement rapides de la situation des enfants. Le préfet du Rhône présente ainsi en décembre 1885 un tableau récapitulatif nominal, établi par l’inspecteur d’académie, des enfants qui ne se sont pas présentés ou qui ont été refusés cette année. Sur les 102 élèves qui ne se sont pas présentés, 51 familles ne fournissent aucune excuse, 27 déclarent que leur enfant est en fait inscrit dans un établissement (soit 26,5 % de la population considérée), 7 qu’ils n’ont pas l’âge requis (soit trop jeunes, soit trop âgés au regard de l’obligation scolaire), 7 qu’ils ont déménagé, et 2 qu’ils refusent de se soumettre à la loi. Notons que 8 enfants ont subi en outre les aléas de la vie (maladie, décès, infirmité). Si l’on considère les enfants déclarés comme étant inscrits dans un établissement scolaire, les enfants ayant déménagé et ceux dont l’âge les soustrait à l’obligation scolaire, ce sont 41 enfants (40,2 % de la population considérée) qui ont été convoqués à l’examen alors qu’ils auraient dû en être dispensés. Ces données peuvent être interprétées de deux manières non exclusives. On peut d’une part penser que l’appareil de recueil des données de situation n’est pas encore totalement opérationnel. On peut d’autre part faire l’hypothèse de situations scolaires très fluctuantes, sans doute du fait de la mise en place récente de la loi. Il existerait ainsi une forme de tâtonnement, tant de la part de l’administration que des familles, qui peuvent opter pour l’instruction à domicile dans un premier temps, puis rapidement changer d’avis et inscrire leur enfant dans un établissement scolaire. Les statistiques du département du Rhône46 montrent que dans ce cas les inscriptions se font plus volontiers dans un établissement privé, puisque sur les 27 élèves répertoriés comme inscrits dans un établissement, 7 sont déclarés inscrits dans une école ou un lycée sans précision, alors qu’ils sont 20 à relever d’un établissement privé (dont 7 d’un pensionnat). Il y aurait ainsi une forme de porosité entre la solution de l’instruction à domicile et celle du recours à l’enseignement privé.

  • 47 Ibid.
  • 48 Ibid.
  • 49 Ibid.

32Mentionnons enfin le fait que les préfets et inspecteurs d’académie, qui ne pouvaient que regretter l’écart parfois important entre nombre d’élèves convoqués et nombre d’élèves présents à l’examen, font preuve d’optimisme ou relèvent quelques améliorations notables. Ainsi, dans la conclusion de son courrier de janvier 1886 au ministre, le préfet du Calvados s’appuie sur l’analyse de l’inspecteur d’académie de son département pour ne rien dramatiser : « En me transmettant ces renseignements, M. l’Inspecteur d’académie ajoute qu’il a acquis la certitude que la plupart des enfants qui ne se sont pas présentés reçoivent l’instruction primaire, plusieurs d’entre eux l’instruction secondaire dans leur famille »47. En décembre 1887, le préfet de Charente-inférieure souligne le fait que la loi est appliquée et que tous les pères, même les plus récalcitrants, « finissent par s’y soumettre »48. L’inspecteur d’académie de l’Oise a dû faire montre de persuasion auprès de certaines familles en 1888 : « Le père de la dernière s’y est d’abord refusé, mais après les explications que je lui ai fournies, il nous a donné satisfaction »49.

2. Une adaptation parfois difficile aux réalités locales mais un nombre très limité d’échecs à l’examen de contrôle

33Au terme des deux premières années d’application de la loi, lorsqu’il s’est agi de procéder au contrôle de l’instruction dans les familles, la mise en place des jurys d’examen varie en fonction des situations locales. Comme cela est autorisé par les textes, une certaine souplesse se manifeste dans l’usage de l’épreuve écrite (consultation des cahiers ou épreuve dictée). Le recours à l’épreuve orale est lui aussi laissé à l’appréciation des commissions. L’inspecteur d’académie de la Marne présente ainsi la situation pour l’arrondissement de Châlons-sur-Marne :

  • 50 Ibid.

« Les six enfants astreints à subir l’examen se sont présentés. Bien que les épreuves écrites aient été jugées suffisantes, la commission a procédé néanmoins aux épreuves facultatives de l’examen oral, et elle a été très satisfaite des résultats »50.

  • 51 Ibid.
  • 52 Les statistiques envoyées par les préfets sont d’une interprétation délicate. Les données ne permet (...)

34Dans d’autres cas, les épreuves orales sont très peu utilisées. Dans l’échantillon de données dont nous disposons51, le pourcentage d’enfants convoqués et effectivement interrogés à l’oral est compris entre 0 % (garçons de Haute-Loire en 1884) et 38 % (garçons du Doubs en 1885)52.

  • 53 AN, F17/12214 -12215.

35L’insistance de certains inspecteurs à rendre compte de situations difficiles est révélatrice des inquiétudes relatives à l’organisation de ces jurys. Dans son rapport de novembre 1885, l’inspecteur d’académie de la Marne pointe les absences de certains membres liées à la « violence de la pluie » ou à la nécessité de se rendre auprès d’un « parent en danger de mort » 53. L’inspecteur d’académie de ce même département mentionne dans son rapport de 1891 le retard de certaines épreuves dû à l’absence de pères officiers de garnison de Mourmelon, qui ne pouvaient de ce fait assurer la présentation des cahiers de leurs enfants. L’inspecteur d’académie de la Nièvre, quant à lui, souligne en janvier 1886 les difficultés d’organisation auxquelles sont confrontés les inspecteurs primaires qui, étant soumis « à de nombreuses occupations » ont dû faire subir les épreuves dans le mois qui a suivi la rentrée de 1885, alors qu’il était prévu de convoquer les enfants concernés en août. Outre ces difficultés matérielles, certains inspecteurs d’académie et préfets évoquent de manière parfois implicite des résistances locales freinant la mise en œuvre de la procédure d’examen. Les maires et commissions scolaires sont parfois mis en cause. L’inspecteur d’académie de Charente-inférieure formule des soupçons précis en 1885 :

  • 54 Ibid.

« Cependant j’ai lieu de craindre que tous les enfants élevés dans leurs familles n’aient pas été régulièrement signalés par tous les maires, malgré les lettres qui leur ont été écrites quelquefois à plusieurs reprises. Les enfants inscrits sur les listes, et dont les familles ne se sont pas rendues à la convocation qui leur avait été adressée, ont été signalés aux Maires, en même temps que ceux dont l’instruction était insuffisante. Mais dans l’état actuel de la législation sur l’obligation scolaire, il est bien à craindre que les Commissions scolaires ne prennent aucune mesure sérieuse pour faire respecter la loi »54.

36Le préfet de l’Hérault dans son rapport de 1885 et encore celui de Charente-inférieure dans son rapport de 1895 regrettent des statistiques incomplètes, les communes ne renvoyant pas toutes leurs données.

  • 55 Le tableau ne fait apparaître que les effectifs des élèves ayant effectivement échoué aux épreuves. (...)

37La nature de l’examen avait suscité quelques inquiétudes chez les adversaires de la loi et de l’article 16. Les résultats montrent que le nombre d’élèves qui échouent est très faible. Quand les rapports indiquent que tel enfant doit être inscrit dans une école, c’est bien souvent moins parce qu’il a échoué aux épreuves, que parce que ses parents, n’ayant pas respecté les termes de la loi, n’ont pas présenté leur enfant aux épreuves. Le tableau suivant constitué à partir de l’année 1885 et des mêmes départements que ceux présentés plus haut, permet de confirmer ce constat concernant le petit nombre d’échecs55.

Tableau 2 : échecs à l’examen en 1885

Département Garçons Filles
Ardennes 1 0
Calvados 1 2
Charente-inférieure 1 2
Doubs 1 3
Haute-Loire 0 0
Indre 0 1
Marne 3 5
Nièvre 2 0
Pyrénées-Orientales 1 0
Rhône 2 2
Seine-et-Oise 0 0
Vosges 1 1
Yonne 2 1

38En Seine-et-Oise, où – comme en Haute Loire – il n’y a pas de refusés en 1885, il est noté que deux garçons et trois filles de 11 à 12 ans possèdent déjà le certificat d’études primaires.

  • 56 AN, F17/12214-12215.

39Deux procès-verbaux joints à l’envoi du préfet de la Marne au ministre en novembre 1894 permettent d’éclairer certaines des raisons des échecs56. La commission d’examen qui se tient dans la commune de Pontfaverger pour l’enfant Armand Garé, né le 30 janvier 1883, comprend l’inspecteur primaire en résidence à Reims, l’instituteur public de Saint-Masmes, et l’adjoint au maire de Pontfaverger. Les conclusions sont ainsi formulées :

« A reconnu à l’unanimité que ledit enfant n’a reçu depuis un an qu’une instruction absolument insuffisante. Il est incapable d’analyser couramment les noms ou les verbes d’une phrase ; il n’a pas encore la pratique des règles fondamentales de l’arithmétique ; ses connaissances en géographie sont nulles ou à peu près ».

40Dans la commune de Cernay-les-Reims (canton de Beine), les résultats de l’examen, subi par Jean Léon Destruelles, né le 1er septembre 1883, sont consignés dans le registre des délibérations de la commission municipale scolaire de la commune :

« La commission a constaté avec regret que l’instruction reçue par cet enfant est insuffisante. Les cahiers qu’il a présentés donnent une suite d’exercices peu variés où domine la copie. L’enfant est encore incapable de faire couramment les quatre opérations fondamentales de l’arithmétique et il ne possède que des notions très vagues sur la géographie ».

3. Une forme de différenciation sociale dans le recours à l’instruction domestique et les réponses différenciées de l’institution

41Le choix de la modalité d’instruction est présenté comme un principe qui doit être offert à toutes les familles quelle que soit leur origine. Plusieurs indices tendent pourtant à montrer que les usages des différentes formes d’instruction sont fortement marqués socialement, et que l’institution accepte, d’une certaine façon, ce mode de partition.

  • 57 Archives municipales de Grenoble, 1R1.
  • 58 Représentant de commerce.
  • 59 Dans 3 cas sur les 38, la profession n’a pu être identifiée car les déclarations manuscrites ne son (...)

42Une analyse des déclarations d’instruction à domicile pour les années 1886 et 1887 dans la ville de Grenoble révèle clairement une appartenance majoritaire des familles qui y recourent à un milieu social et financier aisé. Sur les 38 déclarations que nous avons pu relever57, on ne note que deux cas d’origine assez modeste (voyageur58, employé au Crédit lyonnais)59. Les autres situations concernent des professions intellectuelles (professeur de faculté), du droit (avocat, avoué, fonctions d’inspection, etc.), des domaines commercial et industriel (négociant, industriel, ingénieur, etc.). On note une proportion non négligeable de « rentiers » et « rentières » et de femmes déclarées « sans profession ». Mentionnons à titre anecdotique que le préfet de l’Isère Charles Massat déclare confier l’instruction de sa fille à une institutrice intervenant au sein de la famille.

43Même si nous avons pu relever dans d’autres départements quelques cas de familles modestes (le préfet du Doubs fait état de deux échecs à l’examen en 1886, le père de l’un des enfants étant chiffonnier, l’autre fumiste), il est clair que ce sont prioritairement des familles ayant des ressources financières et intellectuelles élevées qui ont recours à l’instruction à domicile. Quand on compare la profession des parents des enfants instruits à domicile à celle des parents appelés à comparaître devant la commission municipale scolaire du fait de l’absentéisme de leur enfant, la différence est criante. La liste établie par la commission scolaire municipale de Grenoble fait état, en juin 1884, pour ces derniers, de blanchisseuse, manœuvre, applicateur de ciment, peintre, tailleur, cordonnier, etc.

44Face à l’obligation d’instruction, il y aurait ainsi deux manières de recourir au dispositif d’instruction domestique pour se soustraire à la forme scolaire : l’une, parfaitement légale, tributaire de la position financière et culturelle favorable de la famille, l’autre, socialement plus contrainte, utilisée par quelques parents n’envoyant pas leur enfant à l’école pour diverses raisons, et entendant dans certains cas se donner des apparences de légalité.

  • 60 AN, F17/12214-12215
  • 61 AN, F17/12214-12215

45Si les familles semblent développer des stratégies différentes d’utilisation des modalités d’instruction offertes par la loi de mars 1882, qu’en est-il de l’action de l’institution face à ces formes de différenciation ? Il convient de relever ce que, d’après plusieurs documents, nous pouvons appeler une certaine mansuétude républicaine à l’endroit de familles « très aisées » dont le fait qu’elles donnent véritablement l’instruction à domicile ne fait l’objet d’aucune mise en doute. Dans le rapport du préfet de la Marne en 1891, on relève par exemple ces formulations : parmi les filles convoquées pour l’examen, « 3 ne se sont pas présentées et n’ont pas envoyé de cahiers de devoirs », mais « les parents très riches leur font manifestement donner l’instruction »60. L’inspecteur d’académie de la Charente-inférieure – reconnaissant en quelque sorte l’impuissance de l’administration scolaire face à la résistance de certaines familles aisées – pointe en 1888 que le baron de Werthamon refuse pour la quatrième fois de laisser ses enfants se soumettre à l’examen61. Ces faits sont à rapprocher de quelques propos qui peuvent apparaître étonnants, tels ceux prononcés par Ferdinand Buisson à la Chambre en 1913 :

  • 62 Chambre des députés, 10e législature, proposition n° 2684. Annexe au procès-verbal de la 2e séance (...)

« Même pour l’enseignement le plus élémentaire, pour celui que la loi rend obligatoire, le droit d’ingérence de la société se borne à s’assurer que l’enfant n’est pas frustré de ce minimum d’éducation : la loi sur l’enseignement primaire y a pourvu par un examen annuel (art. 16 de la loi du 28 mars 1882). À plus forte raison les pouvoirs publics n’ont-ils pas à se préoccuper du sort des enfants de famille très aisée, élevés à domicile par les soins des parents ou des précepteurs »62.

  • 63 AN, F17/12214-12215 – Extrait d’un rapport de M. l’Inspecteur d’Académie des Côtes-du-Nord, 2 avril (...)

46En comparaison, la République se montre beaucoup plus exigeante avec des familles modestes qui, d’après des pointages effectués par les inspections académiques, n’envoient pas régulièrement leurs enfants à l’école, sans pour autant les instruire réellement à domicile. Un document issu de l’inspection académique des Côtes-du-Nord, daté du 2 avril 191363, rend compte de la tenue d’une commission scolaire, le premier dimanche de chaque mois, en présence des parents et des enfants dont il a été relevé qu’ils ont manqué « quatre classes dans le mois » (en conformité avec l’article 12 de la loi). L’inspecteur d’académie, qui rédige le rapport, souligne la nécessité de convoquer les parents, d’où le choix du dimanche. L’administrateur note que les parents « ont peur ; [ils] sont, le plus souvent, émus, car la commission juge dans une vaste salle décorée et non sans un certain air de solennité ». La séance baigne dans une atmosphère de moralisation des familles ; on prend soin de ne prononcer aucun mot qui puisse les « blesser » (ce point est souligné) tout en obtenant d’elles – à qui l’on adresse de « paternelles remontrances » – l’engagement d’envoyer désormais régulièrement leurs enfants à l’école. « Sans s’excuser auprès des parents qui pourraient avoir des raisons valables pour retenir leurs enfants à la maison, on les reçoit avec bonté… ». L’inspecteur d’académie conclut son rapport en mettant l’accent sur l’importance de ces réunions qui permettent de « s’attacher » les familles, l’objectif étant « d’amener les pères et mères à tenir les promesses, qu’ils font si spontanément en séance, quand ils sont traduits à “la barre” de la Commission scolaire ». Du point de vue de la République donc, deux types de milieux sociaux, deux mesures du rapport à l’école…

Conclusion

47Au moment même où la Troisième République consacre la forme scolaire en faisant de l’école le fondement de la relation du futur citoyen à la nation, en la rendant obligatoire et en prétendant aligner ses contenus sur le Progrès, la Raison, la Science, dans une perspective universaliste, il est paradoxal de relever qu’elle anticipe et organise la possibilité pour certaines familles d’échapper à l’emprise de cette forme, sous l’espèce de l’instruction à domicile. Contrairement à l’image autoritaire, voire « totalitaire » qui lui a été appliquée par les partis d’opposition, c’est donc plutôt celle d’une République libérale, désireuse de respecter les consciences, qui émerge, à l’instar d’un personnage aussi influent qu’a été dans le domaine scolaire Jules Ferry.

48Ce libéralisme à géométrie variable s’apparente presque à du laxisme en matière de contrôle, notamment dans la relation avec les familles aristocrates ou de la haute bourgeoisie, franchement oppositionnelles, qui refusent l’école, comme si l’autorité publique n’avait pas de doute sur l’effectivité de cette instruction dans des milieux culturellement développés ou financièrement aisés et comme si la République renonçait à guerroyer pour si peu dans un combat sans doute perdu d’avance concernant une si petite minorité qui ne l’intéresse pas vraiment. Dans d’autres cas, à propos des familles populaires, peu à même de pratiquer l’instruction compte tenu de leurs ressources culturelles initiales, la République entend faire preuve au contraire de fermeté, car le public concerné, est alors « son » public, qu’il convient d’amener dans son giron, au nom d’un argument assez fort, selon lequel un adulte, privé d’instruction dans son enfance, certes en raison d’un choix de ses parents, serait tout à fait en droit d’en imputer la responsabilité à l’État et d’en demander réparation.

  • 64 Ainsi, dans les années 1910, des rapports d’inspection indiquent la désertion au moins temporaire d (...)
  • 65 AN, F17/12214-12215. Projet de modifications à apporter à la loi du 28 mars 1882, exposé des motifs (...)
  • 66 En fonction à ce poste de 1879 à 1896.

49Le regard porté sur les données archivistiques que nous avons pu consulter confirme qu’entre l’édiction d’une loi et son inscription complète dans la réalité, un temps plus ou moins long s’avère nécessaire64 en raison de difficultés administratives d’une part, de modes de réaction négative, soit totalement conscientisés et revendiqués, soit plus informels, d’autre part, en provenance de catégories de population pouvant être très différentes. D’une certaine manière, l’institution intègre ces formes de résistance potentielle et réelle, et cherche les moyens les plus adaptés pour y faire face, notamment en faisant évoluer l’instrument des commissions municipales scolaires. Un projet de modification de la loi du 28 mars 1882 le relève en 1906 : « Presque partout les commissions scolaires n’ont pas rempli leur tâche. C’est à peine si elles ont pu se constituer dans 14 000 communes sur 36 000 »65, ce qui justifie la volonté, exprimée un peu plus tard par Ferdinand Buisson, le directeur de l’enseignement primaire66 nommé par Jules Ferry, de renforcer l’intervention de l’État, tout en maintenant la dialectique ferryste liberté de conscience/devoir étatique :

  • 67 Proposition de loi relative à l’enseignement privé secondaire et primaire, présentée par F. Buisson (...)

« [la nation] ne pénètre pas au foyer. Nul inspecteur ne peut en franchir le seuil. Intra privatos parietes, le père reste souverain. […] Dans l’éducation d’un enfant – ne nous lassons pas de le redire – il y a deux responsables : la famille d’abord, ensuite l’État. S’agit-il de l’enseignement élémentaire obligatoire ? C’est l’État qui fixe la loi, c’est l’État qui en assure l’exécution : avec la famille, si elle fait son devoir, sans elle, si elle vient à manquer ; contre elle, si elle résiste à la loi »67.

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Notes

1 Journal officiel de la République française, Loi du 28 mars 1882, art. 4. Idem pour les articles suivants, 7 et 16.

2 Articles L 131-1 et L 131-2 du Code de l’éducation.

3 Nous retenons une définition, parmi d’autres possibles : délimitation d’un espace spécifique séparé pour l’enseignement des enfants, prédominance de normes, règles et règlements collectifs (temps minutieusement réglé, soumission à des exercices, importance décisive de l’autorité magistrale). Cf. Guy Vincent, L’école primaire française, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1980.

4 Archives nationales [désormais AN], F/17/12214-12215. Archives municipales de Grenoble, 1R1, 1R19, 1R20.

5 Les bornes de la période étudiée sont déterminées par les documents d’archives analysés, mais aussi, en amont par les débats préparant les grandes lois scolaires de Jules Ferry, et en aval par la césure imposée par la Première Guerre mondiale.

6 Jules Ferry l’a été du 4 février 1879 au 23 septembre 1880, puis du 31 janvier au 29 juillet 1882, enfin du 21 février au 20 novembre 1883 (dans la période où il a été une nouvelle fois Président du Conseil, du 21 février 1883 au 30 mars 1885, cumulant donc un court temps les deux portefeuilles).

7 Mona Ozouf, Jules Ferry : la liberté et la tradition, Paris, Gallimard, 2014, p. 100.

8 Journal officiel de la République française, loi du 28 mars 1882, art. 5.

9 Ibid.

10 Le premier rapport statistique sur l’instruction primaire remonte à 1829, des inventaires des établissements d’instruction publique ayant même été établis dès 1791. Cf. Jean-Noël Luc, La statistique de l’enseignement primaire aux XIXe et XXe siècles. Politique et mode d’emploi, Paris, INRP/Economica, 1985 ; voir aussi Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie, Françoise Huguet, Jean-Noël Luc, Antoine Prost, Pierre Caspard, L'enseignement primaire et ses extensions, XIXe-XXe siècles. Annuaire statistique. Écoles maternelles, primaires, primaires supérieures et professionnelles, Paris, Economica/INRP, 1987.

11 Création en 1876 d’une commission permanente d’organisation de la statistique de l’enseignement primaire, sous la présidence d’Emile Levasseur. Jean- Noël Luc, La statistique de l’enseignement primaire aux XIXe et XXe siècles…, op. cit.

12 Jean-Noël Luc, op. cit. p. 48.

13 Journal officiel de la République française, loi du 28 mars 1882, art. 8.

14 AN, F/17/12214 – F/17/12215. Une lettre du ministre aux préfets du 7 septembre 1882 préconise l’utilisation de ces formulaires.

15 Journal officiel de la République française, loi du 28 mars 1882, art. 12.

16 Arrêté du 22 décembre 1882 fixant les conditions des Examens prescrits par la loi du 28 mars 1882 pour les enfants qui reçoivent l’instruction dans la famille.

17 « De huit à neuf ans : Écriture ; De neuf à dix ans : Écriture. Premiers éléments d'arithmétique (addition, soustraction) ; De dix à onze ans : Dictée d'orthographe usuelle. Éléments d'arithmétique : les quatre règles, opérations sur des nombres entiers ; De onze à douze ans : Dictée d'orthographe usuelle. Notions du système métrique. La géographie de la France. De douze à treize ans : Dictée d'orthographe usuelle. Éléments d'arithmétique et de système métrique. Les grands faits et les grands hommes de l'histoire de France ».

18 Circulaire du 12 septembre 1884 adressée aux préfets relative aux examens des enfants instruits à domicile.

19 Paul Bert (1833-1886), député de l’Yonne de 1872 à 1886. Il fut un éphémère ministre de l’Instruction publique et des Cultes, de novembre 1881 à janvier 1882. Il défendit les projets Ferry en assurant en particulier la fonction de rapporteur de la commission d’enseignement de la Chambre. Il fit partie du groupe de l’Union républicaine. Voir Mona Ozouf, L’École, l’Église et la République (1871-1914), Paris, Seuil, 2007.

20 Charles-Hippolyte Ribière (1822-1885), sénateur de l’Yonne de 1876 à sa mort en 1885. Courant de la gauche républicaine. Voir Adolphe Robert, Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Genève, Slatkine, 2000, (1e éd., 1889).

21 Marie-Raymond de Lacroix de Ravignan (1829-1891), sénateur des Landes de 1876 à 1888. Issu d’une famille d’ancienne noblesse du Béarn, il appartint toute sa vie à la mouvance conservatrice monarchiste et catholique. Voir Adolphe Robert, Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français…, op. cit.

22 Débats parlementaires. Compte rendu de la séance du 13 juin 1881 au Sénat.

23 Charles Chesnelong (1820-1899), sénateur inamovible de 1876 à 1889. Il fut toute sa vie une figure de la droite conservatrice et catholique, partisan du rétablissement de la monarchie. Voir Jean-Marie Mayeur, Alain Corbin (dir.) et Arlette Schweitz, Les immortels du Sénat, 1875-1918. Les cent seize inamovibles de la Troisième République, Paris, Éditions de la Sorbonne, 1995.

24 Débats parlementaires. Compte rendu de la séance du 16 mars 1882 au Sénat.

25 Rapport fait au nom de la Commission chargée d’examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, tendant à rendre l’enseignement primaire obligatoire, par M. Ribière, sénateur – séance du 21 mai 1881, Journal officiel de la République française, 29 et 31 mai 1881, annexe n° 254.

26 Ibid.

27 Jean Delsol (1827-1896), sénateur de l’Aveyron de 1876 à 1894. Il siégea à droite, oscillant entre le courant des républicains conservateurs, le centre droit, et le courant monarchiste. Voir Adolphe Robert, Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français…, op. cit.

28 Débats parlementaires. Compte rendu de la séance du 21 mars 1882 au Sénat.

29 Débats parlementaires. Compte rendu de la séance du 23 juillet 1881 à la Chambre des députés.

30 Ibid.

31 Débats parlementaires – Compte rendu de la séance du 21 mars 1882 au Sénat.

32 Ibid.

33 AN, F /17/12 214-12 215.

34 Voir ci-dessus note 13.

35 Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts, Statistiques de l’enseignement primaire – Tome quatrième, 1886-1887, p. LXXXIII. Nous ne disposons pas des données de scolarisation pour la population des 8-13 ans, qui auraient permis d’obtenir un pourcentage plus juste. Si l’on retire des effectifs considérés les élèves inscrits en école maternelle, on relève un nombre total d’enfants scolarisés de 4 629 268, ce qui ne modifie pas le pourcentage général de 0,21.

36 AN, F /17/12 214-12 215.

37 Source : nombre d’élèves de six à treize puis quatorze ans dans les écoles primaires – 1876-1958, in Jean-Pierre Briand et al., L'enseignement primaire et ses extensions, XIXe-XXe siècles …, 1987, op. cit. p. 135.

38 Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts, Statistiques de l’enseignement primaire, t. 4, 1886-1887, op. cit., p. 190-193.

39 Cf. Françoise et Claude Lelièvre, Histoire de la scolarisation des filles, Paris, Nathan, 1991 ; Françoise Mayeur, « Garçons et filles du XIXe au XXe siècle : une éducation différente », Enfance, t. 34, n°1-2, 1981, p. 43-52.

40 Françoise Mayeur, L’éducation des filles en France au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2008, p. 33-34.

41 Il s’agit de Marie d’Agoult qui s’est aussi fait connaître littérairement sous le pseudonyme masculin de Daniel Stern.

42 Rebecca Rogers, Les bourgeoisies au pensionnat. L’éducation des filles au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 91-93.

43 AN, F/17/12 214-12 215.

44 Ibid.

45 La Croix, 17 octobre 1884.

46 AN, F/17/12 214-12 215.

47 Ibid.

48 Ibid.

49 Ibid.

50 Ibid.

51 Ibid.

52 Les statistiques envoyées par les préfets sont d’une interprétation délicate. Les données ne permettent pas de connaître systématiquement le nombre d’enfants présents parmi ceux qui ont été convoqués. Dans la plupart des cas, il n’est possible que de calculer le rapport « nombre d’enfants ayant subi des épreuves orales »/« nombre d’enfants convoqués ». C’est ce qui nous permet de calculer la fourchette : 0 % à 38 %.

53 AN, F17/12214 -12215.

54 Ibid.

55 Le tableau ne fait apparaître que les effectifs des élèves ayant effectivement échoué aux épreuves. Les effectifs indiqués dans les tableaux des préfectures sont généralement plus élevés car y sont ajoutés les effectifs d’élèves qui ne se sont pas présentés et pour lesquels on demande une inscription dans un établissement.

56 AN, F17/12214-12215.

57 Archives municipales de Grenoble, 1R1.

58 Représentant de commerce.

59 Dans 3 cas sur les 38, la profession n’a pu être identifiée car les déclarations manuscrites ne sont pas apparues suffisamment lisibles.

60 AN, F17/12214-12215

61 AN, F17/12214-12215

62 Chambre des députés, 10e législature, proposition n° 2684. Annexe au procès-verbal de la 2e séance du 23 mars 1913, p. 44.

63 AN, F17/12214-12215 – Extrait d’un rapport de M. l’Inspecteur d’Académie des Côtes-du-Nord, 2 avril 1913.

64 Ainsi, dans les années 1910, des rapports d’inspection indiquent la désertion au moins temporaire de l’école dans certaines régions plus particulièrement ; cf. Jean Peneff, Écoles publiques, écoles privées dans l’Ouest : 1880-1950, Paris, L’Harmattan, 1987, [2010].

65 AN, F17/12214-12215. Projet de modifications à apporter à la loi du 28 mars 1882, exposé des motifs (exemplaire destiné à M. le Directeur de l’Enseignement primaire, 27 décembre 1906).

66 En fonction à ce poste de 1879 à 1896.

67 Proposition de loi relative à l’enseignement privé secondaire et primaire, présentée par F. Buisson, Chambre des députés, n° 2684, session de 1913, 10e législature, p. 8 et p. 27.

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Pour citer cet article

Référence papier

André D. Robert et Jean-Yves Seguy, « L’instruction dans les familles et la loi du 28 mars 1882 : paradoxe, controverses, mise en œuvre (1880-1914) »Histoire de l’éducation, 144 | 2015, 29-52.

Référence électronique

André D. Robert et Jean-Yves Seguy, « L’instruction dans les familles et la loi du 28 mars 1882 : paradoxe, controverses, mise en œuvre (1880-1914) »Histoire de l’éducation [En ligne], 144 | 2015, mis en ligne le 31 décembre 2018, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/3033 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.3033

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Auteurs

André D. Robert

Université Louis Lumière Lyon 2

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