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Notes critiques

Prost (Antoine), Ory (Pascal). Jean Zay, le ministre assassiné 1940-1944

Paris : Taillandier/Canopé, 2015, 158 p.
Jean-Yves Seguy
p. 264-267
Référence(s) :

Prost (Antoine), Ory (Pascal). Jean Zay, le ministre assassiné 1940-1944. Paris : Taillandier/Canopé, 2015, 158 p.

Texte intégral

1« Si nous avions, dans l’histoire de l’évolution scolaire française, quelques lustres aussi riches en innovations hardies que ces deux dernières années, il y aurait bientôt quelque chose de changé dans l’éducation française ». Cette citation de Célestin Freinet en 1938, que rapportent les deux auteurs de l’ouvrage consacré à Jean Zay, Antoine Prost et Pascal Ory, est révélatrice à un double titre de ce que représenta l’action politique du ministre entre 1936 et 1939. Jean Zay a manifesté en premier lieu une réelle ouverture à différentes formes d’innovation, que ce soit dans le cadre de l’Éducation nationale, en accordant une place prépondérante aux pratiques relevant de l’éducation nouvelle, ou dans celui des Beaux-Arts, en modernisant les formes et les cadres d’expression de la culture. En second lieu, ce que souligne Freinet, c’est sa volonté affirmée de réformer les institutions par tous les moyens, en proposant des lois, en contournant certaines pesanteurs politiques par la voie de procédures réglementaires, ou en valorisant les expérimentations de terrain susceptibles d’être ensuite étendues et diffusées à une plus large échelle.

2A travers cet ouvrage riche, clair et superbement illustré, Antoine Prost et Pascal Ory nous présentent, au-delà des éléments de biographie de Jean Zay, toute la puissance de son action politique au sein de l’important ministère qu’il a dirigé, englobant à la fois l’Éducation, la Recherche, les Beaux-Arts, le Sport et les Loisirs. Au moment où Jean Zay bénéficie enfin d’une reconnaissance du grand public à l’occasion de son entrée au Panthéon en mai 2015, ce livre permet de compléter les tableaux nécessairement brefs qui ont pu être dessinés à l’occasion pour caractériser la vie et la politique de cet homme.

3Dans une première partie, les auteurs exposent quelques éléments importants de la jeunesse de Jean Zay. On comprend pleinement, au vu de l’évocation de ses racines familiales et de son entrée en politique, les fondements de sa future action ministérielle. Les deux parties suivantes, qui constituent l’essentiel de l’ouvrage, sont consacrées à la présentation de son action au ministère, d’une part pour ce qui concerne l’Éducation, d’autre part pour les Beaux-arts et la Culture. La dernière partie du livre rend compte de la fin tragique de Jean Zay et des événements qui l’ont précédée. L’ouvrage se conclut en mettant en évidence la manière dont la mémoire de l’homme politique a été honorée au lendemain de la guerre, la figure du ministre assassiné apparaissant ensuite quelque peu oubliée, à l’exception de rares commémorations dans des manifestations locales à Orléans, pour progressivement donner lieu à une nouvelle reconnaissance nationale, qui voit son aboutissement dans la décision d’accueillir Jean Zay au Panthéon.

4La partie centrale de l’ouvrage montre l’ampleur des réformes et des projets de réforme engagés par le ministre : réorganisation du ministère, création du premier et du second degré, des classes d’orientation, des classes de fin d’études primaires à l’occasion du report de la scolarité obligatoire à 14 ans, mise en réseau des centres d’orientation, promotion des activités dirigées et du sport, réorganisation et rationalisation de la recherche, soutien aux institutions culturelles et artistiques, politique de « popularisation » de la culture, etc. Au-delà de cette présentation qui aurait pu n’être que juxtaposition d’une série d’actions politiques, Antoine Prost et Pascal Ory s’attachent à montrer la cohérence politique et humaine de l’œuvre de Jean Zay. Ils mettent ainsi en avant les atouts essentiels du personnage : une intelligence « vive, souple, pénétrante » (p. 35), des qualités d’orateur, une grande puissance de travail, et surtout la capacité à savoir s’entourer de collaborateurs de premier plan, penseurs et acteurs essentiels de l’éducation.

5Ces caractéristiques personnelles sont sans doute à la base des méthodes qu’il adopte pour que les réformes soient effectivement mises en œuvre. Il s’agit pour lui de se dégager des pratiques antérieures, visant à faire appliquer des mesures à partir d’injonctions de l’administration centrale et rectorale. Il importe dès lors d’expérimenter, et de mobiliser les enseignants qui ne sont plus de simples exécutants, mais deviennent des acteurs. « Cette façon de gouverner fut décisive. Il ne suffit pas d’avoir des idées et de prendre des décisions : il faut les faire passer dans les faits » (p. 76). L’exemple présenté par Antoine Prost et Pascal Ory à propos des classes de fin d’études primaires est à cet égard éclairant. Le ministre leur fixe une triple mission : assurer un complément d’instruction, favoriser une initiation à la culture et préparer l’orientation professionnelle. Ces principes étant énoncés, il laisse toute liberté d’initiative aux instituteurs intervenant dans ces classes. « Imposée par les circonstances, cette démarche n’en est pas moins caractéristique de sa méthode : faire appel aux initiatives et les laisser se développer avant d’intervenir » (p. 59).

6Outre cette méthode de travail, ce qui ressort de l’ouvrage, c’est cette exigence d’ouverture, de prise en compte et de considération des innovations, en particulier pédagogiques. La référence à l’éducation nouvelle est explicite tout au long de son passage au ministère. La présence à ses côtés de personnages tels Albert Châtelet ou Gustave Monod n’est sans doute pas étrangère à l’expression de cette volonté pédagogique et politique. Là encore, l’exemple présenté par les auteurs à propos des classes de fin d’études primaires est emblématique d’une détermination à rapprocher l’école de la vie. « L’école ne se définit pas par la clôture au monde ; l’ouverture sur la vie n’est ni une distraction ou un supplément, mais un fondement » (p. 60), principe qu’il conviendra de réaffirmer dans un autre cadre quand il importera de défendre les « loisirs dirigés » rebaptisés « activités dirigées ». Ces idées sont par ailleurs affirmées avec force quand il s’agit de définir les finalités de l’éducation. Comme le rappellent les auteurs, le préambule des instructions du second degré précise que le rôle de l’enseignant doit être de cultiver « tout ce qui fait l’excellence de l’homme : l’intelligence, le cœur, le caractère, le sens moral, le goût du beau » (p. 70). L’individu est ainsi considéré dans sa globalité. L’enseignant doit alors s’employer à organiser, mesurer, diriger, contrôler le travail des élèves, et à se départir de son rôle de « conférencier ». Au-delà de l’affirmation de ces principes pédagogiques, c’est la « portée citoyenne » sous-jacente à cette conception que révèlent Antoine Prost et Pascal Ory. L’enseignant ne peut pas s’enfermer dans une posture autoritaire visant à imposer des modes de pensée. Et les auteurs de citer ce bel extrait d’un texte qu’il conviendrait de porter aujourd’hui à la connaissance de nombres d’acteurs du système éducatif : « La méthode d’autorité est absolument étrangère à l’esprit de cet enseignement. Les maîtres habituent les élèves à voir par leurs yeux et à penser de leur chef, puis à dire librement, sincèrement, ce qu’ils auront vu et pensé ; à ne s’incliner devant l’autorité d’aucun maître, pas même le leur, et à ne rendre les armes qu’à l’évidence, mais à les lui rendre honnêtement, toujours » (p. 73). Les auteurs établissent un intéressant rapprochement entre ce que le ministre prône ici, et ses propres pratiques de décideur politique, mettant ainsi en évidence la cohérence qui traverse continuellement l’ensemble de ses pensées et de ses actions.

7Cet ouvrage permet en 160 pages de disposer d’une approche très complète de la vie et de l’œuvre de Jean Zay. Il sera possible d’enrichir cette lecture par la consultation des références indiquées à la fin du livre. Les auteurs ont su montrer l’essentiel : la puissance d’une pensée et d’une action politique. Même s’il est rappelé que Jean Zay n’a pu mettre en œuvre toutes ses réformes, y compris pour des raisons liées à des oppositions conservatrices au sein de son propre camp politique (les radicaux), même si un front de refus semblait s’affirmer avec de plus en plus de force à la veille de la guerre, on peut considérer que nombre de ses initiatives ont constitué les bases de réalisations ultérieures. Les auteurs citent ainsi parmi les nombreux prolongements de la politique de Jean Zay, la décentralisation théâtrale, la lecture publique et les maisons de Jeunes et de la Culture qui peuvent être considérées comme la « généralisation des expériences proposées par les associations ou les associés du Front populaire et testées sous l’égide du ministre » (p. 121).

8Il est impossible enfin de ne pas mentionner la qualité des illustrations de l’ouvrage. De nombreuses photographies dévoilent Jean Zay dans ses fonctions officielles au ministère, lors de visites et rencontres diverses, mais aussi dans son cadre familial. Les illustrations révèlent également des courriers, des brouillons de textes officiels, mettant ainsi en valeur les dessous des politiques en phase d’élaboration. Certains documents montrent en outre la qualité du style de Jean Zay. Le texte rédigé à l’occasion des obsèques de Maurice Ravel en 1937 en est une très belle illustration.

9On saisit en lisant l’ouvrage d’Antoine Prost et Pascal Ory toute l’importance politique et les qualités humaines du personnage. On ne peut s’empêcher dans un exercice mental certes un peu inutile, de rêver à l’action qu’aurait pu mener Jean Zay après la guerre, si le régime de Vichy n’avait pas poursuivi de sa haine un homme qui représentait du fait de ses convictions, de sa manière de concevoir la politique et les rapports humains, un ennemi à abattre.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Yves Seguy, « Prost (Antoine), Ory (Pascal). Jean Zay, le ministre assassiné 1940-1944 »Histoire de l’éducation, 142 | 2014, 264-267.

Référence électronique

Jean-Yves Seguy, « Prost (Antoine), Ory (Pascal). Jean Zay, le ministre assassiné 1940-1944 »Histoire de l’éducation [En ligne], 142 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/3013 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.3013

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Auteur

Jean-Yves Seguy

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