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Notes critiques

Mercier (Charles). Autonomie, autonomies. René Rémond et la politique universitaire aux lendemains de Mai 68

Paris : Publications de la Sorbonne, 2015, 283 p.
Emmanuelle Picard
p. 278-281
Référence(s) :

Mercier (Charles). Autonomie, autonomies. René Rémond et la politique universitaire aux lendemains de Mai 68. Paris : Publications de la Sorbonne, 2015, 283 p.

Texte intégral

1Dans cet ouvrage tiré de sa thèse René Rémond, Nanterre et l’Université : les enfantements de 68 (1968-1976), soutenue en 2011 sous la direction de Philippe Boutry, Charles Mercier a choisi de présenter la partie de son travail plus directement consacrée au rôle de René Rémond dans la définition et la mise en œuvre de la politique universitaire nationale, durant les années qui suivent immédiatement la loi Faure, au-delà de sa seule fonction de président de l’université de Nanterre.

2La loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968 met fin à 150 ans de régime facultaire (les universités ont été recréées par Napoléon en 1808 sous forme de facultés, à la suite de leur interdiction par les Conventionnaires en 1793) en créant des universités pluridisciplinaires, auxquelles elle attribue une marge de manœuvre inédite : chaque établissement, doté dorénavant d’un exécutif et de conseils élus (autonomie administrative), dispose de la part de son budget qui ne concerne pas les traitements des personnels titulaires (autonomie financière), dans la perspective de mettre en œuvre son projet de formation (autonomie pédagogique). On connaît la théorie (le contenu de la loi), on constate aussi que 15 ans plus tard, en 1984, une seconde loi (dite loi Savary, du 24 janvier 1984), semble nécessaire pour réaffirmer l’autonomie accordée aux universités en 1968. Mais entre les deux, on sait peu de choses des conditions dans lesquelles se sont constituées les universités post-68 et comment a été (ou n’a pas été) mise en œuvre l’autonomie accordée. C’est à combler cette lacune que s’attache Charles Mercier, dans sa thèse et dans cet ouvrage, autour de l’étude d’un acteur important de ce processus, René Rémond, professeur d’histoire contemporaine, premier président de l’université Paris X-Nanterre de 1971 à 1976, et membre influent de la Conférence des présidents d’université (CPU), créée en 1971. Cette séquence temporelle est particulièrement intéressante, car elle recoupe très exactement celle de la fenêtre d’opportunité ouverte par la loi Faure, qui se referme avec la nomination d’Alice Saunier-Séïté marquant l’arrêt du processus d’autonomisation engagé. Elle permet de comprendre, de façon détaillée, les différentes étapes et les différentes thématiques qui balisent l’épisode, et qu’il serait fastidieux de détailler ici (parmi eux, la formation des maîtres, les diplômes de premier et de deuxième cycles, la réforme du Conseil consultatif des universités, ou encore la scission de l’université d’Aix-Marseille).

3Mais au-delà d’un récit détaillé, qui sera fort utile pour de nombreux chercheurs, l’ouvrage permet d’envisager deux questions centrales pour qui s’intéresse à l’histoire de la politique universitaire à la période contemporaine. La première d’entre elles concerne les acteurs engagés dans l’élaboration, la décision et l’application des conséquences de l’autonomie universitaire accordée en 1968, et particulièrement le rôle respectif des universitaires, des institutions académiques et de l’administration dans le processus. La narration des différents épisodes nourrit, sans toutefois y répondre totalement, une stimulante interrogation sur le rôle relatif des individus, des collectifs et des institutions. La responsabilité individuelle de certaines figures (René Rémond bien évidemment, mais aussi Jean Sirinelli, Jean-Louis Quermonne, ou encore Jean-Pierre Soissons parmi d’autres), est mise en avant, quand peinent davantage à s’affirmer des collectifs efficaces telle que la CPU. Comme souvent dans le monde académique, et particulièrement durant cette période encore dominée par les figures mandarinales, l’action individuelle semble plus efficace, qu’elle parle en son nom propre ou en celui du groupe auquel elle appartient. On peut ainsi s’interroger sur la réalité du rôle joué par la CPU durant cette période : n’est-il pas étroitement corrélé à l’influence et à la personnalité de ses présidents et vice-présidents, interlocuteurs naturels de l’administration de l’enseignement supérieur ? On peut en voir un bel exemple au travers des débats sur la réforme du DEUG qui met en évidence les difficultés du collectif à s’ériger en interlocuteur reconnu (p. 104-109). En regard, la personnalité du directeur de l’enseignement supérieur semble également jouer un rôle important dans les inflexions de la politique générale. À l’intersection de ces figures individuelles, on peut observer dans le détail l’organisation du travail politico-scientifico-administratif au travers des différentes questions qui sont traitées entre la direction de l’enseignement supérieur et la CPU, et souligner sa fluidité, largement fondée sur le partage par les acteurs de valeurs communes autour de positions à la fois modernisatrices, mais surtout pragmatiques et tempérées, caractérisées par la discussion et la recherche d’un consensus que Charles Mercier désigne à l’occasion sous le terme d’« œcuménisme » (p. 51 ; voir pour un exemple, p. 59 ou 80). Il s’agit là d’un apport très important de ce travail, dont on peut simplement regretter qu’il n’ait pas fait l’objet d’une analyse plus systémique.

4La seconde grande question est celle des invariants de la politique universitaire contemporaine. La Loi Faure a semblé ouvrir une brèche dans une politique universitaire publique qui se caractérisait, depuis le début du XIXe siècle et sur l’ensemble du territoire, par un pilotage centralisé, en octroyant aux établissements une marge d’autonomie a priori non négligeable. Le récit de Charles Mercier nous permet de suivre pas à pas la façon dont cette nouvelle conjoncture reconfigure durablement les positions au sein du champ académique. Deux analyses s’affrontent durant cette période où il semble possible de renégocier une transformation des relations entre le centre et les établissements : les tenants d’une autonomisation accrue des établissements s’opposent à ceux qui réclament la conservation du mode de fonctionnement antérieur. Le clivage ne prend pas sa source dans une différence de point de vue entre cadres administratifs et acteurs universitaires, les deux espaces étant tout autant constitués de partisans de l’un ou l’autre groupe, mais dans une division structurelle qui va s’avérer pérenne. Cette bipolarité des débats ne se traduit cependant pas dans la coexistence de deux pôles antagonistes, mais dans des configurations variées qui mettent en jeu trois groupes distincts, que l’on peut schématiquement définir ainsi : un pôle de « gauchisme insurrectionnel », caractérisé par des positions universalistes et égalitaires ; un centre « modernisateur », élitiste et convaincu de l’autonomie de l’activité scientifique ; et, un groupe « conservateur », également élitiste mais surtout adossé à des positions mandarinales. Cette tripartition, que j’ai esquissée ici de façon caricaturale, reste jusqu’à aujourd’hui le principe organisateur des conflits qui traversent le monde académique, et fonde en particulier la possibilité d’une « étrange alliance » (expression reprise à Jacques Monod, voir p. 19, note 20) entre la gauche et la droite universitaire qui se retrouvent autour de la réaffirmation de la nécessité d’une politique centralisée, comme ce fut le cas avec la loi Faure, mais aussi lors des mouvements de 2009.

5Cet ouvrage est important, car il est le premier à nous informer précisément des modes de régulation, des processus de négociation, des conditions de possibilité d’une politique universitaire après les transformations induites par Mai 68. Les sources mobilisées sont variées, archives publiques bien évidemment, mais aussi privées, complétées par des entretiens nombreux. Le recours fréquent aux articles du quotidien Le Monde vient compléter ce dossier, et souligne combien il est un vecteur particulièrement bien informé des questions d’enseignement supérieur. Une note explicative à ce sujet aurait cependant été bienvenue, permettant de souligner la proximité du journal avec la haute administration française. Le choix d’une narration chronologique permet de retracer dans le détail les différentes étapes des discussions et le rôle respectif des différents protagonistes. On aurait pu souhaiter qu’elle soit complétée par une analyse sociologique plus systématique des acteurs, et en particulier par une étude de la composition de la CPU, qui n’est qu’à peine esquissée (p. 101) et qui aurait eu l’avantage de caractériser plus précisément les déterminants sociaux des positions collectives.

6Malgré ce regret, il s’agit là d’un ouvrage très bienvenu et très agréable à lire, utile de bien des façons et qui vient remplir un vide historiographique, ne pouvant que susciter des vocations pour des travaux ultérieurs.

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Pour citer cet article

Référence papier

Emmanuelle Picard, « Mercier (Charles). Autonomie, autonomies. René Rémond et la politique universitaire aux lendemains de Mai 68 »Histoire de l’éducation, 142 | 2014, 278-281.

Référence électronique

Emmanuelle Picard, « Mercier (Charles). Autonomie, autonomies. René Rémond et la politique universitaire aux lendemains de Mai 68 »Histoire de l’éducation [En ligne], 142 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/3010 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.3010

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Auteur

Emmanuelle Picard

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