Mathieu Ferrand et Nathaël Istasse (dir.), Nouveaux regards sur les « Apollons de collège » : figures du professeur humaniste dans la première moitié du XVIe siècle
Mathieu Ferrand et Nathaël Istasse (dir.), Nouveaux regards sur les « Apollons de collège » : figures du professeur humaniste dans la première moitié du XVIe siècle, Genève : Droz, collection « Travaux d’Humanisme et Renaissance », 2014
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif se propose de revisiter le jugement sévère qu’avait porté en 1942 Lucien Febvre sur les premiers professeurs de rhétorique qui, au début du XVIe siècle, se piquèrent de poésie néo-latine. Dans son livre devenu un classique, Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, Febvre avait en effet qualifié ces pauvres régents d’« Apollons de collège », cruelle expression rapprochant un imaginaire nourri de mythologie antique et la triviale réalité d’une institution d’éducation. Le mépris du grand historien semble cependant aujourd’hui bien court face aux avancées de la recherche, dont témoigne ce livre.
2Résultat d’un colloque tenu en 2010, le volume réunit dix-neuf contributions dans une collection dont il convient de saluer la qualité constante, bien servie par les éditions Droz. Une fois n’est pas coutume pour des actes, une remarquable homogénéité caractérise les textes présentés ici. Celle-ci tient certainement au profil des intervenants, très majoritairement spécialistes de l’histoire littéraire et philosophique de la Renaissance, qui partagent une connaissance approfondie de la culture néo-latine. Elle se manifeste par une approche commune de la question, appréhendée par au moins treize des contributeurs de manière identique : chacun questionne dans le cadre proposé par le colloque une œuvre d’un auteur particulier, après en avoir esquissé la biographie. Si le procédé permet certes de lire en profondeur une œuvre, il a aussi ses limites, tant il est difficile de dégager une progression dans l’ouvrage derrière la juxtaposition répétitive d’études de cas si semblables. Autre difficulté, qu’évoquent d’ailleurs certains (Jean Lecointe, p. 24-25, John Nassichuk p. 263-288), il n’est pas évident de tirer d’écrits plus ou moins liés au programme scolaire de trop fortes conclusions sur la réalité de l’enseignement prodigué par ces auteurs, alors même que l’étude des pratiques pédagogiques figure dans le programme de l’entreprise (p. 15). Une ouverture à d’autres spécialistes aurait peut-être permis de diversifier les éclairages. L’érudition des auteurs et leur grande familiarité avec cet univers intellectuel permettent néanmoins de dégager nombre d’éléments nouveaux, dont deux intéressent plus particulièrement l’histoire de l’éducation.
3Le premier apport tient – sans surprise, compte tenu de ce qui a été dit plus haut – à l’explication fine des publications et de la culture de ces enseignants littérateurs. On y voit très bien comment ces hommes sont imprégnés des savoirs, des pratiques et des habitus du mouvement humaniste et comment se mettent alors en place des traits qui marqueront durablement l’enseignement des humanités classiques. Les multiples emprunts à la littérature antique deviennent l’aliment principal de ces œuvres et sont largement cités et analysés au fil des contributions. Cette culture et cette démarche humanistes débordent même les Belles Lettres pour toucher par exemple les études juridiques, comme dans l’enseignement de Nicolas Bérault, présenté par Marie-Françoise André. Elles affectent aussi la délimitation traditionnelle des disciplines lorsque Ramus promeut une « conjonction » de l’éloquence et de la philosophie (Marie-Dominique Couzinet). Mais c’est surtout la conception originale du travail de ces professeurs dans un cadre humaniste qui est mise en valeur par la plupart des contributeurs (au centre des communications de Jean Lacointe, Nathaël Istasse, Perrine Galand, Jan Pendergrass, Élise Gauthier, Catherine Langlois-Pézeret, Philip Ford). À l’opprobre de Febvre, ils apportent une réponse claire : pour ces hommes, enseignement et création (ici poétique) sont indissociablement liés, tout comme érudition et invention le sont pour les humanistes. Trouver ridicule cette association relève donc surtout d’une incompréhension des conceptions qui prévalent dans ce milieu et de la projection d’une différenciation qui ne s’établit que postérieurement. Quant à la « valeur » peut-être mineure de ces œuvres (voir par exemple les réflexions de Virginie Leroux, p. 245-248), l’histoire savante de la littérature, telle qu’elle est pratiquée ici, a heureusement et depuis longtemps dépassé ce type de jugements pour s’interroger plutôt sur leur contexte de production et de réception.
4L’analyse de ces pratiques enseignantes et éditoriales s’appuie aussi sur une reconstitution précise des entourages et relations de chacun des auteurs, bien documentés grâce à leurs écrits ou leur biographie. On peut certes regretter qu’à l’exception de l’article de Marie-Madeleine Fontaine, qui procède à une remise en contexte large et bienvenue, la démarche adoptée par les contributeurs aboutit à une description très fragmentée de ces réseaux, à chaque fois centrée sur un seul personnage. Mais l’ensemble fournit à qui veut bien le lire en entier un très riche matériau. Il finit par dessiner un véritable milieu, qui mériterait bien une étude systématique rompant avec la monographie d’auteur. Certaines de ses caractéristiques, comme l’importance pour tous du creuset parisien ou de la nouvelle institution qu’est le collège (et ce n’est pas seulement un effet tautologique de la population prise en compte), étaient attendues et trouvent ici une nouvelle illustration. S’y dessine aussi la figure nouvelle, ou plutôt le prototype, du professeur de Belles Lettres (nouveau mais déjà moqué en 1533 dans une pièce de théâtre, sous les traits de Logodedalus, étudié par Mathieu Ferrand). Mais ce qui ressort surtout, c’est le rôle de cette deuxième génération de l’humanisme et de ceux que l’on pourrait appeler les seconds couteaux du mouvement. Ce sont eux qui assurent à la fois la floraison immédiate de cette culture à travers leurs œuvres et son enracinement profond parmi les élites françaises. On a là une seconde leçon, pour ceux qui s’en tiendraient aux quelques génies qui dépassent en chaque siècle, leçon paradoxalement mais très justement adressée au fondateur des Annales.
Pour citer cet article
Référence papier
Boris Noguès, « Mathieu Ferrand et Nathaël Istasse (dir.), Nouveaux regards sur les « Apollons de collège » : figures du professeur humaniste dans la première moitié du XVIe siècle », Histoire de l’éducation, 140-141 | 2014, 193-195.
Référence électronique
Boris Noguès, « Mathieu Ferrand et Nathaël Istasse (dir.), Nouveaux regards sur les « Apollons de collège » : figures du professeur humaniste dans la première moitié du XVIe siècle », Histoire de l’éducation [En ligne], 140-141 | 2014, mis en ligne le 31 août 2014, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2875 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2875
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