Anizan (Anne-Laure). Paul Painlevé, science et politique de la Belle-Époque aux années trente
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1Cet ouvrage passionnant invite le lecteur à suivre le parcours de vie et de carrière complexe de Paul Painlevé (1863-1933). Bien qu’inhumé au Panthéon, son nom n’évoque sans doute plus grand-chose au grand public. Certains connaissent probablement le Painlevé mathématicien, auteur de travaux sur les transformations rationnelles des courbes et des surfaces algébriques, lauréat du Grand Prix des sciences mathématiques en 1890 et membre de l’Académie des sciences à partir de 1900. D’autres connaissent peut-être le théoricien des plus lourds que l’air, l’introducteur de la mécanique des fluides en France, le pionnier de l’aviation et le promoteur des sciences appliquées. Enfin, d’autres, plus intéressés par l’histoire politique et militaire, se souviendront de ses nombreuses responsabilités comme député, ministre de l’Instruction publique, ministre des Inventions, ministre de la Guerre ou président du Conseil et évoqueront la part qu’il prit à certains événements décisifs de la Première Guerre mondiale (les suites de l’échec du Chemin des dames, les mutineries, l’entrée en guerre des États-Unis, etc.).
2Painlevé fut une figure gémellaire de savant et d’homme politique comme il y en eut assez peu durant la Troisième République (moins de 0,9 % des députés étaient diplômés d’une faculté des sciences entre 1898 et 1940). Comme bien des intellectuels de son temps, son entrée en politique se fit au moment de l’Affaire Dreyfus. Alors que des scientifiques et des universitaires comme Louis Havet, Émile Duclaux, Édouard Grimaux ou Jules Andrade luttaient depuis des mois en faveur de Dreyfus – au point de le payer parfois très cher – Painlevé ne s’investit activement et publiquement que vers la fin de l’année 1898. Pour autant, son engagement n’en fut pas moins fort car à partir du Procès de Rennes, en septembre 1899, il devait devenir un des hérauts du dreyfusisme au sein de la communauté scientifique. À partir du tournant du siècle, et jusqu’à son élection comme député du 5e arrondissement de Paris, on le verra militer activement au sein de la Ligue des droits de l’homme (il devient membre de son comité central en 1904) et s’investir en faveur de l’enseignement populaire ; son engagement civil prendra aussi une dimension internationaliste à travers notamment son adhésion à la Société des amis du peuple russe, à la Société française pour l’arbitrage entre les nations, la défense de l’espéranto ou encore la présidence de l’Office central des nationalités.
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3Cet ouvrage est une adaptation fort réussie d’une thèse de doctorat de sciences politiques dirigée par Serge Berstein et soutenue en 2006 sous le titre Paul Painlevé (1863-1933) – Un scientifique en politique1. Cette première version, qui avait valu à Anne-Laure Anizan une mention spéciale du jury du prix de thèse de l’Assemblée nationale, constituait une somme qui ne pouvait décemment pas être proposée en l’état au grand public. L’ouvrage publié aux Presses universitaires de Rennes transforme l’essai en proposant une biographie accessible et remarquablement bien écrite. L’appareil critique exigé par l’exercice universitaire se voit ainsi considérablement réduit (peut-être un peu trop ?), le récit est resserré, retravaillé et restructuré d’une manière beaucoup plus fine, pour le plus grand profit du lecteur.
4On le sait, les récits biographiques n’ont pas toujours eu bonne presse chez les historiens et les sociologues et il fallait beaucoup de témérité pour s’engager dans l’évocation d’un personnage dont l’influence fut aussi décisive dans bien des domaines (l’administration de la recherche, le développement de l’aéronautique, la Première Guerre mondiale ou l’histoire du mouvement socialiste). De plus s’agissant d’un mathématicien et d’un homme politique, le risque était grand d’offrir un récit déséquilibré où une identité professionnelle aurait pris le pas sur une autre.
5L’ouvrage d’Anne-Laure Anizan évite partiellement cet écueil. Certes, les historiens des sciences, et particulièrement les historiens des mathématiques, ne pourront qu’être déçus par la faible place laissée aux travaux mathématiques de Painlevé. Ils resteront également sur leur faim s’ils s’attendent à voir évoquées dans le détail sa carrière de mathématicien et d’universitaire, ses collaborations scientifiques, ses responsabilités au sein de l’Académie des sciences ou à l’École polytechnique. Mais tel n’était vraiment pas le projet de l’auteur.
6Comme elle l’indique dans son introduction, son ouvrage est structuré autour de trois grands thèmes : d’une part, le statut de savant, qui constitue l’une des clés de l’engagement et de l’action politique de Painlevé ; d’autre part, le statut de spécialiste incontesté de la défense nationale acquis par un civil, engagé de surcroît contre les militaires durant l’affaire Dreyfus ; enfin, la question de la cohérence de son parcours politique qu’il mena au sein de différentes formations de la gauche républicaine avant de se bâtir un profil de rassembleur des gauches au début des années 1920. Ces trois thèmes servent en quelque sorte de ligne de force et donnent tout leur sens au récit. Ils permettent de voir à quel point sa formation scientifique, son ethos de la recherche et ses réseaux de sociabilité savante ont pu structurer sa carrière d’homme d’État.
7Pris comme tel, ce livre constitue une contribution importante pour l’histoire des sciences, l’histoire de l’éducation ou l’histoire politique. C’est également un exemple de maîtrise des contraintes de l’exercice biographique. Il permet de (re)découvrir une figure essentielle des mathématiques dont on ne trouve guère d’équivalents pour ce qui concerne la richesse du parcours de carrière (pour les mathématiques, peut-être pourrait-on citer Émile Borel ?). Il ouvre en outre de multiples perspectives sur les réseaux de sociabilité intellectuelle et savante à la Belle Époque. Enfin, c’est une véritable mine pour qui voudrait explorer par l’histoire les relations complexes entre science, technique, société et politique. Ajoutons qu’il s’appuie sur des sources de première main, partiellement inédites et remarquablement bien exploitées (le fonds Painlevé conservé aux Archives nationales).
8Tout au plus mentionnerons-nous trois défauts mineurs qui ne nuisent en rien à la lecture. En premier lieu, bien qu’il propose une abondante section bibliographique, l’ouvrage ne propose pas de bibliographie des travaux scientifiques de Painlevé, manque qui ne peut que gêner les historiens de sciences. En second lieu, les sections d’une ou deux pages qui résument et concluent chacun des chapitres s’avèrent très scolaires et n’apportent pas grand-chose au lecteur étant données les hautes qualités d’écriture et d’analyse dont fait preuve l’auteur. Enfin, détail peut-être plus subjectif, on notera que le passage de la thèse de doctorat vers un format plus court a obligé Anne-Laure Anizan à réduire certains de ses développements ainsi que son appareil critique. Si le choix est largement justifié dans bien des cas, il a aussi pour conséquence de condenser drastiquement certains épisodes de la vie de Painlevé. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, on ne saurait trop conseiller la lecture du chapitre de sa thèse consacrée aux ambitions littéraires du jeune Painlevé qui donne beaucoup plus de détails sur la crise de vocation qu’il traversa vers 1890 et sur sa tentation d’abandonner les mathématiques à un moment où ses travaux allaient être couronnés d’un prix de l’Académie des sciences (et qui surtout propose des extraits de ses poésies).
- 2 Claudine Fontanon, Robert Frank, Jacqueline Lalouette (dir.), Paul Painlevé (1863-1933). Un savant (...)
9Au final, on ne peut que recommander chaudement la lecture de cet ouvrage. On pourra d’ailleurs la compléter avec grand profit avec l’ouvrage dirigé par Claudine Fontanon, Robert Frank et Jacqueline Lalouette, Paul Painlevé (1863-1933). Un savant en politique2.
Notes
1 Anne-Laure Anizan, Paul Painlevé (1863-1933), un scientifique en politique, thèse de doctorat ès sciences politiques dirigée par Serge Berstein : Institut d'études politiques de Paris, 2006. Mention spéciale du Prix de thèse de l’Assemblée nationale.
2 Claudine Fontanon, Robert Frank, Jacqueline Lalouette (dir.), Paul Painlevé (1863-1933). Un savant en politique (Actes de la journée d'études du 22 mai 2003), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
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Bibliographical reference
Laurent Rollet, “Anizan (Anne-Laure). Paul Painlevé, science et politique de la Belle-Époque aux années trente”, Histoire de l’éducation, 137 | 2013, 153-156.
Electronic reference
Laurent Rollet, “Anizan (Anne-Laure). Paul Painlevé, science et politique de la Belle-Époque aux années trente”, Histoire de l’éducation [Online], 137 | 2013, Online since 08 October 2014, connection on 14 September 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2630; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2630
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