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Notes critiques

Moulinier (Pierre). Les étudiants étrangers à Paris au XIXe siècle

Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2011, 425 p.
Caroline Barrera
p. 148-150

Full text

1Le livre de Pierre Moulinier constitue le premier ouvrage de synthèse et d’histoire globale sur les étudiants étrangers d’une ville universitaire en France, même si des articles ou des monographies institutionnelles existent sur ce sujet. De plus, comme le souligne Victor Karady qui signe une préface fouillée, l’auteur a mené ses recherches en collaboration étroite avec un réseau informel européen de chercheurs qui s’intéresse depuis de nombreuses années aux migrations étudiantes en Europe et à la formation des élites de 1890 à 1940. Son livre est donc au cœur des problématiques historiographiques actuelles et des soubresauts de l’histoire européenne qui ont alimenté les bancs des amphithéâtres de la capitale.

2Le chapitre I rappelle d’abord la place de la France et de sa principale ville universitaire au sein du marché universitaire mondial. La France constitue en effet au XIXe siècle un pôle d’attraction universitaire européen et même mondial exceptionnel, avec lequel seules les universités de l’Allemagne impériale peuvent alors rivaliser. Étudier en France, c’est alors s’inscrire dans la modernité (réelle ou fantasmée) : modernité scientifique bien sûr, mais également sociale ou politique. L’enseignement supérieur français, réorganisé et largement rénové au XIXe siècle, est en effet celui qui a le plus accueilli d’étudiants étrangers pendant la grande époque des pérégrinations estudiantines, de la fin XIXe siècle à 1940. Si les chiffres montent en flèche à partir de la fin du siècle, ceux qu’ils décrivent fréquentent l’hexagone depuis bien plus longtemps, témoignant de politiques d’accueil généralement très favorables : l’étudiant est admis de façon neutre, sans que sa situation politique, religieuse ou sociale ne constitue un obstacle rédhibitoire, comme c’est souvent l’usage ailleurs. L’auteur prend également en compte les problématiques liées aux « échanges inégaux », ici appliqués à l’histoire universitaire européenne et à la place de l’université dans la politique étrangère de la France, réceptacle et outil de la diplomatie, ce qu’on appelle aujourd’hui le soft power.

3Le chapitre II s’inscrit pour sa part dans les thématiques du genre et s’intéresse aux étudiantes étrangères, souvent pionnières en France. Victimes de discriminations dans l’accès à l’enseignement supérieur facultaire dans leur pays d’origine, elles peuvent fréquenter les facultés françaises de façon plus généralisée à partir des années 1880 (c’est en 1861 que Julie-Victoire Daubié, est reçue bachelière à la faculté des lettres de Lyon), c’est-à-dire des décennies avant d’autres pays. Le chapitre III aborde en profondeur la question du choix de Paris parmi les multiples villes universitaires françaises et procède à un décompte de la part des étudiants étrangers dans chacune des facultés parisiennes. On apprend ainsi que la faculté de droit accueille en 1883-1884, 6,6 % d’étudiants étrangers et 14 % en 1912-1913 ; celle de médecine 15,3 % et 18 % ; celle de sciences 12,4 % en 1885-1886 et 24,8 % en 1912-1913 et celle de lettres 4,3 % et 36 % aux mêmes dates. Le chapitre IV se penche sur les nationalités représentées au Quartier Latin et explique les préférences disciplinaires de chacune. De la seconde moitié du siècle à la Grande Guerre, seuls trois pays sont constamment présents dans les quatre facultés (droit, médecine, sciences et lettres) : la Russie, la Roumanie et la Suisse. En médecine, les pays les plus représentés sont l’Empire russe, la Roumanie, l’Égypte et l’Empire ottoman. Cette analyse est complétée par une présentation très précise de leurs origines familiales, sociales et religieuses qui achève de brosser le portrait de ces étudiants particuliers. Alors que déclinent les anciens régimes européens et s’amorce le passage à la modernité des sociétés industrielles, c’est donc des conditions sociales de la formation des nouvelles élites européennes dont il est ici question.

4Pierre Moulinier s’interroge ensuite sur les fonctions socioculturelles de ces échanges académiques. Les chapitres VI, VII, VIII introduisent le lecteur dans le monde universitaire et la façon dont ces étudiants ont été « gérés ». Rien n’est oublié, ni les titres nécessaires aux inscriptions, ni les diplômes créés sur mesure pour les étrangers, ni le coût des formations, ni les lieux d’études. À travers les étudiants étrangers, c’est donc tout un pan de l’histoire universitaire française en construction qui se dévoile au lecteur. Le chapitre IX, particulièrement intéressant, est consacré à l’une des causes majeures des migrations étudiantes, l’exil politique, religieux surtout, et à la figure spécifique de l’étudiant qui en découle. Pour tous les étudiants enfin, le chapitre X pose la question cruciale du retour, réflexion avant l’heure sur la fuite des cerveaux.

5On l’aura compris, l’ouvrage de Pierre Moulinier est à la fois le résultat d’une démarche quantitative rigoureuse, qui offre à tous les chercheurs des repères chiffrés très utiles, mais également une histoire qualitative qui donne à voir tous les aspects de la vie de ces étudiants étrangers. Chaque étape de leur vie, dont on perçoit ici toutes les nuances, est parfaitement contextualisée et expliquée, dans une démarche qui a fait sienne les différents apports des disciplines qui s’intéressent à l’histoire de l’université et de ses acteurs. L’ouvrage de Pierre Moulinier est certainement appelé à devenir un travail de référence pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire sociale de l’Europe contemporaine ou à l’histoire de l’université et des mondes scientifiques en général.

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References

Bibliographical reference

Caroline Barrera, “Moulinier (Pierre). Les étudiants étrangers à Paris au XIXe siècleHistoire de l’éducation, 137 | 2013, 148-150.

Electronic reference

Caroline Barrera, “Moulinier (Pierre). Les étudiants étrangers à Paris au XIXe siècleHistoire de l’éducation [Online], 137 | 2013, Online since 08 October 2014, connection on 14 September 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2627; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2627

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