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Notes critiques

Belhoste (Bruno). Paris savant. Parcours et rencontres au temps des Lumières

Paris : Armand Colin, 2011, 311 p.
Caroline Ehrhardt
p. 139-142

Full text

  • 1 Bruno Belhoste, Cauchy, un mathématicien légitimiste au XIXe siècle, Paris, Belin, 1985 ; Id., Aug (...)

1Après s’être intéressé dans ses précédents ouvrages à un mathématicien, à une institution d’enseignement scientifique et au système d’enseignement des sciences au XIXe siècle1, Bruno Belhoste tourne le regard vers une autre période – celle des Lumières – et élargit son terrain d’enquête à une ville tout entière – Paris.

2Paris savant s’ouvre sur un chapitre consacré à l’Académie des sciences, avant de parcourir les différentes institutions scientifiques de la capitale (chap. II) et de reconstituer la multiplicité des lieux où fourmillait alors l’activité scientifique, que ces lieux soient destinés à l’enseignement, au spectacle ou qu’ils relèvent du monde des manufactures et des métiers (chap. III). En jouant sur cette triple focale, Bruno Belhoste met au jour la diversité de la présence des sciences à Paris. Si le fait d’accorder de l’attention aux acteurs « ordinaires » est aujourd’hui un leitmotiv de l’histoire des sciences, il faut bien reconnaître que peu d’études accordent effectivement un traitement symétrique aux différentes échelles où se fait la science – une analyse de ce type étant a fortiori encore plus rare parmi les ouvrages qui, comme celui-ci, sont destinés à un large public supposé plus friand de « grandes » découvertes et de « grands » savants. L’ouvrage a donc ici le mérite de reconstituer de manière particulièrement vivante la dimension concrète de l’activité scientifique et la manière dont celle-ci s’inscrit dans la vie sociale comme dans l’espace urbain. Une telle approche, loin de juxtaposer des enquêtes sur des objets qui relèveraient, au fond, de logiques différentes, souligne au contraire l’importance des connexions, des échanges et des réseaux. On ne saurait mieux justifier le sous-titre du livre, « Parcours et rencontres ».

  • 2 Pour un récapitulatif historiographique sur cette question, voir J.-L. Chappey, « Enjeux sociaux e (...)

3Faisant suite à cette cartographie multidimensionnelle, les chapitres IV, V et VI approfondissent la question des liens entre la science et l’espace public, en traitant successivement de l’Encyclopédie, de la présence de la science au sein des élites cultivées et de son usage dans le secteur du divertissement. Bruno Belhoste y analyse avec finesse et en détail les rouages de la « science mondaine », entendue comme régime de scientificité spécifique qui fonde les règles sociales et cognitives des sciences du XVIIIe siècle, et dans lequel les frontières entre ce que l’on range habituellement sous les étiquettes de « science » et de « diffusion des sciences » sont en grande partie gommées2. Mais en reconstituant un espace géographique où la pratique de la science peut aussi constituer une entreprise et être soumise aux règles de la concurrence pour capter l’attention du public, l’ouvrage aborde également une autre question vive de l’histoire des sciences, à savoir celle de la frontière entre ce qui constitue la science et ce qui n’en est pas. Si la science existe en dehors des laboratoires et s’explique autrement qu’en formules, la différentiation entre charlatans, prestidigitateurs et scientifiques se complique, comme le montrent ici l’exemple, par ailleurs bien connu, de Mesmer et celui, moins célèbre, de Nicolas Ledru.

4Dans le chapitre VII (traitant des inventions) et le chapitre VIII (sur l’hygiène publique), l’auteur se tourne vers un autre aspect des liens entre la science et l’espace urbain parisien. À travers des exemples comme ceux de l’éclairage public, de l’eau de Javel ou encore de la prise de conscience des problèmes de pollution, l’auteur analyse en effet comment les progrès techniques et scientifiques s’insèrent dans la vie de tous les jours, en modifiant les habitudes et les attentes de la population, mais aussi, concrètement, comment ils parviennent (ou pas) à s’implanter dans le monde des métiers et des manufactures. Au-delà des anecdotes par lesquelles les études de cas sont introduites, ces chapitres donnent à voir les interactions et les négociations que suppose la mise en œuvre de l’innovation. Ils soulignent aussi que les sciences et les techniques, du fait des enjeux dont elles se trouvent dans ce cas investies, font une fois de plus se rencontrer des mondes que l’on pourrait croire étanches les uns aux autres.

  • 3 Voir par exemple Charles Gillispie, Science and Polity in France. The Revolutionnary and Napoleoni (...)

5Les deux derniers chapitres, enfin, montrent comment un nouveau régime social de production des savoirs s’amorce à l’orée de la Révolution. Celui-ci (« la science sévère ») s’appuie sur les mathématiques et les principes classificatoires et refuse que la légitimation des savoirs soit apportée par le public éclairé. Il constitue aussi la réaction d’un milieu social, celui d’une partie des savants de l’Académie, pour reprendre le contrôle sur la fabrication de la science : en cherchant à imposer un nouveau style de science, c’est une nouvelle figure du scientifique que l’on cherche à légitimer. Le bouleversement politique dû à la Révolution conduira à une réécriture des termes du débat. La science ne sera alors plus tenue de distraire l’élite, mais d’éclairer et d’instruire le peuple – nouvel agenda qui donne à l’auteur l’occasion de conclure sur quelques épisodes célèbres3, comme la création du Muséum d’histoire naturelle, la mise en place du système métrique ou les débats sur l’Instruction publique.

6Même si l’enseignement des sciences n’est pas ici le thème central, les passages qui y renvoient émaillent le livre. Sont ainsi évoqués, tour à tour, l’École des mines et celle des ponts et chaussées (p. 47-49), le Quartier Latin (p. 60-63), les enseignements médicaux (p. 63-67), le musée de Monsieur (p. 126-129), les cours publics (p. 146-153) ou, plus loin, la prise de conscience par les savants de l’importance des questions d’éducation (p. 237-239) et les projets révolutionnaires pour l’Instruction publique (p. 252-256). L’enseignement des sciences n’est donc pas analysé dans l’ouvrage comme un phénomène isolé mais comme l’une des parties de l’édifice, qui s’enchevêtre avec les autres aspects de la vie savante parisienne et en partage les caractéristiques essentielles, à savoir, d’une part, qu’il concerne tous les publics et, d’autre part, qu’il s’inscrit simultanément à tous les niveaux de l’espace urbain.

7L’ouvrage est conçu pour atteindre un large public. Le ton et le style adoptés, la riche iconographie (dont un cahier central en couleurs et des cartes conçues par l’auteur), le nombre relativement réduit de notes et leur impression à la fin (et non au fil) du livre sont autant d’éléments qui en facilitent la lecture. Mais cette distance prise par rapport à la « monographie de recherche » ne doit pas faire oublier la grande érudition et l’important travail d’enquête sur lesquels repose l’ouvrage. Au final, Paris savant offre, sous les apparences d’un livre « grand public », une vision très dense des sciences parisiennes du XVIIIe siècle mais aussi une intéressante introduction à certaines des problématiques récentes de l’histoire des sciences.

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Notes

1 Bruno Belhoste, Cauchy, un mathématicien légitimiste au XIXe siècle, Paris, Belin, 1985 ; Id., Augustin-Louis Cauchy: a biography, New York, Springer, 1991 ; Id., Les Sciences dans l'enseignement secondaire français, textes officiels (1789-1914), Paris, INRP/Economica, Paris, 1995 ; Id., La formation d’une technocratie : l’École polytechnique et ses élèves de la Révolution au Second Empire, Paris, Belin, 2003.

2 Pour un récapitulatif historiographique sur cette question, voir J.-L. Chappey, « Enjeux sociaux et politiques de la vulgarisation scientifique en Révolution (1780-1910) », Annales historiques de la Révolution française, n° 338, oct.-déc. 2004, p. 11-51.

3 Voir par exemple Charles Gillispie, Science and Polity in France. The Revolutionnary and Napoleonic Years, Princeton, Princeton university press, 2004, cité dans l’ouvrage.

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References

Bibliographical reference

Caroline Ehrhardt, “Belhoste (Bruno). Paris savant. Parcours et rencontres au temps des LumièresHistoire de l’éducation, 137 | 2013, 139-142.

Electronic reference

Caroline Ehrhardt, “Belhoste (Bruno). Paris savant. Parcours et rencontres au temps des LumièresHistoire de l’éducation [Online], 137 | 2013, Online since 08 October 2014, connection on 17 September 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2622; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2622

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