Gilliot (Claude) (dir.). Education and Learning in the Early Islamic World
Texte intégral
1Claude Gilliot rassemble dans ce volume dix-neuf articles qu’il fait précéder d’une riche et dense introduction (p. XIII-LIX) qui retrace l’histoire de l’intérêt des Européens pour l’éducation et l’enseignement en terre d’Islam, et dresse le bilan de ce champ d’étude. Il constate qu’il n’existe dans ce domaine aucun travail de synthèse récent portant sur la période allant des débuts de l’Islam jusqu’à l’apparition des madrasas à partir du milieu du XIe siècle. Les articles sont regroupés autour de cinq grands thèmes.
2Le premier (« Pedagogical Tradition ») comprend un article général d’Ignaz Goldziher (« Muslim Education », p. 13-22), qui décrit de façon très précise ce que l’on sait de l’enseignement élémentaire en Islam, offrant une belle synthèse des sources disponibles à l’époque. Il aborde des aspects aussi variés que les matières et les lieux d’enseignement, le statut et le salaire des maîtres d’école, l’éducation des jeunes filles ou encore les recommandations émises par des traités d’éthique et de politique en matière d’enseignement. Cette vision d’ensemble est complétée par quatre articles plus spécialisés. Christopher Melchert (« The Etiquette of Learning in the Early Islamic Study Circle », p. 1-12) étudie dans des traités de ḥadīṯ (actes, paroles et attitudes du Prophète qui fondent la Tradition) du IXe siècle les recommandations portant sur les aspects pratiques de l’enseignement religieux. Le lieu où se déroulent les cours, la façon de se tenir ou encore le type de vêtements devant être portés commencent à être précisés. La comparaison avec l’ouvrage de ʿAbd al-Karīm al-Samʿānī (mort en 1166) montre que, trois siècles plus tard, ces règles sont considérées comme établies. Richard Bulliett(« The Age Structure of Medieval Islamic Education », p. 39-51), à partir d’un dictionnaire biographique recensant environ 1 700 notices de savants ayant étudié le ḥadīṯ à Nīsāpūr entre le début du Xe et le début du XIIe siècle, tente de déterminer le rythme auquel ils progressent dans leur carrière. Il en ressort notamment que, pour l’enseignement du ḥadīṯ, l’idéal est qu’un enseignant très âgé transmette son savoir à un étudiant très jeune. Cela permet de raccourcir la chaîne de transmission des traditions, et d’en améliorer ainsi la qualité. L’article de Sebastian Günther (« Advice for Teachers: the 9th Century Muslim Scholars Ibn Saḥnūn and al-Jāḥiẓ on Pedagogy and Didactics », p. 53-92) est consacré à l’étude de deux traités du IXe siècle qui sont parmi les premiers à exposer les règles que doivent suivre les maîtres d’écoles et leurs élèves du cycle élémentaire : il s’agit du Kitāb ādāb al-muʿallimīn d’Ibn Saḥnūn (mort en 870) et du Kitāb al-muʿallimīn d’al-Ǧāḥiẓ (m. 869), dont plusieurs extraits sont reproduits, traduits et commentés. La plupart des règles énoncées par ces auteurs se retrouvent plus de deux siècles et demi plus tard chez al-Ġazālī (mort en 1111). Enfin, l’article d’Albert Dietrich (« Some Aspects of the Education of Princes at the ‘Abbāsid Court », p. 23-37) s’intéresse au cas particulier de l’éducation des princes abbassides, non pas telle qu’elle est décrite de façon théorique par de nombreux traités, mais telle qu’elle est réellement pratiquée. Il s’agit ainsi de mieux cerner le statut des éducateurs princiers, le contenu du patrimoine culturel transmis aux princes, et les méthodes utilisées. Il en ressort que l’éducation princière abbasside est très influencée par l’héritage sassanide, adapté au contexte musulman et centré sur l’éducation religieuse et intellectuelle.
3Le deuxième thème (« Scholarship and Attestation ») s’ouvre avec un article dans lequel Johannes Pedersen (« The Islamic Preacher, wāʿiẓ, mudhakkir, qāṣṣ », p. 93-112) se livre à une étude minutieuse des termes employés pour désigner les « prédicateurs », du contenu de leur discours, et de la manière dont étaient perçus ces personnages qui haranguaient aussi bien les foules que les souverains, s’attirant occasionnellement les critiques des savants. Claude Gilliot (« The Scholarly Formation of al-Ṭabarī (224-310/838-923) », p. 113-147) retrace quant à lui le parcours du célèbre savant polygraphe al-Ṭabarī (mort en 923), dont il a rassemblé le nom de tous les maîtres connus. Il propose d’établir une distinction entre l’éducation directe, transmise par les maîtres dont al-Ṭabarī a été formellement l’élève et limitée à un domaine restreint (ḥadīṯ, traditions exégétiques et historiographiques, lectures coraniques), et l’éducation indirecte, beaucoup plus difficile à cerner, car reçue dans le cercle familial puis prolongée par les lectures et les rencontres de l’étudiant. Enfin, Jan Just Witkam (« The Human Element between Text and Reader: The Ijāza in Arabic Manuscripts », p. 148-162) revient sur le système du certificat de lecture ou d’audition (iǧāza, pl. iǧāzāt) qui autorise celui qui le reçoit à enseigner un texte, ou atteste la participation à une séance de lecture. Il montre l’intérêt que présente, dans une perspective codicologique, l’étude des iǧāzāt, qui constituent une source importante pour l’histoire des réseaux savants et culturels.
4Le troisième (« Orality and Literacy ») et le quatrième thème (« Authorship and Transmission ») traitent sous différents angles la question de la transmission du savoir. Georges Vajda (« The Oral Transmission of Knowledge in Traditional Islam », p. 163-172), établit une typologie des modalités selon lesquelles pouvaient être transmis les ḥadīṯs, puis décrit la structure la plus courante des certificats d’audition, et souligne la richesse des informations que l’on peut en tirer. Max Weisweiler (« The office of the Mustamlī in Arabic Scholarship », p. 173-210) étudie le terme mustamlī, pouvant désigner aussi bien l’étudiant qui prend des notes sous la dictée d’un maître, que l’assistant qui met par écrit les œuvres que lui dicte un auteur, ou encore l’intermédiaire qui répète mot pour mot les paroles d’un enseignant d’une voix forte afin que tous les auditeurs présents puissent en bénéficier. Il conclut en dressant une liste de mustamlīs et de maîtres pour lesquels ils ont travaillé, couvrant une période allant de la fin du VIIIe à la fin du XVe siècle. Les articles de F. Krenkow (« The Use of Writing for the Preservation of Ancient Arabic Poetry », p. 211-218), Stefan Leder (« Authorship and Transmission in Unauthored Literature: The Akhbār Attributed to Al-Haytham Ibn ʿAdī », p. 219-233) et Johann Fück (« On the Transmission of Bukhārī’s Collection of Traditions », p. 245-270) abordent respectivement le domaine de la poésie, des récits et des ḥadīṯs. L’article de Richard Walzer (« On the Legacy of the Classics in the Islamic World », p. 235-243) insiste sur la richesse des traductions arabes de textes grecs, qui permettent de mieux saisir certains aspects de la philosophie grecque. Il appelle aussi les chercheurs à étudier la philosophie arabe pour elle-même, et non pas seulement comme un moyen d’accès aux textes grecs qui ne nous sont pas parvenus dans leur version originale. Enfin, les articles d’Isabel Fierro (« The Introduction of Ḥadīth in Al-Andalus », p. 271-296) et de Manuela Marín (« The Transmission of Knowledge in al-Andalus (up to 300/912) », p. 297-306) sont consacrés à al-Andalus. La première enquête sur l’introduction du ḥadīṯ en al-Andalus, et reconstitue la polémique provoquée par ce savoir nouveau, qui est venu heurter la doctrine des malikites, alors dominants dans cette région du monde arabo-musulman. La seconde propose quant à elle d’identifier à partir d’un riche matériau bibliographique les savants ayant eu le plus grand nombre de disciples, pour repérer l’élite intellectuelle ayant assuré l’essentiel de la transmission du savoir depuis la conquête d’al-Andalus jusqu’en 912.
5Le dernier thème (« Libraries ») s’ouvre avec un article général d’Adolph Grohmann (« Libraries and Bibliophiles in the Islamic East », p. 307-319) qui passe en revue les grandes bibliothèques et les prestigieuses collections de livres dont les sources islamiques médiévales nous gardent la trace. Les deux autres articles abordent des sujets plus précis. Ruth Stellhorn Mackensen (« Arabic Books and Libraries in the Umaiyad Period », p. 321-373) entend prendre le contrepied du jugement négatif qui prévaut dans l’historiographie arabe médiévale à l’encontre des califes omeyyades, en montrant que ceux-ci ont eu un intérêt réel pour la littérature et la production livresque, préparant ainsi le bouillonnement intellectuel de l’époque abbasside. Dès l’époque omeyyade, le recours à l’écrit pour conserver la trace du savoir semble bien acquis, et la collecte de ces livres – terme qui, en arabe médiéval, peut désigner aussi bien de simples notes éparses qu’un ouvrage cohérent et ordonné – a donné naissance aux premières bibliothèques du monde arabo-musulman. Enfin, David Wasserstein (« The Library of al-Ḥakam II al-Mustanṣir and the Culture of Islamic Spain », p. 375-381) s’intéresse à la grande bibliothèque fondée par le calife de Cordoue al-Ḥakam II. Alors que l’on a longtemps considéré que ce goût pour le savoir et les livres ne faisait que confirmer le peu d’intérêt de ce souverain pour la vie politique, l’auteur suggère que cette bibliothèque était conçue comme l’instrument principal d’une politique culturelle consciemment élaborée par al-Ḥakam II, qui cherchait ainsi à affirmer la légitimité de son pouvoir et l’unité du jeune califat.
6Ce riche volume constitue une contribution essentielle à l’histoire de l’éducation durant les premiers siècles de l’Islam. Il rassemble des travaux parfois difficiles d’accès, qui ont été choisis et agencés avec le souci de maintenir une forte cohérence thématique. Associées à l’introduction de Claude Gilliot, ces études permettent de faire le point sur l’état de la question. Peut-être pourrait-on seulement regretter la proportion élevée de textes vraiment anciens et partiellement dépassés, la sélection comprenant six articles antérieurs aux années 1950, et étant composée pour moitié d’articles rédigés avant les années 1980. Cela étant, cet ouvrage constitue un excellent point de départ pour de futures recherches et est à même de stimuler les études dans ce champ, d’autant qu’il est augmenté d’un index très pratique reprenant – et corrigeant au besoin – les données de tous les articles, ainsi que d’une riche bibliographie thématique (p. LXI-XC). Il s’agit donc d’un précieux outil, en attendant que soit réalisé l’ouvrage de synthèse que Claude Gilliot appelle de ses vœux.
Pour citer cet article
Référence papier
Rémy Gareil, « Gilliot (Claude) (dir.). Education and Learning in the Early Islamic World », Histoire de l’éducation, 137 | 2013, 125-129.
Référence électronique
Rémy Gareil, « Gilliot (Claude) (dir.). Education and Learning in the Early Islamic World », Histoire de l’éducation [En ligne], 137 | 2013, mis en ligne le 08 octobre 2014, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2615 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2615
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