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Le regard d’un Américain sur l’enseignement de la langue maternelle en France en 1913

The teaching of the Mother Tongue in France in 1913 from an American's point of view
Die Sicht eines Amerikaners über den Unterricht der Muttersprache in Frankreich in 1913
Sébastien-Akira Alix
p. 33-56

Abstracts

In 1915, Rollo Walter Brown, a professor of rhetoric and composition in Wabash College, Indiana, published a book in the United States entitled “How the French Boy Learns to Write”. In it, Brown recorded a first-hand survey of French schools he had conducted during the academic year 1912-1913 with the aim of shedding new light on the teaching of English in America. He thus opened up a large window on French teaching practices in boys’ elementary and secondary schools. Based on Brown’s impressions and analysis, this article again questions the contrast, as regards school practices in the teaching of French, between primary and secondary instructions in France as defined in 1880 and accepted by most contemporary actors and observers interested in education and teaching at that time.

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  • 1 Dès 1890, les rapports annuels du commissaire à l’éducation des États-Unis contiennent presque tou (...)
  • 2 Voir notamment James R. Parsons, French Schools through American Eyes: A Report to the N. Y. State (...)
  • 3 Une première version de ce texte a été présentée au colloque « Éducation et identités : perspective (...)

1Au tournant du XIXe et du XXe siècles, nombreux sont les Américains qui se tournent vers l’étranger –  vers l’Europe, et notamment vers la France – dans l’espoir d’y trouver des suggestions, des perspectives et des possibilités nouvelles de rénovation de leur système éducatif pour répondre aux nécessités résultant de l’industrialisation de la société états-unienne. Se développe alors aux États-Unis une littérature assez abondante sur l’éducation en France, émanant à la fois des autorités gouvernementales1, des chercheurs en éducation et de professeurs désireux d’améliorer l’enseignement en Amérique2. Dans cette littérature, nombreux sont les récits de voyage, d’observation de classes et les enquêtes qualitatives réalisées au sein des écoles primaire et secondaire françaises. Ces récits constituent autant de sources précieuses et mal connues, qui permettent d’interroger à nouveaux les pratiques scolaires françaises de l’époque, le regard étranger permettant de décentrer le point de vue. Le présent article est conçu comme une première étape de défrichement de cette littérature américaine sur l’histoire de l’éducation en France3.

  • 4 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write. A Study in the Teaching of the Mother Tongue, C (...)
  • 5 Cet ouvrage est à paraître aux Éditions Hattemer.
  • 6 Brown insiste d’ailleurs sur le fait qu’il s’intéresse principalement aux qualités et non aux défau (...)

2En 1915, Rollo Walter Brown (1880-1956), un professeur américain de composition et de rhétorique au Wabash College dans l’Indiana, publie aux États-Unis un livre intitulé How the French Boy Learns to Write4. La traduction, inédite en français, devrait paraître prochainement sous le titre Comment le petit Français apprend à écrire5. Dans cet ouvrage, Brown présente une enquête de première main qu’il a réalisée au sein des écoles françaises, dans le but d’offrir une perspective nouvelle sur l’enseignement de l’anglais en Amérique. Cet ouvrage ne se présente donc nullement comme une étude d’un spécialiste de l’éducation en France ou d’un historien américain de la France et ce, bien qu’il soit particulièrement riche et documenté. Il s’agit d’un écrit de circonstance, dont l’objet est de permettre, par l’étude des pratiques éducatives d’un système éducatif étranger, de donner une orientation nouvelle aux tentatives de rénovation et de réformes de l’enseignement américain qui ont lieu à cette époque6.

  • 7 Ibid., p. III.

3C’est par sa fréquentation d’un certain nombre de manuels français de composition que Brown a été amené à croire qu’il pourrait être utile aux Américains d’étudier l’apprentissage de l’écriture au sein des écoles françaises. En 1910, il obtient de son institution d’origine une année de congé pour mener à bien sa recherche. Deux ans plus tard, il part pour la France et consacre l’année scolaire 1912-1913 à visiter des classes du primaire et du secondaire, ainsi qu’à échanger avec des professeurs et des personnes intéressées par l’éducation7. Brown ouvre une large fenêtre sur les pratiques des instituteurs et des professeurs au sein des écoles primaires (élémentaires et supérieures) et des lycées (classes élémentaires, de premier cycle et de second cycle) de garçons en France à cette époque. Le professeur américain a ainsi observé l’enseignement donné par les professeurs dans les classes enfantines, préparatoires et élémentaires de différents lycées ; les méthodes mises en œuvre par certains instituteurs des cours élémentaire, moyen et supérieur d’écoles primaires ; et la pratique enseignante dans certaines écoles primaires supérieures, ainsi que dans les classes de seconde et de première de plusieurs lycées.

  • 8 Ibid., p. IV.

4Brown ne précise que rarement le lieu et le nom des établissements qu’il visite, de sorte qu’on est d’emblée confronté à une difficulté quant à la question de la représentativité nationale de son enquête qualitative. Néanmoins, il ressort de l’analyse de la préface de l’ouvrage qu’il a visité un grand nombre de classes dans différentes villes de France. Brown y remercie en effet une partie des personnes qui l’ont aidé à mener à bien son étude. On y découvre qu’il a été en contact, et orienté dans le choix des écoles à visiter, par des membres de la haute-administration de l’éducation : le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Gabriel Guist’hau, lui a ouvert les portes de différentes académies ; les recteurs des académies de Lille, d’Aix et de Lyon ainsi que le vice-recteur de l’académie de Paris l’ont, quant à eux, autorisé à pénétrer dans certaines écoles de leurs académies respectives ; et Gustave Lanson, professeur à la faculté des lettres de Paris, l’a conseillé et guidé au commencement de son travail8. Brown a donc pu observer la pratique enseignante dans les classes de certains lycées et écoles primaires de Paris, de Lille, d’Aix, de Versailles, de Digne, de Marseille ou encore de Lyon. Il a également visité l’école normale d’instituteurs de Paris. Il apparaît ainsi que l’étude des pratiques scolaires réalisée par Brown porte essentiellement sur l’éducation en contexte urbain et, partant, qu’elle ne peut aboutir à des généralisations sur l’état de l’enseignement dans son ensemble.

  • 9 S’appuyant sur ses propres notes, celles de Julien Bezard et de certains des élèves, Brown propose (...)

5Par ailleurs, à l’intérieur même de ces villes, l’enquête réalisée par Brown semble avoir été orientée par les autorités de l’époque. Les écoles et les classes qu’il a eu l’occasion de visiter et d’étudier apparaissent avoir été choisies pour leur excellence pédagogique. Par exemple, dans la préface, Brown remercie un professeur du lycée Carnot, un professeur-adjoint du lycée Janson de Sailly et un professeur de l’école primaire supérieure Jean-Baptiste Say ; autant d’établissements parisiens déjà réputés à l’époque et principalement fréquentés par des enfants des familles aisées. Il remercie également un instituteur du nom de Mercier, mais sans préciser l’école dans laquelle celui-ci enseigne. En dépit du peu d’informations concernant les établissements visités, il y a fort à parier qu’une semblable sélection ait été opérée pour l’école de cet instituteur parisien, ainsi que pour celles des autres villes de France où Brown s’est rendu pour mener à bien son étude. Dans ces villes, il a notamment observé des classes au lycée Ampère de Lyon, au lycée Gassendi de Digne, ainsi qu’au lycée Hoche de Versailles. C’est d’ailleurs dans ce dernier établissement que Brown a pu étudier et sténographier la pratique d’un professeur réputé, à savoir Julien Bezard9.

  • 10 Ministère de l’Instruction publique, Annuaire de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des cult (...)
  • 11 Pour une biographie d’Henri Alline, voir Georges Davy, « Henri Alline », in Association amicale de (...)
  • 12 Voir Michael Devaux, « La méthode de latin de Julien Bezard : des principes à la pratique (1914-193 (...)
  • 13 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…., op. cit., p. IV.

6Bezard n’est pas le seul maître reconnu que Brown a eu l’occasion d’observer dans ses visites. Certains des enseignants cités dans la préface ont reçu des distinctions honorifiques : c’est notamment le cas du professeur Faye, officier d’académie10, qui enseignait la langue et la littérature françaises à l’école Jean-Baptiste Say. D’autres sont des individus dont le nom et l’œuvre conservent aujourd’hui encore un écho certain : Henri Alline (1884-1918), ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres (1908), helléniste de premier plan, auteur d’un important ouvrage sur L’histoire et la critique du texte de Platon, et professeur de seconde au lycée Ampère de Lyon pendant l’année 1912-191311 ; Julien Bezard (1867-1933), également agrégé de lettres (1890) et ancien élève de l’École normale supérieure, auteur d’un grand nombre d’ouvrages sur l’enseignement du latin et du français, avait été nommé officier d’académie en 1906, puis officier de l’instruction publique en 1911, et était reconnu par sa hiérarchie comme un maître de qualité12. Ce sont notamment ces maîtres habiles du secondaire et l’instituteur parisien évoqué plus haut qui ont guidé et apporté « une aide considérable »13 dans la sélection et l’évaluation des nombreux travaux, devoirs et cahiers d’élèves que Brown a examinés et emportés. Ainsi, le regard de Rollo Walter Brown au cours de son année de visite apparaît avoir été orienté vers un certain type de pratiques enseignantes : la méthode française qu’il présente dans son ouvrage correspond à ce que les autorités considéraient comme étant la meilleure pratique d’enseignement du français dans les écoles urbaines à l’époque.

7En nous appuyant sur les informations et impressions données sur ces écoles françaises, le présent article aura pour objet de présenter et d’analyser comment Brown conçoit la méthode française de l’époque, sa spécificité, sa progression et, surtout, l’influence des pratiques mises en œuvre au sein des classes sur l’instruction des jeunes gens, sur la construction de leur rapport au savoir et, plus spécialement, à la belle langue. Plus particulièrement, sur la base des analyses de Brown, l’article réinterroge, au niveau des pratiques scolaires d’enseignement du français, l’opposition entre les écoles primaires et les lycées telle qu’elle était définie depuis 1880 et conçue par la plupart des contemporains intéressés aux questions d’éducation et d’enseignement à l’époque. Dans le sillage des travaux d’André Chervel sur l’enseignement du français d’une part, et de ceux de Jean-Michel Chapoulie et Jean-Pierre Briand sur l’enseignement primaire supérieur d’autre part, nous entendons nuancer l’idée selon laquelle l’école primaire, notamment élémentaire, n’aurait été, à la veille de la Première Guerre mondiale, qu’une école du « pratique » et de l’« utilitaire » pour montrer, à l’inverse, que certaines écoles primaires urbaines étaient, à l’époque, marquées par une visée libérale et humaniste, et, qu’en leur sein, les pratiques d’enseignement du français et les textes étudiés étaient très semblables à ceux que l’on pouvait trouver dans les classes de certains lycées.

8Pour ce faire, il s’agira, dans un premier temps, d’étudier la manière dont Brown comprend le système éducatif français à l’époque. Puis, dans un deuxième moment, d’analyser ce qu’il conçoit comme la méthode française dans une perspective de contribution à une histoire des pratiques scolaires proprement dites. Enfin, dans un troisième temps, de s’interroger sur le rôle joué par les écoles françaises dans la formation d’une partie de l’identité et de l’histoire du peuple et de son rapport à la langue, c’est-à-dire de leur propension à disséminer la conviction que le souci de la belle langue est une chose fondamentale, ce que Brown appelle la « tradition de la langue ».

I. Le système éducatif français : entre dualité et unité

9Brown, dans sa présentation du système éducatif français aux Américains, aperçoit très clairement deux de ses caractéristiques essentielles : la centralisation et l’organisation duale. La centralisation est, selon lui, facteur d’unité et d’uniformité des programmes au sein du pays tout entier, à la différence d’un système éducatif américain dont la gestion et l’organisation reviennent, d’après le Xe amendement de la Constitution des États-Unis, aux États fédérés. Brown attire également l’attention des lecteurs américains sur le fait que les Français utilisent les termes primaire et secondaire en un sens différent de celui qu’ils leur donnent outre-Atlantique :

  • 14 Ibid., p. 12, nous traduisons.

« La seconde caractéristique du système scolaire est l’organisation duale de la totalité de l’instruction avant l’université. Au lieu d’avoir, comme nous en Amérique, une école élémentaire pour tous sur laquelle l’enseignement au lycée repose ensuite, les Français ont deux systèmes parallèles distincts qui vont des plus petites classes jusqu’à la fin de la scolarité. Il est vrai qu’ils appellent l’un d’eux primaire et l’autre secondaire, mais les termes sont utilisés dans un sens complètement différent de nos primaire et secondaire et ne devraient pas être confondus avec eux »14.

  • 15 Pour les écoles primaires élémentaires de garçons, Brown reproduit l’arrêté du 27 juillet 1882 sur (...)
  • 16 Pour les classes du lycée, Brown cite le décret du 31 mai 1902 relatif au plan d’études secondaires (...)

10Si Brown fait le constat de l’existence de deux ordres d’enseignement séparés au sein du système éducatif français, il note également les différences qui existent entre ces deux ordres, notamment du point de vue des programmes : il reproduit dans le deuxième chapitre de l’ouvrage les programmes d’enseignement du français du primaire15 et une partie de celui des classes du lycée16 en vigueur à l’époque. L’enseignement primaire revêt selon lui un caractère plus pratique que le secondaire, qui est destiné aux garçons qui veulent avoir une « éducation aussi harmonieuse que possible avant de se présenter à l’examen du baccalauréat ». De plus, il perçoit bien les raisons sociales qui président au choix d’une telle organisation.

11À cette division scolaire s’adjoint assez naturellement une division sociale.

  • 17 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write..., op. cit., p. 13, nous soulignons.

« En fait, on exagèrerait à peine en disant que la distinction essentielle est d’ordre social. Le fils d’un avocat, d’un médecin, d’un professeur d’université ou d’un homme d’affaires nanti a de fortes chances d’aborder la formation scolaire de manière plus réfléchie que ne le fait le fils d’un charretier ou d’un plâtrier, et il peut vouloir acquérir une connaissance des sujets qui n’ont pas grande utilité pratique. Il va donc dans une école secondaire, le lycée. Le fils du forgeron, du charpentier, du jardinier ou du commerçant n’a pas l’argent pour régler le peu de frais de scolarité à payer dans l’enseignement secondaire, et il sera peut-être dans l’obligation d’aller travailler à l’âge de treize ans, dès qu’il aura satisfait les exigences prévues par la loi – la fin de la première partie de l’enseignement primaire – et ses intérêts, découlant des intérêts de sa famille, sont principalement utilitaires. Il va donc dans une école primaire »17.

  • 18 Viviane Isambert-Jamati, Crises de la société, crises de l’enseignement. Sociologie de l’enseigneme (...)
  • 19 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 13.
  • 20 Ibid.
  • 21 Viviane Isambert-Jamati, Crises de la société, crises de l’enseignement …, op. cit., p. 178.

12Si Brown note également la possibilité pour certains élèves du primaire d’intégrer les classes du lycée à l’issue des quatre années d’école primaire, il conclut immédiatement à son constat d’échec en pratique. En effet, la réforme de 1902 constitue un « tournant » du point de vue du secondaire car « elle pose comme normal le cursus d’un enfant qui entre au lycée après quatre ans d’école primaire »18. Il est vrai que le programme de l’enseignement secondaire prévoit la possibilité d’accueillir certains garçons du système primaire à l’âge de neuf ou dix ans ; toutefois, en pratique, seul un nombre très restreint d’élèves change de système19. Brown ajoute que si les difficultés économiques pour entrer dans une école secondaire sont souvent trop importantes pour que les élèves du primaire intègrent le secondaire, ce ne sont pas là les seules raisons qui permettent d’expliquer le petit nombre d’élèves qui changent de système en pratique : il s’est rendu compte, en discutant avec des élèves, « qu’il y a un léger mépris pour ceux qui sont éduqués dans l’autre système, quel que soit le système »20. On peut faire l’hypothèse que ce mépris explique, en un sens, le refus des élèves du primaire de changer de système et le fait que, du côté du secondaire, comme Viviane Isambert-Jamati l’a bien montré, « un quart seulement des boursiers des lycées (soit au total moins de 2 % des élèves des lycées) fréquentaient l’école primaire au moment de l’obtention de leur bourse », l’examen des bourses ayant continué à « être conçu de préférence pour des élèves fréquentant déjà le lycée »21.

  • 22 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write..., op. cit., p. 15.

13En dépit de cette dualité du primaire et du secondaire, l’examen des pratiques réalisé par Brown révèle une grande proximité de l’enseignement du français dans les classes des deux systèmes. À cet égard, il est significatif que, dans la description qu’il propose de l’enseignement de la langue maternelle en France, Brown mêle constamment les deux ordres d’enseignement. En effet, d’après lui, l’étude de la langue est le fond de l’enseignement dans les deux systèmes scolaires. Par étude de la langue, il faut entendre « non seulement l’étude de la littérature mais aussi celles de la grammaire et de la composition. En d’autres termes, la langue maternelle est traitée comme une seule matière constituée de différentes parties »22. Ce constat de Brown se trouve souvent exprimé chez lui dans son insistance sur le fait que les grands principes et instructions sur l’enseignement du français dans l’enseignement secondaire (contenus dans les Instructions concernant les programmes de l’enseignement secondaire de 1912) valent également pour le primaire. Brown note ainsi que l’habileté à bien écrire et à bien parler a, dans les deux systèmes, une importance de premier ordre ; c’est notamment pour cette raison que les programmes des deux systèmes accordent une place considérable à l’exercice de la composition. Toutefois, et c’est important, cet enseignement lui apparaît toujours subordonné à l’idée de développer l’autonomie de l’élève, de lui permettre d’exprimer sa propre pensée.

  • 23 Ibid., p. 47-48, nous soulignons.

« Lorsque l’habileté à écrire revêt partout une telle importance, il n’est pas surprenant de trouver dans les systèmes scolaires primaire et secondaire un programme de langue maternelle qui accorde une large place à une formation systématique en composition. Le corps enseignant et le ministère partagent la conviction que tout le travail fait en grammaire, en rhétorique et en littérature est vain s’il ne permet pas à l’élève de développer sa capacité à exprimer pleinement et intelligemment sa pensée. De plus, les théories de l’enseignement et tous les changements proposés dans le plan d’études semblent être d’abord évalués à l’aune de l’influence qu’ils peuvent exercer sur cette capacité des élèves. L’expression n’est pas la seule finalité ; mais elle est la fin première dans toutes les écoles élémentaires »23.

  • 24 Ibid., p. 46, 47.
  • 25 Dans son ouvrage, Brown parle de « cahier général » (general notebook). Toutefois, la description q (...)
  • 26 Ibid.

14Brown ne nie pas, comme nous l’avons vu, la différence d’orientation de ces deux ordres d’enseignement. Toutefois, il perçoit dans la pratique des classes et l’enseignement donné la même visée humaniste et libérale, ainsi que le recours à des procédés et exercices scolaires similaires dans les classes du primaire et du secondaire qu’il visite. S’agissant de la pratique de l’écriture et des exercices scolaires, la proximité entre les pratiques scolaires des deux systèmes est, pour Brown, patente : le même principe d’intensivité domine : « Sitôt qu’un enseignant américain entre en contact avec le système éducatif français, il s’émerveille de l’importance que prend l’écriture au sein des écoles et dans leur vie quotidienne ». En effet, cet enseignant américain ne peut qu’être subjugué par la place que prennent les exercices écrits dans les pratiques scolaires : « On exagérerait à peine en disant qu’il [l’élève] écrit tout le temps »24. Sur ce point, Brown affirme avoir été lui-même frappé par la pratique de l’écriture dans ce qui semble être le « cahier du jour »25 des élèves. Il affirme avoir emporté avec lui seize de ces cahiers, « soit un total de presque cinq cent pages »26, représentant le travail réalisé pendant une année par un élève de treize ans, sans doute un bon élève d’un cours supérieur.

15Cette proximité entre les deux ordres d’enseignement est également sensible s’agissant des pratiques de lecture. Brown insiste en effet sur l’importance de la lecture à haute voix dans les classes qu’il visite, et notamment de celles faites par le maître.

« La première lecture de ce genre que j’ai entendue restera à jamais gravée dans ma mémoire. C’était dans une école primaire à Paris. La classe étudiait la Révolution, et l’instituteur, un homme de cinquante-quatre ans aux cheveux gris et à la barbe grisonnante, venait d’expliquer les pertes considérables que le monde avait subies du fait de la Terreur. Puis il expliqua de quelle manière, selon la tradition, les poètes André Chénier et Roucher furent conduits ensemble vers la guillotine. Se tournant vers la bibliothèque derrière son bureau, il y prit un volume dans lequel se trouvait le poème La Jeune Captive de Chénier. Après avoir expliqué que Chénier avait écrit ce poème quand il était emprisonné à Saint-Lazare, il se mit à le lire simplement et avec émotion. Les petits garçons de douze ans, avec leurs coudes sur leur pupitre et leur menton appuyé sur leurs paumes, écoutaient avec grande émotion jusqu’à ce qu’il en arrive à ces lignes impressionnantes,

Ô mort ! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi !

  • 27 Ibid., p. 122.

et qu’il poursuive jusqu’à la fin du poème. C’est seulement lorsqu’il reposa le livre dans la bibliothèque que les élèves prirent une profonde aspiration et retournèrent à leurs travaux après cet aperçu de la vie dramatique et extraordinaire de leurs arrière-grands-pères »27.

  • 28 Ibid.
  • 29 André Chervel, Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle, Paris, Retz, 2006, p. (...)

16Et Brown d’ajouter que de telles pratiques de lecture ne sont « pas des exceptions rares », ni « non plus le fait d’un maître spécialiste de l’expression, mais seulement une partie régulière de la tâche des maîtres dans les classes élémentaires »28. Ce témoignage nous plonge dans une atmosphère très différente de l’idée que l’on se fait généralement de l’école primaire à la veille de la Première Guerre mondiale. Il tend à nuancer la thèse selon laquelle la lecture littéraire ne serait pas un des objectifs de l’école primaire, et qu’elle ne favoriserait pas le goût de la lecture29. De fait, l’enseignement du français dans les deux systèmes scolaires, tel que présenté dans l’ouvrage, semble obéir au même principe de fréquentation des bons auteurs : les élèves, dans le primaire comme dans le secondaire, en sont nourris et ne lisent à peu près qu’eux.

  • 30 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 114-115, nous soulignons.

Chaque garçon de neuf ou dix ans a lu quelque chose de Daudet et, bien que ses écrits soient extrêmement intéressants pour les adultes, le garçon l’apprécie vraiment. Chaque élève lit ensuite Victor Hugo qui, en France, est plus connu comme poète que comme prosateur et il pratique La Bruyère, Boileau, Chateaubriand, Joseph de Maistre, Lamartine, Michelet, Leconte de Lisle, André Theuriet, Flaubert, Vigny, Franklin (en traduction) et des auteurs contemporains comme Pierre Loti et Charles Wagner. Par-dessus tout, l’élève vit dans l’atmosphère de La Fontaine dont les Fables sont particulièrement bien conçues pour la lecture en classe, puisqu’elles racontent dans une forme admirable des histoires qui intéressent fortement les garçons de neuf, dix, onze ou douze ans »30.

  • 31 André Chervel, L’enseignement du français à l’école primaire, op. cit., p. 8.
  • 32 Ibid., p. 13.

17Sur ce point, l’enquête de première main réalisée par Brown ne fait que prendre acte de la mise en pratique effective dans certaines écoles primaires urbaines, notamment parisiennes, du rehaussement des objectifs de l’école primaire au niveau de ceux du secondaire, tel qu’il se trouve exprimé dans les prescriptions du plan d’études des écoles primaires publiques de 1882. On sait, en effet, depuis les travaux d’André Chervel sur l’enseignement du français à l’école primaire, à quel point l’arrêté du 27 juillet 1882 constitue une « petite révolution culturelle » et revêt « une importance analogue aux grandes lois républicaines sur l’école »31. À cette date, une partie importante de la littérature de l’enseignement secondaire fait son apparition dans l’enseignement primaire public et, partant, s’ouvre aux enfants du peuple32. Trente ans plus tard, il semble que l’enseignement des morceaux choisis de littérature soit effectif dans bon nombre de classes urbaines.

  • 33 Pierre Boutan, « Le “Français” : des débats à la vulgate », in Daniel Denis, Pierre Kahn (éd.), L’ (...)
  • 34 Martine Jey, « La littérature, un objet ambigu : “faire peuple” ou “raffiné” », in Daniel Denis et (...)
  • 35 Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie, Les Collèges du peuple. L’enseignement primaire supéri (...)

18Ainsi, s’il y a effectivement dualité du système éducatif français à l’époque, cette dualité apparaît contredite par un rapprochement des écoles primaires et des lycées au niveau des pratiques scolaires en langue maternelle. Il ressort ainsi de l’étude des pratiques réalisée par Brown que certaines écoles primaires, loin d’être des écoles du « pratique » et de l’« utilitaire », sont des écoles du savoir marquées par une visée libérale et humaniste proche de celle de l’enseignement du français dans le secondaire. Ce faisant, une analyse historique de l’ouvrage de Brown permet de conforter, au niveau des pratiques cette fois, les travaux de Pierre Boutan33 et de Martine Jey34 à propos de l’enseignement du français et de la littérature tels qu’ils ressortaient de l’analyse du Dictionnaire de pédagogie de Buisson. Elle corrobore également les conclusions auxquelles sont parvenus Jean-Michel Chapoulie et Jean-Pierre Briand s’agissant du rapprochement entre l’enseignement primaire supérieur et l’enseignement secondaire moderne à partir de 188035. Enfin, ladite analyse permet également de confirmer l’examen que propose Jean-Michel Chapoulie des diverses mesures prises avant 1900, notamment la loi Goblet de 1886 et le décret du 6 août 1893 réformant le concours des bourses de l’enseignement secondaire, qui ont contribué au rapprochement des deux ordres d’enseignement.

  • 36 Jean-Michel Chapoulie, L’École d’État conquiert la France. Deux siècles de politique scolaire, Renn (...)
  • 37 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 156.
  • 38 Marie-Madeleine Compère, « Les humanités et le latin », in François Jacquet-Francillon, Renaud d’En (...)

19Même si elles n’ont pas eu de conséquence importante, ces dispositions supposent que les études primaires élémentaires sont comparables aux études des classes élémentaires des établissements secondaires, et indiquent que l’entrée en sixième après des études dans une école primaire est possible36. Cette proximité des pratiques scolaires entre les écoles primaires et les classes du lycée connaît néanmoins certaines limites : le rapprochement semble valoir principalement pour les classes secondaires dans lesquelles les langues anciennes ne sont pas enseignées. En effet, d’importantes différences demeurent entre les instructions primaire et secondaire à l’époque, notamment autour de la question du latin. À cet égard, Brown relève que, onze ans après la réforme de 1902, le latin demeure « une partie extrêmement importante » de l’enseignement secondaire37, particulièrement dans les dernières années de lycée. À l’époque, l’enseignement du latin est exigé dans une division sur deux dans le premier cycle et trois sections sur quatre dans le second cycle du secondaire ; ces sections étant d’ailleurs considérées comme les plus prestigieuses de l’enseignement secondaire38.

  • 39 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 160-161.

20Un autre élément important empêche toute identification entre l’enseignement primaire et les classes des lycées : les enseignants eux-mêmes. Brown souligne que dans les lycées qu’il a visités, ce sont souvent les professeurs d’humanités classiques qui enseignent la langue et la littérature françaises aux élèves. Cela, à n’en pas douter, implique une différence, sinon de méthode, du moins d’orientation et d’analyse dans l’explication des textes français. Sur ce point, l’enquête évoque le cas de professeurs qui attendent de leurs élèves qu’ils fassent « montre de leur érudition latine », ou qui vouent une admiration telle au latin que leurs cours de français en deviennent « formels, lourds, avec une trop grande insistance sur des modèles latins figés »39. De tels procédés n’ont, à l’évidence, aucune place dans les écoles primaires, puisque l’enseignement du latin en est absent. Par conséquent, toute identification des pratiques d’enseignement du français entre les écoles du primaire et celles du lycée à l’époque semble à peu près impossible ; pour autant, il est possible de parler d’une proximité, voire même d’une similarité, des dites pratiques.

II. Contribution à une histoire des pratiques scolaires

21Cette idée d’une proximité des pratiques scolaires apparaît d’ailleurs encore plus clairement lorsqu’on aborde l’organisation intérieure de l’heure de classe, qui symbolise pour Brown la méthode française d’enseignement du français à l’époque. C’est cette organisation intérieure de l’heure de classe, dont Brown précise bien qu’elle vaut pour les deux ordres d’enseignement, dont il va maintenant être question.

  • 40 Ibid., p. 92.
  • 41 Ibid., p. 91.
  • 42 Ibid., p. 102.

22Brown relève, dans les classes qu’il visite, que la grammaire réclame pour elle-même la première place dans l’enseignement du français. Par grammaire, il ne faut pas seulement entendre l’étude des structures de la langue, mais également celle de l’ensemble des mots et expressions de cette langue que l’on trouve chez les bons auteurs. Les leçons de grammaire vont ainsi de pair avec celles d’orthographe, qui sont également une explication de morceaux choisis de littérature. Les leçons de grammaire et de vocabulaire seront analysées séparément mais, en pratique, ces deux leçons et exercices vont de pair dans l’heure de classe et occupent, d’après Brown, les vingt premières minutes ; cette organisation ayant, selon lui, pour objectif de permettre aux élèves de contracter tôt « de bonnes habitudes de langue »40. Brown explique ainsi qu’à l’école l’élève doit étudier les éléments de la grammaire de bonne heure et les connaître à fond, « afin qu’ils deviennent des habitudes et des réflexes »41. Ces leçons de grammaire sont principalement faites à l’oral ; ce qui permet de les rattacher plus facilement à la vie de l’élève, de l’obliger à réfléchir plus vite lorsqu’il analyse les phrases que s’il le faisait à l’écrit et, partant, de faire en sorte que la leçon de grammaire soit « chargée d’activité »42.

  • 43 Ibid., p. 109.

23Dans l’enseignement de la grammaire, Brown note que, sous l’influence de la méthode inductive, la plupart des enseignants sont amenés à associer l’induction à la déduction. Lorsqu’ils exposent une règle grammaticale à leurs élèves, ils partent d’exemples concrets pour leur en faire saisir le sens, exposent ensuite la règle et « conclu[en]t avec un autre exemple » qui la confirme43. Par ailleurs, Brown a pu constater que la simplification de la grammaire, et notamment de la nomenclature grammaticale (par l’arrêté du 25 juillet 1910), a poussé les maîtres à insister davantage sur un « petit nombre d’exercices relativement simples » :

  • 44 Ibid., p. 94-95.

« L’élève s’exerce à compléter les parties manquantes des phrases ; à mettre au singulier les mots qui sont au pluriel, et inversement ; à mettre ceux qui sont masculins au féminin ce qui, en français, nécessite de nombreux autres changements ; à remplacer par des pronoms les noms de plusieurs phrases ; à changer le temps des verbes d’un paragraphe (en respectant la concordance des temps) ; à conjuguer les verbes qui sont à l’infinitif ; à transformer les phrases déclaratives en phrases interrogatives, exercice qui en français demande beaucoup de pratique ; à transformer les discours directs en discours indirects, et inversement »44.

  • 45 Ibid., p. 48.
  • 46 Ministère de l’Instruction publique, Instructions concernant les programmes de l’enseignement secon (...)

24Les leçons et exercices de vocabulaire sont, avec la dictée, de véritables « préliminaires à la composition »45 et sont présentés comme ayant une triple finalité : ils doivent enrichir, affiner et activer le vocabulaire des jeunes enfants. L’objet de ces exercices et leçons de vocabulaire se trouve, d’après Brown, résumé dans un passage des Instructions concernant les programmes de l’enseignement secondaire : « il faut lui [l’élève] faire connaître les mots, mais sans jamais les séparer des choses ; lui en faire saisir la signification et la nuance exacte ; l’accoutumer à les retrouver rapidement quand il est nécessaire »46.

  • 47 Ibid., p. 53-54.
  • 48 Ibid., p. 56-57.
  • 49 Brunot et Bony, Enseignement primaire élémentaire. Méthode de langue française, vol. 2, Paris, Arma (...)

25Du point de vue de l’organisation intérieure du temps de l’heure de classe, les leçons de grammaire et d’orthographe vont de pair. Selon Brown, en même temps que le maître explique un morceau choisi de littérature (comme un passage de La chèvre de Monsieur Seguin ou de La dernière classe d’Alphonse Daudet), qu’il en analyse la structure grammaticale, il explique le sens des mots. Les exercices de vocabulaire « découlent donc directement de différents points de cours en grammaire ou en lecture »47, et ils ont pour objectif de développer chez les élèves « une conscience » et « le goût des mots ». L’objet des leçons de vocabulaire est de permettre aux enfants d’utiliser, à chaque fois, « avec précision et assurance » le mot juste48. Sur ce point, Brown a été frappé par la manière dont les manuels français permettent aux élèves d’accroître leur vocabulaire, en leur proposant des « groupes de mots apparentés ». Il cite, en exemple, une leçon de vocabulaire sur la guerre et la paix, accompagnée d’un extrait des Caractères de La Bruyère, et tirée du deuxième livre de La méthode de langue française de Brunot et Bony destiné aux élèves du cours élémentaire et de la première année du cours moyen49.

  • 50 Ibid., p. 55.

26Brown note également que la base de l’enseignement du vocabulaire est l’antonymie car, pour les enseignants français de l’époque, les jeunes enfants retiennent mieux les choses qu’ils voient par contraste. Par exemple, si le mot souche figure dans une leçon, le maître souligne « la différence entre souche et tige, entre souche et tronc, entre tige et tronc, de sorte que l’élève ne puisse jamais faire l’erreur de les employer comme s’ils étaient des termes interchangeables »50. De plus, le maître insiste tout particulièrement sur la nécessité pour le jeune élève de rattacher chaque mot, d’une part, à la chose ou à l’idée qu’il représente et, d’autre part, aux autres mots qu’il possède déjà. L’enseignant commence donc toujours par exposer le sens usuel des mots à ses élèves avant de leur présenter la définition abstraite.

  • 51 Ibid., p. 50-51.
  • 52 Ibid., p. 55.

27Lorsque l’explication ou la définition d’un mot ou d’un groupe de mots est nécessaire, le maître commence par en présenter le sens particulier plutôt que général, concret plutôt qu’abstrait. En théorie au moins, un maître commencerait donc par imprimer la signification de l’adjectif sincère dans l’esprit de l’enfant avant d’en examiner la qualité abstraite, la sincérité. Il commencerait par montrer au garçon que de nombreuses choses sont dites riches ou nobles, avant de lui expliquer ce que sont la richesse et la noblesse51. Enfin, le maître active le vocabulaire des élèves et s’assure qu’ils possèdent une provision de mots, en les pressant de questions « à propos du mot lui-même, de son emploi, de ses synonymes et de ses antonymes »52. Ces leçons de grammaire et d’orthographe sont suivies par l’exercice phare de l’époque, à savoir la dictée.

  • 53 André Chervel, Histoire de l’enseignement du français,op. cit., p. 323 et 325.
  • 54 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 59.
  • 55 Ibid., p. 57-58.
  • 56 Ibid., p. 63.
  • 57 Ibid., p. 54.

28S’agissant de la pratique de la dictée, l’enquête ne fait que confirmer le ralliement général de l’école française, signalé par André Chervel, à une « formule unique de dictée : celle de textes cohérents, en général des textes d’auteurs »53. En effet, d’après Brown, les dictées sont choisies parmi les auteurs classiques, sans recherche de difficultés grammaticales particulières : il s’agit le plus souvent du paragraphe court qui a fait l’objet de la leçon d’orthographe et de grammaire54. L’auteur note que c’est par la pratique intensive de la dictée que l’élève s’exerce « au maniement de la phrase » ; qu’il « dirige son attention sur les constructions grammaticales » ; qu’il apprend à « orthographier, à ponctuer et à mettre en majuscules » ; qu’il enrichit son vocabulaire ; qu’il s’exerce à utiliser les mots qu’il connaît déjà et qu’il « loge dans son esprit des discours bien construits »55. La dictée constitue, dans cette perspective, le moyen principal du développement précoce d’une « conscience de la langue ». C’est par sa pratique intensive que l’élève contracte les bonnes habitudes de langue, notamment une bonne maîtrise de l’orthographe et de la grammaire, et que celles-ci deviennent « une “seconde nature” lorsqu’il est prêt à écrire ses propres compositions »56. Si la pratique de la dictée permet à l’élève de « loger dans son esprit des discours bien construits », c’est, note Brown, l’apprentissage par cœur et la récitation qui lui permettent de les graver et de les imprimer dans son esprit. C’est, d’après lui, pour cette raison qu’à l’exercice intensif de la dictée est rattaché celui de la récitation, dont le but est de solliciter et de cultiver la mémoire des élèves. En pratique, le maître fait ainsi apprendre par cœur et réciter de mémoire aux élèves les morceaux choisis, qui ont été préalablement lus et expliqués en classe57.

  • 58 Ibid., p. 66.
  • 59 Ibid., p. 65.

29Pour ce qui est de la rédaction, Brown note qu’elle est, à côté de la dictée, l’exercice principal de l’école, qu’elle soit primaire ou secondaire. Dans les classes élémentaires des deux systèmes, il explique que les exercices d’écriture et de rédaction sont, dans l’ensemble, rattachés à ceux de dictée : il s’agit généralement de reproduction écrite de morceaux choisis de littérature, lus et expliqués en classe par le maître58. Ces premières rédactions des élèves sont de deux sortes : « l’élève doit soit reproduire le texte avec ses propres mots, soit exprimer son opinion ou ses préférences d’une manière très simple »59. Après les classes élémentaires, les exercices écrits de composition et les sujets des rédactions varient selon la classe et le système dans lesquels l’élève se trouve. Cependant, le type de sujets proposés est similaire dans les deux systèmes. Brown établit ainsi, à partir des notes qu’il a prises en observant les classes, une typologie des sujets de rédaction que les maîtres donnent aux élèves, en fonction de leur âge dans les deux systèmes scolaires. Il dégage trois types de sujets de rédaction :

  • un premier type, « faisant principalement appel à une observation précise », destiné aux élèves âgés de dix à treize ans ;

  • un deuxième type, qui vise le développement de l’imagination, et donné de préférence aux enfants de treize à quinze ans ;

  • un troisième type, qui exige de la part de l’élève « de l’analyse, de la pensée et de la réflexion », destiné aux élèves âgés de quinze à dix-huit ans.

  • 60 Brigitte Dancel, Un siècle de rédactions. Écrits d’écoliers et de collégiens, Grenoble, CRDP de l’a (...)

30Il est possible d’établir un rapprochement entre ces sujets et les travaux d’élèves que Brigitte Dancel a étudiés dans son ouvrage Un siècle de rédactions. En effet, les sujets mentionnés par Brown sont semblables à ceux contenus dans le cahier de roulement de l’instituteur Ferdinand Riché60. On retrouve des exercices de description de l’univers scolaire ; des rédactions portant sur la vie quotidienne de l’adolescent et son rapport au monde ; et des sujets en lien avec le développement technologique et industriel de la nation. Par exemple, Brown évoque un exercice de description par l’élève d’un jeu auquel il joue à l’école ; une rédaction, donnée à Versailles, consistant à discuter la critique rousseauiste des jardins français du XVIIe siècle, après observation des jardins du Grand et du Petit Trianon ; ou encore, un sujet proposant aux élèves de décrire la vie parisienne au jour de l’an. Si le type d’exercice est le même dans le primaire et le secondaire, le nombre, le choix des sujets et leur longueur varient d’un système à l’autre. Par exemple, à propos des sujets d’observation, Brown explique la chose suivante :

  • 61 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 66-67.

« Comme on a pu le déduire de ce que nous avons dit […] à propos des différentes fins des deux systèmes scolaires, l’accent mis sur un type de sujet est déterminé en grande partie par le système dans lequel les devoirs sont donnés. Par exemple, j’ai constaté que, dans une école élémentaire du système secondaire, les quatre devoirs pour le mois de mars étaient les suivants : (1) un compte-rendu d’un sujet discuté en classe ; (2) deux narrations simples ; et (3) une lettre sur un sujet familier. Dans une école correspondante du système primaire, les huit devoirs étaient les suivants : (1) un compte rendu d’un sujet discuté en classe ; (2) une narration simple ; (3) trois descriptions de plantes ; et (4) trois descriptions d’animaux. Néanmoins, l’objectif principal dans les classes élémentaires des deux systèmes est le même ; à savoir, encourager l’observation et développer la capacité de l’élève à écrire ce qu’il voit »61.

  • 62 Ibid., p. 75 et 83.
  • 63 Ibid., p. 81.
  • 64 Ibid., p. 80.

31Les descriptions de choses vues semblent ainsi occuper une part plus importante dans le primaire que dans le secondaire. Pour autant, Brown insiste sur le fait que, dans les deux systèmes, ces exercices ont un objectif similaire : développer la capacité de l’élève à écrire et le pousser à s’exprimer nettement en choisissant le mot juste. Ces exercices sont d’ailleurs le plus souvent préparés en classe par le maître avec les élèves, afin de les aider dans leur travail de rédaction. Le maître corrige ensuite en classe les rédactions en s’arrêtant sur les qualités des copies62. La correction elle-même varie selon que l’élève se trouve dans les premières ou dans les dernières classes de sa scolarité. Brown explique ainsi que la correction des travaux des élèves dans les classes élémentaires porte essentiellement sur la « mécanique »63 de l’écriture, c’est-à-dire sur la correction de la langue, les fautes d’orthographe, de grammaire, de conjugaison, etc. Dans les classes plus avancées, en revanche, les annotations écrites en marge des nombreuses rédactions qu’il a pu examiner attestent, selon lui, de l’importance que les maîtres accordent au sujet et à son organisation64.

  • 65 Ibid., p. 5-6.

32Cette organisation intérieure de l’heure de classe est le strict reflet de ce que Brown conçoit comme la méthode française d’enseignement de la langue maternelle. À l’évidence, l’heure de cours de français présentée ici n’est qu’un modèle, illustrant de manière exemplaire l’esprit de l’enseignement. En pratique, elle varie selon la classe dans laquelle se trouvent les élèves et selon la nature même du morceau choisi de littérature que le maître entend leur expliquer. Dans les classes élémentaires, il s’arrête plus longuement sur les questions grammaticales et orthographiques. La rédaction occupe une place de plus en plus importante, à mesure que les élèves avancent dans leur scolarité. Toutefois, d’après Brown, la classe obéit toujours aux deux principes fondamentaux, à savoir la fréquentation des bons auteurs et l’intensivité. L’étude de Brown fait ainsi ressortir la proximité qui existe entre les pratiques scolaires dans les écoles primaires et les lycées français de l’époque. C’est, d’après lui, cette instruction donnée par les maîtres au sein des classes françaises qui « permet à des barbiers, des cordonniers, des garçons de courses, des conducteurs d’autobus, des épiciers et des serveuses d’expliquer des usages grammaticaux et rhétoriques et que c’est cette instruction qui a contribué à leur donner une conscience de la langue qui, dans une large mesure, leur permet de parler et d’écrire correctement »65.

III. De la classe à la tradition de la langue : la « culture scolaire » à l’œuvre

  • 66 Ibid., p. 203.

33Si l’émergence de cette conscience s’explique en grande partie par la pratique mise en œuvre au sein des classes, Brown précise qu’elle est également tributaire de l’atmosphère qui règne au sein de l’école ; atmosphère qu’il résume en trois mots : « respect, impartialité et sérieux »66.

  • 67 Ibid., p. 203-204.
  • 68 Jean Gaillard, « Discipline scolaire » in Ferdinand Buisson (dir.), Nouveau dictionnaire de pédagog (...)

34L’atmosphère de respect relève, d’après Brown, d’une certaine évidence : la conduite des jeunes élèves est caractérisée par un respect qui « est si profondément enraciné, fait tellement partie de la vie de l’école, qu’il est à peine possible de concevoir son absence ». Cette attitude ne se traduit pas par une séparation nette entre les maîtres et les élèves : les enseignants aiment être en contact avec leurs élèves ; ils semblent prendre un « grand plaisir à les voir progresser et regarde[nt] d’un bon œil leurs jeux d’enfants ». Pour autant, la relation qui unit maîtres et élèves n’est pas égalitaire : leur rapport se rapproche davantage de celui qui « lie l’homme sage et le jeune inexpérimenté qui souhaite acquérir la sagesse »67. Brown insiste sur le fait que cette atmosphère est fort éloignée d’une discipline autoritaire ou militaire : elle se rapproche davantage de la discipline libérale présentée dans le Dictionnaire de pédagogie de Buisson68.

  • 69 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 205.

« La discipline est ferme, mais elle n’est pas de fer. “Me pardonnerez-vous ?”, demanda un garçon de dix ans à son maître à la fin d’une heure de classe au cours de laquelle ce dernier l’avait puni en lui donnant cinq devoirs supplémentaires à faire pour le lendemain. “Je ne voulais pas être un vilain garçon”. “Eh bien, je pourrais vous pardonner, répondit le maître, mais, voyez-vous, nous avions un visiteur aujourd’hui et vous l’avez également dérangé”. Le petit bonhomme se tourna alors vers moi et me demanda avec empressement : “Me pardonnez-vous ? M’épargnerez-vous cinq exercices difficiles ?” “Ce ne sont pas de mauvais garçons, fit remarquer le maître tandis que le petit garçon sortait tout content de la classe, mais je dois être ferme avec eux” »69.

  • 70 Ibid., p. 204.

35L’esprit d’impartialité se manifeste quant à lui dans « les relations sociales qu’entretiennent maître et élève ». Cet esprit se caractérise par le fait que l’enseignant ne doit pas avoir de préférence sociale, et se trouve notamment exprimé dans un règlement scolaire modèle qui interdit aux instituteurs publics de recevoir des cadeaux de la part des élèves ou de leurs parents (Règlement scolaire modèle du 18 janvier 1887, art. 18). Toutefois, d’après Brown, l’impartialité se manifeste surtout dans le fait que l’élève vit dans une atmosphère qui lui rappelle constamment que l’école est le seul lieu dans lequel il est évalué par rapport à des normes invariables et ce, quelle que soit la manière dont il est traité dans son environnement quotidien et partout ailleurs dans le monde70.

  • 71 Ibid., p. 205-206.
  • 72 Ibid., p. 206.

36Enfin, l’esprit de sérieux, « caractéristique des écoles françaises qui impressionne le plus un Américain », est à distinguer de la gravité. La vie de l’école n’est ni triste, ni grave ; ce sérieux renvoie au fait qu’élèves et maîtres savent qu’ils doivent faire quelque chose « d’important » dès qu’ils entrent en classe : « il doit y avoir de l’activité mentale », du « travail » car en France, « on considère comme allant de soi que l’élève doive travailler, beaucoup travailler »71. Pour Brown, cette atmosphère de sérieux s’explique par la relative étanchéité qui existe à l’époque entre l’école et la société : « l’élève ne sent pas partout autour de lui la présence de la “société” au point qu’il lui semble impossible de fixer son attention sur son travail ». Dans le même sens, le fait que les écoles soient séparées par sexe, quand les conditions locales ne rendent pas la coéducation des sexes nécessaires, contribue, selon Brown, à cette atmosphère de sérieux72.

  • 73 Ibid., p. 207.
  • 74 Ibid., p. 63.
  • 75 Ibid., p. 208-209.
  • 76 Ibid., p. 208.

37Tout en refusant de présenter l’école française comme une école idéale, Brown insiste sur le fait que « le maître et l’atmosphère de la vie dans l’école exercent une influence particulièrement forte sur la maîtrise par l’élève de sa langue maternelle »73. Les élèves développent ainsi un « souci de la langue » qui devient une véritable « seconde nature »74. L’effet des écoles ne se limite toutefois pas, pour lui, à l’institution de cette seconde nature chez les élèves : elles ont également des conséquences sur ce qu’il appelle la « tradition de la langue ». Cet effet n’est pas difficile à comprendre : la position accordée à la belle langue dans la société française se modifie dès lors que les programmes d’enseignement du secondaire et du primaire obligent l’élève à suivre le type de cours de français évoqué plus haut pendant un grand nombre d’années, et que l’organisation du système scolaire « est telle qu’il est peu probable qu’il [l’élève] manque une partie essentielle de ce cours »75. Pendant tout le dix-neuvième siècle, à l’époque où les systèmes éducatifs se développaient le plus rapidement, ce souci de la belle langue, qui naguère n’était cher qu’à une partie du peuple (people), devint l’idéal de la nation tout entière76.

  • 77 André Chervel, La culture scolaire. Une approche historique, Paris, Belin, 1998, p. 7.
  • 78 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 210.
  • 79 André Chervel, La culture scolaire…,op. cit., p. 7.
  • 80 Ibid., p. 191.
  • 81 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 6.
  • 82 Ibid., p. 209.
  • 83 Sur ce point, on se reportera aux articles de Martine Jey, « “Crise du français” et réforme de l’e (...)

38À l’instar de ce qu’André Chervel écrivait à propos du fait que « la grammaire scolaire française et la vénération dans laquelle la société française d’aujourd’hui tient son système orthographique sont l’une et l’autre des parties constitutives de la culture scolaire des Français »77, Brown considère que « l’organisation du système éducatif français et la nature de l’instruction donnée dans les écoles ont contribué conjointement à propager cette conviction [que l’école devrait être la garante du bon français] aux quatre coins du pays et parmi toutes les classes sociales »78. Ainsi, la culture scolaire « engendrée par les contraintes pédagogiques ou plus étroitement didactiques qui accompagnent en permanence l’enseignement donné en milieu scolaire »79 a contribué, au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, à la dissémination, dans la société française, de la conviction selon laquelle le souci de la belle langue est une chose fondamentale, dont l’utilité est indéniable. C’est cette culture scolaire, qui trouve dans l’école « sa diffusion et son origine »80, qui explique que « ce souci de la belle langue » soit devenu « l’idéal de la nation tout entière » selon Brown. Pour ce dernier, « on doit reconnaître aux écoles la part qui leur est due »81 dans l’apprentissage de l’écriture ainsi que dans la formation de cet idéal. L’école et la culture scolaire, en faisant contracter aux enfants les habitudes de langue et d’orthographe et en leur faisant sentir l’importance du bien parler et du bien écrire, auraient, selon Brown, influencé d’une manière déterminante la société française, faisant du rapport au savoir et à la langue une de ses préoccupations fondamentales. En étudiant leur langue maternelle à l’école, les Français ont appris l’importance de son apprentissage ; ils ont fait leur ce souci de la belle langue, au point qu’il soit devenu une seconde nature. Ce souci de la belle langue, la conscience littéraire, la conscience de l’orthographe, la conscience des mots – pour reprendre les termes employés par Brown – deviennent par là même une valeur commune chez les élèves que l’école a formés. C’est la transmission de cette valeur commune par l’institution scolaire qui est à l’origine de l’importance de la langue que Brown perçoit au sein de la société française en 1913. Cette « tradition de la langue » se révèle d’ailleurs, selon lui, dans le fait que « rien de ce qui semble avoir un effet défavorable sur l’instruction en langue maternelle ne puisse être proposé sans soulever des avertissements et des protestations contre une “crise” du français »82. Sur ce point, il est clair que, pour Brown, les débats à propos des études littéraires qui faisaient rage en France dès 1909 à l’échelle nationale, autour de ce qu’on appelait la « crise du français »83, à savoir la question de la baisse du niveau des élèves en français au baccalauréat et aux agrégations, ainsi que le débat autour de la place du latin dans les études, attestent clairement de la solidité de cette tradition de la langue. C’est une telle organisation de la tradition de la langue que Brown appelle de ses vœux aux États-Unis, afin de résoudre les problèmes de la rénovation de l’enseignement américain au tournant du XXe siècle.

  • 84 Pour une analyse des idées contenues dans le rapport, voir notamment : Edward A. Krug, The Shaping (...)
  • 85 Les partisans de la psychologie nouvelle et du mouvement en faveur de l’étude de l’enfant, comme le (...)
  • 86 Les tenants de l’efficience sociale et de l’enseignement professionnel (vocational education), comm (...)

39En plaidant ainsi pour l’organisation d’une « tradition de la langue » dans son pays d’origine, Brown ne se positionne pas dans une perspective de défense des humanités stricto sensu : il s’inscrit dans le prolongement des recommandations contenues dans le rapport de 1893 du Committee of Ten for Secondary School Studies, qui prônait la mise en place d’un enseignement secondaire dispensé uniformément à tous les élèves et destiné à dégager une élite intellectuelle sur la base des talents naturels84. Ce faisant, Brown s’inscrit en faux contre deux types de réformateurs progressistes américains de l’époque : ceux qui cherchent à développer un enseignement centré sur l’enfant, qui se préoccupe de « la grande armée des incapables »85 ; et ceux qui s’efforcent d’établir un système dual dont un ordre serait voué à l’enseignement supérieur et à l’éducation libérale et l’autre à une formation strictement professionnelle pour répondre aux besoins de la nouvelle société industrielle86.

  • 87 Pour une analyse de ces sources françaises, voir Jean-Michel Chapoulie, L’École d’État conquiert la (...)

40Le regard étranger, de par la différence de perspective dont il est porteur, a la capacité de susciter le questionnement et l’interrogation, de réinterroger certaines des interprétations et des catégorisations que les nationaux ont pu établir. C’est précisément sur ce point que réside l’intérêt d’un examen de l’enquête réalisée par Rollo W. Brown : elle met en lumière la proximité des pratiques d’enseignement du français dans les écoles primaires et les lycées de France à la veille de la Première Guerre mondiale. Ce faisant, le regard de cet étranger bouscule quelque peu certaines des interprétations qui ont pu être données de l’enseignement du français à cette époque, notamment l’idée qu’existerait une frontière étanche du point de vue des pratiques d’instruction entre les enseignements primaire et secondaire. Par là, il corrobore le point de vue adopté par certains instituteurs, universitaires et députés français qui, à l’instar de Ferdinand Buisson, remettaient en question la légitimité de l’organisation duale du système éducatif français dès 189887. À cet égard, le regard de cet Américain sur l’éducation française nous apparaît porteur d’un enrichissement des perspectives sur l’enseignement en France, chose toujours utile à l’historien.

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Notes

1 Dès 1890, les rapports annuels du commissaire à l’éducation des États-Unis contiennent presque tous un ou plusieurs articles centrés sur l’éducation en France. Ces articles comprennent notamment des tableaux statistiques, évoquent l’évolution législative relative aux questions d’éducation dans le pays ainsi que des analyses sur le système éducatif français. Voir notamment, United States Bureau of Education, Circular of Information, n° 4 : Education in France, Washington, 1881 ; Circular of Information, n° 5 : Maternal Schools of France, Washington, 1882 ; Report of the United States Commissioner of Education, 1890-1891, vol. 1, p. 95-108 ; 1893-1894, vol. 1, p. 187-201 ; 1894-1895, vol. 1, p. 289-305 ; 1896-1897, vol. 1, p. 29-56 ; 1897-1898, vol. 1, p. 704-749 ; 1898-1899, vol. 1, p. 1095-1196 ; 1899-1900, vol. 2, p. 1712-1721 ; 1900-1901, vol. 1, p. 1082-1103 ; 1902, vol. 1, p. 685-698 ; 1905, vol. 1, p. 76-80 ; 1906, vol. 1, p. 19-26 et 30-32 ; 1907, vol. 1, p. 143-157 ; 1908, vol. 1, p. 230-238.

2 Voir notamment James R. Parsons, French Schools through American Eyes: A Report to the N. Y. State Department of Public Instruction, Syracuse, 1892 ; Lucy M. Salmon, « Training of Teachers in France », Educational Review, vol. 20, 1900, p. 383-404 ; Anna Tolman Smith, « Decentralizing Tendencies in the French System of Education », School Review, vol. 7, 1901, p. 133-144 ; Id., « Educational Lessons of the Paris Exposition », Educational Review, vol. 22, 1901, p. 137-147 ; Frederic E. Farrington, The Public Primary School System of France, New York, Columbia University, 1906 ; P. J. Hartog, The Writing of English, Oxford, The Clarendon Press, 1907.

3 Une première version de ce texte a été présentée au colloque « Éducation et identités : perspectives historiques » organisé par l’Association transdisciplinaire pour les recherches historiques sur l’éducation (ATRHE) et le laboratoire ÉMA (École, mutations, apprentissages) de l’université de Cergy-Pontoise les 22 et 23 mars 2013. Le présent article a bénéficié des remarques et suggestions constructives des personnes présentes, que je remercie ici. Je tiens aussi à exprimer ma gratitude à Rebecca Rogers, professeure d’histoire de l’éducation à l’université Paris-Descartes, pour son soutien et ses conseils avisés dans l’écriture de cet article ainsi qu’à témoigner ma reconnaissance à Nathalie Bulle, directrice de recherches au CNRS au Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne (GÉMASS), qui m’a fait découvrir cet ouvrage et m’a proposé d’en effectuer la traduction. Enfin, mes remerciements vont à Renaud d’Enfert et au comité d’experts de la revue Histoire de l’éducation pour leurs remarques et suggestions qui ont contribué à l’amélioration de cet article.

4 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write. A Study in the Teaching of the Mother Tongue, Cambridge, Harvard University Press, 1915.

5 Cet ouvrage est à paraître aux Éditions Hattemer.

6 Brown insiste d’ailleurs sur le fait qu’il s’intéresse principalement aux qualités et non aux défauts de la pratique pédagogique française : « il faut, dit-il, garder à l’esprit que mon objectif essentiel est d’indiquer ce qui contribue à un enseignement fructueux. Des faiblesses, et même des absurdités, ont existé et existent encore au sein de l’éducation française ; mais dans la présente étude, la plupart d’entre elles ne sont pas considérées comme pertinentes », Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write ..,op. cit., p. 8.

7 Ibid., p. III.

8 Ibid., p. IV.

9 S’appuyant sur ses propres notes, celles de Julien Bezard et de certains des élèves, Brown propose dans son ouvrage un compte rendu vivant de l’explication du poème l’Isolement de Lamartine donnée par Bezard en juin 1913 au lycée Hoche à Versailles à une classe de première. Cf. Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write …,op. cit., p. 129-148.

10 Ministère de l’Instruction publique, Annuaire de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des cultes pour l’année 1907, Paris, Delalain, p. 124.

11 Pour une biographie d’Henri Alline, voir Georges Davy, « Henri Alline », in Association amicale de secours des anciens élèves de l’École normale supérieure, vol. 2, 1922, Paris, Rue d’Ulm, p. 131-137.

12 Voir Michael Devaux, « La méthode de latin de Julien Bezard : des principes à la pratique (1914-1934) », Recherches et éducation, n° 4, 2011, p. 80-81.

13 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…., op. cit., p. IV.

14 Ibid., p. 12, nous traduisons.

15 Pour les écoles primaires élémentaires de garçons, Brown reproduit l’arrêté du 27 juillet 1882 sur l’organisation pédagogique et le plan d’études des écoles primaires publiques, tel que modifié par l’arrêté du 18 janvier 1887 et complété par les arrêtés des 8 août 1890, 4 janvier 1894, 9 mars 1897, 17 et 20 septembre 1898. Pour les écoles primaires supérieures de garçons, Brown reproduit l’arrêté du 26 juillet 1909 sur l’enseignement dans les écoles primaires supérieures et dans les cours complémentaires. Cf. André Chervel, L’enseignement du français à l’école primaire. Textes officiels concernant l’enseignement primaire de la Révolution à nos jours, t. 2, 1880-1939, Paris, INRP/Économica, 1995, p. 100-106, 125-127, 181-183, 234-242.

16 Pour les classes du lycée, Brown cite le décret du 31 mai 1902 relatif au plan d’études secondaires, tel que modifié par les arrêtés des 4 mai et 15 novembre 1912. Toutefois, il ne reproduit pas les programmes de toutes les classes dans le premier cycle, mais seulement de la division B, sans langues anciennes, et celles des sections A, B et C dans le second cycle. Cf. Plan d’études et programmes de l’enseignement secondaire des garçons, 11e éd., Paris, Vuibert, 1912.

17 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write..., op. cit., p. 13, nous soulignons.

18 Viviane Isambert-Jamati, Crises de la société, crises de l’enseignement. Sociologie de l’enseignement secondaire français, Paris, Presses universitaires de France, 1970, p. 177.

19 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 13.

20 Ibid.

21 Viviane Isambert-Jamati, Crises de la société, crises de l’enseignement …, op. cit., p. 178.

22 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write..., op. cit., p. 15.

23 Ibid., p. 47-48, nous soulignons.

24 Ibid., p. 46, 47.

25 Dans son ouvrage, Brown parle de « cahier général » (general notebook). Toutefois, la description qu’il en fait tend à indiquer qu’il s’agit de « cahiers du jour ». En effet, d’après lui, un cahier général est un cahier dans lequel « le garçon écrit presque tout, à l’exception de ses compositions qu’il écrit sur du papier à rédiger ou dans des livres de composition. Les devoirs à faire pour le lendemain, la solution des problèmes d’arithmétique, les leçons de vocabulaire, les expériences faites en classe de science élémentaire, les dictées en langue maternelle, les leçons de grammaire, les questions sur la leçon de lecture auxquelles il faut répondre pour le lendemain, les leçons d’orthographe et les maximes à méditer ; les élèves consignent tout cela dans leur cahier général », Ibid., p. 87.

26 Ibid.

27 Ibid., p. 122.

28 Ibid.

29 André Chervel, Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle, Paris, Retz, 2006, p. 544.

30 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 114-115, nous soulignons.

31 André Chervel, L’enseignement du français à l’école primaire, op. cit., p. 8.

32 Ibid., p. 13.

33 Pierre Boutan, « Le “Français” : des débats à la vulgate », in Daniel Denis, Pierre Kahn (éd.), L’École républicaine et la question des savoirs. Enquête au cœur du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, Paris, CNRS Éd., p. 45-77.

34 Martine Jey, « La littérature, un objet ambigu : “faire peuple” ou “raffiné” », in Daniel Denis et Pierre Kahn (éd.), op. cit., p. 79-102.

35 Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie, Les Collèges du peuple. L’enseignement primaire supérieur et le développement de la scolarisation prolongée sous la Troisième République, Paris, INRP/CNRS/ENS de Fontenay-Saint-Cloud, 1992, p. 381-383.

36 Jean-Michel Chapoulie, L’École d’État conquiert la France. Deux siècles de politique scolaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 277.

37 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 156.

38 Marie-Madeleine Compère, « Les humanités et le latin », in François Jacquet-Francillon, Renaud d’Enfert et Laurence Loeffel, Une histoire de l’école. Anthologie de l’éducation et de l’enseignement en France, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Retz, 2010, p. 283.

39 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 160-161.

40 Ibid., p. 92.

41 Ibid., p. 91.

42 Ibid., p. 102.

43 Ibid., p. 109.

44 Ibid., p. 94-95.

45 Ibid., p. 48.

46 Ministère de l’Instruction publique, Instructions concernant les programmes de l’enseignement secondaire, Paris, Delagrave, 1912, p. 75, cité in Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 49.

47 Ibid., p. 53-54.

48 Ibid., p. 56-57.

49 Brunot et Bony, Enseignement primaire élémentaire. Méthode de langue française, vol. 2, Paris, Armand Colin, 1908, p. 191, cité dans Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 54.

50 Ibid., p. 55.

51 Ibid., p. 50-51.

52 Ibid., p. 55.

53 André Chervel, Histoire de l’enseignement du français,op. cit., p. 323 et 325.

54 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 59.

55 Ibid., p. 57-58.

56 Ibid., p. 63.

57 Ibid., p. 54.

58 Ibid., p. 66.

59 Ibid., p. 65.

60 Brigitte Dancel, Un siècle de rédactions. Écrits d’écoliers et de collégiens, Grenoble, CRDP de l’académie de Grenoble, 2001, p. 47-82.

61 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 66-67.

62 Ibid., p. 75 et 83.

63 Ibid., p. 81.

64 Ibid., p. 80.

65 Ibid., p. 5-6.

66 Ibid., p. 203.

67 Ibid., p. 203-204.

68 Jean Gaillard, « Discipline scolaire » in Ferdinand Buisson (dir.), Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1911. En ligne : <http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=2569> (consulté le 14 juin 2014).

69 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 205.

70 Ibid., p. 204.

71 Ibid., p. 205-206.

72 Ibid., p. 206.

73 Ibid., p. 207.

74 Ibid., p. 63.

75 Ibid., p. 208-209.

76 Ibid., p. 208.

77 André Chervel, La culture scolaire. Une approche historique, Paris, Belin, 1998, p. 7.

78 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 210.

79 André Chervel, La culture scolaire…,op. cit., p. 7.

80 Ibid., p. 191.

81 Rollo W. Brown, How the French Boy Learns to Write…, op. cit., p. 6.

82 Ibid., p. 209.

83 Sur ce point, on se reportera aux articles de Martine Jey, « “Crise du français” et réforme de l’enseignement secondaire (1902-1914) », Études de linguistique appliquée, n° 118, avril-juin 2000, p. 162-177 ; Id., « Gustave Lanson : De l’histoire littéraire à une histoire sociale de la littérature ? », Le français aujourd’hui, 2, n° 145, 2004, p. 15-22.

84 Pour une analyse des idées contenues dans le rapport, voir notamment : Edward A. Krug, The Shaping of the American High School, New York, Harper and Row, 1964, 1972, vol. 1, chap. 3.

85 Les partisans de la psychologie nouvelle et du mouvement en faveur de l’étude de l’enfant, comme le psychologue Granville Stanley Hall (1844-1924), le premier Américain à se voir conférer le diplôme de docteur en psychologie aux États-Unis et le premier président de l’Université Clark, défendaient de telles vues. Sur les idées défendues par Hall et le mouvement en faveur de l’étude de l’enfant, voir notamment Dorothy Ross, G. Stanley Hall: The Psychologist as Prophet, Chicago, University of Chicago Press, 1972.

86 Les tenants de l’efficience sociale et de l’enseignement professionnel (vocational education), comme David Snedden (1868-1951), commissaire à l’éducation du Massachusetts de 1909 à 1916, soutenaient ce genre d’idées. Voir notamment Raymond E. Callahan, Education and the Cult of Efficiency: A Study of the Social Forces That Have Shaped the Administration of Public Schools, Chicago, University of Chicago Press, 1962.

87 Pour une analyse de ces sources françaises, voir Jean-Michel Chapoulie, L’École d’État conquiert la France…, op. cit., chap. 11 ainsi que Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie, Les Collèges du peuple…, op. cit, chap. 9.

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References

Bibliographical reference

Sébastien-Akira Alix, “Le regard d’un Américain sur l’enseignement de la langue maternelle en France en 1913”Histoire de l’éducation, 137 | 2013, 33-56.

Electronic reference

Sébastien-Akira Alix, “Le regard d’un Américain sur l’enseignement de la langue maternelle en France en 1913”Histoire de l’éducation [Online], 137 | 2013, Online since 20 October 2016, connection on 09 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2607; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2607

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