TÉTARD (Françoise), BARRIOLADE (Denise), BROUSSELLE (Valérie), EGRET (Jean-Paul) (éd.), Cadres de jeunesse et d’éducation populaire, 1918-1971
TÉTARD (Françoise), BARRIOLADE (Denise), BROUSSELLE (Valérie), EGRET (Jean-Paul) (éd.), Cadres de jeunesse et d’éducation populaire, 1918-1971, Paris : La Documentation française, 2010, 330 p.
Texte intégral
1Cet ouvrage mérite une attention toute particulière pour plusieurs raisons. La première et la plus évidente réside dans l’originalité des vingt-neuf contributions rassemblées ici. L’éventail des textes témoigne de la richesse d’un patrimoine archivistique dont les promesses de recherche assurent à l’histoire de l’éducation populaire de belles années devant elle. Le plan chronologique adopté permet de suivre l’itinéraire institutionnel de ces cadres de jeunesse et le rôle de premier plan qu’ils ont joué dans les multiples associations s’en réclamant. Un exposé, placé en début d’ouvrage, dressant un panorama général de cette éducation populaire aurait été le bienvenu, afin de mieux saisir le maillage complexe entre les différents mouvements qui la composent. Dans son introduction, notre regrettée collègue, Françoise Tétard, rappelle toutefois les origines et les lectures plurielles que l’on a aujourd’hui de ce courant d’éducation. Elle montre combien la question de la formation des cadres joua un rôle récurrent dans la vie de ces associations appelées à prolonger l’action publique des divers gouvernements avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Cette formation des chefs est souvent inspirée du scoutisme : moins austère que la méthode militaire, cette forme d’éducation en plein air est alors perçue comme la plus propre à forger le caractère. Santé, développement physique, formation civique et sociale (sens du devoir et du dévouement), sans oublier l’éducation religieuse, restent les objectifs à atteindre. La contribution de Jean-Jacques Gauthé, notamment, sur le camp-école de Chamarande (p. 36-43) présente cet intérêt rare d’interroger les stratégies de développement de ce type d’organisation dans l’entre-deux-guerres au regard de ses références chrétiennes.
2L’ouvrage présente ensuite parfaitement les circonstances exceptionnelles et les choix qui peuvent paraître aujourd’hui paradoxaux des associations de jeunesse sous l’Occupation. Bernard Comte rappelle utilement les motifs expliquant les décisions en 1940 de concourir voire de s’intégrer aux institutions créées par l’État français dans son ambition de réaliser la « Révolution nationale ». L’évolution rapide de la conjoncture politique sous l’Occupation appelle des analyses minutieuses et des conclusions mesurées, comme le font les auteurs de cette deuxième partie, composée de cinq études et d’un témoignage. Les contributions de Lionel Christien (p. 62-75) et Mathias Gardet (p. 85-96) apportent sur ce point des éléments probants. Si d’autres textes attestent d’une adhésion au programme de « Restauration nationale » lancé par le maréchal Pétain, sous l’égide du nouveau secrétariat général à la Jeunesse créé en 1941, tous illustrent, dans le même temps les progrès des méthodes pédagogiques employées et les liens renforcés entre les mouvements de formation des cadres et ceux de colonies de vacances. La politique de la jeunesse promue par Vichy dans les premiers temps de l’Occupation allemande se justifie également, comme le rappelle Christian Maurel, par la conviction de certains de « l’insuffisance des institutions et la décadence des mœurs » (p. 99). Il s’agit là d’un élément important qui permet de mieux saisir l’engagement militant de certains acteurs (masculins comme féminins) en faveur des mouvements de jeunesse.
3La même complexité caractérise la Libération, quand les nouveaux responsables doivent tenir compte de principes éducatifs hérités de l’Occupation. Antoine Prost rappelle après Robert Le Crom qu’« il n’est pas certain, en effet, que la Libération soit une coupure aussi nette que le voudrait une mémoire soucieuse de l’ériger en moment fondateur » (p. 125-126). Des études minutieuses sont menées par Thierry Crépin sur le parcours atypique de Jean Pihan à la tête des Cœurs Vaillants (p. 129-135), par Sylvain Pattieu sur l’association Tourisme et Travail (p. 136-144) et par Michèle Alten sur le mouvement A Cœur Joie (p. 145-155). Les ruptures politiques rappelées par Michel Delmas dans son témoignage (p. 151-155) annoncent l’ère de la professionnalisation des cadres de loisirs. L’engagement et le bénévolat vont ainsi progressivement être remis en cause par les nouvelles normes d’encadrement qui imposent diplômes et garanties professionnelles. La contribution de Samuel Boussion (p. 156-163) montre l’évolution de cette culture professionnelle à partir du parcours singulier des éducateurs spécialisés dans les années 1940 et 1950.
4Le statut juridique conféré à ces cadres leur donne alors de nouvelles responsabilités sociales et institutionnelles. Les instances gouvernementales, qui souhaitent pourtant refermer le plus rapidement possible la parenthèse pétainiste par l’épuration ambivalente du corps des inspecteurs de la jeunesse et des sports (M. Lassus, p. 184), se retrouvent dans le même temps confrontés à la nécessité de circonscrire les contours d’un mouvement rassemblant un nombre important d’associations de toutes sortes. Rien d’étonnant, dès lors, que la direction de l’éducation populaire change cinq fois d’appellation entre 1944 et 1948, avant d’adopter le titre générique de « Jeunesse et Sport ». Les questions identitaires de cette fonction, à la suite d’un héritage difficile à assumer, le contexte des années 1950, en prise avec les problématiques liées à la décolonisation (L. Bantigny et J.-M. Mignon), attestent une nouvelle fois des liens complexes entre les représentants d’une autorité sociale et une jeunesse encline à comprendre les enjeux politiques et culturels de leur temps. Françoise Tétard rappelle, à juste titre, cette nécessité qu’avait perçue très tôt Jean Guéhenno (p. 197-198). Cette conscience française empreinte de culture populaire, si elle fut délaissée, par la suite, dans les projets ministériels, réapparaîtra à l’occasion de débats liés à l’identité corporative et la mise sous tutelle publique des cadres de certaines organisations, à l’image des directeurs des Maisons de jeunes et de la culture (L. Besse, p. 210-219). L’analyse des enjeux de cette période (1947-1958), dont certains aspects sont initiés ici, doit être poursuivie.
- 1 Certificat d’aptitude à la promotion des activités socio-éducatives et à l’exercice des professions (...)
5Dans le contexte des années 1960 et au sortir de la guerre froide, ces associations rencontrent des « difficultés à clarifier leurs objectifs et [leurs] finalités, face à l’évolution et à la complexité de la société » (J.-L. Hiribarren, p. 260). Les moyens d’action se trouvent réinterrogés à l’aune des nouvelles techniques de médiation (non-directivité, pratique psychosociales). L’animation apparaît alors comme la « technique d’amélioration des communications interhumaines et comme méthode au service d’un progrès de participation et de démocratie réelle » (p. 261). La formation des animateurs se trouve ainsi légitimée en raison des responsabilités qui leur sont confiées partout où ils sont appelés à exercer (MJC, centres de loisirs, etc.). Le partenariat, parfois laborieux, entre le monde de l’animation et les pouvoirs publics (lire les témoignages de D. Alunni et de C. Hermelin) incite le législateur à définir et à encadrer ces formations. Le jeu des leviers institutionnels est particulièrement bien analysé par les auteurs de la cinquième et dernière partie de cet ouvrage. En reconnaissant les spécificités de certains secteurs, la mise sous tutelle ministérielle de cette professionnalisation des cadres de jeunesse s’emploie, en définitive, à réglementer tout le champ de l’animation socioculturelle (la création du CAPASE1 analysée par C. Guérin-Platin (p. 273-279) est, à ce titre, éclairant), longtemps suspecté de gauchisme par les responsables politiques et la haute administration (D. Tartakowsky, p. 245). Raison pour laquelle la loi de septembre 1971 sur l’éducation permanente peut être perçue comme l’aboutissement d’un cycle institutionnel s’ouvrant sur une nouvelle ère associative, conçue « à l’échelle locale et fonctionnant sur un mode territorialisé » (p. 246).
6En définitive, comme le souligne Pascale Goetschel et Rémi Fabre (p. 297-306), ce livre aborde toute la complexité de l’histoire sociale des cadres de jeunesse et d’éducation populaire. Il constitue une grille de lecture passionnante en ce qu’il nous donne à voir des territoires encore inexplorés sur une période dont les limites pourraient également être réinterrogées. Les mutations observées, facilitées par un renouvellement générationnel à la tête des associations, demeurent l’un des aspects importants qui reste à appréhender afin de mieux cerner les orientations adoptées depuis les années 1970 en matière de formation des cadres de jeunesse et d’éducation populaire. Remercions l’ensemble des auteurs de cet ouvrage de nous avoir dressé un panorama aussi complexe que passionnant de cette histoire.
Notes
1 Certificat d’aptitude à la promotion des activités socio-éducatives et à l’exercice des professions socio-éducatives.
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Référence papier
Laurent Gutierrez, « TÉTARD (Françoise), BARRIOLADE (Denise), BROUSSELLE (Valérie), EGRET (Jean-Paul) (éd.), Cadres de jeunesse et d’éducation populaire, 1918-1971 », Histoire de l’éducation, 135 | 2012, 132-135.
Référence électronique
Laurent Gutierrez, « TÉTARD (Françoise), BARRIOLADE (Denise), BROUSSELLE (Valérie), EGRET (Jean-Paul) (éd.), Cadres de jeunesse et d’éducation populaire, 1918-1971 », Histoire de l’éducation [En ligne], 135 | 2012, mis en ligne le 09 mai 2013, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2559 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2559
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