GAVOILLE (Jacques), Du maître d’école à l’instituteur. La formation d’un corps enseignant du primaire : instituteurs, institutrices et inspecteurs primaires du département du Doubs (1870-1914)
GAVOILLE (Jacques), Du maître d’école à l’instituteur. La formation d’un corps enseignant du primaire : instituteurs, institutrices et inspecteurs primaires du département du Doubs (1870-1914), Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté, 2010, 463 p., [Préface d’Antoine Prost]
Texte intégral
- 1 Histoire de l’éducation, no 14, avril 1982, p. 12-14.
1Auteur d’une monographie sur l’école primaire dans le Doubs de 1870 à 1914 qui fit l’objet d’une critique élogieuse dans cette revue en son temps1, Jacques Gavoille consacre à ce département un nouvel ouvrage, en étudiant cette fois son personnel primaire dans la même période, celle du passage du régime scolaire de la loi Falloux à celui que symbolise le nom de Ferry. Inévitablement, le contenu des deux livres se recouvre en partie, même si les points déjà traités dans le premier (comme la présentation du milieu ou l’étude des enseignements dispensés) sont ici mis à jour grâce aux acquis de la bibliographie la plus récente, abondamment citée dans les notes. Mais le sujet est autre, et la problématique neuve : il ne s’agit pas simplement de décrire les instituteurs et institutrices des débuts de la IIIe République, déjà étudiés dans maints ouvrages de valeur, encore moins de les célébrer ou de les critiquer, mais de cerner les modalités de leur constitution en « corps » enseignant. Le cadre choisi, celui du département, « division administrative par excellence de l’enseignement primaire », résulte de la volonté de « donner un caractère concret au déroulement des carrières, aux pratiques professionnelles et aux conditions de vie » (p. 15) mais ne signifie nullement le repli dans un localisme frileux : les faits constatés dans le Doubs sont sans cesse replacés dans le cadre national, en particulier celui des instructions ministérielles, citées avec précision. Les sources principales de cette recherche sont les dossiers administratifs personnels des instituteurs, institutrices et inspecteurs primaires du Doubs, conservés aux archives départementales, et la collection du Bulletin départemental de l’Instruction publique. J. Gavoille a procédé par un sondage au cinquième : les dossiers ont été répartis par sexe et par cohorte décennale ; puis ont été tirés au sort 541 individus, 277 instituteurs et 264 institutrices (p. 20), dont les dossiers ont fourni des données ensuite soumises à une analyse factorielle.
2Après une brève présentation du département du Doubs, que caractérisent une scolarisation et une alphabétisation précoces, et de son personnel primaire, une première partie intitulée « Les exigences et les garanties de l’État » étudie successivement le statut de ce personnel, sa formation et les relations hiérarchiques en son sein. Si c’est bien la IIIe République qui a permis aux employés communaux qu’étaient les instituteurs et institutrices d’accéder au statut de fonctionnaires (grâce à la loi de finances de 1889 qui a mis leurs traitements à la charge de l’État), c’est avec lenteur et non sans inégalités, dont sont donnés maints exemples : l’amélioration des traitements s’est accompagnée d’un élargissement de leur éventail et les institutrices sont toujours moins payées que les instituteurs. La formation, en revanche, connaît une relative homogénéisation, en raison notamment de la progressive disparition des institutrices congréganistes : au début du XXe siècle la possession du certificat d’aptitude pédagogique est devenue la norme ; en 1911-1912, 50 % des instituteurs et 57 % des institutrices du Doubs possèdent le brevet supérieur, et 69 et 55 % d’entre eux et elles, respectivement, sortent de l’école normale. Les à-coups budgétaires ne permettent cependant pas un progrès continu et imposent toujours de recourir aux recrutements par la « petite porte ». Particulièrement neuf est le chapitre consacré aux relations hiérarchiques, qui analyse le style de la correspondance administrative, le déroulement de l’inspection et les cas de plaintes et enquêtes. Les inspecteurs primaires y apparaissent comme fort soucieux du sort de leur personnel, mais le portrait qui en est brossé les montre peut-être un peu trop paternels du fait de la nature des sources utilisées, comme le reconnaît l’auteur dans une note (p. 150).
- 2 Maurice Agulhon, Gabriel Désert, Robert Specklin, sous la dir. de George Duby, Histoire de la Franc (...)
3La seconde partie se propose de montrer « l’affirmation d’un groupe professionnel » à travers la description du déroulement des carrières, celle des activités et des revenus et celle de la démographie et de la sociabilité propres au groupe. L’étude des carrières, focalisée sur les « temps forts » que sont l’entrée dans le métier, les mutations, les récompenses et sanctions officielles, le départ à la retraite, met en évidence plusieurs signes de l’élévation du niveau moral et matériel des maîtres au cours de la période, comme la raréfaction des sanctions punissant l’intempérance et les affaires de mœurs, l’accroissement de la mobilité géographique et professionnelle, l’amélioration de la condition physique des instituteurs et institutrices âgés, etc. Le chapitre suivant montre l’abandon progressif des activités étrangères à l’enseignement (à l’exception du secrétariat de mairie, tâche cependant réservée aux hommes) en même temps que la multiplication des tâches périscolaires (études, cours d’adultes, cantine, caisses diverses, etc.) : on pourrait inscrire cette évolution dans le cadre plus général de la fin de la polyactivité chez les populations rurales2. Sont ensuite étudiés les revenus complémentaires au traitement, dont la variété est grande : si la situation matérielle des instituteurs s’est indubitablement améliorée au cours de la période, les demandes de secours et les départs vers des métiers mieux rémunérés n’ont pas disparu. Bien que les disparités persistantes de revenu semblent contredire l’idée d’une homogénéisation, l’analyse démographique menée dans le troisième chapitre met au contraire en lumière deux faits de nature à nourrir le sentiment d’identité professionnelle : le caractère rural du recrutement des maîtres et maîtresses s’atténue au profit des enfants d’instituteurs et l’endogamie connaît une montée en flèche à partir des années 1880, concomitamment avec la féminisation et la laïcisation du métier. On voit bien là se former un « corps » au sens charnel du terme. Quant à l’étude des relations au sein du groupe, elle apporte des indications intéressantes sur les tensions entre directeurs et adjoints mais laisse un peu sur sa faim en ce qui concerne la vie associative, les sources utilisées étant par définition peu aptes à faire connaître des activités syndicales ou politiques toujours interdites (en dehors, bien entendu, de la « défense républicaine »).
4La troisième partie est consacrée à l’activité pédagogique, « cœur du métier » (p. 239), et examine le remodelage du projet éducatif qui s’est produit au cours de la période puis passe en revue l’enseignement des diverses disciplines, traditionnelles ou nouvellement incluses dans le curriculum, terminant avec quelques mots sur l’organisation des classes et l’emploi du temps. L’auteur fait son profit des avancées les plus récentes de l’histoire des disciplines scolaires pour mettre en lumière les spécificités du Doubs. Le département pâtit d’abord de son avance en matière de scolarisation du fait du nombre d’instituteurs recrutés sous le régime de la loi de 1850, peu préparés au « véritable changement de métier, voire [au] changement de mode de vie » (p. 305) qu’imposaient le renouvellement des finalités et l’élargissement des programmes de la IIIe République. Les progrès ne viennent qu’avec les cohortes recrutées à partir des années 1880, ce qui confirme une fois de plus le rôle du renouvellement des générations dans l’évolution pédagogique.
5La quatrième partie examine les relations de l’instituteur ou de l’institutrice avec la population locale, avec l’administration et avec les notables, ces divers chapitres se recouvrant parfois tant politique, religion et intérêts personnels se mêlaient dans les villages. Elle illustre, à l’aide d’anecdotes parfois savoureuses, l’état des mœurs et les manifestations sur le terrain des affrontements nationaux de l’époque (cléricaux vs républicains), mettant ainsi en relief le rôle modérateur de l’administration scolaire, sans dissimuler, toutefois, le rôle joué par les appartenances politiques : l’inspecteur qui s’efforce d’être impartial est envoyé dans un poste de relégation tandis que l’inspecteur radical (dans tous les sens du terme) est promu (p. 336-338). La statistique qui conclut cette partie corrige l’impression de combat permanent que pourraient donner les chapitres qui précèdent (les relations franchement mauvaises avec l’entourage ne sont le fait que d’une petite minorité) et mettent en lumière une différence marquée selon le sexe, les institutrices se distinguant rarement en bien ou en mal alors que leurs collègues masculins font l’objet de jugements plus tranchés, parfois nettement négatifs mais plus souvent encore très positifs.
6De la récapitulation conclusive qui suit, on retiendra la confirmation par l’analyse factorielle de la coupure chronologique qui distingue les « maîtres d’école », formés et recrutés sous le régime de la loi de 1850, des « instituteurs » de la période inaugurée par les réformes républicaines. Cela ne doit pourtant pas faire croire à une uniformisation des conditions et de la pratique du métier, comme le montre la typologie proposée par J. Gavoille, par ailleurs également attentif à la question du genre. La concomitance de la laïcisation avec l’accès des femmes au travail non domestique apparaît comme un facteur majeur de transformation, par exemple en mettant fin à l’activité des institutrices congréganistes qui, « par leur seule présence, […] empêchaient la formation d’un corps enseignant » (p. 384). La section finale, qui confronte « l’école de Jules Ferry » aux interrogations contemporaines sur l’école, resitue les réalisations de la IIIe République dans leur contexte social et politique et aboutit avec un bon sens trop souvent oublié à la conclusion que « pour l’emporter, l’innovation a besoin de temps » (p. 409).
7Ces quelques remarques sont loin d’épuiser la richesse d’un volume foisonnant, à l’écriture limpide (regrettons simplement l’anglicisme qui fait écrire « décade » au lieu de « décennie ») et à l’édition soignée, qui offre de plus de nombreux tableaux et graphiques et, en annexe, des documents d’un grand intérêt. Non seulement par l’étendue de son information, mais aussi par sa rigueur méthodologique, c’est un livre indispensable aux chercheurs en histoire de l’éducation, ainsi qu’aux étudiants qui aspirent à les rejoindre.
Notes
1 Histoire de l’éducation, no 14, avril 1982, p. 12-14.
2 Maurice Agulhon, Gabriel Désert, Robert Specklin, sous la dir. de George Duby, Histoire de la France rurale, t. III : De 1789 à 1914, Paris, Seuil, 1992.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Annie Bruter, « GAVOILLE (Jacques), Du maître d’école à l’instituteur. La formation d’un corps enseignant du primaire : instituteurs, institutrices et inspecteurs primaires du département du Doubs (1870-1914) », Histoire de l’éducation, 135 | 2012, 113-117.
Référence électronique
Annie Bruter, « GAVOILLE (Jacques), Du maître d’école à l’instituteur. La formation d’un corps enseignant du primaire : instituteurs, institutrices et inspecteurs primaires du département du Doubs (1870-1914) », Histoire de l’éducation [En ligne], 135 | 2012, mis en ligne le 09 mai 2013, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2545 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2545
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page