JIMENES (Rémi), Les caractères de civilité. Typographie et calligraphie sous l’Ancien Régime
JIMENES (Rémi), Les caractères de civilité. Typographie et calligraphie sous l’Ancien Régime, S.l., Atelier Perrousseaux, 2011, 120 p.
Texte intégral
1« Ainsi, Père et Mère, vous voyez l’obligation indispensable que vous avez de prendre très grand soin de vos enfants ». En ouvrant le superbe ouvrage de Rémi Jimenez, on découvre dans la double page de garde la reproduction agrandie, blanc sur fond noir, d’une planche en « caractères de civilité ». Datée de 1742, elle provient de chez Claude Lamesle, fondeur de caractères et on apprend avec surprise que cette typographie imitant la cursive gothique ne prend ce nom que vers 1740 : choisie par J.-B. de La Salle pour Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, c’est seulement après s’être répandue dans toutes les écoles des Frères que son nom se banalise. Dès lors, les imprimés antérieurs de même facture seront désignés sous ce nom.
2De quand date-t-elle ? Inventée à Lyon par Granjon en 1557, elle se nomme à l’époque « Lettre française d’art de main », à cause de sa proximité inégalée avec l’écriture manuscrite (ligatures, boucles, effets de traîne). Destinée à concurrencer les « écritures italiques », elle est protégée par un privilège royal et les graveurs vendent des poinçons dans toute la France et dans l’Europe du Nord (Allemagne, Angleterre, Flandres, Pays-Bas, Suisse), pour des éditions poétiques, musicales, les traductions en français (vis-à-vis de l’original en romain) et, bien sûr, des livres scolaires : la Civilité puérile adaptée d’Érasme, les Quatrains de Pibrac, les Quatre Livres de Caton, le Catéchisme latin-français de Calvin.
3Pourtant, le succès de cette cursive imprimée est bref : les caractères gothiques reculent devant les romains et les manuscrits des actes officiels se mettent à suivre les nouveaux modèles d’écriture proposés par les Italiens. En 1633, les seules écritures manuscrites autorisées par le roi sont la ronde (française) et la bâtarde (italienne). Les caractères de civilité sont alors abandonnés. Pourquoi J.-B. de La Salle va-t-il les faire renaître soixante-dix ans plus tard ?
4Pour Rémi Jimenez, la raison est de stricte commodité : les caractères de civilité, difficiles à déchiffrer pour qui a appris à lire en lettres romaines, ont l’avantage de présenter aux élèves l’écriture imprimée qui se rapproche le plus de la ronde qu’ils ont à écrire. C’est donc au moment où ils sont mis à la plume que les Frères donnent à lire la Civilité, répertoire de modèles à imiter autant que livre de lecture. Cette étape prépare à la « lecture des registres » (les véritables manuscrits). L’usage lassallien déborde les écoles chrétiennes et nourrit l’édition populaire des livrets de colportage. Les fontes anciennes, parfois un peu modernisées, sont donc consacrées aux Civilités et à elles seules, si bien que les typographes troyens conservent les planches composées, s’épargnant la peine et le temps d’une nouvelle composition (nombre d’errata persistent d’une édition à l’autre). Des milliers de livrets sont ainsi rapidement réimprimés, réapprovisionnant à bas prix les libraires et les colporteurs.
5Lorsque les maîtres abandonnent l’écriture la ronde pour « la coulée », puis pour « l’anglaise » qui s’impose au XIXe siècle dans le commerce et l’administration, les caractères de civilité disparaissent définitivement. Richement illustré et précisément annoté, le livre de Rémi Jimenez, pour qui les écritures manuscrites ou imprimées n’ont pas de secret, documente ainsi avec précision et clarté la pédagogie populaire de l’Ancien Régime. Grâce à lui, nous rendrons à La Salle ce que les vulgates attribuaient à Érasme : pour l’histoire de l’école, ce n’est pas rien.
Pour citer cet article
Référence papier
Anne-Marie Chartier, « JIMENES (Rémi), Les caractères de civilité. Typographie et calligraphie sous l’Ancien Régime », Histoire de l’éducation, 133 | 2012, 137-138.
Référence électronique
Anne-Marie Chartier, « JIMENES (Rémi), Les caractères de civilité. Typographie et calligraphie sous l’Ancien Régime », Histoire de l’éducation [En ligne], 133 | 2012, mis en ligne le 09 décembre 2012, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2470 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2470
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