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Notes critiques

CHALOPIN (Michel), L’enseignement mutuel en Bretagne. Quand les écoliers bretons faisaient la classe

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, 263 p.
Serge Chassagne
p. 106-109
Référence(s) :

CHALOPIN (Michel), L’enseignement mutuel en Bretagne. Quand les écoliers bretons faisaient la classe, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, 263 p.

Texte intégral

1Issu d’une thèse de doctorat soutenue à Rennes 2, en juin 2008, ce livre entend étudier l’enseignement mutuel dans les cinq départements de l’académie de Rennes, de son apparition (à Nantes, en 1816, grâce à l’action de l’armateur protestant Thomas Dobrée) jusqu’à sa disparition après la révolution de 1848 (et le ralliement de ses derniers instituteurs à la méthode simultanée). L’auteur rappelle d’abord l’origine de la méthode « lancastérienne » et la création, en juin 1815, de la Société pour l’instruction élémentaire (animée par Carnot et Gérando, qui mériterait un jour de trouver son historien) et de ses émules en Bretagne (Nantes, 1816, Saint-Brieuc, 1817, Guingamp, 1819 et Landerneau, 1820) par des notables qualifiés uniment de « philanthropes » (sans référence d’ailleurs à l’important travail de C. Duprat), dont il ne souligne pas assez l’hétérodoxie dans la France de la Restauration (réformés et/ou francs-maçons y dominent en effet, comme il le note incidemment à propos de Saint-Brieuc p. 38). Ses adversaires cléricaux ne s’y trompent d’ailleurs pas, au premier rang desquels J.M. La Mennais, vicaire général du diocèse de Saint-Brieuc et créateur, en 1820, des Frères de l’instruction chrétienne (p. 78). En 1822, la Bretagne compte une quarantaine d’écoles mutuelles, surtout dans les Côtes-du-Nord et le Finistère (carte p. 48).

  • 1 De la famille d’Etienne Radiguet, négociant normand établi par mariage à Landerneau et l’un des cré (...)

2La seconde partie, intitulée « une méthode et des maîtres », constitue au vrai le centre du travail : rassembler un grand nombre d’enfants dans des locaux souvent inadaptés (ancien couvent à Lamballe ou à Landerneau, ancienne salle de spectacle à Nantes ou appartements réunis à Recouvrance), utiliser des ardoises et des tableaux muraux, peu de livres (sinon le célèbre Simon de Nantua, primé en 1817 par la Société pour l’instruction élémentaire), peu de papier et d’encre, et les encadrer par une vingtaine de moniteurs-répétiteurs, généraux ou particuliers, d’âge moyen de 12 ans, chargés de surveiller les élèves placés sous leur responsabilité et de leur faire ânonner les phrases inscrites sur les tableaux, mais rémunérés maigrement (à Rennes 1 franc par trimestre, p. 101, alors que le Manuel pratique de Nyon recommandait 5 centimes par jour, soit 1,20 F par mois), bref « une école au moindre coût ». S’appuyant souvent sur le récit autobiographique de Max Radiguet1 (publié en 1870), l’auteur décrit le décor de l’école de Landerneau (vers 1825) :

3« Une croix en bois noir se détachait sur [la paroi] du fond. On y lisait aussi cette légende en lettres capitales : Domine salvum fac regem, et sur chacune des autres parois les préceptes suivants : Une place pour chaque chose, Chaque chose à sa place, Faites ce que vous faites. [préceptes autant moraux que de discipline industrielle]. Voisine de l’entrée, l’estrade où se trouvait le bureau de M. Toupinel [de son vrai nom Tourrette] était adossée à la muraille […] On voyait sur le bureau, à portée de la main, une cloche à manche de bois et un sifflet d’argent en forme de cornue, pareil à ceux dont se servent à bord des vaisseaux de l’État les maîtres d’équipage […]. Le milieu de la salle était occupé par une série de bancs étroits et parallèles fixés au plancher. À l’extrémité de chaque table s’élevait perpendiculairement une hampe surmontée d’un écriteau ; on appelait cet instrument le télégraphe. Le moniteur placé près du télégraphe devait le tourner au commandement de l’instituteur […]. Au premier rang, près de l’estrade, les commençants écrivaient avec l’index sur du sable maintenu par de petits rebords en saillie le long de la table […]. Les tables du milieu étaient consacrées à l’écriture sur l’ardoise ; enfin, les dernières, percées de trous où plongeaient des écritoires en étain, réunissaient les habiles. On tenait en haute estime ceux qui s’y asseyaient pour écrire à la plume [d’oie] ».

4Tout est dit dans cette description préfoucaldienne : l’ordonnance spatiale des différentes « classes » d’élèves ; le rôle subordonné des moniteurs et l’obéissance passive au commandement sonore (technique reprise du signal des Lassalliens). Chaque séance scolaire (une le matin et une l’après-midi, d’environ deux heures chacune) commence et se termine par une prière (ce qui interdit à l’auteur de parler de pédagogie laïque), mais chaque exercice y est minuté comme le recommande le Manuel pratique – excellente préparation aux futures tâches d’exécution de ces élèves, dont on ne sait malheureusement le destin ultérieur (faute de sources ? quid des listes nominatives de recensement ?). Au-delà de l’apprentissage normal de la lecture-écriture, simultané dans le système monitorial, l’arithmétique (les quatre opérations, puis les fractions et la règle de trois) est réservée aux quatre dernières classes. Decazes, ministre de l’Intérieur, recommande, en 1819, l’enseignement du dessin linéaire (introduit aussitôt par l’instituteur Rémond à Saint-Brieuc et par Walravens à Rennes, plus tardivement ailleurs). Dans les principales villes, on trouve encore pour les élèves de la huitième classe un enseignement de grammaire et de musique (au point de susciter l’admiration du journal libéral l’Echo de l’Ouest pour les chants de la Sainte Cécile à Rennes [p. 151]). Enfin, mais cela n’a rien de spécifique à l’enseignement mutuel, on y pratique récompenses (par des billets et par des croix de mérite) et punitions (écriteaux infâmants au cou, dont on peut néanmoins se racheter par ses billets ; prison ou renvoi, mais le maître de Radiguet tire aussi les oreilles et Lemoine à Rennes distribue des claques, ce qui est contraire à l’esprit des fondateurs lancastriens). L’auteur évoque aussi quelques belles figures d’instituteurs heureux, comme Walravens à Rennes, ou malchanceux, comme Rémond à Saint-Brieuc (p. 138-160). La dernière partie traite du lent et inégal (voyez le cas original de Binic, p. 192) déclin des écoles mutuelles de 1828 à 1851, victimes certes de la concurrence des écoles congréganistes et de la « municipalisation » de l’enseignement, mais aussi de l’épuisement du recrutement d’instituteurs mutuellistes convaincus, et sans doute de moniteurs adéquats. Campion, sorti de l’École normale de Paris en 1831, accepte un poste à Saint-Brieuc (pour 1 500 F par an), mais préfère demander au bout de quatre ans un poste d’inspecteur primaire (qu’il obtient). Guy-Marie Le Goff, fils d’instituteur, sorti de l’École normale de Rennes en 1835, enseigne à Landerneau, puis à Recouvrance, mais se heurte à la concurrence d’une école de Frères et se déconsidère par ses opinions socialistes au point d’être révoqué en 1851. Son collègue Auguste Perron, nommé à Brest, renonce en 1848 à l’enseignement mutuel, trop épuisant, pour la méthode simultanée, mais fonde en revanche la société de secours mutuels des instituteurs du Finistère. « Il incarne la fin du maître mutuel », écrit l’auteur. L’enseignement mutuel correspond au temps des instituteurs rares et des masses d’enfants à discipliner plus qu’à scolariser à la période de l’industrialisation. Faut-il avec l’auteur croire qu’il pourrait encore « offrir des pistes de réflexion et, pourquoi pas, des solutions nouvelles pour l’école du XXIe siècle », la pénurie aidant ?

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Notes

1 De la famille d’Etienne Radiguet, négociant normand établi par mariage à Landerneau et l’un des créateurs de la Société Linière du Finistère (1827) ? Bien qu’il le cite en bibliographie, l’auteur a cependant peu utilisé le travail d’Yves Blavier (La société linière du Finistère. Ouvriers et entrepreneurs à Landerneau au XIXe siècle, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 1999).

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Pour citer cet article

Référence papier

Serge Chassagne, « CHALOPIN (Michel), L’enseignement mutuel en Bretagne. Quand les écoliers bretons faisaient la classe »Histoire de l’éducation, 133 | 2012, 106-109.

Référence électronique

Serge Chassagne, « CHALOPIN (Michel), L’enseignement mutuel en Bretagne. Quand les écoliers bretons faisaient la classe »Histoire de l’éducation [En ligne], 133 | 2012, mis en ligne le 09 décembre 2012, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2454 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2454

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Auteur

Serge Chassagne

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