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Notes critiques

BERLIOZ (Élisabeth), Écoles et protestantisme. Le pays de Montbéliard, 1769-1833

Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009, 402 p. (« Annales littéraires de l’université de Franche-Comté, no 854 ; Cahiers d’études comtoises, no 70 »). [Préf. d’André Encrevé].
Pierre Meyer
p. 103-106
Bibliographical reference

BERLIOZ (Élisabeth), Écoles et protestantisme. Le pays de Montbéliard, 1769-1833, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009, 402 p. (« Annales littéraires de l’université de Franche-Comté, no 854 ; Cahiers d’études comtoises, no 70 »). [Préf. d’André Encrevé].

Full text

1Dans la diversité régionale qui caractérise l’état ancien de l’instruction sur les territoires aujourd’hui devenus français, le pays de Montbéliard présente plusieurs traits originaux. Politiquement et jusqu’à son annexion en 1793, l’essentiel de ce pays consiste dans une principauté dont le souverain est le duc de Wurtemberg. Celui-ci délègue une grande partie de son pouvoir à un Conseil de régence où dominent les bourgeois de Montbéliard et qui s’occupe notamment des questions éducatives. Le « Surintendant ecclésiastique » qui, au sein de ce conseil, suit plus particulièrement les affaires scolaires, s’intéresse au premier chef au gymnase de la ville, mais entérine aussi – sans pouvoir en décider lui-même – le choix fait par les communes rurales de leurs maîtres d’école. Ces communes sont une trentaine jusqu’en 1793, une cinquantaine dans les années 1820, dans une configuration territoriale et administrative différente, où l’auteur a bien du mérite à se retrouver ; elle la qualifie elle-même de « confuse » (p. 18 ; cf. aussi le puzzle de la page 128), mais ceci n’a que peu d’incidences sur le fond même des faits proprement éducatifs qui donnent à l’ouvrage sa matière.

2Une seconde caractéristique du pays de Montbéliard, qui n’est que partiellement liée à la première, réside dans les liens intellectuels et économiques qu’il possède avec le monde germanique et germanophone limitrophe : Stuttgart, Tübingen, l’Alsace du Sud (Colmar, Mulhouse) et du Nord (Strasbourg), la Suisse alémanique (Bâle, Altdorf) sont des destinations privilégiées pour ses étudiant(e)s et certain(e)s de ses ressortissant(e)s en quête d’emploi. La proximité de la frontière linguistique a, de ce fait, des incidences directes sur certains contenus et modalités de l’enseignement. Enfin, Montbéliard est, si l’on excepte le Ban-de-la-Roche, le seul pays aujourd’hui français à être de confession luthérienne. C’est cette situation d’« isolat protestant » (p. 11) qui, dans cet ouvrage issu d’une thèse soutenue à l’université de Paris 4, sert plus précisément de fil conducteur à Élisabeth Berlioz pour analyser l’état et l’évolution de l’instruction dans le pays. Elle s’efforce notamment d’en confronter les facteurs proprement religieux – injonction luthérienne initiale de connaissance des Écritures, inspection de l’Église sur les écoles, mixité croissante entre protestants et catholiques dans la population – à ce qu’elle appelle un peu curieusement « le réel » ou « l’environnement » matériel, économique et social.

3L’auteur a pu documenter sa réponse à ces questions en s’appuyant sur des archives dont l’abondance et la diversité impressionnent (cf. p. 369-379). L’ouvrage fourmille ainsi d’informations sur l’ensemble du processus d’instruction qui va des apprentissages élémentaires à l’enseignement supérieur, en passant par la formation professionnelle et quelques pratiques éducatives familiales. Le point de départ de l’étude est une ordonnance ducale de 1769 qui réorganise l’enseignement dans la principauté, mais cette ordonnance est elle-même l’aboutissement de décennies fécondes en innovations éducatives de toutes sortes. Le terminus est la loi Guizot de 1833, qui s’applique dans l’ancienne principauté devenue française. Notons que cette périodisation est en phase avec celle que l’on constate un peu partout en Europe, dans des pays dont les systèmes politiques et les confessions diffèrent, parfois de beaucoup. Par le cadre chronologique qu’elle embrasse, la thèse donne en tout cas un bon exemple de l’intérêt, mais aussi des difficultés pratiques qu’il y a à aborder l’histoire de l’enseignement sans considérer la Révolution et l’Empire comme des points d’arrivée ou de départ.

4Dans les campagnes du pays, la scolarisation de la population dépend d’un ensemble de conditions qu’évoque l’auteur à travers des exemples locaux précisément documentés : investissement financier consenti par les communes avec des objectifs socioéconomiques et culturels qui leur sont propres, tâches d’enseignement et d’inspection exercées par les pasteurs. On en retire l’idée que les objectifs des uns et des autres sont plutôt cohérents, même si les ressources ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions et si les villageois peuvent parfois trouver la tutelle ecclésiastique excessive. En fait, moins qu’une synthèse sans doute difficile à atteindre, ce sont surtout la diversité, plus rarement les contrastes qui ressortent du tableau dressé par l’auteur, à travers la multiplicité des cas singuliers que lui livrent les archives et les discontinuités caractérisant la période considérée, entre Ancien Régime, Révolution, Empire et Restauration.

5Dans la ville même de Montbéliard, coexistent des écoles conjointement gagées par l’Église et l’État, des écoles particulières mais bénéficiant de fonds publics et des écoles purement privées. Les unes et les autres s’adressent à des clientèles relativement spécifiques : bourgeois, « pauvres », « Allemands », orphelins, artisans, garçons et filles (séparés ou mêlés), dans une combinatoire fluctuante et complexe qui, en définitive, laisse peu d’enfants dénués d’une instruction quelconque. Le sort du gymnase, devenu école secondaire, puis collège communal, préoccupe particulièrement la bourgeoisie et l’Église, ce qui nous vaut un flot de discours concernant son organisation, le recrutement de ses enseignants (souvent des pasteurs), son rôle dans la prospérité et le prestige de la ville (en concurrence sur ce point avec Besançon) et le type d’enseignement à privilégier, entre humanités (utiles aux futurs pasteurs) et modernité (réclamée par la classe industrielle et commerçante). De ce point de vue, on note, dans la ville mais aussi les campagnes, l’importance accordée à l’apprentissage de l’allemand, non pas tant « par principes », dans le collège, qu’auprès de maîtres particuliers et par la pratique des échanges d’enfants du cru avec ceux de familles germanophones (allemandes, alsaciennes, alémaniques) désireuses que leurs propres enfants viennent apprendre le français « par immersion » ; cette pratique, fréquente dans les régions de frontières linguistiques, se prolongera dans la première moitié du XIXe siècle.

6Au total, cette thèse prend incontestablement place parmi les études régionales qui rendent compte des réalités scolaires de la France d’Ancien Régime, dans la diversité qui est la leur, par delà les généralisations qui continuent à imprégner une certaine vulgate « républicaine ». On pourrait regretter que l’auteur ne se réfère pas suffisamment aux études régionales précédemment parues (notamment sur l’Alsace, la Franche-Comté, la Lorraine et la Suisse francophone voisines), pour tenter d’évaluer, au moins en conclusion, la part d’originalité qui revient réellement au protestantisme luthérien dans le niveau d’instruction atteint par la population du Pays de Montbéliard. Ce qui la conduit également à porter des jugements de valeur parfois hésitants sur ce niveau, qu’elle juge tantôt excellent – proportion de communes pourvues d’une maison d’école, taux de scolarisation en hiver – tantôt (très) insuffisant – salaires des maîtres, objectifs et méthodes de l’enseignement élémentaire, jugés très sévèrement : à quelle aune et par rapport à quoi en juger ? Mais il est vrai que la comparaison en éducation ne va pas de soi et que l’auteur, dans les cadres géographique et chronologique qu’elle s’est donnés, nous offre déjà nombre d’informations précises, donc précieuses car éventuellement ré-interprétables à une échelle plus large, pouvant contribuer à une histoire vraie de la scolarisation française, entre l’ancien régime scolaire et les débuts du nouveau.

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References

Bibliographical reference

Pierre Meyer, BERLIOZ (Élisabeth), Écoles et protestantisme. Le pays de Montbéliard, 1769-1833Histoire de l’éducation, 133 | 2012, 103-106.

Electronic reference

Pierre Meyer, BERLIOZ (Élisabeth), Écoles et protestantisme. Le pays de Montbéliard, 1769-1833Histoire de l’éducation [Online], 133 | 2012, Online since 09 December 2012, connection on 04 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2452; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2452

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