ROBERT-GUIARD (Claudine), Les Européennes en situation coloniale. Algérie 1830 à 1939
ROBERT-GUIARD (Claudine), Les Européennes en situation coloniale. Algérie 1830 à 1939, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2009, 340 p.
Texte intégral
1Issu d’une thèse soutenue à l’université Aix-Marseille, le livre de Claudine Robert-Guiard comble un trou certain dans nos connaissances concernant la présence et le rôle des Européennes dans la colonisation de l’Algérie. Pour le lecteur de la revue Histoire de l’éducation, il est surtout intéressant de noter la place qu’accorde l’auteur aux enseignantes et aux religieuses qui ont ouvert des écoles dès les premières années de la conquête. En effet, celles-ci font l’objet d’analyses dans la troisième partie, intitulée « Des femmes actives », où le dépouillement d’actes de mariage et de décès permet d’établir une typologie des nombreuses femmes qui travaillent : à Alger, en 1845, 70 % des femmes travaillent au moment de leur mariage (p. 152). Les religieuses, très présentes sur le terrain, ouvrent des écoles, des orphelinats et des salles d’asile pour les filles européennes, puisque la crainte du prosélytisme religieux leur interdit des actions envers les populations indigènes. En 1870, elles dominent très largement l’offre scolaire à Alger : plus de 85 % des 1 629 filles inscrites dans une l’école communale ont une bonne sœur pour institutrice (p. 195). À partir de 1873, cependant, l’auteur note le recul progressif des congréganistes avec la montée d’un anticléricalisme virulent parmi les colons. En 1900, 70 % des enseignantes sont des laïques (p. 215).
2Les enseignantes laïques, de leur côté, sont souvent en situation précaire. L’étude de 19 institutrices en activité entre 1846 et 1848 montre la présence de nombreuses veuves et de femmes qui pratiquent sans diplôme d’enseignement, puisque la mise en place de commissions d’examen se fait avec retard (1846 à Alger). Dans ces premières années, quelques institutrices se lancent dans l’enseignement des jeunes filles musulmanes ou juives, telle Madame Allix Luce, célèbre au milieu du siècle pour son école algéroise, qui servira de modèle aux écoles arabes-françaises mises en place pour garçons et filles en 1850. Par la suite, les institutrices laïques se multiplient, y compris dans l’enseignement féminin indigène qui se développe au XXe siècle. Plus surprenant, elles dirigent aussi les petites classes pour garçons indigènes, constituant en 1938 40 % du personnel de ce niveau (p. 20).
3La dernière partie du livre, « Éducation et contestation », se tourne davantage vers les élèves, décortiquant les annuaires et les tableaux statistiques. La gratuité des écoles publiques dès 1860 encourage une scolarisation féminine européenne, qui dépasse celle des garçons ainsi que les taux de scolarité féminins en métropole. Mais la prégnance d’un modèle méditerranéen, montré par l’analyse intéressante de mémoires de Pieds-Noirs, limite les effets de cette scolarisation, qui se cantonne longtemps au primaire. En 1938, seulement 6,4 % des filles continuent leur instruction au-delà du primaire, contre 17,5 % des garçons (p. 253).
4L’objectif de l’ouvrage n’est pas de proposer une histoire de l’enseignement féminin en Algérie mais il apporte néanmoins des informations intéressantes, notamment par l’utilisation des annuaires statistiques et la révélation de certaines biographies. Le temps long qui est saisi fait ressortir des évolutions au-delà de la période 1830-1880, étudiée en détail il y a longtemps par Yvonne Turin. En particulier, C. Robert-Guiard montre le déclin des religieuses enseignantes et le développement d’une hiérarchie d’établissements européens et indigènes au XXe siècle. En mettant à jour la présence importante des enseignantes françaises en Algérie tout au long de cette période, le livre devrait stimuler des études plus fines de ce terrain colonial encore bien mal connu dans l’histoire de l’éducation.
Pour citer cet article
Référence papier
Rebecca Rogers, « ROBERT-GUIARD (Claudine), Les Européennes en situation coloniale. Algérie 1830 à 1939 », Histoire de l’éducation, 131 | 2011, 116-118.
Référence électronique
Rebecca Rogers, « ROBERT-GUIARD (Claudine), Les Européennes en situation coloniale. Algérie 1830 à 1939 », Histoire de l’éducation [En ligne], 131 | 2011, mis en ligne le 29 mars 2012, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2366 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2366
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