HOUSSAYE (Jean) (dir.), Femmes pédagogues, t. I : De l’Antiquité au XIXe siècle
HOUSSAYE (Jean) (dir.), Femmes pédagogues, t. I : De l’Antiquité au XIXe siècle, Paris, Éd. Fabert, 2008, 620 p. (coll. « Pédagogues du monde entier »)
Texte intégral
1Directeur de la collection « Pédagogues du monde entier », Jean Houssaye propose ici de réparer une injustice commise par les ouvrages biographiques existants en rendant hommage à l’activité et l’inventivité des femmes pédagogues. Comme dans ses ouvrages précédents – Quinze Pédagogues (1994), Pédagogues contemporains (1996) et Nouveaux pédagogues (2007) – celui-ci est défini comme « d’abord un praticien-théoricien de l’action éducative, une personne qui tente de conjoindre la théorie et la pratique à partir de sa propre action ». Cette définition qui allie pratique et théorie privilégie en principe des femmes qui non seulement ont écrit sur l’éducation, mais ont également éduqué des jeunes. En réalité, beaucoup des figures étudiées ne sont pas des enseignantes et ce sont leurs écrits de type « pédagogique » qui ont marqué la réflexion de leur époque sur l’éducation, notamment des filles.
2 Ce premier volume (sur deux) part de la figure de Sappho, dans l’Antiquité, pour aller jusqu’à l’enseignante et femme de lettres franco-hongroise Antonina de Gerondo. Au total, dix-huit femmes sont présentées, dont la moitié sont françaises malgré un effort important pour en faire découvrir au-delà de l’Hexagone. Notons que le deuxième volume, qui porte sur les XXe et XXIe siècles, présente un panel plus international de vingt femmes, sans toutefois tendre vers une approche véritablement globale. Comme dans toute entreprise de ce genre, il a fallu faire des choix. Ils se sont portés sur Sappho, Dhuoda, Sainte Catherine de Sienne, Christine de Pizan, Mme de Maintenon, Mme Leprince de Beaumont, Josefa Amar y Borbón, Jeanne Henriette Campan, Thérèse Brunsvick, Albertine Necker de Saussure, Pauline de Meulan, Émilie Mallet, Rosette Niederer-Kasthofer, Marie Pape-Carpantier, Marie-Eugénie Milleret, Julie Favre, Catherine Lascaridou et Antonina de Gerando. Chacun pourra regretter de ne pas voir présenter telle personne ou telle tradition pédagogique – je déplore, pour ma part, l’absence d’Anglaises ou d’Américaines pour le XIXe siècle – mais on découvrira avec plaisir des figures peu familières au milieu d’autres nettement plus connues du public francophone.
3Les pédagogues de la petite enfance sont à l’honneur, avec la présence de quatre femmes qui ont ouvert des écoles maternelles ou des salles d’asile et laissé des écrits sur ce type d’écoles : Thèrèse Brunsvick, fondatrice de la première école maternelle hongroise en 1828, les Françaises Émilie Mallet et Marie Pape-Carpantier, et la Grecque Catherine Lascaridou. Ces exemples témoignent de la circulation des idées à travers l’Europe et de l’influence de Fröbel ou de ses élèves.
4Sans surprise, la majorité des femmes présentées sont soucieuses d’améliorer l’éducation des filles. Certaines de ces femmes sont devenues des sources d’inspiration pour un mouvement féministe ultérieur – c’est le cas de Christine de Pizan et Josefa Amar y Borbón – alors que la plupart ont prôné une éducation sérieuse pour les filles sans mettre profondément en question les normes de genre de leur époque. À cet égard, le portrait de la Suissesse Rosette Niederer-Kasthofer, première collaboratrice de Pestalozzi, est particulièrement intéressant. Beaucoup plus décevant est celui de Marie-Eugénie Milleret, fondatrice de la congrégation de l’Assomption, qui attend encore une biographie de type universitaire.
5 Une organisation commune structure les différentes présentations : une première partie, biographique, est suivie d’une réflexion sur les « aspects majeurs » de l’œuvre, puis d’une partie intitulée « débat critique », dont le sens est compris de manière fort différente par les divers auteurs : dans les chapitres les plus réussis, comme celui qui est consacré à Thérèse Brunsvick, cette dernière partie porte sur l’influence de celle-ci et le débat autour de ses idées. Suivent des extraits de textes (entre trois et quinze par personne présentée), assortis de questions pour guider le lecteur dans la compréhension du document. Soulignons, à l’intention des enseignants, l’immense intérêt de cette collection de textes et surtout des traductions de textes en allemand, en espagnol et en hongrois. Les auteurs des notices, étrangers et Français, viennent d’horizons disciplinaires variés où on note une prépondérance d’historiens de l’éducation, qui situent bien les femmes étudiées dans leur époque. La plupart ne sont pas spécialistes de l’histoire des femmes, ce qui explique quelques erreurs surprenantes comme celle qui fait divorcer les parents de Marie-Eugénie Milleret sous la monarchie de Juillet alors que le divorce a été aboli en France de 1816 à 1884.
6Si on peut applaudir l’initiative de publier ce volume, en particulier lorsqu’elle nous fait découvrir des figures étrangères, on est inévitablement frappé par l’inégale rigueur des contributions. En particulier, trop d’auteurs français maîtrisent mal la bibliographie concernant l’éducation des filles. Il est surprenant de ne pas trouver d’écho des travaux de Carolyn Lougee ou de Dominique Picco concernant Mme de Maintenon (ni d’ailleurs mention de L’éducation des filles de Fénelon), ou de mes propres travaux sur Mme Campan et les maisons d’éducation de la Légion d’honneur. La bibliographie sur Julie Favre oublie l’article de Françoise Mayeur et le livre de Jo Burr Margadant. Dans les trois cas, une connaissance de ces travaux aurait utilement nourri « le débat critique » en portant un autre regard sur ces femmes et leur œuvre dans le contexte de leur époque.
7Un dernier regret concerne le travail d’édition, qui est parfois décevant pour un ouvrage de ce type, destiné à un large public enseignant. Trop de références dans les textes ne sont pas reprises dans les bibliographies, rendant difficile un travail d’approfondissement. Deux exemples. À quoi se réfère l’indication « Paris, 1981, p. 519 » figurant p. 489? Sans doute à l’ouvrage dirigé par Louis-Henri Parias, mais seul un lecteur bien informé peut le deviner. Encore plus troublante pour la lectrice que je suis, cette présentation de textes émanant de Henriette Campan : « Correspondance sur l’éducation publique et sur l’éducation particulière, Baudouin Frères, 1835 ». Intriguée par cette référence que je ne connaissais pas, à tort vu l’intérêt des extraits publiés, j’ai mis beaucoup de temps à retrouver la nature du document, qui n’est pas un livre mais une lettre écrite au comte de Lacépède en 1812 et publiée dans les différentes éditions de l’ouvrage phare de Mme Campan, De l’éducation. Argutie de chercheuse? Peut-être. Mais, comme enseignante, je voudrais pouvoir orienter mes étudiants vers cet outil pour le moment unique en langue française, de façon à ce qu’ils l’utilisent pour en savoir plus. Pour cela, il faut exiger une rigueur sur le fond comme dans la forme, exigence que les femmes pédagogues présentées auraient certainement partagée.
Pour citer cet article
Référence papier
Rebecca Rogers, « HOUSSAYE (Jean) (dir.), Femmes pédagogues, t. I : De l’Antiquité au XIXe siècle », Histoire de l’éducation, 131 | 2011, 93-95.
Référence électronique
Rebecca Rogers, « HOUSSAYE (Jean) (dir.), Femmes pédagogues, t. I : De l’Antiquité au XIXe siècle », Histoire de l’éducation [En ligne], 131 | 2011, mis en ligne le 29 mars 2012, consulté le 14 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2344 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2344
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page