DUVAL (Nathalie), L’École des Roches
DUVAL (Nathalie), L’École des Roches, Paris : Belin, 2009, 303 p. (Coll. « Histoire de l’éducation »)
Texte intégral
1Voici un livre agréable à lire. La présentation est soignée et accompagnée de nombreuses illustrations. Celles et ceux qui ne connaissent pas ou peu l’École des Roches y découvriront les grands épisodes de son existence, longue désormais de plus d’un siècle. Cet « établissement secondaire d’un type nouveau », pour reprendre l’expression de l’éditeur Henri Vuibert dans son Annuaire de la Jeunesse en 1914, est présenté au travers de quatre parties, chacune subdivisée en trois chapitres : 1. L’École des Roches, prototype de l’École nouvelle (1897-1899) ; 2. L’École des Roches, phare de l’Éducation nouvelle (1899-1944) ; 3. L’École des Roches depuis 1944 : une école différente entre mythe et réalité ; 4. Les « Rocheux » : sociologie d’un réseau en mutation. On apprend ainsi successivement les motifs de la création de cette école, ses principes fondateurs, ses visées éducatives et pédagogiques (qui ont évolué au cours du temps) et l’influence déterminante de certains de ses acteurs, sans oublier les conditions de sa survie durant l’Occupation. Sont également passées en revue les différentes périodes de la vie de l’école avec ses aléas depuis la Libération jusqu’aux années 2000. Une analyse socio-historique des origines et du devenir de ses élèves clôt le livre. L’auteur a eu, par ailleurs, l’excellente idée de compléter son ouvrage par des annexes (les présidents du conseil d’administration de la Société de l’École nouvelle-École des Roches, les directeurs de l’école, les premiers souscripteurs de la Société de l’École nouvelle, une chronologie immobilière de l’école, la liste des aumôniers et des pasteurs, etc.) et par un index onomastique. Les anciens « Rocheux » seront probablement heureux d’y retrouver certains des événements célèbres de l’école, grâce aux nombreux témoignages d’anciens élèves que l’auteur a pris le soin de recueillir. Ils y découvriront certainement aussi des informations utiles leur permettant de comprendre les choix de ses dirigeants successifs, et donc les orientations qu’ils ont adoptées. Le souvenir des grandes figures de cet établissement leur rappellera également combien cette entreprise humaine leur doit.
2Les historiens de l’enseignement et de l’éducation devront, quant à eux, consulter la thèse dont ce livre est issu. Cette version ne traite, en effet, que partiellement des questions liées à la définition même du mouvement d’éducation dont l’École des Roches est l’une des réalisations. Peut-on réellement parler, par exemple, d’« Éducation nouvelle » de façon uniforme avant la Première Guerre mondiale ? Sur le plan des idées, Nathalie Duval sent la nécessité de revenir sur cette question dans la partie de son livre intitulée « Aux sources de l’éducation nouvelle » (p. 47-49). Écrire après tant d’autres que « les sources de l’éducation nouvelle remontent loin dans le passé » (p. 47) ne permet pas de prendre la mesure d’une telle affirmation. Cette démonstration reste à faire, quand bien même elle est réalisable. Les expressions « École nouvelle » et « Éducation nouvelle » ont, par ailleurs, leur propre histoire. Demolins n’a pas introduit l’éducation nouvelle en France en créant l’École des Roches (p. 25). D’autres projets existaient déjà sous cette même appellation dans la seconde moitié du XIXe siècle. Dès lors, ce « slogan » reste globalement un « concept partagé de la modernité, sans doute justifié par la profondeur de la rupture avec les usages anciens ». L’École des Roches fait partie d’un ensemble d’entreprises éducatives originales qui souhaite participer à la tentative de renouvellement des pratiques pédagogiques de l’époque, au même titre que les écoles sous forêt, les écoles en plein air ou encore l’orphelinat Prévost de Cempuis. En reconnaissant cette dernière institution comme « une école active avant la lettre » et en considérant son représentant, Paul Robin (1837-1912), comme l’un des « précurseurs de l’École active », Adolphe Ferrière légitimera cette réalisation, dont la portée sociale est pourtant très éloignée de celle des premières « écoles nouvelles ».
3Concernant justement les « écoles nouvelles » fondées en Europe entre 1889 et 1914, N. Duval nous livre, à partir de différentes sources, une liste très instructive de ces établissements. Un numéro spécial de Pour l’Ère nouvelle consacré aux écoles nouvelles à la campagne (n° 15 d’avril 1925), qui révise celle, citée par l’auteur, de 1922, aurait permis de l’affiner encore un peu plus. Ces informations, si intéressantes soient-elles, sont malheureusement peu, voire pas discutées. Il s’agit là d’un reproche que l’on peut faire, parfois, à cet ouvrage qui ne met pas suffisamment en perspective les données proposées. Une étude critique du programme minimum et maximum des écoles nouvelles aurait ainsi permis, par exemple, de mieux cerner la stratégie de Ferrière à cette époque. Se référant parfois uniquement aux dires de ses correspondants étrangers, le fondateur du Bureau international des écoles nouvelles souhaite, dans un souci de propagande, atteindre le nombre d’écoles le plus important possible. Une fois les conditions du programme minimum remplies (et encore, pas toujours), une école peut se prévaloir de ce titre si elle remplit la moitié des trente points du programme maximum. En définitive, hormis les six établissements « fondateurs », une réelle évaluation des autres écoles dites « nouvelles » n’a jamais réellement été menée et encore moins publiée, rendant cette réalité relativement spéculative (les nécessités du programme minimum contraignaient les directeurs d’école à s’implanter à la campagne ou à appliquer systématiquement le self-government). C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles Ferrière abandonnera cette idée de recensement par la suite, et c’est aussi la raison pour laquelle certaines réalisations pourtant issues de cette mouvance, comme les écoles Decroly ou Montessori, n’apparaîtront pas dans ces listes.
4Toujours sur cette question des origines de l’« Éducation nouvelle », N. Duval avance l’idée qu’il existe une influence rousseauiste (même implicite) chez Demolins, sans véritablement en apporter la démonstration. Certes, l’enfant « apprend autant hors des livres que dans les livres » (p. 49) selon Demolins, mais cela suffit-il à établir une filiation entre le citoyen de Genève et le fondateur de l’École des Roches ?Cette posture a souvent prévalu dans les essais sur l’histoire de l’Éducation nouvelle, à tel point que l’expression est désormais vide de sens. Pour n’avoir pas mieux su délimiter théoriquement et pratiquement ce que l’on pouvait entendre par « Éducation nouvelle » (et ce ne sera pas le fait de substituer à cette expression celle d’« École active » qui résoudra le problème), les tenants de celle-ci ont entretenu l’illusion que derrière ce slogan se cachait un idéal éducatif et pédagogique capable de remédier à tous les maux de l’école. Ce déficit de sens va avoir des répercussions sur la cohésion entre les différents courants qui le composent. À tel point, d’ailleurs, que certains d’entre eux, comme La Nouvelle Éducation de Roger Cousinet et Madeleine Guéritte, quitteront la Ligue internationale pour l’Éducation nouvelle dans les années 1930, faute de garanties suffisantes vis-à-vis de leur propre idéal éducatif. Aussi, on pourrait être d’accord avec l’auteur lorsqu’elle écrit que « les expérimentations sont aussi diverses que les inspirations idéologiques sont contradictoires » (p. 48), à condition qu’elle en fasse la démonstration. Véritable « creuset d’une éducation totale » (p. 61-92), l’École des Roches souhaite apparaître sur la scène éducative française, comme l’indique pertinemment N. Duval, « en liaison avec l’excellence scolaire traditionnelle mais avec une différence essentielle : une pédagogie innovante centrée sur l’enfant en fonction de ses besoins et de sa psychologie » (p. 63). Ce chapitre est l’un des plus intéressants de l’ouvrage, dans le sens où l’auteur y traite de l’originalité pédagogique de l’École des Roches sur les plans respectivement intellectuel, physique et moral. Il s’agit là d’un travail remarquable, où elle a réussi à retranscrire la spécificité du projet pédagogique de l’École durant l’entre-deux-guerres.
5Le chapitre suivant (p. 93-123) présente aux lecteurs un réel travail d’identification des grandes figures des Roches (Georges Bertier, Henri Trocmé, Juliette Demolins, Louis Garrone, André Charlier et Paul Belmont). On aurait aimé en savoir davantage, en revanche, sur la communauté enseignante qui, par son action et ses écrits, a diffusé les idées et les pratiques issues de son expérience aux Roches. Je pense notamment à Joseph Wilbois, Marie Fargues ou Jacques-Olivier Grandjouan. Ces « animateurs d’un esprit d’école » (p. 93-101), parmi lesquels il convient de ne pas oublier les parents d’élèves et les chefs de maison, ont incontestablement contribué à réaliser une « communauté familiale » au sein de cet internat.
6Le sixième chapitre du livre, consacré aux Roches face à « l’épreuve de la guerre et de la Révolution nationale » (p. 125-142), présente un aspect nouveau de l’établissement. Après y avoir confirmé la thèse de Stéphanie Corcy-Debray selon laquelle l’École aurait servi de « matrice [à] la réforme Carcopino » en 1941-1942 (p. 129-131), N. Duval montre que les accointances de Louis Garrone et de Henri Marty avec le régime pétainiste — ils furent nommés respectivement directeur de la Jeunesse et directeur de l’École nationale de l’Éducation physique et sportive (ENEPS, qui devient INEPS en 1942) — auront un impact négatif sur le rayonnement des Roches par la suite. Un autre fait, qui n’est pas évoqué par l’auteur et qui explique en partie l’éviction de Georges Bertier du Groupe français d’Éducation nouvelle (dont il avait été l’un des vice-présidents de 1929 à 1939) à la Libération, est la poursuite de la publication de sa revue Éducation jusqu’en mars 1942. Rien d’étonnant, donc, à ce que certains dirigeants des Roches, à commencer par G. Bertier et L. Garrone, connaissent, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, une véritable « traversée du désert » (p. 143). C’est dans ce contexte que l’École des Roches fêtera son cinquantenaire, en 1949. Entre-temps, G. Bertier cède la direction de l’école à L. Garrone (1944), qui tentera tant bien que mal d’incarner cet « esprit des Roches » jusqu’en 1965. Notons que le nouveau directeur n’emploie plus alors le vocable d’« éducation nouvelle », mais celui d’« éducation intégrale » pour désigner l’orientation pédagogique de son établissement. De la même manière, il n’utilise plus l’expression d’école « nouvelle » mais celle d’école « expérimentale » (p. 152-153).
7Comme le montre finement N. Duval, les années 1960 vont marquer un tournant dans l’histoire de l’école. Le refus d’un contrat d’association avec l’État — avec les répercussions financières que cela entraîne (les charges courantes ainsi que les salaires des professeurs restant à la charge de l’établissement) — va conduire l’École des Roches dans l’impasse. La « crise » révèle aussi « un projet éducatif en décalage » (p. 173-175), témoignant, dans le même temps, d’« un esprit d’école fissuré par un conflit de générations » (p. 175-178). C’est aussi le moment où le journal La Tribune socialiste (numéro du 16 octobre 1969) stigmatise l’École des Roches comme une « école des riches » (p. 177). Cette période correspond, enfin, à la fermeture des portes du collège de Normandie, autre école nouvelle fondée en 1901 et devenue, en 1950, l’annexe des Roches, plus connue sous le nom « Les Roches de Clères » (p. 178-184). Dans les chapitres VIII et IX, N. Duval met en évidence la façon dont l’interventionnisme des amis et des anciens élèves de l’école a permis à cet établissement d’éviter, à plusieurs reprises, le naufrage financier. Il n’aurait, en effet, jamais pu traverser ces trente dernières années sans l’apport en capital de certains souscripteurs. Ainsi, le couple Kaminsky, actuellement détenteur de 80 % du capital de la société anonyme de l’École, l’a sauvé de la faillite en 1989 en y injectant plus de dix millions de francs. Ce sauvetage tient aussi au passage sous contrat d’association avec l’État en 1992. Outre son engagement à suivre les programmes scolaires officiels de l’Éducation nationale, « la contractualisation a eu pour conséquence principale l’abandon du tiers-temps pédagogique dans un emploi du temps qui alternait travaux pratiques et sports un après-midi sur deux et représentait, depuis la création des Roches, l’un des éléments fondamentaux de leur originalité dans le paysage scolaire français » (p. 203).
8Dans le même temps, la population de l’école change, tandis que ses effectifs diminuent de plus des deux tiers. Malgré les nombreux investissements réalisés au cours des décennies 1970 et 1980, l’École des Roches passe de 343 élèves en 1973 à 110 en 1989 (p. 285). Le pourcentage d’élèves étrangers (25 % en 1965, p. 177) atteint, quant à lui, près de 40 % des effectifs dans les années 1970 (p. 199). L’introduction officielle de la mixité date, enfin, de 1970 (les filles seront 71 trois ans plus tard). Dans la quatrième et dernière partie de son livre (p. 233-268), N. Duval aborde plus en détail cette « sociologie d’un réseau en mutation » qui est celle des « Rocheux ». L’étude des caractéristiques des premiers élèves (p. 233-237), ainsi que celle des « nouvelles familles » des Trente glorieuses (p. 237-240) en passant par celle des enfants issus de l’« internationalisation dorée » (p. 240-243), amène l’auteur à s’interroger sur les tenants et les aboutissants de cette éducation « rocheuse » (p. 245-260). L’essai de typologie des « élites » (chefs d’entreprise, cadres et hauts fonctionnaires, etc.) apporte des éléments intéressants sur quelques-uns des anciens élèves de l’école, qui incarnent encore aujourd’hui ce modèle d’éducation dans le patronat, ainsi que dans les plus hautes fonctions de l’administration française. L’auteur termine sa monographie en proposant un recueil de témoignages, participant ainsi au travail de mémoire (p. 261-268). Ce livre, sa thèse et ses nombreux articles (une quinzaine en dix ans), témoignent de cette louable ambition. N. Duval nous a apporté, avec cet ouvrage, une contribution majeure à l’histoire des écoles nouvelles en France. Puisse ce travail susciter d’autres vocations chez les chercheurs en histoire de l’éducation.
Pour citer cet article
Référence papier
Laurent Gutierrez, « DUVAL (Nathalie), L’École des Roches », Histoire de l’éducation, 127 | 2010, 111-116.
Référence électronique
Laurent Gutierrez, « DUVAL (Nathalie), L’École des Roches », Histoire de l’éducation [En ligne], 127 | 2010, mis en ligne le 10 mars 2011, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2184 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2184
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