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Notes critiques

SENET (Marie-José), SURRAULT (Annette), L’École du peuple dans l’Indre avant Jules Ferry

Vendœuvres : Lancosme éditeur, 2007, 159 p.
Annie Bruter
p. 131-133
Référence(s) :

SENET (Marie-José), SURRAULT (Annette), L’École du peuple dans l’Indre avant Jules Ferry, Vendœuvres : Lancosme éditeur, 2007, 159 p.

Texte intégral

1Patriotisme local et intérêt pour l’école du peuple se conjuguent souvent pour donner naissance à des ouvrages sur l’histoire des écoles de tel ou tel lieu. Celles de l’Indre avant Jules Ferry font l’objet d’un beau livre cartonné et joliment illustré sur papier glacé, dont l’intérêt va au-delà de la nostalgie souvent de mise dans de tels ouvrages. Appuyé sur le dépouillement de nombreuses archives locales, il offre en quelque sorte l’illustration concrète, à l’échelle départementale, de la situation scolaire en France sous l’Ancien Régime et au XIXe siècle et de la façon furent appliquées (ou non) les directives destinées à promouvoir l’éducation populaire.

2C’est au moyen des écoles mutuelles que des philanthropes développent la scolarisation dans l’Indre dans la première moitié du XIXe siècle. Le Bas-Berry, dans lequel la Révolution a découpé le département de l’Indre, est en effet, sous l’Ancien Régime, une région pauvre et enclavée où sévit l’analphabétisme (on est au sud de la fameuse ligne Saint-Malo-Genève), et la Révolution n’a rien amélioré à cet égard. La création des écoles est l’œuvre de personnalités, administrateurs ou notabilités locales, convaincues des bienfaits à attendre de l’instruction du peuple. Certes, toutes les municipalités ne participent pas à cet effort, mais quelques bourgades et, surtout, deux villes importantes du département, Châteauroux et Issoudun, se dotent d’écoles mutuelles au début de la Restauration. Dans la première, c’est le préfet, Brochet de Vérigny, qui impulse la création de l’école, grâce, notamment, à ses relations avec la Société pour l’instruction élémentaire, à laquelle il recourt pour obtenir un maître formé à la méthode. Á Issoudun, on trouve parmi les promoteurs de l’école mutuelle fondée par la municipalité un certain nombre de francs-maçons. Les écoles de ces deux villes pratiqueront le mode mutuel – sans doute aménagé au cours du temps – jusqu’au début de la IIIe République.

3C’est relativement tard, à partir de 1844, que les frères des Écoles chrétiennes, absents jusque-là du département, y sont appelés par des notables locaux soucieux de mettre l’éducation populaire sous la tutelle de l’Église, avec le renfort de quelques ecclésiastiques de choc. Leurs écoles remportent de vifs succès, au détriment, parfois, des écoles mutuelles, l’une des raisons de ces succès étant, sans nul doute, la gratuité pratiquée par les frères. L’Indre entre alors dans la phase des luttes entre « militants » catholiques et partisans de l’école mutuelle (parmi lesquels se recruteront plus tard les tenants de la laïcité scolaire). Ces luttes sont marquées d’avancées et de reculs temporaires, dont l’enjeu est souvent de savoir quel type d’école obtiendra le soutien de la municipalité. C’est finalement le rôle du pouvoir central qui sera déterminant : tant qu’il reste aux mains des forces conservatrices, les « laïques » piétinent, le préfet réinscrivant d’office au budget municipal les subsides aux écoles de frères qu’ils ont refusé de voter, mais l’adoption des lois de laïcisation (1881-1886) prive les écoles de frères de leur statut communal. Puis les mesures contre les congrégations enseignantes provoqueront leur sécularisation, entraînant la transformation de leurs écoles en écoles « libres » au début du XXe siècle.

4Une quatrième partie du livre traite brièvement des à-côtés de l’école proprement dite : l’école régimentaire qui fonctionna brièvement à Châteauroux au début de la Restauration, les salles d’asile, les cours d’adultes et les conférences populaires, les bibliothèques et les caisses d’épargne. Le passage sur les bibliothèques nous vaut les portraits de deux personnages intéressants du département, Stéphane Ajasson de Grandsagne, organisateur d’une Bibliothèque populaire destinée à fournir des lectures utiles aux masses alphabétisées (entreprise qui le ruina), et Zulma Carraud, auteur bien connu d’ouvrages moralisateurs à destination de la jeunesse, qui, selon Marie-José Senet, était d’idées bien plus larges que ce que laisseraient penser ses textes mais dut se plier à la pression des autorités religieuses et à celle de son éditeur.

5Ce livre n’est pas destiné à un public savant : la bibliographie est datée et souffre d’importantes lacunes ; les documents cités le sont sans références, de même que certaines illustrations ; le choix de ces dernières relève quelquefois du goût du pittoresque plus que de la rigueur scientifique en dépit de la présence bienvenue de nombreuses reproductions de documents d’archives. Mais l’importance de la documentation réunie et la façon heureuse dont elle est située dans le cadre général de l’histoire de l’école en France rendent la lecture intéressante en même temps qu’agréable. On pardonnera donc volontiers quelques coquilles et bourdes chronologiques mineures. On regrettera davantage la présence de clichés hérités d’une tradition historiographique téléologique, qui voit l’histoire de l’école comme une marche depuis les ténèbres de l’analphabétisme vers la lumière de la scolarisation généralisée et juge les réalités du passé à l’aune des valeurs du présent. Ainsi, la situation scolaire de l’Indre sous l’Ancien Régime est qualifiée de désastreuse alors même que le texte, en recensant les traces que les écoles de cette époque ont laissées dans les archives (contrats, délibérations, enquêtes, etc.), fait apparaître leur multiplicité et leur diversité ; de même, le couplet sur la misère des maîtres, obligés d’avoir recours à un second gagne-pain pour survivre, oublie que la polyactivité a été la règle dans les sociétés rurales jusque bien avant dans le XIXe siècle. Mais le patient travail d’archives des auteurs vient heureusement contredire ce respect d’une vulgate usée. Particulièrement intéressants sont, par exemple, les devis des menuisiers, qui permettent de se représenter de manière très concrète l’ameublement des classes (p. 77-79 et p. 130), ou les listes d’élèves reproduites dans les annexes (p. 148-154). Il serait à souhaiter que tous les livres célébrant les écoles fussent de la même qualité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Annie Bruter, « SENET (Marie-José), SURRAULT (Annette), L’École du peuple dans l’Indre avant Jules Ferry »Histoire de l’éducation, 123 | 2009, 131-133.

Référence électronique

Annie Bruter, « SENET (Marie-José), SURRAULT (Annette), L’École du peuple dans l’Indre avant Jules Ferry »Histoire de l’éducation [En ligne], 123 | 2009, mis en ligne le 15 janvier 2010, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2041 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2041

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Auteur

Annie Bruter

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Droits d’auteur

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