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Notes critiques

BOUTIER (Jean) (dir.), Étienne Baluze, 1630-1718. Érudition et pouvoirs dans l’Europe classique

Limoges : Presses universitaires de Limoges, 2008, 378 p.
Boris Noguès
p. 125-127
Référence(s) :

BOUTIER (Jean) (dir.), Étienne Baluze, 1630-1718. Érudition et pouvoirs dans l’Europe classique, Limoges : Presses universitaires de Limoges, 2008, 378 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif issu d’un colloque tenu à Tulle en 2006 mérite l’attention à un double titre : par l’exemplarité et l’importance du personnage étudié et par la qualité générale des analyses proposées à son sujet. Il s’ouvre, classiquement, par une étude du milieu familial de notables de la ville de Tulle dont est issu Étienne Baluze. Après une présentation de la branche polonaise de la famille – qui, il faut bien en convenir, n’éclaire guère la trajectoire de notre érudit –, on entre de plain-pied dans la carrière de Baluze. Celui-ci est à partir de 1656 secrétaire de Pierre de Marca, archevêque de Toulouse puis, brièvement, de Paris. Cette fonction lui permet de devenir le familier d’un patron puissant politiquement, qui partage avec lui le goût de l’érudition. Quelques années après la mort de Marca, Baluze gravit une nouvelle marche, en entrant dans la clientèle des Colbert, alors au faîte de leur puissance, qui le choisissent comme garde de leur bibliothèque personnelle. Cette ascension est couronnée par l’obtention d’une chaire de droit canon au Collège de France en 1689. Si l’influence de Seignelay, fils et successeur de Jean-Baptiste Colbert, n’est pas étrangère à cette nomination, celle-ci est avant tout le résultat de la reconnaissance intellectuelle qu’a alors acquise Baluze. En effet, il est tenu dans l’Europe entière pour un grand savant, spécialiste incontesté de patristique, d’histoire des institutions ecclésiastiques et monarchiques médiévales, de généalogie. Il fouille (ou fait fouiller par un réseau de correspondants européens) les bibliothèques et les dépôts d’archives ecclésiastiques ou civils, à la recherche de titres anciens qu’il recopie inlassablement, critique, confronte et parfois dénonce comme faux malgré leur âge vénérable, qui aurait suspendu toute velléité critique chez ses contemporains. Héritier de la philologie humaniste, capable de formaliser sa démarche et de l’appliquer aux sources médiévales, il est, avec son comparse Dom Jean Mabillon, le père de la méthode historique moderne. Mais cette quête de la vérité historique est, on le sait, à manipuler avec précaution sous certains régimes politiques. Baluze en fait la douloureuse expérience lorsqu’il entend démontrer, pièces à l’appui, que la maison d’Auvergne est plus ancienne que celle de France, ce qui lui vaut d’être disgracié par le roi en 1710 et d’être condamné à l’exil intérieur jusqu’à sa mort, en 1718.

2De cette trajectoire, les participants du colloque ont su dégager quelques lignes de force qui intéressent l’histoire culturelle et politique en général. L’itinéraire de Baluze, c’est d’abord la carrière d’un intellectuel au service des puissants, auxquels il doit tout : à Marca, la montée à Paris, la poursuite des études érudites, les archives de l’archevêque, récupérées à sa mort, et ce « moment d’accumulation de capital social » (Nicolas Schapira, p. 58) ; aux Colbert, les honneurs, les bénéfices et la haute main sur la « Colbertine », magnifique bibliothèque, au cœur de l’exercice du pouvoir, qui réunit livres, papiers personnels et d’État du ministre. Si la quête du patronage n’est alors ni nouvelle ni proche de disparaître, la particularité tient ici au rôle qu’assume Baluze auprès des Colbert : il n’est pas là pour rédiger panégyriques ou pamphlets pour le ministre, pour illustrer sa gloire, mais pour alimenter sa pratique du gouvernement en informations sûres et incontestables, de celles qui fondent un argumentaire juridique inattaquable et donnent un avantage décisif sur l’adversaire. La mise en lumière de l’usage exclusif par l’État d’une science juridique et historique nouvelle constitue assurément l’un des apports les plus novateurs du colloque, largement illustré par les communications de Jacob Soll, Dinah Ribard, Jacques Chiffoleau ou Jean Boutier. La formule choisie par ce dernier en conclusion, « l’érudition, arme secrète des princes », illustre parfaitement les enjeux stratégiques liés à la maîtrise par le pouvoir d’une science nouvelle, quelle que soit sa nature. Et, dans le domaine de l’érudition, Baluze est l’un des meilleurs. La méthode d’analyse critique des documents qu’il élabore parallèlement à Mabillon est tellement en avance sur celle de ses contemporains ! Les thèmes qu’il aborde, la patristique, le droit canon, la généalogie, peuvent paraître aujourd’hui bien secondaires, mais sont, en ces temps de gallicanisme et bientôt de jansénisme, d’annexions territoriales et de querelles dynastiques, d’une brûlante actualité. Son travail de copiste et de philologue lui vaut enfin la reconnaissance des érudits contemporains, qui puisent encore largement dans son œuvre (Pierre Gasnault, Pierre Petitmengin, Jacques Chiffoleau).

3Il convient donc de saluer le rigoureux travail des intervenants (ainsi, l’étourdissante érudition de J. Chiffoleau présentant les Vitae paparum Avenionensium), comme leur capacité à éviter les écueils propres au genre biographique. Le risque est en effet réel, surtout avec ce type de personnage, d’enfermer une étude biographique dans une irréductible singularité, éventuellement reliée épisodiquement et artificiellement à son environnement. Michel Cassan y pare d’emblée, à propos de l’analyse du groupe familial des Baluze, dans une introduction riche de pertinentes remarques épistémologiques, en rappelant (p. 18) qu’« une étude de cas ne saurait […] être transformée en modèle. Ce qu’elle permet […] est une restitution d’un instant d’histoire sociale […] ». Et, dans l’ensemble, cette ligne est suivie au fil des autres thèmes traités par les participants du colloque, ce qui explique le succès de l’entreprise.

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Pour citer cet article

Référence papier

Boris Noguès, « BOUTIER (Jean) (dir.), Étienne Baluze, 1630-1718. Érudition et pouvoirs dans l’Europe classique »Histoire de l’éducation, 123 | 2009, 125-127.

Référence électronique

Boris Noguès, « BOUTIER (Jean) (dir.), Étienne Baluze, 1630-1718. Érudition et pouvoirs dans l’Europe classique »Histoire de l’éducation [En ligne], 123 | 2009, mis en ligne le 15 janvier 2010, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/2037 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.2037

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Auteur

Boris Noguès

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