L’histoire de l’enseignement supérieur français. Pour une approche globale
Résumés
L’histoire de l’enseignement supérieur français à l’époque contemporaine a été l’objet, depuis les années 1970, d’importants travaux français et étrangers, mais elle est encore loin de susciter autant l’intérêt que les autres ordres d’enseignement. Cet article présente un panorama critique de la recherche en ce domaine et propose une périodisation des contextes de production et des thématiques dominantes, tout en réfléchissant aux causes de ce moindre intérêt. La présentation des chantiers en cours permet de suggérer des orientations pour les années qui viennent et conduit à prôner une approche globale de la question.
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1L’histoire de l’enseignement supérieur s’inscrit à la rencontre de plusieurs champs : histoire politique, économique, sociale et culturelle, mais aussi histoire des sciences et des savoirs, de l’administration, du territoire. L’enseignement en général, et l’enseignement supérieur en particulier, constituent de remarquables sujets pour qui voudrait s’attacher à écrire une histoire totale. Cependant, si ce programme peut sembler intellectuellement excitant, il n’a jamais été mis en œuvre. En revanche, la multiplicité des approches dont l’histoire de l’enseignement supérieur peut faire l’objet lui a permis d’être abordée dans ses relations avec d’autres éléments du monde social, politique et intellectuel auxquels celui-ci ressortissait de toute évidence : les enseignants du supérieur peuvent être appréhendés comme une partie des élites, telle discipline académique comme l’une des expressions d’une science, tel établissement comme une composante d’une ville ou d’une région. Ces approches sont légitimes et souvent fructueuses mais elles ne contribuent guère, quand elles ne lui font pas écran, à la compréhension de l’enseignement supérieur dans sa globalité, de ses modes de fonctionnement et des interactions entre ses multiples composantes. Elles restreignent les possibilités de répondre à des questions spécifiques, comme celles de la place de l’enseignement supérieur au sein de l’ensemble du système scolaire, celle des relations entre niveau national et niveau local ou celle de l’articulation entre activité réglementaire et pratiques effectives.
- 1 Ce n’est pas une précaution purement formelle que d’indiquer que cet article ne vise en aucun cas (...)
2En effet, l’histoire de l’enseignement supérieur s’est développée en adoptant les questionnements plus généraux qui traversent la discipline historique depuis une quarantaine d’années. L’analyse rétrospective que nous proposons ici a pour ambition d’expliquer les grandes orientations suivies par la recherche dans ce domaine et leurs principales conclusions1, mais aussi de réfléchir, au regard des chantiers actuellement ouverts, aux perspectives qui pourraient être les siennes dans la prochaine décennie. Le parti pris a été de construire cette réflexion sur la base d’une périodisation des thématiques dominantes. Les décennies 1970 et 1980 ont constitué une période privilégiée pour l’histoire sociale du corps enseignant, qui a fait alors l’objet d’enquêtes prosopographiques de grande ampleur. Elles ont permis de produire un ensemble précieux, bien que disparate, d’analyses socio-historiques autour de la question des élites. La période suivante s’est caractérisée par la multiplication des recherches sur l’histoire des disciplines savantes, la question de leur insertion dans l’enseignement supérieur étant plus ou moins prise en compte. Enfin, depuis une quinzaine d’année, c’est une approche plus territorialisée qui domine, avec la prise en compte des logiques régionales, locales, voire micro-locales. Aucune de ces trois grandes tendances de la recherche en histoire de l’enseignement supérieur n’est toutefois enfermée dans une période, et elles coexistent encore aujourd’hui. Il nous a semblé intéressant, dans cette perspective, de tenter de montrer leur pérennité et leur traduction dans de nouveaux projets, pour comprendre les nouvelles modalités qui les caractérisent actuellement.
I – L’enseignement supérieur et les élites : l’université dans le monde social
- 2 L’essentiel de leur diffusion s’est faite au travers d’articles qu’ils ont publiés dans les revues (...)
- 3 Parmi eux, de très nombreux historiens des sciences. Cf. la présentation qu’en fait Fabien Locher (...)
3La question le plus souvent traitée en matière d’histoire de l’enseignement supérieur est celle de sa fonction sociale. Elle a été posée, dès la fin des années 1960, par des historiens anglo-saxons qui réfléchissaient aux relations qu’entretenaient systèmes sociaux et systèmes éducatifs dans des contextes de bouleversements socio-économiques. L’histoire de la France était alors en plein essor dans les universités nord-américaines, et les doctorants étrangers trouvaient un lieu d’accueil intellectuel dans les séminaires organisés à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), en particulier par Pierre Bourdieu et Victor Karady. Ces conditions concouraient à faire de l’histoire de l’enseignement supérieur français un sujet de choix dans les facultés nord-américaines. Il est à souligner que ces travaux, qui restent encore aujourd’hui des références incontournables, n’ont été que rarement traduits2 et ne sont pas toujours cités dans les publications ultérieures. En revanche, ils ont joué un rôle majeur dans les débats internes à l’histoire des sciences française3.
- 4 Citons, parmi les plus connus : Fritz Ringer, Education and Society in Modern Europe, Bloomington, (...)
- 5 The Emergence of modern universities in France: 1863-1914, Princeton (N.J.)/Guildford (R.U.), Princ (...)
4La seconde moitié du XIXe siècle, période centrale de la révolution industrielle et de mutation des sociétés européennes, constituait un moment-clé pour cette question des rapports entre système éducatif et systèmes sociaux ; les travaux comparatistes ne manquent pas sur les transformations de l’enseignement des élites en Europe et en Amérique du Nord à cette époque4. Par ailleurs, ce cadre chronologique était particulièrement favorable à l’étude du cas français, puisqu’il englobait la rénovation de l’enseignement supérieur menée par les républicains après leur arrivée au pouvoir en 1879. Il devenait donc possible de s’interroger sur la part relative des conditions socio-économiques et de la volonté politique dans ce processus de refondation et de modernisation de l’université française. Incontestablement, c’est le livre de George Weisz, publié en 19835, qui constitue la référence sur cette question. Il y montre que la réforme résulte d’une conjoncture spécifique, dans laquelle se sont rencontrés les aspirations des nouvelles élites à la formation, le projet politique des républicains et la volonté des universitaires d’affirmer leur autonomie professionnelle.
- 6 Entre autres : Robert J. Smith, The École Normale Supérieure and the Third Republic, Albany, SUNY, (...)
- 7 Jean-Noël Luc, Alain Barbé, Des normaliens, histoire de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, (...)
- 8 Terry Shinn, Savoir scientifique et pouvoir social. L’École polytechnique 1794-1914, Paris, Presse (...)
- 9 Cf. Les Cahiers d’Histoire du CNAM, publiés depuis 1992.
- 10 Ce n’est pas lieu ici de faire la liste exhaustive de ces travaux. On peut les retrouver par le bi (...)
- 11 Ce déséquilibre historiographique est spécifique à la France et non au seul enseignement supérieur (...)
5La plupart de ces travaux, menés dans les années 1970 ou au début de la décennie suivante, l’ont été dans un contexte très favorable à l’histoire sociale et à la sociologie de l’éducation, qui a vu la mise en œuvre d’enquêtes quantitatives lourdes. La mesure des transformations qu’avait connues l’enseignement supérieur depuis sa re-création au début du XIXe siècle a bénéficié, elle aussi, du recours aux statistiques et aux études prosopographiques, pour mesurer l’évolution de la part des groupes sociaux concernés par la formation « supérieure » et procéder à une analyse fine des populations étudiantes ou enseignantes. Mais ces approches ne pouvant, pour des raisons techniques, concerner la totalité de l’enseignement supérieur, il en ressort une image quelque peu déformée de la réalité. Les disparités dans la conservation des dossiers biographiques et les différences de taille des populations concernées ont eu pour effet de focaliser l’attention sur les grandes écoles et les institutions parisiennes, réputées par ailleurs concentrer l’élite universitaire, enseignante et étudiante. Ainsi, on connaît bien l’École normale supérieure de Paris6, celle de Saint-Cloud7, l’École polytechnique8, le Conservatoire national des arts et métiers9, l’École centrale et les facultés parisiennes10. La plupart du temps, ces travaux d’histoire sociale ont débouché sur la production de dictionnaires biographiques, dont l’ensemble constitue un instrument toujours très utile. Cependant, ces enquêtes et ces publications ne concernent que des institutions précises et portent sur des périodes hétérogènes, ce qui rend les comparaisons difficiles. De plus, cette focalisation sur les grandes écoles et sur Paris a pour effet d’accentuer encore le déséquilibre spécifique au modèle d’enseignement supérieur français, en concentrant le regard sur la partie la plus élitiste du dispositif et en laissant dans l’ombre la majorité des universités, lieu de la formation du plus grand nombre dès la fin du XIXe siècle11. Le questionnement se déplace, de ce fait, de la mesure d’ensemble du rapport des différentes catégories sociales à l’enseignement supérieur à l’étude des stratégies d’une partie limitée des élites. Ce faisant, les équilibres délicats et implicites qui permettent la coexistence des deux voies de formation supérieure (universités et grandes écoles) ne sont jamais étudiés en tant que tels, non plus que leur place, leurs fonctions respectives, leur complémentarité ou leur concurrence.
1 – Les universitaires : un corps professionnel ?
6La question du rapport des élites à l’enseignement supérieur a entraîné une forte polarisation sur l’analyse du corps universitaire, c’est-à-dire sur la partie des élites investissant professionnellement le domaine. Cette approche, qui s’est structurée, dans un premier temps, autour des notions de champ et d’autonomie, pour partie empruntées à Pierre Bourdieu, vise à mettre en évidence l’existence (ou l’inexistence) d’un corps professionnel académique : caractéristiques sociales, pratiques sociales et professionnelles, représentation de soi…
- 12 Jürgen Schriewer, Christophe Charle et al. (dir.), Sozialer Raum und akademische Kulturen: studien (...)
- 13 Un article parmi d’autres : Victor Karady, « Les professeurs de la République. Le marché scolaire, (...)
- 14 Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Éd. de Minuit, 1984.
- 15 Christophe Charle, Régine Ferré (dir.), Le Personnel de l’enseignement supérieur aux XIXe et XXe s (...)
7Si les dictionnaires biographiques issus de cette approche fournissent une importante matière sociologique, ils n’ont pas suffi jusqu’ici à faire naître une véritable réflexion d’ensemble. Ils contiennent nombre d’informations sur une partie des enseignants de la première moitié du XIXe siècle, mais leur exploitation a essentiellement porté sur la période de la Troisième République, privilégiant l’analyse en termes de rupture plutôt que de transformation. Certes, les modifications importantes qui résultent des réformes républicaines contribuent à redéfinir durablement l’organisation du système universitaire et entraînent l’émergence de nouvelles pratiques professionnelles. Dans un contexte d’affirmation des disciplines académiques, les conditions d’entrée dans le métier, de déroulement des carrières, d’exercice professionnel changent en profondeur, de même que la définition de l’activité scientifique. De nouvelles normes apparaissent, contrôlées par les universitaires eux-mêmes. Cette transformation, qui est le produit conjoint de la volonté des universitaires et de l’étroitesse de leurs liens avec les républicains alors au pouvoir, a été analysée comme résultant d’un « travail permanent de conquête et de définition » d’une identité propre12. Dans cette approche historiographique, le projet prosopographique est central, qui vise à prendre en compte l’ensemble des agents et de leurs dispositions sociales. Couplé à l’approche statistique, il permet de produire une vision dynamique du corps professionnel considéré et de ses sous-groupes. Christophe Charle a fait la synthèse des travaux des années 1980 dans La République des universitaires (1994), où il dresse le portrait des enseignants des facultés parisiennes sous la Troisième République. Il met ainsi en lumière l’homogénéisation sociale de ces enseignants, qui a pour effet d’entraîner la diversification accrue des stratégies intellectuelles individuelles. Dans le même temps, il observe le processus de professionnalisation et la mise en place d’une division scientifique du travail au sein de chaque faculté, ainsi que l’existence sur le long terme de modes de fonctionnement spécifiques à chacune. Les travaux de Victor Karady sur la Troisième République13, puis ceux de Pierre Bourdieu sur les années 196014 développent des conclusions identiques. Pour autant, l’enseignement supérieur n’est appréhendé que sous l’angle des institutions de la capitale, et surtout des plus prestigieuses d’entre elles, la province n’étant vue que comme le repoussoir des carrières parisiennes. La mise en évidence d’une hiérarchie très forte, à la fois entre les lieux, les institutions et les disciplines, et la démonstration de son rôle dans la structuration du champ académique constituent un apport indéniable de ces travaux. Ceux-ci ont cependant tendance à restreindre le questionnement aux stratégies élitistes et laissent de côté d’autres aspects, en particulier le rôle des établissements intermédiaires ou les logiques régionales d’organisation. Par ailleurs, le cadre réglementaire de la profession universitaire reste mal connu, le seul article qui en traite étant celui que Françoise Mayeur a publié dans les actes du colloque organisé en 1985 par Christophe Charle et Régine Ferré15.
- 16 Jürgen Schriewer, Christophe Charle et al. (dir.), Sozialer Raum und akademische Kulturen…, op. ci (...)
- 17 Christophe Charle, La République des universitaires, Paris, Seuil, 1994.
- 18 Par ailleurs, ces travaux comparatistes ont été l’occasion pour Christophe Charle de diriger un nu (...)
8Dès lors, la question initiale de l’existence d’un corps académique n’est pas entièrement résolue. L’articulation entre les pratiques et les règlements, les effets structurants d’une organisation privilégiant les relations verticales (au sein des champs disciplinaires), le mode de fonctionnement des instances de certification professionnelle restent autant de thèmes à travailler pour qui veut s’affronter à la question de la professionnalisation. L’unité du corps académique, ou au contraire sa division structurelle en autant de groupes professionnels qu’il y a d’ensembles disciplinaires, est un sujet dont l’actualité est par ailleurs brûlante : si l’existence d’une norme propre au monde universitaire et transcendant les spécificités nationales est au cœur des débats qui animent opposants et partisans des réformes actuellement en cours en Europe, les recherches effectuées ne permettent pas de les éclairer16. Délaissant la comparaison des pratiques professionnelles, elles se concentrent sur la question de la place qu’occupe le groupe des universitaires au sein de chacune des sociétés, relativement aux autres élites en particulier. Christophe Charle a ainsi réalisé une comparaison entre les professeurs des universités de Paris et de Berlin entre 1870 et 194017, thématique qui était également celle du groupe de travail qu’il a dirigé avec Jürgen Schriewer à la fin des années 198018. L’intérêt de cette approche comparée conduit à souhaiter qu’elle puisse être prolongée et s’élargir aux caractéristiques professionnelles des différentes communautés universitaires (modalités de carrière, pratiques d’enseignement et de recherche, articulation des niveaux locaux et nationaux…).
2 – Les étudiants, un groupe social ?
- 19 Des sources sérielles existent cependant, mais sont encore peu exploitées. Une équipe d’historiens (...)
- 20 Jean-Claude Caron, Générations romantiques 1814-1851. Les étudiants de Paris et le Quartier latin, (...)
- 21 Pierre Moulinier, Naissance de l’étudiant moderne, XIXe siècle, Paris, Belin, 2002.
- 22 Didier Fischer, L’Histoire des étudiants en France de 1945 à nos jours, Paris, Flammarion, 2000.
9Tout comme les universitaires, les étudiants, en tant que groupe social, sont abordés par le biais d’un questionnement catégoriel. Comparés aux enseignants, dont sont conservés les dossiers individuels et dont on peut reconstituer assez aisément la communauté par le biais des annuaires, les étudiants constituent une masse plus complexe à saisir, du fait des lacunes dans les statistiques et les sources sérielles19. Le premier travail engagé a été de les compter, ce qu’a fait Jean-Claude Caron pour la première moitié du XIXe siècle20, puis Pierre Moulinier pour la seconde21. Pour autant, l’historiographie existante n’offre pas, là non plus, de perspective d’ensemble : les étudiants en question sont parisiens et, dans une très large mesure, issus des facultés professionnelles (de médecine et de droit), dont il est vrai qu’elles sont les seules, jusqu’à 1877, à avoir un véritable public étudiant. Reste à savoir s’il est possible de définir une catégorie sociale un tant soit peu homogène, ne serait-ce qu’au niveau des modes de vie et des pratiques de sociabilité. Pierre Moulinier met en évidence l’existence d’un tel groupe social, certes polymorphe mais néanmoins identifiable : il est essentiellement défini par le regard porté sur lui de l’extérieur (une classe d’âge, « une jeunesse redoutée, surveillée, rebelle »), mais se traduit aussi par l’existence d’une « communauté de vie et d’intérêts » qui confère une forte identité à ses membres. Des conclusions analogues se retrouvent dans la thèse que Didier Fischer consacre aux étudiants après la Seconde Guerre mondiale22. Mais ces approches partielles ne permettent qu’imparfaitement de saisir les enjeux sociaux liés au choix des filières, des institutions et des cursus. Il manque également une histoire statistique des étudiants sur la longue durée, dont les sources pour le XXe siècle sont désormais accessibles au Centre des Archives contemporaines de Fontainebleau.
- 23 http://www.germe.info/.
- 24 Cf. Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle : khâgneux et normaliens dans l’entre-deux- (...)
- 25 Cf. Peter Hartmut Rüdiger, Natalia Tikhonov (dir.), Universitäten als Brücken in Europa. Studien z (...)
10À l’inverse, et plus que dans les travaux consacrés aux enseignants, les étudiants sont souvent envisagés sous l’angle de leur rapport au politique. Une équipe de recherche s’est constituée autour de cette question, le Groupe d’étude et de recherche sur les mouvements étudiants (GERME)23, très actif sur l’analyse de la politisation étudiante depuis 1945. Mais les mouvements des années 1960 ne sont pas les seuls à fournir matière à une recherche sur les comportements politiques des étudiants. Déjà, J.-C. Caron et P. Moulinier avaient consacré de longs chapitres aux étudiants qui se trouvent à la pointe du combat libéral dans la première moitié du XIXe siècle, puis mis en évidence la rupture fondamentale que constitue la Révolution de 1848 : celle-ci, entraînant le ralliement des étudiants à la république bourgeoise, a pour conséquence la disparition, pour quelques décennies, de cette position d’opposant politique, qui ne ressurgira qu’après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, sur une longue période, la politisation étudiante reste structurelle24, en particulier l’attention aux questions internationales, dont les thèmes sont largement relayés par les étudiants étrangers présents dans l’enseignement supérieur français25.
11Cette approche en termes d’histoire sociale ou d’histoire sociopolitique, qui s’est développée principalement durant deux décennies, a permis de tracer les contours des groupes sociaux impliqués dans l’enseignement supérieur. Elle s’est cependant peu préoccupée des contenus des enseignements, de l’histoire des disciplines et des savoirs. Cette dernière a pris son essor par la suite de façon tout à fait indépendante, ne s’appuyant que rarement sur les travaux d’histoire sociale des années précédentes et leur préférant des études micro-historiques (sociologie d’un petit groupe). Comme la discipline historique dans son ensemble, l’histoire de l’enseignement supérieur a vécu le tournant du social au culturel, sans mieux parvenir à une synthèse des deux approches.
II – L’histoire des disciplines relevant des lettres et sciences humaines : éloge de la verticalité et de la monumentalité
- 26 La question de l’histoire des sciences est envisagée dans l’article de Fabien Locher publié dans c (...)
- 27 Cf. André Chervel, « L’histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine de recherche (...)
- 28 Cf. en particulier Christine Musselin, La Longue marche des universités françaises, Paris, PUF, 20 (...)
- 29 Voir, par exemple, Marie-Louise Pelus-Kaplan (dir.), Unité et globalité de l’homme. Des humanités (...)
12L’histoire des disciplines académiques26 pose dès l’origine la question complexe de leur appartenance privilégiée à l’histoire intellectuelle (histoire des savoirs et de leur production) ou à l’histoire de l’éducation (diffusion, transmission, reproduction). À la différence des disciplines scolaires, et alors qu’elles peuvent partager les mêmes objets, les disciplines académiques se perçoivent (et sont perçues) comme des sciences, relevant par conséquent davantage d’une logique propre à l’activité scientifique que d’un processus de construction au sein d’un dispositif d’enseignement. Ce faisant, l’existence de disciplines identifiées à autant de sciences particulières et constituant par essence le mode d’organisation normal des savoirs a paru s’imposer d’évidence durant de longues années, sans qu’une véritable réflexion soit engagée sur le rôle de l’enseignement dans leur construction, à la différence de ce qui s’est passé dans le cas des disciplines scolaires27. Elles sont, de ce fait, considérées comme autant d’institutions autonomes dont les histoires sont écrites de façon parallèle. Par ailleurs, en naturalisant dans le travail d’investigation historique le découpage académique hérité, les chercheurs confortent la situation de clivage vertical qui a été mise en évidence par les travaux d’histoire sociale et de sociologie des universitaires28 : preuve en est le petit nombre des travaux s’intéressant simultanément à plusieurs disciplines. Le découpage disciplinaire fait donc sens et obtient l’accord tacite de tous ceux qui se penchent sur la question, ce qui peut parfois poser problème, en particulier pour les premières années du XIXe siècle, époque à laquelle les disciplines ne sont encore que faiblement institutionnalisées. Il en résulte un (apparent) double régime de production, qui aboutit finalement au même effet réducteur : d’une part, des travaux mono-disciplinaires ; d’autre part, des colloques ou des ouvrages collectifs revendiquant la comparaison, mais qui sont surtout des juxtapositions de monographies disciplinaires, même quand le programme initial se réclamait d’une volonté de saisir l’objet dans son ensemble29.
- 30 Dont, en particulier, Thomas S. Kuhn, La Tension essentielle. Tradition et changement dans les sci (...)
- 31 Cf. le numéro de la revue Politix consacré aux Frontières disciplinaires, n° 29, 1995.
- 32 Pierre Bourdieu, « Le champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison », Soc (...)
13Longtemps cantonnée à une généalogie des idées, l’histoire des disciplines relevant des lettres et des sciences humaines s’est profondément renouvelée depuis une vingtaine d’années. Sous l’impulsion des recherches sur les processus d’innovation développées par l’histoire des sciences anglo-saxonne30, elle s’est recentrée sur l’analyse des mécanismes d’institutionnalisation des disciplines académiques. L’intérêt s’est polarisé sur la construction institutionnelle, sociale et épistémologique à l’œuvre dans chaque espace disciplinaire. Il s’agit de comprendre le « moment », les conditions et les formes dans lesquels un nouveau champ du savoir parvient à se constituer en un espace institutionnel de définition, de production et de diffusion de la science. L’analyse sociologique est souvent mobilisée dans cette entreprise, même si elle reste généralement cantonnée à l’étude du petit groupe considéré, et se focalise sur la mise en évidence des réseaux actifs dans cette opération ; elle vise à l’objectivation du processus, au dévoilement des stratégies souvent inconscientes des acteurs qui contribuent à fixer les cadres d’organisation d’une discipline, stratégies qui ont des effets structurants en matière de choix d’objet et de méthode. Cette approche est davantage le fait des sociologues et des politistes que des historiens31. Elle a été particulièrement développée par Pierre Bourdieu, puis par d’autres auteurs, à partir de la notion de champ scientifique32.
- 33 Pas moins de trois thèses s’affrontent à cette question : Dominique Dammame, Histoire des sciences (...)
- 34 Une très bonne illustration de cette problématique se trouve dans la thèse de Pierre Singaravélou, (...)
- 35 Voir, par exemple, Fabienne Pavis, Marie-Emmanuelle Chessel, Le Technocrate, le patron et le profe (...)
14Cette perspective qui entend saisir dans le même mouvement les conditions (sociales, institutionnelles et politiques) de production d’un discours scientifique et ce discours lui-même (formes, pratiques intellectuelles, objets…) a permis de recontextualiser et d’éclairer des pans entiers de l’histoire scientifique et culturelle française. La période révolutionnaire (entendue au sens large) a, par exemple, fourni un terrain de réflexion particulièrement fécond sur la question des sciences morales et politiques, mettant en évidence les cadres sociaux dans lesquels s’inscrivaient ces nouvelles disciplines33. Le rapport à l’État et la place du politique dans l’émergence et la construction de nouveaux savoirs ont été bien étudiés34. On commence également à disposer d’un certain nombre de travaux sur les disciplines en prise sur le monde social ou économique35.
- 36 Charles Camic, Hans Joas (dir.), The Dialogical Turn. Roles for Sociology in the Post Disciplinary (...)
- 37 Cf. Jean Boutier, Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), Qu’est ce qu’une discipline ?, op. c (...)
15Malgré cette ouverture sur un autre traitement des disciplines littéraires et des sciences humaines, la principale limite des études qui leur sont consacrées reste l’enfermement dans le découpage institutionnel. Toutes ces disciplines ne sont généralement envisagées qu’en elles-mêmes, sans que soit produite d’analyse en termes de participation à un dispositif plus large ou que les spécificités du champ considéré soient mises en relation avec celles des champs concomitants du savoir, ne serait-ce qu’au sein d’une même faculté ; la communauté universitaire, en tant que telle, n’est considérée qu’en ce qu’elle permet de mettre en évidence des effets de concurrence ponctuels. Il en résulte une difficulté à remettre en cause la « naturalité » des disciplines étudiées. Le découpage disciplinaire n’étant pas soumis aux mêmes contraintes institutionnelles dans les pays anglophones, la réflexion s’y oriente désormais vers une interrogation « post-disciplinaire » visant à dépasser le cadre intellectuel contraignant d’une telle partition du savoir36. Cette mise en cause du caractère évident du découpage disciplinaire n’en est encore qu’aux prémices en France, comme en témoigne un des derniers ouvrages collectifs parus sur la question37.
- 38 Un groupe de recherche s’est constitué autour d’Agnès Callu sur le thème « Les historiens et Mai 6 (...)
- 39 Citons, parmi d’autres : Stéphane Audoin-Rouzeau, Dominique Barthélemy, Annette Becker, Les Histor (...)
- 40 Pim Den Boer, History as a profession. The Study of History in France, 1818-1914, Princeton, Prince (...)
- 41 Olivier Dumoulin, Profession historien, 1919-1939 : un métier en crise ?, thèse de 3e cycle, EHESS (...)
16On peut cependant distinguer, d’ores et déjà, deux régimes historiographiques différents selon le statut des disciplines étudiées. D’un côté, les disciplines canoniques, appuyées sur un dispositif d’enseignement qui se prolonge du secondaire au supérieur par le biais de l’agrégation, ont pour enjeu principal la formation des enseignants spécialistes, c’est-à-dire la reproduction du corps : les recherches se cantonnent souvent à une approche internaliste, essentiellement axée sur une généalogie des idées et une focalisation sur les grandes figures, ce qui a pour conséquence de réduire les universitaires à leur dimension d’intellectuels. C’est dans les travaux étrangers, rarement traduits, que l’on trouve des analyses en termes d’histoire sociale des professions. Le cas de l’histoire de la discipline historique est très significatif à cet égard. Les travaux sur la période contemporaine se concentrent sur des « moments » intellectuels et politiques dont les auteurs jugent qu’ils sont particulièrement significatifs : la monarchie de Juillet, la fondation de la « méthode historique » avec Gabriel Monod, Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, l’émergence des Annales et, plus récemment, les années 196038. La plupart de ces travaux s’intéressent avant tout au contenu des innovations scientifiques et les rattachent directement à des individus présentés comme fondateurs ; la formule éditoriale choisie est le plus souvent celle du dictionnaire ou de l’ouvrage collectif portant sur un aspect limité de la discipline39. L’histoire comme profession a, en revanche, fait l’objet de travaux à l’étranger, en particulier pour les dernières décennies du XIXe siècle40. En France, seul Olivier Dumoulin a produit une recherche sur l’histoire sociale de la discipline, dans une thèse qui n’a malheureusement pas été publiée41. Il y démêle, en particulier, les effets de structure et de conjoncture dans l’émergence de nouveaux courants historiographiques et met en évidence les conditions qui ont permis leur institutionnalisation, montrant comment la crise de la discipline à la fin des années 1920 est en grande partie liée aux conséquences des recrutements massifs de la première décennie du siècle et à la fermeture des carrières qui en résulte dans les années suivant la Première Guerre mondiale. Les postes les plus prestigieux et les positions de pouvoir sont détenus par les plus âgés, qui les concentrent entre leurs mains durant plusieurs décennies. La crise qui s’ensuit au début des années 1930, avec la critique de l’agrégation, jugée trop conservatrice, et la proposition de nouveaux paradigmes scientifiques (les Annales), ne se dénouera que par la décision politique d’abaisser l’âge de la retraite universitaire de 75 à 65 ans en 1936, créant ainsi la possibilité pour de plus jeunes d’accéder enfin aux postes d’influence.
- 42 Ilaria Porciani, Lutz Raphael (dir.), Atlas of the Institutions of European Historiographies 1800 (...)
- 43 Emmanuelle Picard, « Quelques réflexions autour du projet de l’European Science Foundation: Repres (...)
17Malgré la qualité des travaux cités, leur focalisation sur l’époque de la Troisième République ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble du processus de construction disciplinaire et de professionnalisation qui a donné forme à la communauté historienne actuelle. C’est par le biais d’une initiative européenne qu’il nous est donné d’avoir accès à des données sérielles sur la longue durée, qui plus est dans un cadre comparatiste. Le programme de la Fondation européenne pour la science Representation of the Past : the Writing of National Histories in Europe, 1800-2005 s’est consacré, entre autres, à la production de deux volumes traitant de l’émergence et de l’institutionnalisation des communautés d’historiens en Europe, à partir de bases de données constituées pour chaque pays, à des intervalles de 25 ans42. Les difficultés ont été réelles dans l’élaboration d’un consensus acceptable sur la définition même du métier d’historien, c’est-à-dire dans le choix des données à prendre en compte, mais elles ont permis de faire émerger des logiques nationales spécifiques et de montrer comment l’organisation d’une discipline et ses orientations méthodologiques et intellectuelles peuvent être étroitement liées43.
- 44 Alfred Fierro, La Société de géographie, 1821-1946, Genève, Droz, 1983 ; André Meynier, Histoire d (...)
- 45 Guy Baudelle, Marie-Vic Ozouf-Marignier, Marie-Claire Robic (dir.), Géographes en pratique (1870-1 (...)
18À l’inverse, les nouvelles disciplines qui ont dû conquérir leur légitimité universitaire ont été étudiées plus en détail. En France, elles ont souvent utilisé les institutions externes à l’université (École des Chartes, Langues’O, Collège de France, École pratique des hautes études, CNRS…) pour y parvenir et se sont trouvées insérées dans des conflits de définition mettant en cause leurs objets et leurs pratiques. Les travaux qui les concernent s’attachent donc à mettre en lumière les procédures de construction et de distinction disciplinaire : élaboration d’un langage, de pratiques de recherche et de pratiques pédagogiques ; définition des limites de l’espace intellectuel concerné par l’étude des sujets étudiés, des thèses et des enseignements ; analyse des modalités de recrutement, de la composition sociale du groupe, de son évolution et de l’importance de ses réseaux. La géographie, discipline longtemps subordonnée à l’histoire au niveau universitaire, a ainsi fait l’objet de nombreux travaux montrant les conditions dans lesquelles elle a pu parvenir au statut de discipline autonome. Si l’on y retrouve des approches semblables à celles qui ont été mises en œuvre dans l’étude de l’histoire44, on constate également le développement de recherches sur ses pratiques spécifiques, ses interactions avec son environnement et les effets structurels qu’elles peuvent produire45, qui s’inspirent pour partie des travaux menés sur les sciences exactes. La discussion porte alors sur la pertinence qu’il y a à transposer les analyses développées en histoire des sciences vers l’étude des sciences humaines et des humanités.
- 46 Ainsi, les articles parus dans la principale revue consacrée à cette question, la Revue d’histoire (...)
- 47 Alain Chenu, « Une institution sans intention. La sociologie en France depuis l’après-guerre », Ac (...)
- 48 Cf. Michel Espagne, Le Paradigme de l’étranger : les chaires de littérature étrangère au XIXe sièc (...)
- 49 Yves Gingras, « L’institutionnalisation de la recherche en milieu universitaire et ses effets », S (...)
- 50 Les travaux de la sociologie du curriculum se concentrent sur les enseignements primaire et second (...)
19Rares sont, pour autant, les travaux qui posent en tant que telle la question des disciplines de lettres et de sciences humaines dans leur dimension proprement académique, à savoir comme des disciplines enseignées dans un dispositif d’enseignement supérieur complexe et hiérarchisé, soumis à des règles de fonctionnement et à des pratiques qui ne se réduisent pas au cadre de la production de savoirs nouveaux46. Parmi eux, on peut citer l’étude d’Alain Chenu consacrée à la sociologie universitaire47, mais aussi les travaux s’intéressant à l’enseignement des langues étrangères48. Même quand le lien entre institutionnalisation disciplinaire et professionnalisation des universitaires est envisagé sous l’angle d’une réflexion théorique49, l’histoire proprement universitaire des disciplines n’est traitée qu’à la marge d’études plus générales. Ainsi, les enjeux et les conséquences d’un mode de régulation professionnel organisé selon un découpage disciplinaire de plus en plus précis au sein des instances centrales de recrutement et de gestion des carrières académiques (CNU et ses prédécesseurs) n’ont jamais été étudiés. De même, tout ce qui concerne les cursus et les diplômes, leur logique d’organisation et la transformation des contenus est mal connu50.
- 51 Cf. Françoise Waquet, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir (XVIe-XXe siècle), Paris, A. M (...)
- 52 Cf. Annie Bruter (dir.), « Le cours magistral, XVe-XXe siècles », Histoire de l’éducation, n° 120, (...)
- 53 Frédéric Audren, « Comment la science sociale vient aux juristes ? Les professeurs de droit lyonna (...)
20Une autre lacune est à relever : paradoxalement, alors même que la sociologie s’est emparée de cette question, l’histoire sociale des disciplines reste à écrire, qu’il s’agisse de sociologie des corps enseignants ou de leurs pratiques. Très peu de travaux se sont intéressés à la question de la cohérence ou de l’hétérogénéité des pratiques professionnelles des universitaires en dehors du strict domaine de la recherche51. Parmi les thèmes récemment explorés, on peut citer le « cours magistral » qui, après avoir fait l’objet d’un séminaire sur plusieurs années, a donné lieu récemment à une publication52. Par ailleurs, la sociologie fine des groupes disciplinaires n’a jamais été assez systématique pour en permettre une véritable compréhension d’ensemble, à l’exception du livre de Christophe Charle sur la Sorbonne de la Troisième République. C’est pour proposer un instrument à la fois rigoureux scientifiquement et largement exploitable qu’une équipe de membres du SHE et du CNRS a mis en œuvre un projet de base de données biographiques sur le corps enseignant des facultés des lettres et des sciences (1808-1940), sous forme d’une opération collaborative ouverte à d’autres chercheurs. La première étape sera la réalisation d’un dictionnaire biographique du personnel enseignant de la faculté des sciences de Paris (1808-1940), dont la parution est prévue en 2010. Par ailleurs, une équipe d’historiens du droit a entrepris, selon le même protocole, la création d’une base de données sur les enseignants des facultés de droit de Paris et de province entre 1802 et 1950. L’ensemble de ces données, collectées et renseignées de façon identique, intégrant une grande quantité de variables (origines sociales, vie familiale, formation, carrière académique, activités professionnelles diverses, engagement politique…) devrait permettre de disposer, à terme, des informations nécessaires à une histoire sociale du corps enseignant du supérieur, dans la durée et la diversité des lieux et des disciplines. Ces informations offriront également la possibilité de réfléchir à la question d’une « localisation » des sciences53.
III – Enseignement supérieur et territoire : vers une approche horizontale
- 54 42,5 % des historiens sont en poste dans les universités et les organismes de recherche de la régi (...)
- 55 Ce n’est que très récemment que des postes d’archivistes d’université ont été créés et ils se comp (...)
21L’historiographie française de l’enseignement supérieur n’est pas seulement prisonnière d’une écriture liée à son mode d’organisation vertical ; souvent, elle accepte comme une évidence le déséquilibre entre Paris et la province. Cette vision peut s’expliquer par les conditions objectives du travail historique : les institutions les mieux connues, les mieux documentées et les plus prestigieuses sont à Paris, où se concentrent encore de nos jours historiens, archives et bibliothèques54. En revanche, la province a exercé une attraction plus forte sur les chercheurs étrangers. Reste alors la difficile question des sources locales, qui se révèlent souvent faibles en quantité, et parfois même en qualité, du fait de l’absence de services d’archives au sein des universités55.
- 56 John E. Craig, Scholarship and Nation Building. The University of Strasbourg and Alsatian Society, (...)
22Deux universités provinciales ont fait l’objet, de la part de chercheurs américains, de travaux d’ensemble dans les années 198056. Dans les deux cas, le parti pris était celui d’une approche globale, prenant en compte aussi bien les enseignants et les étudiants que les contenus d’enseignement et les rapports à l’environnement local, en particulier dans leur dimension politique. Ces travaux ont mis en évidence deux modèles opposés d’insertion universitaire dans des contextes régionaux spécifiques. Dans le cas toulousain, la faculté de droit se caractérise par un profond enracinement dans le substrat local, les universitaires épousant parfaitement leurs fonctions de notables locaux et les étudiants se distinguant avant tout par leur apathie politique et intellectuelle, leur énergie étant tout entière focalisée sur l’acquisition d’une position qui puisse conforter ou améliorer leur situation familiale ; à l’inverse, le dispositif strasbourgeois mis en place par les Allemands après 1870, comme celui qu’instaurent les Français à partir de 1919, se caractérise par l’imposition d’un corps enseignant extérieur. L’objectif est ici de fabriquer un établissement d’exception, lequel se révèle finalement assez étranger à des populations qui mettent de longues années à se l’approprier.
- 57 Robert Fox, George Weisz (dir.), TheOrganization of Science and Technology in France 1808-1914, Ca (...)
- 58 Harry W. Paul, From Knowledge to Power… op. cit.
23C’est à la même époque que se développe, chez les historiens des sciences américains, un ensemble de recherches sur l’innovation dans les provinces françaises. Partant du constat que quelques-unes des sommités scientifiques françaises ont mené toute leur carrière en province, ces historiens se sont interrogés sur les conditions faites aux facultés provinciales par la réforme Liard, et en particulier sur leur capacité nouvelle à recevoir des financements privés et à les utiliser pour créer des instituts d’université. Divers travaux mettent en évidence les conditions locales d’émergence de l’innovation scientifique, au travers de l’étude des instituts de sciences appliquées de Toulouse, Grenoble, Nancy, Lyon, Bordeaux ou Lille57 : les réussites locales sont liées à un environnement porteur (alliance de la science universitaire et des besoins industriels et sociaux locaux) et à la présence d’un véritable mécénat local. L’étude des universitaires responsables du développement de ces initiatives fait apparaître, en général, des caractéristiques spécifiques (soit ils ne sont pas passés par les filières d’excellence, soit ils ont des positions idéologiques très fortes) qui expliquent que, malgré leurs succès scientifiques, ils ne terminent pas leur carrière dans la capitale. Harry Paul fait même de la tension entre Paris et la province, à partir de la réforme Liard, l’un des moteurs du développement scientifique français58.
- 59 Il en a résulté un rapport de recherche resté inédit : Michel Grossetti et al., Villes et institut (...)
- 60 André Grelon, Françoise Birck (dir.), Des ingénieurs pour la Lorraine, XIXe-XXe siècles, Metz, Éd. (...)
- 61 Marc Suteau, Une ville et ses écoles. Nantes, 1830-1940, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, (...)
- 62 Jean Dhombres (dir.), La Bretagne des savants et des ingénieurs, 1825-1900, Rennes, Éditions Ouest (...)
- 63 Cf. la présentation de ces recherches que fait Laurent Rollet dans ce numéro.
- 64 Jean-François Condette, La Faculté des lettres de Lille de 1887 à 1945. Une faculté dans l’histoir (...)
- 65 Dans un article consacré au livre d’André Tuilier, Histoire de l’Université de Paris et de la Sorb (...)
24Cette réflexion sur l’enseignement supérieur provincial a été reprise par des chercheurs français à la fin des années 1980 autour de différents projets, dont un programme interdisciplinaire sur la ville (PIR-Villes du CNRS) dédié à l’étude historique des « systèmes locaux d’innovation »59, et en 1995, un colloque consacré à la Lorraine60. Ce mouvement « régionaliste » a donné lieu à un certain nombre de travaux qui prennent deux formes principales : des thèses se focalisant sur une ville61 et des colloques ou des ouvrages collectifs consacrés à l’étude d’une région62. Dernièrement, des programmes de recherche locaux ont été mis en place, par exemple autour du Pôle scientifique nancéien ou de la physique à Strasbourg63. Il faut noter que ces recherches concernent essentiellement les disciplines scientifiques, les monographies traitant des facultés de lettres ou de droit étant beaucoup plus rares64. Mais, à aucun moment, l’offre locale d’enseignement supérieur n’est envisagée dans toutes ses composantes. Par ailleurs, la région parisienne semble jusqu’ici exclue de cette problématique, même pour un traitement partiel (par exemple celui des sciences)65.
- 66 « L’État et l’éducation, 1808-2008 », colloque organisé par l’université Paris IV-Sorbonne, l’univ (...)
- 67 Cf., par exemple, Jérôme Aust : « Les implantations universitaires entre sectorisation et décentra (...)
25L’approche en termes d’étude des relations entre le niveau local et le niveau national reste encore très embryonnaire, alors même que la problématique des rapports centre-périphérie, à la fois sur le plan réglementaire et sur celui des réalisations concrètes, a montré, lors d’un colloque tenu en 2008, à quel point elle pouvait s’avérer féconde66. Seule la période très récente (celle des plans U2000 et U3M et, dernièrement, de la mise en place des PRES) a fait l’objet de travaux de géographes et de sociologues67. La question des relations politiques entre Paris et la province dans le domaine de l’enseignement supérieur a souvent été traitée de manière rapide. Les histoires de la réforme Liard, ou de l’enseignement supérieur à cette époque, mentionnent toujours le débat initial sur la science provinciale et sa résolution : les réformateurs souhaitaient voir mis en place un nombre limité de pôles universitaires provinciaux (quatre ou cinq) afin de leur donner d’emblée une masse critique, mais les débats parlementaires, en particulier au Sénat, ont finalement imposé le maintien de tous les centres académiques existants. On discute souvent des conséquences de ce choix : fragilité du système d’enseignement supérieur provincial, pour partie coupé de la recherche et des véritables lieux de formation des élites, position hégémonique de Paris en matière scientifique… Mais l’analyse historique des conditions, des formes et de la postérité de ce débat politique initial reste à produire.
26Par ailleurs, un autre élément contextuel pourrait être mieux pris en compte (il l’est dans certaines monographies) : le rôle de l’enseignement supérieur privé régional. Celui-ci a, par exemple, contraint l’État à déplacer l’université et le rectorat de Douai à Lille quand cette ville a vu se développer une offre d’enseignement privé particulièrement attractive par le biais de son Institut catholique. De même, rares sont les travaux sur les conditions de décentralisation de l’enseignement supérieur depuis les années 1950 (on peut prendre comme exemples le développement des ENSI, le déménagement à Toulouse de l’enseignement aéronautique, le choix de créer l’école de Santé publique à Rennes, ou encore la création des facultés d’Orsay et de Nanterre…). Dans un pays où la question de la décentralisation est un objet permanent de discussion, mais surtout un des éléments structurants du débat politique, il est fort dommage qu’elle ne figure pas au centre d’une interrogation portant sur l’enseignement supérieur, lequel n’est pas moins porteur de clivages.
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- 68 Erhardt Friedberg, Christine Musselin, L’État face aux universités en France et en Allemagne, Pari (...)
- 69 Cf. Fabien Oppermann, « La mission des Archives nationales auprès des ministères de l’Éducation na (...)
- 70 Op. cit., p. 11.
- 71 Deux sessions du colloque « État et éducation, 1808-2008 » cité supra ont été l’occasion de commun (...)
27Des trois composantes qui ont successivement dominé l’historiographie de l’enseignement supérieur en France depuis quarante ans, aucune n’est épuisée. Les plus anciennes ont su au contraire se renouveler, élargir leur champ d’investigation et se placer dans une perspective qui n’est plus celle de l’histoire des élites, des sciences ou des savoirs, mais tout simplement celle de l’enseignement supérieur français. Le développement des travaux sur l’enseignement secondaire provincial est, en soi, un facteur favorable à cette approche globale et rééquilibrée. Dans cette perspective, les lacunes de la recherche sont toutefois encore nombreuses. La première porte incontestablement sur les réformes de l’université au XXe siècle, réformes qu’on peut lire comme des moments de rupture ou, au contraire, d’adaptation. Celles qui ont été mises en place depuis le début des années 1990 commencent à être bien connues, en particulier par les travaux de Christine Musselin68 et de ses élèves. La réforme Edgar Faure de 1968 est, quant à elle, un désert historiographique, même en cette période d’intense commémoration des quarante ans de mai 1968, et alors que les archives en sont aisément accessibles69. L’analyse des difficultés rencontrées par les réformateurs successifs depuis plus d’un siècle mériterait d’être approfondie. Christophe Charle en propose une possible explication dans La République des universitaires : le corps enseignant académique n’ayant jamais constitué une unité, les oppositions internes sont toujours restées très fortes et structurent durablement les relations entre les agents. Il n’y a donc pas de « front commun corporatif » et « les conflits internes de la vie universitaire retraduisent le plus souvent les tensions sociales externes »70. Centrée sur les propriétés sociales des universitaires, cette analyse pourrait être enrichie par la prise en compte du fonctionnement structurel du système et de ses particularités organisationnelles, et par l’étude du profil des réformateurs et du contenu des réformes. Dans le contexte réformateur d’aujourd’hui, on ne peut que souhaiter le développement d’études permettant de mieux comprendre les choix actuels en matière de réforme et les tensions qu’ils induisent71.
- 72 Formule reprise par Robert D. Anderson, European Universities from the Enlightenment to 1914, Oxfo (...)
28Une question corollaire reste largement en suspens : celle des effets de la forte segmentation de l’enseignement supérieur. La situation française apparaît, par bien des aspects, très différente de celles de ses voisins, avec, comme le disait Lucien Febvre dans les années 1930, un enseignement supérieur de type « anglican »72, défini par un système empirique dans lequel coexiste, derrière l’apparence d’une structure fortement centralisée, une double organisation : d’une part, un ensemble dépendant directement de l’État, d’autre part une multitude d’initiatives privées, locales, confessionnelles, répondant à une demande sociale non prise en compte par la puissance publique et produisant, au total, une offre disparate d’enseignement supérieur. On pourrait y ajouter la dualité particulière que constitue la coexistence, au sein même de l’offre publique d’enseignement supérieur, d’une filière élitiste (les grandes écoles), politiquement et socialement stable dans la durée, avec une université vouée à la prise en charge de la massification des études et régulièrement amendée. Le dispositif apparaît ainsi extrêmement difficile à saisir dans son intégralité du fait de la superposition des dualités (Paris vs province, enseignement public vs enseignement privé, grandes écoles vs universités, mais aussi enseignement vs recherche).
- 73 Claude Jolly, Bruno Neveu (dir.), Éléments pour une histoire de la thèse, Paris, Klincksieck, 1993 (...)
- 74 Il faut cependant mentionner l’ouvrage pionnier de Guy Caplat et Bernadette Lebedeff-Choppin, L’In (...)
- 75 Cf. l’article de Natalia Tikhonov dans ce numéro, qui montre la faiblesse des recherches en histoi (...)
29D’autres aspects encore de l’histoire de l’enseignement supérieur français restent trop mal connus. C’est le cas des cursus, des filières et des procédures de certification, concours et examens. La thèse, pour ne prendre que cet exemple, n’a jamais fait l’objet d’une étude historique d’ensemble : le seul ouvrage publié à ce sujet est une compilation de quelques articles, auxquels est adjointe une liste des textes réglementaires73. Les instances visant à réguler le fonctionnement des institutions (conseils des facultés ou des universités) ou des corps (Conseil consultatif de l’enseignement supérieur public, Conseil consultatif des universités, Conseil national des universités) n’ont pas encore fait l’objet de recherches. La direction générale de l’enseignement supérieur au ministère n’a pas non plus été étudiée74. La place des femmes dans l’enseignement supérieur français constitue également un domaine encore peu exploré, en dehors de travaux concernant les femmes scientifiques dans les dernières décennies du XXe siècle75. Enfin, les comparaisons avec les systèmes étrangers, qui seraient susceptibles d’éclairer les spécificités nationales, restent encore rares. On peut penser qu’en reconnaissant l’enseignement supérieur français comme un objet historique qui mérite d’être étudié pour lui-même et en se donnant pour programme commun de contribuer à une histoire globale de cet objet spécifique, la recherche s’offre toutes les chances, non seulement de mieux l’appréhender, mais aussi d’en éclairer les divers aspects sous un jour nouveau et, ainsi, de contribuer à la compréhension des champs connexes entre lesquels il s’est jusqu’ici partagé.
Notes
1 Ce n’est pas une précaution purement formelle que d’indiquer que cet article ne vise en aucun cas à l’exhaustivité ; celle-ci n’aurait pour effet qu’une accumulation démesurée des références bibliographiques. Il nous a paru plus intéressant de tenter de rendre compte de façon synthétique des principales orientations de la recherche.
2 L’essentiel de leur diffusion s’est faite au travers d’articles qu’ils ont publiés dans les revues de sociologie (la Revue française de sociologie a ainsi publié Terry Shin, Terry Clark, George Weisz ou John Craig, tout comme les Actes de la recherche en sciences sociales) et par les comptes rendus de Christophe Charle dans les revues d’histoire (en particulier dans les Annales).
3 Parmi eux, de très nombreux historiens des sciences. Cf. la présentation qu’en fait Fabien Locher dans ce numéro.
4 Citons, parmi les plus connus : Fritz Ringer, Education and Society in Modern Europe, Bloomington, Indiana University Press, 1979 ; Fritz Ringer, Detlef K. Müller et Brian Simon (dir.), The Rise of the Modern Éducational System: Structural Change and Social Reproduction 1870-1920, Cambridge/Paris, Cambridge University press/Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1987.
5 The Emergence of modern universities in France: 1863-1914, Princeton (N.J.)/Guildford (R.U.), Princeton University Press, 1983. Cet ouvrage est tiré de son PhD : The Academic Elite and the Movement to Reform the French Higher Éducation, 1850-1885, soutenu en 1976. Voir le compte rendu qu’en fait Françoise Mayeur, « Une réforme réussie de l’enseignement supérieur en France », Histoire de l’éducation, n° 22, mai 1984, p. 3-17.
6 Entre autres : Robert J. Smith, The École Normale Supérieure and the Third Republic, Albany, SUNY, 1982 ; Craig S. Zwerling, The Emergence of the École normale supérieure as a Center of Scientific Education in XIXth Century France, Londres/New York, Garland, 1990 ; Victor Karady, « Scientists and class structure : social recruitment of students at the parisian École normale supérieure in the nineteenth century », History of Education, n° 2, 1978, p. 99-108.
7 Jean-Noël Luc, Alain Barbé, Des normaliens, histoire de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Paris, Presses de la FNSP, 1982.
8 Terry Shinn, Savoir scientifique et pouvoir social. L’École polytechnique 1794-1914, Paris, Presses de la FNSP, 1980 ; Bruno Belhoste, La Formation d’une technocratie. L’École polytechnique et ses élèves de la Révolution au Second Empire, Paris, Belin, 2003.
9 Cf. Les Cahiers d’Histoire du CNAM, publiés depuis 1992.
10 Ce n’est pas lieu ici de faire la liste exhaustive de ces travaux. On peut les retrouver par le biais de la bibliographie d’histoire de l’éducation (http://www.inrp.fr/she/bhef/).
11 Ce déséquilibre historiographique est spécifique à la France et non au seul enseignement supérieur, comme on peut le constater dans le cas de l’enseignement technique : Cf. Gérard Bodé, Philippe Savoie, « L’approche locale de l’histoire des enseignements techniques et intermédiaires : nécessités et limites », Histoire de l’éducation, n° 66, mai 1995, p. 5-13.
12 Jürgen Schriewer, Christophe Charle et al. (dir.), Sozialer Raum und akademische Kulturen: studien zur europäischen Hochschul – und Wissenschaftsgeschichte im 19. und 20. Jahrhundert / À la recherche de l’espace universitaire européen : études sur l’enseignement supérieur aux XIXe et XXe siècles, Francfort, Peter Lang, 1993, p. 17.
13 Un article parmi d’autres : Victor Karady, « Les professeurs de la République. Le marché scolaire, les réformes universitaires et les transformations de la fonction professorale à la fin du XIXe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 47-48, 1983, p. 90-112.
14 Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Éd. de Minuit, 1984.
15 Christophe Charle, Régine Ferré (dir.), Le Personnel de l’enseignement supérieur aux XIXe et XXe siècles, Paris, Éd. du CNRS, 1985.
16 Jürgen Schriewer, Christophe Charle et al. (dir.), Sozialer Raum und akademische Kulturen…, op. cit.
17 Christophe Charle, La République des universitaires, Paris, Seuil, 1994.
18 Par ailleurs, ces travaux comparatistes ont été l’occasion pour Christophe Charle de diriger un numéro spécial consacré aux universités allemandes : Histoire de l’éducation, n° 62, Les Universités germaniques, XIXe-XXe siècles, mai 1994.
19 Des sources sérielles existent cependant, mais sont encore peu exploitées. Une équipe d’historiens du droit s’intéresse actuellement à un fichier des docteurs en droit conservé dans la série F 17 des Archives nationales et dont l’exploitation devrait permettre une meilleure connaissance de ce groupe particulier d’étudiants. Cf. Armelle Le Goff, « Les Archives nationales et l’histoire de l’enseignement », Histoire de l’éducation, n° 119, juillet-sept. 2008, p. 82-87 : http://histoire-éducation.revues.org/index1877.html.
20 Jean-Claude Caron, Générations romantiques 1814-1851. Les étudiants de Paris et le Quartier latin, Paris, A. Colin, 1991.
21 Pierre Moulinier, Naissance de l’étudiant moderne, XIXe siècle, Paris, Belin, 2002.
22 Didier Fischer, L’Histoire des étudiants en France de 1945 à nos jours, Paris, Flammarion, 2000.
24 Cf. Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle : khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 1988 ; ou Emmanuel Naquet, Un mouvement typique de la France de l’entre-deux-guerres : la LAURS (Ligue d’action universitaire républicaine et socialiste), thèse de doctorat, Université Paris X, 1987.
25 Cf. Peter Hartmut Rüdiger, Natalia Tikhonov (dir.), Universitäten als Brücken in Europa. Studien zur Geschichte der studentische Migration / Les Universités : des ponts à travers l’Europe. Études sur l’histoire des migrations étudiantes, Frankfurt-am-Main, Peter Lang, 2003 ; Caroline Barrera, Étudiants d’ailleurs : histoire des étudiants étrangers, coloniaux et français de l’étranger de la faculté de droit de Toulouse, XIXe siècle-1944, Albi, Presses du Centre universitaire Champollion, 2007.
26 La question de l’histoire des sciences est envisagée dans l’article de Fabien Locher publié dans ce numéro. Nous ne traiterons pas ici de l’histoire des disciplines enseignées dans les facultés professionnelles. Pour les facultés de droit, on peut trouver un ensemble de travaux dans la Revue d’histoire des facultés de droit. L’histoire des disciplines médicales a été traitée de façon comparatiste par George Weisz, Divide and Conquer : a Comparative History of Medical Specialization, Oxford, Oxford University Press, 2006.
27 Cf. André Chervel, « L’histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine de recherche », Histoire de l’éducation, n° 38, mai 1988, p. 59-119. C’est une question que l’on trouve posée récemment dans Jean Boutier, Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), Qu’est ce qu’une discipline ?, Enquête, n° 5, 2006.
28 Cf. en particulier Christine Musselin, La Longue marche des universités françaises, Paris, PUF, 2001.
29 Voir, par exemple, Marie-Louise Pelus-Kaplan (dir.), Unité et globalité de l’homme. Des humanités aux sciences humaines, Paris, Éditions Syllepse, 2006.
30 Dont, en particulier, Thomas S. Kuhn, La Tension essentielle. Tradition et changement dans les sciences, Paris, Gallimard, 1990 (1re éd. Chicago, 1977).
31 Cf. le numéro de la revue Politix consacré aux Frontières disciplinaires, n° 29, 1995.
32 Pierre Bourdieu, « Le champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison », Sociologie et sociétés, vol. 7, n° 1, 1975, p. 91-118. Parmi un ensemble de travaux récents, on peut citer l’article de Johan Heilbron, « The Rise of Social Science Disciplines in France », Revue européenne des sciences sociales, XLII, 129, 2004, p. 145-157.
33 Pas moins de trois thèses s’affrontent à cette question : Dominique Dammame, Histoire des sciences morales et politiques et de leur enseignement des Lumières au scientisme, thèse d’État de science politique, Université Paris I, 1982 ; Corinne Delmas, Instituer des savoirs d’État. L’Académie des sciences morales et politiques au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Jean-Luc Chappey, La Société des Observateurs de l’homme (1799-1804). Des anthropologues sous Bonaparte, Paris, Société des études robespierristes, 2002.
34 Une très bonne illustration de cette problématique se trouve dans la thèse de Pierre Singaravélou, Professer l’Empire : l’enseignement des « sciences coloniales » en France sous la IIIe République, thèse pour le doctorat d’histoire, Université Paris I, 2007. Cf. également son article dans ce numéro.
35 Voir, par exemple, Fabienne Pavis, Marie-Emmanuelle Chessel, Le Technocrate, le patron et le professeur. Une histoire de l’enseignement supérieur de gestion, Paris, Belin, 2001.
36 Charles Camic, Hans Joas (dir.), The Dialogical Turn. Roles for Sociology in the Post Disciplinary Age. Essays in Honor of Donald N. Levine, Lanham, Rowman and Littlefield, 2003.
37 Cf. Jean Boutier, Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), Qu’est ce qu’une discipline ?, op. cit.
38 Un groupe de recherche s’est constitué autour d’Agnès Callu sur le thème « Les historiens et Mai 68 ». La recherche et les archives orales collectées à cette occasion sont présentées sur le site : http://mai68etleshistoriens.org/.
39 Citons, parmi d’autres : Stéphane Audoin-Rouzeau, Dominique Barthélemy, Annette Becker, Les Historiens, Paris, A. Colin, 2003 ; ou encore Christian Amalvi, Dictionnaire biographique des historiens français et francophones, Paris, La Boutique de l’histoire, 2004 ; plus ancien, François Bédarida (dir.), L’Histoire et le métier d’historien en France : 1945-1995, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1995.
40 Pim Den Boer, History as a profession. The Study of History in France, 1818-1914, Princeton, Princeton University Press, 1998 ; Gabriele Lingelbach, Klio macht Karriere. Die Institutionalisierung der Geschichtswissenschaft in Frankreich und den USA in der zweiten Hälfe des 19. Jahrhunderts, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2003.
41 Olivier Dumoulin, Profession historien, 1919-1939 : un métier en crise ?, thèse de 3e cycle, EHESS, 1983. Certains éléments de ce travail sont cependant réutilisés dans sa biographie de Marc Bloch, Marc Bloch, Paris, Presses de Sciences Po, 2000. La thèse de Charles-Olivier Carbonell, Histoire et historiens : une mutation idéologique des historiens français, 1865-1885, Toulouse, Privat, 1976, est antérieure, mais elle ne traite que partiellement des historiens universitaires.
42 Ilaria Porciani, Lutz Raphael (dir.), Atlas of the Institutions of European Historiographies 1800 to the Present, Houndmills, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2009 ; Ilaria Porciani, Jo Tollebeek (dir.), Institutions, Networks and Communities of National Historiography. Comparative Approaches, Houndmills, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2009.
43 Emmanuelle Picard, « Quelques réflexions autour du projet de l’European Science Foundation: Representation of the Past: The Writing of National Histories in Europe », Histoire de l’éducation, n° 113, janvier 2007, p. 111-115 (http://histoire-éducation.revues.org/index562.html). Les bases de données sur la France sont consultables en ligne : http://www.inrp.fr/she/nhist/scripts/index.php.
44 Alfred Fierro, La Société de géographie, 1821-1946, Genève, Droz, 1983 ; André Meynier, Histoire de la pensée géographique, Paris, PUF, 1969.
45 Guy Baudelle, Marie-Vic Ozouf-Marignier, Marie-Claire Robic (dir.), Géographes en pratique (1870-1945). Le terrain, le livre, la cité, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001.
46 Ainsi, les articles parus dans la principale revue consacrée à cette question, la Revue d’histoire des sciences humaines, n’abordent que marginalement la question de l’enseignement des disciplines dont ils traitent.
47 Alain Chenu, « Une institution sans intention. La sociologie en France depuis l’après-guerre », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 141, 2002, p. 46-61.
48 Cf. Michel Espagne, Le Paradigme de l’étranger : les chaires de littérature étrangère au XIXe siècle, Paris, Le Cerf, 1993 ; ou Marie-Pierre Pouly, « Révolution spécifique et reproduction disciplinaire. L’anglais de la Sorbonne à Vincennes » in Charles Soulié (dir.), De Vincennes à Saint-Denis. Éléments pour une histoire sociale de Paris VIII, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2009.
49 Yves Gingras, « L’institutionnalisation de la recherche en milieu universitaire et ses effets », Sociologie et sociétés, vol. 23, n° 1, 1991, p. 41-54.
50 Les travaux de la sociologie du curriculum se concentrent sur les enseignements primaire et secondaire. Sur le supérieur, on peut cependant citer Annie Dufour, Les Enjeux de l’enseignement de la sociologie dans une école d’ingénieurs : analyse du curriculum de l’Institut Supérieur d’Agriculture Rhône-Alpes de 1968 à 1994, thèse de sciences de l’éducation, université Lyon 2, 1998.
51 Cf. Françoise Waquet, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir (XVIe-XXe siècle), Paris, A. Michel, 2003. En témoigne aussi le fait que la très grande majorité des interventions au séminaire d’histoire de l’enseignement supérieur (Service d’histoire de l’éducation, INRP) organisé en 2008-2009 sur le thème des pratiques académiques présente des recherches inédites et réalisées pour l’occasion : http://www.inrp.fr/she/seminaire_hist_ens_sup08.htm.
52 Cf. Annie Bruter (dir.), « Le cours magistral, XVe-XXe siècles », Histoire de l’éducation, n° 120, 2008. Un second numéro est prévu en 2010.
53 Frédéric Audren, « Comment la science sociale vient aux juristes ? Les professeurs de droit lyonnais et les traditions de la science sociale (1875-1935) » in David Deroussin (dir.), Le Renouvellement des sciences sociales et juridiques sous la IIIe République. La Faculté de droit de Lyon, Paris, Éd. La Mémoire du droit, 2007, p. 3-50.
54 42,5 % des historiens sont en poste dans les universités et les organismes de recherche de la région parisienne en 2005 (données issues de l’enquête Representation of the Past : the Writing of National Histories in Europe, 1800-2005, présentée supra).
55 Ce n’est que très récemment que des postes d’archivistes d’université ont été créés et ils se comptent encore sur les doigts de la main.
56 John E. Craig, Scholarship and Nation Building. The University of Strasbourg and Alsatian Society, 1870-1939, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 1984 ; John M. Burney, Toulouse et son université. Facultés et étudiants dans la France provinciale du XIXe siècle, Toulouse/Paris, Presses Universitaires du Mirail/CNRS, 1988.
57 Robert Fox, George Weisz (dir.), TheOrganization of Science and Technology in France 1808-1914, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/Éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1980 ; Harry W. Paul, From Knowledge to Power. The Rise of the Science Empire in France, 1860-1939, Cambridge, Cambridge University Press, 1985 ; Marie-Jo Nye, Science in the Provinces. Scientific Communities and Provincial Leadership in France, 1860-1930, Berkeley, University of California Press, 1986. Cf. l’article de Fabien Locher dans ce numéro.
58 Harry W. Paul, From Knowledge to Power… op. cit.
59 Il en a résulté un rapport de recherche resté inédit : Michel Grossetti et al., Villes et institutions scientifiques, rapport pour le PIR-VILLES, CNRS, juin 1996. Voir aussi Michel Grossetti, Science, industrie et territoire, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1995.
60 André Grelon, Françoise Birck (dir.), Des ingénieurs pour la Lorraine, XIXe-XXe siècles, Metz, Éd. Serpenoise, 1998.
61 Marc Suteau, Une ville et ses écoles. Nantes, 1830-1940, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999 ; Anne Bidois, La Formation scientifique et technique dans l’enseignement supérieur à Rouen (1809-1985) : essai de sociologie historique, thèse de sociologie, Université de Rouen, 2004.
62 Jean Dhombres (dir.), La Bretagne des savants et des ingénieurs, 1825-1900, Rennes, Éditions Ouest-France, 1994 ; Gérard Emptoz (dir.), Histoire de l’université de Nantes, 1460-1993, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.
63 Cf. la présentation de ces recherches que fait Laurent Rollet dans ce numéro.
64 Jean-François Condette, La Faculté des lettres de Lille de 1887 à 1945. Une faculté dans l’histoire, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1999 ; Marc Malherbe, La Faculté de droit de Bordeaux, 1870-1970, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1996. Les instituts et chaires d’université au sein des facultés des lettres sont encore très mal connus.
65 Dans un article consacré au livre d’André Tuilier, Histoire de l’Université de Paris et de la Sorbonne, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1994, Laurence Brockliss déplore l’absence d’une véritable histoire générale de l’université en question et l’explique notamment par une histoire institutionnelle fragmentée : « Corporatisme, Église et État : l’Université de Paris, c. 1200-1968 », Histoire de l’éducation, n° 77, 1998, p. 35-45.
66 « L’État et l’éducation, 1808-2008 », colloque organisé par l’université Paris IV-Sorbonne, l’université Lille III et le Service d’histoire de l’éducation (INRP). Ce colloque, dont le programme peut être consulté en ligne (http://www.inrp.fr/she/universite_imperiale_bicentenaire_programme.htm) doit faire l’objet d’une publication en 2010.
67 Cf., par exemple, Jérôme Aust : « Les implantations universitaires entre sectorisation et décentralisation » in Pierre Muller (dir.), Action publique et changements d’échelle. Les nouvelles focales du politique, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 283-294 ; ou Myriam Baron, « La formation supérieure en régions (France) », Cybergéo, revue européenne de géographie, n° 279, 2004, consultable en ligne à l’adresse : http://www.cybergeo.eu/index2575.html).
68 Erhardt Friedberg, Christine Musselin, L’État face aux universités en France et en Allemagne, Paris, Anthropos, 1993.
69 Cf. Fabien Oppermann, « La mission des Archives nationales auprès des ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Activités des années 2007 et 2008 », Histoire de l’éducation, n° 121, 2008 (consultable en ligne à l’adresse : http://histoire-éducation.revues.org/index1821.html).
70 Op. cit., p. 11.
71 Deux sessions du colloque « État et éducation, 1808-2008 » cité supra ont été l’occasion de communications portant sur des figures de réformateurs. La publication de ces textes devrait fournir un apport fécond à cette réflexion.
72 Formule reprise par Robert D. Anderson, European Universities from the Enlightenment to 1914, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 186.
73 Claude Jolly, Bruno Neveu (dir.), Éléments pour une histoire de la thèse, Paris, Klincksieck, 1993 ; un chapitre du livre de Gérard Noiriel, Sur la crise de l’histoire, Paris, Gallimard, 2005, est également consacré à la thèse d’histoire au tournant du siècle.
74 Il faut cependant mentionner l’ouvrage pionnier de Guy Caplat et Bernadette Lebedeff-Choppin, L’Inspection générale de l’enseignement supérieur au XIXe siècle, Paris, INRP, 2002. On peut également citer l’ouvrage récent de Jean-François Condette, Les Recteurs d’académie en France de 1808 à 1940, t. I, La formation d’une élite administrative au service de l’instruction publique, Lyon, INRP, 2006.
75 Cf. l’article de Natalia Tikhonov dans ce numéro, qui montre la faiblesse des recherches en histoire du genre. On peut se reporter aux travaux de Catherine Marry sur les femmes scientifiques : voir, par exemple, Michèle Ferrand, Françoise Imbert, Catherine Marry, L’Excellence scolaire, une affaire de famille : le cas des normaliennes et normaliens scientifiques, Paris, L’Harmattan, 1999.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Emmanuelle Picard, « L’histoire de l’enseignement supérieur français. Pour une approche globale », Histoire de l’éducation, 122 | 2009, 11-33.
Référence électronique
Emmanuelle Picard, « L’histoire de l’enseignement supérieur français. Pour une approche globale », Histoire de l’éducation [En ligne], 122 | 2009, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1938 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1938
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