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Notes critiques

DE MUNCK (Bert), KAPLAN (Steven Laurence), SOLY (Hugo) (dir.), Learning on the Shop Floor. Historical Perspectives on Apprenticeship

New-York, Oxford : Berghahn Books, 2007, 353 p.
Serge Chassagne
p. 92-95
Référence(s) :

DE MUNCK (Bert), KAPLAN (Steven Laurence), SOLY (Hugo) (dir.), Learning on the Shop Floor. Historical Perspectives on Apprenticeship, New-York, Oxford : Berghahn Books, 2007, 353 p.

Texte intégral

1Ce livre reprend les actes d’un colloque organisé en décembre 2000 à l’Université libre de Bruxelles et au Centre flamand d’étude de la culture populaire, par des flamingants ou des anglo-saxons, à l’exclusion évidente de tout francophone… Les deux organisateurs flamands justifient, en introduction, la tenue de ce colloque en insistant sur l’importance toujours actuelle de la formation professionnelle, « qui associe éducation et grande industrie » : d’où l’idée d’un retour historique sur l’apprentissage dans l’Europe préindustrielle, car cette histoire embrasse plusieurs champs de recherche (histoire de l’enfance et de l’éducation, des corporations et du travail, de la famille et des migrations, de l’économie et des institutions).

2Marie-Louise Nagata (auteur de Labor Contracts and Labor Relations in Early Modern Central Japan 1672-1873, Routledge, 2005) traite de l’apprentissage au Japon, à partir notamment des registres bien conservés de la firme textile Hiranoya au milieu du XIXe siècle, mais elle cite aussi l’entreprise de charpente Tanaka, de Kyoto (fin du XVIIIe siècle) : cet apprentissage concerne uniquement des garçons, dont on connaît le nom, l’âge, le lieu de naissance, l’adresse et le statut (domestique, genin, parfois jusqu’à 18 ans, ou compagnon salarié, tedai, à partir de 17 ans, âge moyen). Elle constate un changement de nom patronymique lors du passage du statut de genin à celui de tedai, signifiant une intégration dans la maison de l’employeur. Les apprentis (detchi, à partir de 13 ans), placés sous l’autorité de l’épouse du maître, qui leur apprend à lire, écrire et compter, travaillent à la fois comme domestiques dans la maison et comme apprentis sous l’autorité des tedai, dans un atelier qui peut être extérieur à l’entreprise (ainsi chez les brasseurs de saké d’Osaka). Après plusieurs années de travail, éventuellement chez plusieurs patrons, pour compléter sa qualification, un tedai peut s’installer à son compte comme sous-traitant de son ancien patron ou devenir directeur d’une de ses entreprises (dans le cas des brasseries). Après 1868 (début de l’ère Meiji), malgré les changements économiques (introduction de nouvelles industries et de nouvelles techniques grâce à des techniciens occidentaux) et institutionnels (création d’une instruction publique primaire), l’apprentissage traditionnel garde toute son importance, au moins jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il n’a toujours pas disparu, comme le montre l’exemple d’un apprenti de l’entreprise de pâtisserie Tsuruya, à Kyoto et Osaka, entre 1988 et 1998 : originaire de la banlieue nord de Tokyo, où sa famille possédait aussi une entreprise de pâtisserie, mais devenu orphelin très jeune, celui-ci cherche, par cet apprentissage de dix ans effectué après ses études secondaires, à obtenir la qualification nécessaire à la reprise de l’entreprise familiale. Comme les apprentis de l’époque moderne, il loge chez son employeur, se lève à 5 heures le matin pour préparer le thé de la famille et balayer le jardin, travaille pendant les trois premières années dans différents lieux de vente avant d’apprendre les recettes de fabrication. Au terme de son apprentissage, il connaît si bien les fournisseurs, les étapes de la fabrication et les techniques de vente que son patron ne veut pas le laisser partir ; il faut pour cela l’intervention de son tuteur, ce qui lui permet de prolonger sa formation d’un an dans une entreprise de la région de Tokyo pour bien connaître les contacts dont il aura besoin en reprenant la firme familiale. Cependant, d’autres entreprises recourent à des formes moins traditionnelles de formation, en consentant des contrats à long terme à des journaliers, et les écoles techniques continuent d’envoyer leurs élèves en apprentissage (rémunéré) dans des firmes susceptibles de les employer par la suite.

3En Europe, sauf pour les juristes et les médecins, dont la formation se fait à l’université, peu de métiers échappent à l’apprentissage sur le tas avant le milieu du XIXe siècle. Les chirurgiens sont formés à Amsterdam, à partir de 1578, par un praelector anatomiae, souvent professeur de médecine, comme l’illustre le célèbre tableau de Rembrandt La leçon d’anatomie du Dr Nicolas Tulp (1642), et dans beaucoup de cités néerlandaises par un « collège de santé » ; à Anvers, en 1641, tous les chirurgiens en exercice doivent suivre un cours de deux années au collège local. Le besoin d’ingénieurs civils et militaires explique la création à Leyde, en 1600, d’une école dont le mathématicien Simon Stevin définit le curriculum, ainsi que celle d’institutions semblables dans maintes cités des Provinces-Unies (souvent pour le pilotage et la cartographie). Des écoles de dessin ouvrent en Italie du Nord à partir de 1550, et ailleurs en Europe après 1600. Au XVIIIe siècle, se répandent des académies gratuites de dessin, peinture et sculpture, voire d’architecture, qui offrent des cours dans la journée pour les jeunes gens et le soir pour les adultes. L’académie de Bruges compte ainsi en moyenne 192 élèves par an entre 1775 et 1802, parmi lesquels des ébénistes, des charpentiers et des maçons, qui viennent y chercher un moyen d’ascension sociale.

4Clare Crowston (Université de l’Illinois) traite du cas parisien : on y trouve des écoles de charité, à l’initiative des paroisses, pour l’instruction morale des enfants pauvres (il s’appuie ici sur une étude ancienne de Marcel Fosseyeux) ; des bourses d’apprentissage offertes par de riches paroissiens aux meilleurs élèves, comme les six bourses de 250 livres chacune fondées en 1779 par un certain Maréchal, de la paroisse Saint-Jean-en-Grève, dont on ignore la profession ; une école de filature pour les filles, instituée par la paroisse Saint-Sulpice en 1777 ; l’école technique du chevalier Pawlet pour les orphelins des soldats (en 1780, il en héberge 150). La première école de dessin gratuite est proposée en 1746 par le peintre Ferrand de Monthelon, pour lutter contre la paresse des enfants avant leur entrée en apprentissage, mais la première créée, on le sait depuis 1964 grâce à Arthur Birembaut, l’a été à Rouen par le peintre Descamps, et d’autres suivent, à Marseille (1753), Lille (1755), Lyon (1756) et Amiens (1758), toutes villes de manufacture, et notamment d’indiennes. À Paris, le peintre Jean-Jacques Bachelier, ancien directeur artistique de la manufacture royale de Sèvres, ouvre la sienne, avec l’approbation royale, en 1766, afin de lutter » contre l’inaptitude d’une multitude d’ouvriers, hommes sans goût, sans précision, voués à la routine des opérations », déclarant que son école est un investissement beaucoup moins coûteux que l’apprentissage traditionnel : au bout de six ans de scolarité, ses élèves ont de meilleures chances d’accéder au métier de leur choix. L’école connaît un succès immédiat, avec 1 500 élèves inscrits ; trois cours de deux heures chacun sont offerts alternativement deux jours par semaine à des classes de 125 élèves : architecture et géométrie, figure humaine et animale, fleurs et ornements. Très vite, de généreux donateurs (le roi, des nobles, la municipalité, les prestigieux six corps des marchands et quarante-huit autres corps de métiers) apportent leur soutien à l’école, qui peut ainsi disposer de 30 livres par élève pour les fournitures ; chaque année, au lendemain de Noël, le lieutenant général de police, chef nominal de l’école, distribue des récompenses aux meilleurs élèves ; en outre, six grands prix annuels de 36 livres (en gravures ou en ouvrages) sont attribués aux vainqueurs d’un concours de dessin parmi les élèves primés. L’école de Bachelier survit jusqu’en 1806 et fonctionne plutôt comme complément et école de formation continue que comme alternative à l’apprentissage. On ignore toutefois le devenir ultérieur de ses élèves.

5Qu’en est-il des autres enfants livrés à l’apprentissage dans le cadre corporatif ? Leur succès dans la vie dépend finalement de leur soumission à des normes religieuses, sociales, intellectuelles et professionnelles, car les corporations qui les préparent pour le marché du travail partagent cette responsabilité avec d’autres institutions (les paroisses, l’hôpital général), ce qui démontre, selon Clare Crowston, « la porosité du système corporatif et la multiplicité des intervenants dans le monde du travail ». Selon M. Sonenscher, 30 % des apprentis abandonnent avant la fin de leur temps. Ailleurs en Europe, beaucoup d’apprentis ne terminent pas leur apprentissage : 45 % des apprentis ébénistes à Londres entre 1540 et 1590, selon S. Rappaport (c’est le cas aussi de 20 % des relieurs, 28 % des bouchers, 35 % des ébénistes et 57 % des serruriers à Vienne à la fin du XVIIIe siècle, dit Annemarie Steidl, p. 140). D’où les mesures prises par l’Angleterre élizabéthaine : le Statut des artisans, adopté en 1563 et aboli en 1814, fixe uniformément à sept ans la durée de l’apprentissage ; en 1662, il impose l’obligation d’avoir suivi un apprentissage légal pour avoir droit aux secours en temps de disette.

6D’autres écoles de filature ou des ouvroirs pour filles s’ouvrent au XVIIIe siècle, surtout dans les régions proto-industrielles, notamment dans le duché de Brabant, où la dentelle occupe plus de 10 000 femmes et enfants à Anvers et Bruxelles, 4 500 à Malines, et plus de 2 000 à Lier ; on pourrait y ajouter le Valenciennois, étudié naguère par Philippe Guignet : voir ses articles dans Textile History, 1979 ou dans la Revue du Nord, hors-série, n° 6, 1995. À Anvers, en 1780, on compte 149 écoles privées tenues par des maîtresses laïques et une douzaine d’institutions religieuses pour former les fillettes à la dentelle dès l’âge de six ans ; leur travail gratuit pendant plusieurs années couvre les frais de leur formation, qui comprend aussi des rudiments de lecture, d’écriture et de morale.

7Au total, comme le souligne Steven Kaplan dans une conclusion roborative, les contributions de ce volume répudient le paradigme de la ganze Haus, de la jonction idéalisée des formes sociales modernes avec la maison familiale, et invitent à de nouvelles recherches comparatives.

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Pour citer cet article

Référence papier

Serge Chassagne, « DE MUNCK (Bert), KAPLAN (Steven Laurence), SOLY (Hugo) (dir.), Learning on the Shop Floor. Historical Perspectives on Apprenticeship »Histoire de l’éducation, 119 | 2008, 92-95.

Référence électronique

Serge Chassagne, « DE MUNCK (Bert), KAPLAN (Steven Laurence), SOLY (Hugo) (dir.), Learning on the Shop Floor. Historical Perspectives on Apprenticeship »Histoire de l’éducation [En ligne], 119 | 2008, mis en ligne le 20 mai 2009, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1848 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1848

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Auteur

Serge Chassagne

 

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