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L’histoire de l’éducation en Allemagne avant les Lumières

Les colloques de l’Arbeitskreis für die Vormoderne in der Erziehungsgeschichte
The History of Education in Pre-Enlightenment Germany: the Colloquia of the Arbeitskreis für die Vormoderne 
in der Erziehungsgeschichte
Die Schul- und Erziehungsgeschichte in Deutschland 
vor der Aufklärung: die Tagungen des Arbeitskreises für die Vormoderne 
in der Erziehungsgeschichte
La historia de la educación en Alemania antes las Luces: 
los coloquios del Arbeitskreis für die Vormoderne in der Erziehungsgeschichte
Jean-Luc Le Cam
p. 5-41

Résumés

Cet article présente l’organisation et l’activité de l’AVE, un groupe de recherche allemand consacré à l’histoire de l’éducation avant les Lumières. Celui-ci réunit tous les deux ans des spécialistes de diverses disciplines pour un colloque sur un sujet choisi par l’assemblée générale. Après une présentation globale des thématiques abordées depuis 1991, il est fait un compte rendu plus détaillé des trois derniers colloques qui ont porté respectivement sur les fondements de la pédagogie moderne aux XVIe et XVIIe siècles, sur l’éducation élémentaire et la formation professionnelle dans et hors l’école (1450-1750), et sur le rapport entre éducation et religion, posant le problème d’une éventuelle sécularisation avant les Lumières.

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Texte intégral

  • 1  Étienne François, « Publications récentes sur l’histoire de l’éducation en Allemagne de la fin du (...)
  • 2  Cf. Jean-Luc Le Cam, La Politique scolaire d’Auguste le Jeune de Brunswick-Wolfenbüttel et l’inspe (...)
  • 3  Les actes de ces colloques ont été édités de 2003 à 2008 dans la collection Beiträge zur historisc (...)

1Faisant ici même, il y a plus de vingt ans, un bilan de la production allemande en matière d’histoire de l’éducation, Étienne François relevait la part écrasante qu’y tenaient les travaux consacrés à la période allant des Lumières à la fin du XIXe siècle, celle qui commence par le fameux « siècle pédagogique »1. En effet, le chercheur français qui s’aventurait dans ce domaine outre Rhin avec un intérêt particulier pour les XVIe et XVIIe siècles avait alors – et a eu longtemps – un sentiment de solitude2. Depuis lors, la situation a profondément changé, au point qu’on peut avoir le sentiment que le déséquilibre entre les deux pays s’est inversé. On chercherait désormais en vain, en France, une actualité aussi fournie en histoire de l’éducation de la période médiévale et moderne. Tous les deux ans, se tient en effet en Allemagne un colloque consacré à l’histoire de l’éducation de la période antérieure à 1750. Cette activité est portée par un groupe de travail dénommé Arbeitskreis für die Vormoderne in der Erziehungsgeschichte, couramment désigné par son sigle AVE. Il paraît utile de présenter au lecteur français cette association, ses principes fondateurs et ses activités dans le contexte allemand avant d’aborder plus en détail le résultat de ses derniers travaux, à travers un compte rendu des trois derniers colloques qu’elle a tenus à Bielefeld, de 2002 à 20063.

I – L’Arbeitskreis für die Vormoderne in der Erziehungsgeschichte

1 – Un groupe de travail au sein de la Société allemande des sciences de l’éducation

2Le groupe de travail (Arbeitskreis) est en Allemagne une solution fréquemment retenue pour réunir des chercheurs autour d’un domaine particulier4. Structure légère, de type associatif, mais pas forcément constituée en véritable association avec adhésion et cotisation, elle constitue parfois elle-même un sous-groupe d’un plus vaste ensemble. C’est le cas ici de l’AVE, qui a été créé en 1985 à l’intérieur de la section historique de la Deutsche Gesellschaft für Erziehungswissenschaft (DGfE), Société allemande des sciences de l’éducation5. Celle-ci est une association d’environ 2 000 membres, fondée en 19646. La section « Histoire de l’éducation », instituée en 1972, constitue sa commission historique7. Il existe d’autres groupes de travail dans cette association, l’un sur les musées scolaires, l’autre sur l’histoire de la famille.

  • 8  Règlement intérieur (Geschäftsordnung) approuvé par la Section historique de la DGfE le 21 septemb (...)
  • 9  Noter aussi l’existence d’une page spéciale présentant l’AVE et ses activités sur le site Internet (...)
  • 10  Ce principe peut connaître quelque souplesse : le prochain colloque aura lieu du 11 au 13 mars 200 (...)

3Le règlement de l’AVE définit celui-ci comme une communauté de travail réunissant ceux qui se consacrent à l’étude de l’histoire de l’éducation des périodes antique, médiévale ou moderne, ce dans l’esprit des statuts de la Section d’histoire de l’éducation8. Il accepte la participation de tous ceux qui souhaitent travailler sur ces thèmes, qu’ils soient issus des sciences de l’éducation, de l’histoire ou d’autres disciplines et qu’ils soient ou non adhérents de la section d’histoire de l’éducation désignée ci-dessus. Il n’y a pas d’adhésion formelle ni de cotisation. Les seuls éléments institutionnels sont l’assemblée générale, qui se tient tous les deux ans à l’occasion des colloques, et le bureau des porte-parole (Sprechergremium), formé de trois à cinq membres élus par l’assemblée générale pour deux ans. Deux au moins de ces responsables élus doivent être spécialistes des sciences de l’éducation et membres de la Section historique de la DGfE. Les autres membres du bureau appartiennent de préférence à d’autres disciplines, notamment historiques. Le contact entre les membres est maintenu par une lettre circulaire (Rundbrief), qui publie notamment les procès-verbaux des assemblées générales et des réunions du bureau9. La tâche essentielle du bureau est d’organiser des colloques thématiques selon une périodicité, en principe, de deux ans10 : c’est-à-dire d’en proposer le sujet et la problématique, de solliciter ensuite les participants, de trouver les financements et enfin d’en assurer la publication.

2 – Ses thématiques et leur évolution

  • 11   Liste reprise pour partie du site de l’AVE et complétée par les comptes-rendus et les information (...)

4L’esprit et la pratique de cette organisation sont suggérés par les thèmes des colloques proposés depuis 1991, qui illustrent à la fois l’éventail et l’évolution des intérêts de ce groupe de recherche11, comme le montre le tableau suivant :

Les colloques de l’AVE

  • 12  Rudolf W. Keck, Erhard Wiersing (dir.), Vormoderne Lebensläufe - erziehungshistorisch betrachtet, (...)
  • 13  Gelehrte - Kleriker - Beamte. Gesellschaftlicher Wandel und individueller Aufstieg : Zur Typenentw (...)
  • 14  Der Umgang mit dem Fremden in der Vormoderne. Publication : Christoph Lüth, Der Umgang mit dem Fre (...)
  • 15  Jugend in der Vormoderne. Publication : Klaus P. Horn, Johannes Christes, Michael Parmentier (dir. (...)
  • 16  Klaus Arnold, Martin Kintzinger (dir.), Jungsein und in die Jahre kommen. Jugend von der Spätantik (...)
  • 17  Humanismus und Menschenbildung. Aspekte alten und neuen Lernens von der Antikeam Beginn des 21. Ja (...)
  • 18  Les actes des trois derniers colloques publiés sont présentés ci-après avec leurs références exact (...)
  • 19  Bildungsgänge: Selbst und Fremdbeschreibungen im Mittelalter und in der frühen Neuzeit, colloque d (...)
  • 20  Bildungsgänge: Selbst und Fremdbeschreibungen im Mittelalter und in der frühen Neuzeit, colloque d (...)

Année

Thème du colloque

Lieu

1991

Les parcours de vie, du point de vue de l’histoire de l’éducation12

Université d’Hildesheim

1993

Le savant – le clerc – le fonctionnaire, changement social et ascension individuelle : le développement du type de l’homme cultivé13

Université de Würzburg

1995

Le rapport à l’étranger14

Ludwigsfelde /Université de Potsdam

1997

La jeunesse15

Université Humboldt, Berlin

1998

Être jeune et grandir (devenir adulte), de l’Antiquité tardive à la première modernité16

Université de la Bundeswehr, Hambourg

2000

Humanisme et formation de l’homme : aspects de l’apprentissage ancien et moderne, de l’Antiquité au début du XXIe siècle17

Hochschule für Musik und Kunst Detmold

2002

Débuts et fondements de la pédagogie moderne aux XVIe et XVIIe siècles18

Université de Bielefeld

2004

Formation élémentaire et professionnelle entre 1450 et 1750 dans et hors l’école19

Université de Bielefeld

2006

La sécularisation avant les Lumières : le rapport entre Église, école et religion

Université de Bielefeld

2009

Les parcours éducatifs au Moyen Âge et à l’époque moderne : descriptions par soi-même ou par autrui20

Université de Bielefeld

a)Réétudier la période d’avant les Lumières

5La première caractéristique de ce groupe est sans aucun doute de vouloir corriger le déséquilibre chronologique de la recherche allemande en histoire de l’éducation déjà évoqué en introduction. Dans ses choix de thèmes et de communications de colloque (voir ci-dessous), le bureau veille effectivement à ne pas se laisser entraîner au-delà du début du XVIIIe siècle, au plus tard de 1750. Ainsi se justifie le qualificatif « Vormoderne », désormais substantivé, dans l’intitulé du groupe de travail. Il est impossible à traduire en français autrement que par des périphrases : « prémoderne » n’a en effet pas le même sens dans le contexte francophone, car il renverrait alors seulement à l’Antiquité et au Moyen Âge ; « première modernité » est aussi trop court de près d’un siècle, et trop restrictif puisqu’il n’englobe pas les périodes précédentes. C’est pourquoi la périphrase « d’avant les Lumières » semble préférable, celles-ci constituant la ligne de partage la plus incontestable et la plus claire des raisons d’être de ce groupe de recherche. Toutefois, dans cette vaste plage chronologique se dessinent des priorités en fonction des thèmes et des spécialités des membres du bureau. Si les médiévistes, et dans une moindre mesure les antiquistes, participaient couramment aux travaux de l’AVE dans ses débuts, les « modernistes », pour reprendre la terminologie française, sont désormais nettement en majorité dans l’association. Cela tient peut-être au fait que les derniers thèmes de colloque les ont favorisés, mais aussi sans doute à des différences de conjoncture dans la recherche selon les secteurs. Enfin, comme l’approche de leurs sources demande une spécialisation technique plus poussée, les périodes anciennes sont plus souvent le domaine des historiens que des pédagogues. Or les premiers sont davantage liés à leurs associations de spécialistes, qui les regroupent par période, ou peut-être moins tentés que les seconds par des collaborations franchissant les cloisons temporelles.

b)Pluridisciplinarité et variété des approches

  • 21  Selon l’expression bien trouvée pour l’Allemagne par Marie-Madeleine Compère dans sa synthèse L’Hi (...)
  • 22  Kirchenhistoriker : c’est une discipline à part en Allemagne, dérivée des études théologiques, un (...)

6La deuxième caractéristique de l’AVE est la recherche de la pluridisciplinarité et de la variété des approches. C’est justement parce qu’elle a sans doute conscience d’avoir trop longtemps été « l’empire des pédagogues »21 que l’histoire de l’éducation allemande cherche désormais à ouvrir ses travaux aux spécialistes d’autres disciplines : historiens, mais aussi, selon les thèmes étudiés, littéraires, historiens de l’art, philosophes, théologiens ou historiens de l’Église22. Cette confrontation est particulièrement nécessaire dans un domaine où les approches peuvent être très différentes suivant les disciplines d’origine. L’histoire de l’éducation faite par des pédagogues a longtemps été prioritairement celle des idées et théories pédagogiques, des législations ou des applications extraordinaires de celles-ci dans des établissements modèles. La vision plus sociologique des historiens, leur habitude de convoquer des sources plus variées et d’étudier des situations plus ordinaires ont pu ainsi faire évoluer la pratique des chercheurs issus des sciences de l’éducation. Quelle qu’en soit la cause, c’est du moins ce qui transparaît dans les colloques dont il sera rendu compte ci-après. Enfin, l’apport des littéraires, des théologiens et des historiens de l’art, même s’il est plus minoritaire, est également tout à fait pertinent et productif pour cette période de l’histoire de l’éducation, comme le montrent ci-dessous certaines contributions dans les derniers colloques de l’AVE. La difficulté est alors plutôt d’obtenir la collaboration effective des spécialistes de ces disciplines, qui peuvent être réticents à se mêler à une entreprise autrefois très marquée par les sciences « pédagogiques ».

c)L’ouverture internationale

7Enfin, la troisième évolution sensible se lit dans l’effort pour intégrer de plus en plus la comparaison internationale. Si celle-ci s’est longtemps limitée pour l’essentiel aux pays de langue allemande (Autriche, Suisse) ou à l’ancienne sphère germanophone (pays baltes ou Silésie), la volonté d’ouverture aux pays de langue latine, anglaise ou néerlandaise s’est clairement manifestée dans la préparation des derniers colloques, avec, là aussi, des résultats parfois en deçà de la volonté d’ouverture des organisateurs. Il faut toutefois préciser que certains de ces « étrangers » sont germanophones et/ou ont fait des recherches en Allemagne, et, à l’inverse, que le Saint-Empire constituait en soi une large mosaïque culturelle et confessionnelle permettant déjà d’exercer la comparaison.

8Pour avoir une idée plus précise des résultats obtenus par ces nouvelles orientations de l’AVE, le mieux est de lire les recueils issus des colloques qu’il organise. Ce sont les trois derniers d’entre eux dont on présentera ci-après la substance pour les lecteurs trop peu familiers avec la langue allemande.

II – Débuts et fondements de la pédagogie moderne aux XVIe et XVIIe siècles

  • 23  Colloque tenu au Zentrum für interdisziplinäre Forschung de l’université de Bielefeld du 28 au 30  (...)
  • 24  Anton Schindling, Bildung und Wissenschaft in der Frühen Neuzeit 1650-1800, München, Oldenbourg, 1 (...)

9En prenant les fondements de la pédagogie moderne comme thème d’étude pour son neuvième colloque, l’AVE affirmait, conformément à sa raison d’être, l’existence d’une première modernité pédagogique avant les Lumières23. Jusque là, l’essentiel des travaux de langue allemande en histoire de l’éducation voyaient en effet dans le second XVIIIe siècle la période de fondation de la pédagogie moderne, dont l’Émile de Rousseau (1762) serait l’écrit phare et pionnier. Quelques historiens, cependant, en particulier Anton Schindling, ont dénoncé dans cette vision une illusion d’optique héritée de l’histoire des idées, qui revenait à surestimer l’effet de nouveauté et à sous-estimer, au contraire, le poids des héritages dans les pratiques pédagogiques24. Il est de plus en plus largement admis que l’expansion du système de formation aux XVIe et XVIIe siècles s’est accompagnée d’un processus de modernisation qui n’a pas concerné que les institutionsmais aussi les méthodes et les contenus de l’enseignement.Mais, en même temps, ceux-ci ont souvent été présentés, en Allemagne, comme de simples instruments au service de la confessionnalisation ou de l’absolutisme en construction, sans finalité propre. Les organisateurs du colloque sont partis de cette aporie historiographique pour explorer les pistes et les sources qui rénovent la perception de cette première pédagogie moderne. Les Actes qui en sont issus présentent neuf études de cas ou d’aspects particuliers, regroupées, parfois un peu artificiellement, autour de quatre thèmes.

1 – Réévaluer à la baisse le poids de la confession

  • 25  Rudolf W. Keck, « Konfessionalisierung und Bildung aus erziehungswissenschaftlicher Sicht », p. 11 (...)
  • 26  Andreas Lindner, « Das bikonfessionnelle „Schulwesen“ Erfurts im 16. und 17. Jahrhundert », p. 32- (...)

10La confessionnalisation est d’abord évoquée dans ses effets sur l’éducation. Dans une approche macro-historique, sont étudiées la naissance et l’évolution de l’enseignement catéchétique pour l’enfance, depuis la devotio moderna jusqu’aux réformes protestantes et catholique25. Une comparaison des plans d’étude et des méthodes pédagogiques du gymnase sturmien ou melanchthonien avec le système des Jésuites révèle de fortes analogies de structures au moins jusqu’à la fin du XVIe siècle, ce qui incite à affirmer que la pédagogie a gardé une relative autonomie et n’a pas constitué de point de différenciation, au moins dans cette période de relative indétermination confessionnelle. Sur le plan micro-historique, l’étude du système scolaire biconfessionnel de la ville d’Erfurt en apporte une démonstration assez analogue26. Celui-ci se trouve partagé entre une autorité municipale largement autonome, passée à la Réforme, et un souverain catholique lointain, le prince électeur et archevêque de Mayence : après des débuts houleux marqués par les Pfaffenstürme, ces assauts contre les institutions ecclésiastiques,et le brusque déclin de l’université, les différentes parties trouvent dans leur intérêt commun, dès 1530 (traité d’Hammelburg), un terrain d’entente pour instaurer un système de parité, tel qu’il sera adopté à la paix d’Augsbourg dans certaines villes d’Empire : symptomatiquement, le système scolaire n’y est pas évoqué, signe qu’il ne fait pas encore partie des points chauds du partage confessionnel. On part donc du statu quo, qui laisse aux catholiques l’université et ses dépendances secondaires, soit deux écoles collégiales et un Paedagogium, tandis que les protestants développent un système d’écoles paroissiales. L’instauration d’un gymnase municipal en 1559 ne doit pas être interprétée comme une tentative de « protestantisation » de l’enseignement secondaire, car elle répondait au vœu des différents acteurs locaux, dont l’université catholique (c’est l’archevêque de Mayence qui mit le holà à ce qui ressemblait à une confusion des religions), et le programme d’enseignement resta avant tout humaniste et non confessionnel. Les rapports se tendent un peu plus avec la fondation d’un collège jésuite en 1611, à l’instigation de l’archevêque, qui provoque en réaction une réforme du collège municipal protestant dans le sens d’une confessionnalisation plus affirmée. Mais cela tient davantage à la situation politique générale qu’à la volonté des acteurs sur place. L’analyse de la fréquentation de l’une et l’autre écoles, ou de celle des Ursulines, fondée en 1667, par des élèves de la confession opposée conclut à une relative porosité des systèmes, surtout si l’un d’eux s’avère plus performant. Ainsi se trouve remise en question, certes à partir d’une situation géopolitique un peu particulière, une vision trop manichéenne de la confessionnalisation à l’œuvre dans l’école, ce qui incite à tout le moins à une révision de la chronologie de son déploiement.

2 – L’exemple suisse

  • 27  Daniel Tröhler, « Republikanische Tugend und Erziehung bei Niccolò Macchiavelli und im Selbstverst (...)

11La Suisse, à cause de sa constitution particulière où dominent, contrairement à l’Allemagne, les républiques urbaines, peut présenter certains particularismes pédagogiques. Il est intéressant d’y étudier la réception du concept politique de « vertu républicaine » élaboré par Nicolas Machiavel dans la conscience de soi de la bourgeoisie urbaine réformée et les applications qu’elle produit pour l’éducation au XVIe siècle27. Une telle étude montre des signes convaincants de l’importation, chez certains auteurs zurichois comme Josias Simler ou Samuel Hochholzer, de cette conception a priori exotique, que l’historiographie ultérieure d’obédience luthérienne allemande a pour ainsi dire refoulée.

  • 28  Anja Silvia Göing, « „Physica“ im Lehrplan der Schola Tigurina in Zürich 1541-1597 », p. 73-91.

12Dans ce même pays, on observe les applications pédagogiques élargies d’une discipline comme la physique. Son enseignement à la Schola Tigurina de Zürich de 1541 à 1597 s’avère en effet avoir eu différentes finalités éducatives : d’abord, celle de parfaire l’éducation humaniste dans les arts libéraux, ensuite celle de préparer, par cette formation en philosophie naturelle, une initiation à la théologie de la nature, enfin, de façon plus pratique, celle de servir de propédeutique aux études médicales. Ainsi, cette école conçue pour former les pasteurs pratiquait en fait une pédagogie ouverte sur différents métiers28.

3 – Les classiques réinterprétés

  • 29  Simone de Angelis, « Bildungsdenken und Seelenlehre bei Philipp Melanchthon. Die Lektüre des Liber (...)

13Les classiques de la pédagogie font également l’objet d’interprétations nouvelles. C’est, entre autres, le cas de Philippe Melanchthon, à propos d’un ouvrage rarement signalé pour son importance pédagogique : son De Anima, publié en 1540 puis, dans une version remaniée, en 155329. L’analyse de cet ouvrage montre à quel point la doctrine melanchthonienne de l’âme est assortie aux conceptions médicales de son temps. Un lien est ainsi établi entre confessionnalisation luthérienne et pensée éducative moderne dans le cadre d’une anthropologie fondée sur la psychologie et l’anatomie. La comparaison de l’édition de 1540 avec celle de 1553 montre que cette dernière est un document fondamental de la « pédagogie moderne » dans la lignée de la réforme melanchthonienne, qui a eu des retombées aussi bien sur la formation des médecins et des juristes que sur le discours pédagogique. On mesure à l’aune de cette contribution l’intérêt d’une approche pluridisciplinaire.

  • 30  Lutz Koch, « Comenius und das moderne Methodendenken », p. 121-135.

14On peut rester plus sceptique, en revanche, devant la tentative de rattacher la pensée de Comenius au mouvement scientifique du XVIIe siècle, qui conduit à l’épistémologie de Descartes et de Bacon, en se fondant sur l’importance du concept de méthode dans sa réflexion pédagogique. C’est oublier, en effet, le contexte de production de l’œuvre de Comenius, et notamment sa finalité métaphysique et théologique, clairement revendiquée30.

4 – Contenus et méthodes dans leur réalité

  • 31  Hans-Ulrich Musolff, « Wiederkehr der Metaphysik und moderne Bildungstheorie. Zur Interpretation d (...)

15La dernière partie du colloque a été consacrée aux contenus et aux méthodes de l’apprentissage dans leur réalité et met aussi davantage en avant la perspective de l’élève. Elle s’ouvre par la contribution, originale et érudite, d’un des coéditeurs du recueil sur « le retour de la métaphysique et la théorie moderne de l’éducation » au XVIIe siècle31. Cette étude de la philosophie scolaire se fait sur la base d’une source rarement exploitée, les thèses de disputes imprimées, ici dans les gymnases westphaliens de Steinfurt (calviniste), Münster (jésuite) et Soest (luthérien), qui permettent de connaître à la fois le contenu réellement enseigné en dépassant les manuels, mais aussi les aptitudes auxquelles parviennent les élèves qui soutiennent ces thèses en fin d’études. À l’aide de ce matériau, l’auteur démontre que l’enseignement métaphysique tant décrié par l’humanisme, y compris par l’humanisme melanchthonien, fait en réalité un retour en force dans le programme des classes terminales dans les années 1630, pour disparaître seulement dans les années 1780 – ce qui intrigue, voire chiffonne, quand elle ne méconnaît pas le fait, une historiographie positiviste de la pédagogie qui la voit en progrès vers le rationalisme. L’auteur en profite pour remettre en question non seulement cette vision d’une histoire « progressiste » de la pédagogie, mais également le caractère « moyenâgeux » qu’on attribue à la dispute métaphysique. Il n’est pas possible de rendre compte ici dans toute sa finesse de cette démonstration, qui ne craint pas d’entrer dans les débats philosophiques de l’époque, notamment dans les disputes contre Descartes qui occupent ces trois établissements supérieurs dans les années 1656-1663. Notons seulement qu’on ne peut plus considérer comme simplement humaniste un cursus qui débouche, y compris pour des futurs juristes, sur un enseignement de philosophie métaphysique ; et que, si l’on doit effectivement attendre la critique kantienne pour voir apparaître les fondements philosophiques de la pédagogie moderne, ces disputes métaphysiques révèlent déjà le souci de relier la conscience de soi à la connaissance du monde qui serait une des caractéristiques de la pédagogie moderne.

  • 32  Frauke Böttcher, « Formen mathematischer und naturwissenschaftlicher Wissensvermittlung im 17. Jah (...)

16Concernant la formation en mathématique et sciences naturelles de la société de cour et aristocratique française au XVIIe siècle, est défendue la thèse que les transformations des méthodes et l’irruption des paradigmes de la science moderne se sont déroulées en dehors des institutions traditionnelles d’éducation, ce qui peut, à vrai dire, s’observer dans la plupart des révolutions épistémologiques32. L’auteur insiste sur les diverses formes de transmissions qui apparaissent alors, discussions érudites, dialogues littéraires, correspondances savantes, qui permirent aussi à quelques femmes d’avoir part à ces nouveautés, alors qu’elles étaient tenues à l’écart des institutions universitaires.

  • 33  Ulrich Pfisterer, « Kunst im Curriculum des 15. und 16. Jahrhunderts oder: Eine Nürnberger Erziehu (...)

17Signe d’ouverture pluridisciplinaire, la contribution d’un historien de l’art portant sur l’enseignement artistique à Nuremberg utilise de façon originale dessins et peintures comme sources pour l’histoire de l’éducation33. Après une revue des écrits médiévaux et modernes recommandant cet enseignement comme adapté aux enfants et affirmant que les images s’impriment facilement dans leur esprit encore malléable et peu rationnel, l’auteur s’attache à l’interprétation détaillée d’une allégorie de l’éducation (1541) du peintre de Nuremberg Erhard Schwetzer au regard des spécificités confessionnelles de la langue des images. Les indices d’une relative flexibilité et d’une adaptation réciproque de la symbolique l’emportent sur ceux d’une spécificité rigide.

18Au total, cette rencontre interdisciplinaire a su éviter le piège d’une analyse téléologique et « progressiste » des caractères de la pédagogie moderne. Elle a également permis, en dépassant l’enfermement dans l’histoire territoriale, de relativiser l’effet des diverses autorités et de souligner les convergences et les continuités des efforts de formation, catéchétique aussi bien que générale. Malgré leur indéniable dimension confessionnelle, les écoles ne semblent pas avoir été un terrain ou un instrument d’affrontement religieux, car les convergences fonctionnelles, et donc de méthode et de contenu, l’ont plutôt emporté. De sorte qu’on peut même douter que les idéaux confessionnels se soient véritablement imposés au système scolaire. Selon les éditeurs du volume, la communauté des concepts pédagogiques apparaît plus importante que leurs différences. Aussi ces constatations ne permettent-elles pas de reconnaître dans le concept de confessionnalisation, très à la mode chez les historiens allemands, un outil opératoire pour décrire la réalité éducative de la période. Les recherches à poursuivre sur l’histoire de l’enseignement et des cursus de l’époque moderne nécessiteraient donc l’emploi d’une autre « clé heuristique ».

III – Éducation élémentaire et formation professionnelle dans et hors l’école, de 1450 à 1750

  • 34  Colloque tenu au Zentrum für interdisziplinäre Forschung de l’université de Bielefeld du 10 au 12 (...)
  • 35  Friedrich Paulsen, Geschichte des gelehrten Unterrichts, 3e éd. Leipzig, Veit, 1919-1921, 2 vol.

19En choisissant, pour son dixième colloque, de braquer son projecteur sur l’éducation élémentaire et la formation professionnelle depuis le bas Moyen Âge jusqu’à l’aube des Lumières, l’AVE s’écartait volontairement des routes les mieux balisées de l’histoire de l’éducation de cette période34. D’abord, parce que l’enseignement « savant », c’est-à-dire secondaire et supérieur, est resté, depuis l’ouvrage pionnier de Friedrich Paulsen sur ce sujet, l’objet privilégié des recherches allemandes sur la période35. L’enseignement élémentaire et les petites écoles ont bien sûr eu leurs historiens, comme le rappellent l’introduction puis l’exposé de synthèse d’Alwin Hanschmidt, mais il n’en reste pas moins vrai que la documentation se révèle beaucoup plus pauvre et parcellaire pour ces institutions par définition disséminées et qu’il reste bien des questions sans réponses. Ensuite, parce qu’en englobant dans le thème du colloque la formation extrascolaire et la formation professionnelle, on renforçait encore la difficulté en étendant l’enquête en dehors du domaine dévolu à la surveillance de l’Église et de l’État confessionnel, donc en dehors de leurs archives. Se posait aussi un problème de définition de ce qu’est la formation élémentaire, abordé dès l’introduction et dans plusieurs contributions : il s’agit de ne pas verser dans l’anachronisme en se focalisant sur les apprentissages techniques qui sont devenus les objets essentiels de l’éducation élémentaire contemporaine et en oubliant la finalité souvent essentiellement religieuse de cette éducation sous l’Ancien Régime. En même temps, il ne faut pas non plus méconnaître les récupérations utilitaires que faisaient les usagers de ce système scolaire à finalité religieuse ou académique, rejoignant ainsi d’ailleurs la problématique de la formation à finalité professionnelle.

1 – La contribution du système scolaire à la formation élémentaire et professionnelle

  • 36  Alwin Hanschmidt, « Elementarbildung und Berufsausbildung 1450 bis 1750 », p. 19-46.

20Après une introduction des éditeurs reprenant les éléments de la problématique et faisant un premier point de l’état de la recherche, un premier ensemble d’études porte sur la contribution du système scolaire à la formation élémentaire. Un historique de l’évolution des formes scolaires depuis le Moyen Âge recherche lesquelles ont pu contribuer à la formation élémentaire ou professionnelle36. Partant du mouvement d’extension et de « municipalisation » du système scolaire au bas Moyen Âge, qui se traduit entre autres par la création d’écoles d’écriture et de calcul dans les cités marchandes, mais aussi par la multiplication des écoles latines même dans des villes de moindre importance, l’auteur envisage les conséquences des Réformes sur l’évolution du système. On constate une grande diversité des évolutions régionales en fonction des confessions, des pouvoirs à l’œuvre, mais aussi du contexte économique et social, sans qu’on puisse dégager de facteur mono-causal. Certaines études, par exemple sur le sud-ouest de l’Allemagne, insistent sur les parentés entre les systèmes d’instruction élémentaire au-delà des confessions, excepté en ce qui concerne le manuel de catéchisme. Il apparaît, en outre, que ces écoles connaissent partout la concurrence d’écoles privées, voire clandestines (Winkelschulen), qui répondent bien souvent à une demande de formation, notamment élémentaire, mal couverte par les institutions publiques. Le problème de l’offre et la demande concerne aussi la construction d’un réseau scolaire serré, notamment à la campagne, la fréquentation, encouragée par des législations d’obligation scolaire, ou le recrutement et la qualité des maîtres, très variables selon les circonstances.

  • 37  Jean-Luc Le Cam, « Über die undeutlichen institutionellen Grenzen der Elementarbildung. Das Beispi (...)

21L’exemple du duché de Brunswick au XVIIe siècle montre le caractère flou des frontières institutionnelles de l’instruction élémentaire37. Distinguant deux acceptions différentes du concept de formation élémentaire (l’une nécessaire et suffisante pour tout chrétien, l’autre servant de préparation à des études secondaires) et mettant en garde, ce faisant, contre le risque d’anachronisme, l’auteur cherche à montrer comment ces deux conceptions sont parallèlement à l’œuvre dans différentes parties du système scolaire. Au service de la première conception, le réseau des écoles allemandes rurales couvre, après la guerre de Trente Ans, toutes les paroisses du Brunswick et même 45 % des villages qui n’ont que le statut de filiale ou de trêve, mais avec des différences importantes entre le centre fertile (la Börde), entièrement équipé, et les régions les plus pauvres du duché, au sud-ouest ou au nord, moins bien quadrillées. Cette relative maturité du réseau explique la promulgation précoce (1647) de l’obligation scolaire. Le monde des villes se caractérise, en revanche, par la complexité des systèmes et des offres scolaires de niveau élémentaire. Une analyse fine des structures d’effectifs et des contenus enseignés montre que la fonction essentielle des écoles latines urbaines, à deux ou trois exceptions près, est de contribuer à la formation élémentaire (dans son premier sens), la plupart des élèves quittant l’école après celle-ci, parfois avec une initiation au latin. Mais cette formation prend aussi le second sens d’instruction élémentaire pour une minorité d’élèves, qui continuent le cycle secondaire des humanités. Les villes moyennes ont, en outre, une offre scolaire plus variée, faite de maîtres écrivains et d’écoles privées (Winkelschulen). C’est à ces dernières, pour l’essentiel, que sont vouées les filles, même si quelques villes dans les régions les plus avancées créent pour elles des écoles publiques. Les rapports de l’inspecteur général Christoph Schrader, professeur de rhétorique, révèlent une attention particulière des autorités aux enseignements utilitaires, tel celui des mathématiques, dans les écoles latines. La typologie de dénomination des établissements est donc trompeuse quant à leurs fonctions réelles.

  • 38  Bettina Blessing, « Konzepte der Elementarbildung und die Lebenswelt der Lehrer deutscher Schulen. (...)

22L’enseignement élémentaire et la vie des maîtres d’écoles allemandes de la ville d’Empire de Regensburg/Ratisbonne, de la Réforme à 1750, fait l’objet d’un tableau d’ensemble38. La situation de partage confessionnel permet une comparaison entre le système scolaire de la majorité luthérienne, avec ses huit écoles de quartier (Wachtschulen) et ses six écoles de scribes, et celui de la minorité catholique, avec seulement trois écoles. On en tire encore une fois le sentiment d’une grande analogie dans les pratiques, confirmée par le fait que catholiques et calvinistes n’hésitaient pas à utiliser les écoles luthériennes quand cela servait leurs intérêts (proximité, qualité). La politique urbaine en matière de recrutement et de contrôle des maîtres est présentée à partir des sources normatives, sans malheureusement qu’il soit possible de les confronter à d’autres documents rendant compte du fonctionnement réel de l’institution au quotidien.

2 – La formation des artisans et des marchands

a)Études d’ensemble

  • 39  Hans-Peter Bruchhäuser, « Die Berufsbildung deutscher Kaufleute bis zur Mitte des 16. Jahrhunderts (...)

23La formation des artisans et des commerçants fait l’objet d’un ensemble d’études spécifiques. L’une d’entre elles porte sur le cas des marchands, du haut Moyen Âge au milieu du XVIe siècle39. Après avoir rappelé le contexte du développement commercial allemand vers la Baltique et Novgorod, mais aussi vers la mer du Nord et Londres, et le haut degré de fragmentation sociale de ce groupe, l’auteur examine les éléments essentiels de la formation des apprentis marchands. Elle est fondée sur l’expérience de l’expatriation, l’apprentissage pratique dans des comptoirs lointains et donc une maîtrise minimale des langues des partenaires. La complexité croissante des réseaux et la sophistication des pratiques, le commerçant n’accompagnant plus que rarement sa marchandise mais l’adressant à une succursale ou un partenaire, conduit à multiplier le recours à l’écrit pour la correspondance et la comptabilité. C’est à ce moment que l’éducation du marchand passe aussi par une formation préalable dans les écoles urbaines qui se développent à la même époque, alors même que le prestige et la position sociale de ce groupe augmentent. Ce schéma évolutif donne l’exemple d’une formation de nature purement fonctionnelle, avant l’instauration de l’État moderne et la confessionnalisation, en l’absence de toute théorie éducative, ce qui nous sort des sentiers battus.

  • 40  Kurt Wesoly, « Berufsausbildung von Handwerkslehrlingen und Elementarbildung vornehmlich am Mittel (...)

24L’exemple de la haute et moyenne Rhénanie éclaire l’histoire de la formation élémentaire et professionnelle des apprentis artisans jusqu’au XVIIe siècle, secteur de l’éducation sur lequel les travaux sont encore peu nombreux et contradictoires40. La datation de l’organisation institutionnelle d’un apprentissage (entre le XIVe et XVesiècle), la durée (de deux à trois ou cinq ans), l’âge minimal (de 12 à 18 ans), tout cela varie en fait selon les régions et les métiers. Les sources (règlements, contrats d’apprentissage, livres de guildes) sont peu loquaces sur les contenus de cette formation élémentaire et traitent plutôt des problèmes de rémunération et de discipline. Les témoignages d’un maniement aisé de l’écrit par de nombreux artisans sont cependant courants dans les archives, sans qu’on puisse aller vers une véritable appréciation quantitative.

b)Aspects particuliers

  • 41  Marcel Lepper, « Wo die Meistersinger das Lesen lernten. Elementarbildung in Nürnberg um 1500 », p (...)

25C’est à un spécialiste de littérature médiévale que l’on doit une contribution originale sur la formation et la culture des Meistersinger à Nuremberg vers 1500, ces « maîtres chanteurs » qui s’associaient en confrérie ou « école de chant » pour composer et pratiquer poésie gnomique, Lieder et jeux théâtraux en langue vernaculaire, caractéristiques des traditions littéraires profanes de l’Allemagne du sud à la fin du Moyen Âge41. Ces poètes sont cependant totalement intégrés dans la société urbaine, dont ils exercent au moins un moment l’un des métiers : barbier, armurier, horloger, drapier, pour ne prendre que quelques exemples parmi les Meistersinger de Nuremberg. Tournant le dos aux anciennes interprétations qui insistaient sur l’influence de l’humanisme, et ne se contentant pas de présenter le contexte scolaire et culturel de la ville de Nuremberg (ce qu’il fait néanmoins en première partie), l’auteur veut mettre en lumière le jeu complexe « de perméabilité, de recouvrement et d’interface » entre culture populaire et culture savante à l’œuvre dans la production des maîtres chanteurs. Il prend, pour l’illustrer plus en détail, le cas de Hans Sachs, fils de tailleur né en 1494. Celui-ci, après avoir fréquenté l’école latine jusqu’à 15 ans puis effectué un apprentissage de cordonnier de trois ans (période où il est, parallèlement, initié au Meistergesang), part pour un voyage de compagnon à travers diverses villes allemandes où il élargit son réseau social et parfait sa culture et son art. Il revient en 1520 à Nuremberg comme maître et développe et structure progressivement l’école de chant poétique, qui comptera jusqu’à 250 membres en 1558. Sa bibliothèque de 3 600 ouvrages révèle l’éclectisme de ses références et le caractère autodidacte de sa culture, dans laquelle il puise pour composer une œuvre considérable de 4 300 pièces poétiques. Tout cela est particulièrement dépaysant pour le lecteur français.

  • 42  Rainer Prass, « Ausbildung und Schriftkenntnisse von Thüringer Bauhandwerkern 1600-1750 », p. 145- (...)

26L’histoire de l’alphabétisation fait l’objet d’un dossier intéressant sur l’instruction et la maîtrise de l’écrit chez les artisans de la construction en Thuringe de 1600 à 1750, constitué des documents relatifs aux chantiers de cette période à Weimar, Gotha et Erfurt42. Ces devis, esquisses, comptes, traduisent des compétences certaines en écriture, calcul et dessin, mais qui peuvent être aussi celles d’un employé ou d’un intermédiaire. Une élévation notable de ce niveau de compétence s’observe au XVIIIe siècle, au moment également où les autorités édictent des normes qui imposent la remise de devis chiffrés avant passation de contrat et parfois introduisent une vérification des compétences lors des examens professionnels, du moins à Weimar et Gotha, Erfurt en restant aux épreuves pratiques. On a le sentiment que l’instruction prend également alors dans ce milieu une valeur en soi, qui n’est plus seulement corrélée à son utilité immédiate. Le contexte éducatif et scolaire général, éminemment favorable ici, est également un facteur d’évolution rapide.

  • 43  Hans Ulrich Musolff, « Das Soester Schulwesen und seine Ausbildungsfunktion für nicht-akademische (...)

27Une étude très fouillée, largement illustrée de statistiques et de graphiques, est consacrée à la fonction de formation des professions « non académiques » (c’est-à-dire du commerce et de l’artisanat, qui ne nécessitent pas d’études universitaires) assurée vers 1700 par le gymnase de Soest, en Westphalie43. Partant de l’absence d’institutions spécialisées dans la ville, l’auteur en déduit que les marchands et les artisans de la ville ont tout simplement acquis les bases de leur instruction à l’école latine et cherche à le démontrer par une analyse fine des structures de classes et du suivi des cohortes, également grâce aux renseignements de la matricule, conservée pour la période 1685-1708 et comportant 2 031 inscriptions. Cela permet un suivi du cursus scolaire de 866 élèves, qui sont également partiellement connus par d’autres sources. Sans entrer ici dans le détail des résultats d’une étude statistique aussi fine, il convient de relever le niveau d’études relativement élevé auquel parviennent les futurs artisans ou marchands repérés dans ce corpus, avec bien sûr des différences selon les métiers. Comparant ces résultats avec les constatations faites par J.-L. Le Cam dans le Brunswick, l’auteur note qu’une bonne part de ces élèves sans ambitions universitaires reçoivent une formation complète et non pas seulement élémentaire dans ce gymnase bien fourni en enseignants et attirant des élèves extérieurs à la ville. La différence s’explique sans doute aussi par le décalage chronologique de près d’un demi-siècle entre les deux périodes observées. Toujours est-il que cela contredit le préjugé hérité du discours des Lumières, et repris pour partie ci-dessus par H.-P. Bruchhäuser, qui voudrait qu’après le Moyen Âge, les marchands n’aient pas eu leur place dans le système de formation construit par l’humanisme et les Églises, jusqu’à ce que les réformes éclairées leur offrent des écoles adaptées. En fait, les écoles dites « savantes » leur donnaient non seulement une formation générale et intellectuelle de base, comprenant l’étude du latin, mais aussi des enseignements utiles à leur profession, tel celui des mathématiques. Des compléments pouvaient être trouvés en cours privé. Ainsi s’explique l’usage prolongé qu’ont fait de ce gymnase classique de Soest les futurs marchands et artisans.

3 – De l’éducation élémentaire des femmes

28L’éducation féminine fait l’objet d’une attention spécifique, l’AVE ayant le souci constant de toujours intégrer, autant que possible, l’aspect du « genre » à la problématique des colloques qu’il organise.

  • 44  Margret Wensky, « Elementarbildung und Berufsausbildung von weiblichen Handwerkslehrlingen in Köln (...)

29C’est ainsi que se trouve dressé un tableau étonnant de l’implication des femmes dans les métiers de ville de Cologne44. Cela va de la participation comme aide dans divers secteurs artisanaux jusqu’à la responsabilité de chef d’entreprise et la participation à des guildes dans les métiers du cuir, du textile et de l’habillement. Il existait, en outre, quatre guildes purement féminines : celles des fabricantes de fil, des fileuses de soie, des tisseuses de soie et des fileuses d’or. On connaît mieux la composition et l’organisation de l’apprentissage des tisseuses de soie, dont on gardé les livres d’apprentissage des XVe et XVIe siècles, qui mentionnent 116 maîtresses et 765 apprenties. Ces artisanes s’avèrent avoir été souvent mariées à des marchands importants, qui pouvaient parfois commercialiser les produits de l’entreprise de leur épouse. Il en résulte l’image d’une haute alphabétisation et d’une bonne instruction de ces femmes dans la classe moyenne et supérieure, nécessaire à l’exercice de leur métier, quel que soit leur niveau. Dans ces milieux, l’éducation des filles était par conséquent aussi la condition d’une bonne insertion sociale, notamment d’un bon mariage.

  • 45  Juliane Jacobi, « Elementar- und Berufsbildung der Mädchen im halleschen Waisenhaus 1695-1769 », p (...)

30Une grande enquête collective, soutenue par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, a porté sur les écoles fondées à Halle par le piétiste Hermann Francke. Une partie de ses conclusions résultent de l’analyse des registres de l’orphelinat de Halle entre 1695 et 1769, qui donnent des renseignements très précis sur l’origine, les connaissances, la durée de scolarité, les appréciations et le devenir professionnel des orphelins45. Ils montrent que cette institution modèle a, plus que d’autres orphelinats, accordé un intérêt véritable à l’instruction élémentaire des filles qui lui étaient confiées, allant bien au-delà de la lecture et les préparant non seulement au rôle de maîtresse de maison, mais aussi à celui de compagne utile à un artisan. Pour autant, la comparaison du traitement des orphelins des deux sexes révèle des différences patentes : un effectif de filles nettement plus faible (25, contre 90 garçons), alors que la population d’origine devait être sensiblement la même, une origine géographique plus rapprochée de l’école et des contenus enseignés se limitant effectivement à l’instruction élémentaire, la couture et le tricot, alors que les meilleurs des garçons étaient poussés vers l’école latine. L’efficacité du système permet cependant une formation relativement correcte de ces orphelines, dont les cursus ultérieurs révèlent une légère promotion sociale.

  • 46  Andreas Rutz, « Semireligiosentum und elementare Mädchenbildung. Zur Unterrichtstätigkeit von Devo (...)

31Les « Devotessen » de la congrégation de Sainte-Ursule, à Cologne, institution éducative féminine beaucoup moins connue que les Ursulines, ont pourtant joué un rôle non négligeable dans la scolarisation des filles de Cologne et de sa région, particulièrement dans les bourgs et les petites villes46. Ces « Dévotes » étaient des « semi-religieuses », en fait des laïques suivant une vie religieuse, mais sans clôture ni vœux. Elles avaient été sollicitées par les Jésuites lorsque ceux-ci avaient pris l’initiative de stimuler, dans une perspective de confessionnalisation, l’enseignement des filles à partir du XVIIe siècle. Après avoir tenté de garder une certaine indépendance, elles avaient été reprises en main vers 1650 pour être placées sous un contrôle plus étroit des autorités ecclésiastiques et des Jésuites. Mais certaines d’entre elles, récalcitrantes, ont résisté un moment. Ces femmes semblent avoir été souvent d’assez bonne bourgeoisie, fondant elles-mêmes des postes de maîtresses ou subventionnant des écoles, tandis que leur clientèle était bien plus populaire. Le contenu de cet enseignement était, dans la logique de cette entreprise, essentiellement dominé par l’instruction religieuse. Au XVIIIe siècle, l’enseignement semble un peu plus varié et utilitaire, incluant l’écriture, le calcul et même un peu de français, ainsi que des travaux d’aiguille. Mais la finalité de confessionnalisation reste très présente, d’autant plus que les « Dévotes » donnent elles-mêmes le modèle à suivre, avec leur chaste vie consacrée à l’instruction catholique.

  • 47  Franziska Heusch, « Elementarbildung und Berufserziehung für Mädchen und Jungen bei den Berliner H (...)

32L’éducation élémentaire et professionnelle des filles est également étudiée dans le cas des huguenots à Berlin au XVIIIe siècle47. Dès 1689, dans le cadre de la Discipline ecclésiastique autonome que leur a concédée l’Électeur de Brandebourg, ceux-ci commencèrent à édifier leur propre système scolaire, afin de mieux contrôler leur communauté mais aussi de permettre aux fidèles d’exercer leurs devoirs religieux en étant capables de lire la Bible. D’où l’obligation scolaire pour les membres de la colonie et la construction d’un dense réseau d’écoles dans les quartiers huguenots pour y répondre. Dès 1703, les quelque 6 000 huguenots disposent déjà de quatre écoles élémentaires, d’un collège, d’un séminaire de pasteurs et d’enseignants. À la fin du siècle, on compte 66 écoles françaises pour 75 écoles allemandes alors que la colonie ne dépasse guère le dixième de la population. En 1725 est créée une Maison des Orphelins et, en 1747, est fondée en liaison avec l’hôpital une école de charité chargée de scolariser aussi la population la plus pauvre. Les archives de ces institutions permettent, comme à Halle, un bon suivi de la formation élémentaire de ce public fragilisé. Tout en les préparant à un futur métier, qui, pour les filles, se résume essentiellement au service en maison, les responsables ont toujours veillé à ne pas sacrifier la formation générale et à éviter que leurs pupilles ne soient exploités : ils refusaient que les orphelins fussent utilisés pour la récolte du ver à soie pendant leur scolarité et n’imposaient pas aux filles, lors de leur placement à la sortie de l’école, un employeur qui ne leur aurait pas agréé.

4 – Paysans et soldats

  • 48  Frank Konnersmannn, « Schriftgebrauch, Rechenfähigkeit, Buchführung und Schulbesuch von Bauern in (...)

33Les capacités et la formation des paysans du Palatinat et de la Hesse rhénane sont analysées à partir d’une source peu exploitée jusqu’à présent : il s’agit de leurs livres de compte, qui commencent à être conservés à partir du XVIIIe siècle48. Les Groβbauer, paysans aisés, mais aussi les plus petits exploitants se mettent alors à tenir des comptes de leur exploitation, notamment dans sa composante marchande mais aussi pour suivre la rétribution de leurs employés. À ces renseignements s’ajoutent divers types d’informations domestiques, typiques des pratiques des « livres de raison » déjà observées en milieu urbain. L’auteur montre que les conditions économiques (entrée dans l’économie de marché) et la pression du fisc (qui cherche des relais locaux pour le suivi des impôts) ne sont pas les seuls facteurs de développement de l’écrit dans le monde paysan. La dimension religieuse joue en effet toujours un rôle au XVIIIe siècle, dans cette région où les confessions sont très mêlées depuis la guerre de Trente Ans : on ne trouve pas de livres de comptes chez les paysans catholiques mais seulement chez les réformés et surtout chez les mennonites. Cependant, la finalité religieuse de la formation n’est pas seulement celle qu’on entend ordinairement, d’une préparation à la vie chrétienne, mais aussi celle d’une participation à la gestion de l’Église locale, dont les responsabilités sont largement partagées dans les constitutions presbytéro-synodales (Anciens, Consistoires, diacres, etc.). Les mennonites ajoutent à toutes ces motivations leur situation de minorité difficilement tolérée, d’une certaine façon « condamnée » à la réussite et à de meilleures performances dans un environnement hostile, qui puise dans une formation plus exigeante et une ascèse religieuse favorable à l’effort et au travail les ressources nécessaires à ce combat. Voilà une nouvelle contribution à la thèse de Max Weber sur l’éthique protestante du capitalisme.

  • 49  Jutta Nowosadtko, « Weniger „Kriegs=Pflanz=Schule“ denn „christliche Kinderlehr“. Die Schulbildung (...)

34Enfin, est réévalué le rôle des Garnisonschulen, ces écoles destinées à scolariser les enfants de soldats, qui se développent au XVIIIe siècle en même temps que l’institution de l’armée permanente et les paroisses militaires dans les villes de garnison49. Les premières traces de ces établissements se trouvent en Saxe dans les années 1730. L’étude prend ses exemples dans les villes de Dresde, Potsdam et Münster, soit trois régions différentes de l’Empire, mais toutes situées en Allemagne du centre ou du nord. En dehors d’un internat particulièrement développé, rendu nécessaire par le déplacement des parents, et de quelques particularités dans l’enseignement (par exemple le tricotage de bas ou de chaussettes), l’organisation et le contenu de l’enseignement ne diffèrent pas de ceux des écoles allemandes ordinaires. Ce ne sont donc pas à proprement parler des écoles d’enfants de troupe, préparant au métier militaire, contrairement à ce que l’on pense souvent, sans doute en raison de la dénomination de Garnisonschule. La fausse perception de ces établissements tient sans doute à la représentation largement répandue, aujourd’hui comme déjà à l’époque, d’un état militaire s’auto-reproduisant, ce qui est loin d’être démontré par les études sociales sur l’armée du XVIIIe siècle.

  • 50  La volumineuse histoire de l’éducation allemande parue chez Beck n’y consacrait en effet que quelq (...)

35Dans le bilan de ce colloque, il existe bien sûr des manques ou des faiblesses. La question des réseaux scolaires, en particulier ruraux, et de leur construction progressive préoccupe moins les historiens allemands, et encore moins les historiens de l’éducation issus des sciences pédagogiques. D’autres lacunes tiennent, comme l’ont dit eux-mêmes les organisateurs lors de la synthèse, à la difficulté de trouver des intervenants sur certains sujets, telle l’éducation élémentaire dans la culture juive allemande. Sans doute les aspects de formation professionnelle ont-ils été un peu moins bien traités, parce que les sources comme les études préalables manquent davantage sur ce secteur. Mais le mérite principal de ce colloque a été son approche pragmatique et diverse du sujet, qui a permis de dépasser les classifications institutionnelles pour envisager la variété des lieux et des formes de la formation élémentaire ou professionnelle. Au total, ce recueil d’actes constitue désormais, sans conteste, l’introduction la plus riche et la plus variée qu’on puisse trouver en Allemagne sur l’enseignement élémentaire, au sens large, avant les Lumières50.

IV – Sécularisation de l’éducation avant les Lumières ? Du rapport entre formation, Église et religion

1 – Une interrogation inattendue

  • 51  Colloque tenu du 15 au 17 novembre 2006 au Zentrum für interdisziplinäre Forschung de l’université (...)

36Le thème choisi pour le onzième colloque de l’AVE pouvait sembler une provocation51. Certes, le point d’interrogation du titre venait tempérer d’incertitude cette affirmation, mais la supposition même pouvait sembler iconoclaste après un quart de siècle de travaux sur la confessionnalisation et une tradition encore plus ancienne faisant des Lumières l’entrée dans la modernité rationnelle. L’idée des concepteurs du colloque n’était pas tant de bouleverser le champ historiographique que d’apporter des nuances à ces conceptions et de rester fidèle à l’esprit de l’AVE qui, depuis sa fondation, cherche à faire reconnaître l’importance et la capacité d’innovation des époques antérieures aux Lumières dans la tradition éducative européenne.

37Dans cette lignée, il était légitime de se demander si la période moderne, avant même l’irruption de l’Aufklärung, avait connu autre chose qu’une emprise totale de la religion sur l’éducation. Que le fait religieux ait été fondamental dans la société ancienne est en effet indubitable, mais comment expliquer, sur cette base, la mutation qui s’opère ensuite, d’une façon relativement rapide, vers une relative sécularisation des savoirs et de l’éducation ? N’a-t-elle pas été préparée par des évolutions internes aux politiques et aux pratiques éducatives de l’époque confessionnelle ?

  • 52  Hartmut Lehmann, « Von der Erforschung der Säkularisierung zur Erforschung von Prozessen der Dechr (...)

38Le thème de la religion dans l’institution de l’éducation a bien sûr déjà été abordé, mais sans véritable consensus sur son rôle. Cela va de la thèse de Max Weber, qui voit dans la religiosité de l’époque moderne un moteur de la modernisation jusqu’aux positions critiques, au fond héritées des Lumières, dénonçant la contrainte ecclésiastique comme frein à l’évolution positive de l’éducation, en passant par celle de la confessionnalisation, qui analyse la concurrence des confessions comme incitation au développement du système scolaire. Les éditeurs ont donc décidé de reprendre la question dans une perspective pluridisciplinaire, en suscitant autant que possible des comparaisons géographiques et en demandant à chaque contributeur s’il observait des amorces de sécularisation dans le domaine de l’éducation qu’il étudie. La définition de la sécularisation était celle qui était proposée par Hartmut Lehmann, c’est-à-dire un « détachement de l’orientation d’individus, de groupes ou de toute la société par rapport à des forces et des instances supranaturelles », et plus généralement la relativisation ou la marginalisation de la religion et des Églises52. Suivant la tonalité générale de la réponse, les contributions présentent des degrés de proximité divers avec la thèse d’une sécularisation émergeant avant les Lumières. Les unes s’expriment nettement en sa faveur, les secondes présentent un mélange des deux thèses, les troisièmes ne trouvent pas dans le champ étudié de trace de sécularisation, mais bien plutôt une confessionnalisation persistante, voire une rechristianisation.

2 – Une définition conceptuelle du sujet

  • 53  Hartmut Lehmann, « Auf der Suche nach der Säkularisierung vor der Aufklärung », p. 27-37.

39Avant d’explorer ses applications sur le terrain de l’éducation, il fallait poser avec précision et dans toutes ses acceptions le concept de sécularisation dans son contexte historique. Il revient à celui qui en a exploré l’histoire, Hartmut Lehmann, de le faire en introduction du volume des Actes53. Il identifie ainsi sept aspects caractéristiques du processus de sécularisation : la rationalisation, au sens du désenchantement du monde de Max Weber, qui conduit à l’adoption d’une démarche scientifique ou rationnelle dans la plupart des secteurs du savoir, de la technique, de l’économie et de l’administration. Pour autant cette démarche, en progrès notamment au XVIIe siècle, n’était pas forcément en désaccord avec une vision théologique du monde, notamment quand elle cherchait à reconnaître dans la nature le « second livre divin ». Le second aspect est la différenciation fonctionnelle au sens de Niklas Luhman, qui conduit à dissocier, par exemple, les domaines de compétence de l’État et de l’Église. Cette évolution est indéniable, même si les spécialistes de la confessionnalisation ont souligné les services réciproques que se sont rendus ces deux instances d’encadrement de la société. Elle intéresse tout particulièrement la position de l’école vis-à-vis de l’Église. Viennent ensuite la privatisation, c’est-à-dire le déplacement du religieux vers la sphère privée, qui est à relier au mouvement d’individualisation et d’autonomisation de la quête religieuse qui touche l’Occident à cette époque, et par conséquent l’ouverture à la pluralité (Pluralisierung) des interprétations religieuses, consécutive aux Réformes mais longtemps combattue à l’époque confessionnelle jusqu’à la mise en place des paix de religion. L’attachement au monde temporel (Verweltlichung) en est aussi un signe, mais il ne semble pas connaître de progrès particulier au XVIIe siècle, de même que le dernier aspect, qui est la marginalisation du religieux. En conséquence de quoi, H. Lehmann conseille d’user avec prudence du concept de sécularisation pour la période allant du XVIe au début du XVIIIe siècle : tout d’abord, parce que la stabilité globale de la société ne se laisse guère entamer par des mouvements marginaux ; ensuite, parce que les quelques tendances à la sécularisation sont toujours accompagnées par des mouvements contraires de rechristianisation. Surtout, il plaide pour un changement d’échelle : plutôt que d’appliquer une vision macroscopique héritée de la sociologie de la religion, qui risque de tomber dans l’anachronisme et la falsification des faits, il faut multiplier les études micro-historiques qui explorent les attitudes de milieux particuliers et permettent de mieux rendre compte, par exemple, de l’existence simultanée de poches de sécularisation dans certaines élites et de stabilité ou de progression de la christianisation des couches populaires. L’école se prête justement particulièrement bien à ce type d’étude susceptible de faire émerger un nouveau concept de sécularisation appliqué à l’époque moderne.

40Après ces réflexions théoriques, les contributions à la réflexion sur le rapport de l’éducation et de la religion s’ordonnent en fonction de leur affinité avec la thèse d’un progrès de la sécularisation.

3 – Des exemples de sécularisation précoce

  • 54  Serge Tomamichel, « Das Kolleg von Annecy im 16. Jahrhundert. Eine säkulare Einrichtung im Jahrhun (...)

41Plaide en faveur de la thèse d’une « sécularisation » précoce, ou plus exactement d’une confessionnalisation plus tardive qu’on ne le pense ordinairement, le cas de l’école puis du collège d’Annecy, du XIVe à la fin du XVIe siècle54. Il atteste en fait d’une longue existence préalable de l’école comme institution séculière aux mains de la municipalité, tenue par des maîtres essentiellement laïcs, au service des besoins variés d’éducation des enfants de la bourgeoisie locale. La refondation de l’établissement par son bienfaiteur Eustache Chapuys en 1556 fait passer ce collège sous la tutelle d’un conseil d’administration où siègent ecclésiastiques et syndics de la ville, ces derniers en majorité, sans remise en cause de son orientation essentiellement humaniste. Les diverses tentatives des Jésuites, puis des Théatins, pour prendre en main l’établissement seront régulièrement repoussées, tant que celui-ci satisfera les besoins de la bourgeoisie locale. Ce sont la dégradation de la situation économique générale et l’incapacité de la municipalité à faire face désormais à l’entretien du collège qui poussent les édiles à se tourner vers les ordres enseignants et à accepter la confessionnalisation du collège : ce sera chose faite en 1614 avec la prise en main de l’établissement par les Barnabites, avec la bénédiction du duc de Savoie et du nouvel évêque François de Sales, œuvrant chacun dans leur domaine pour la Réforme catholique. Les règlements internes de l’époque attestent bien de l’importance accrue de la religion dans le programme et la discipline. Ainsi, cette étude vient d’emblée démontrer que la sécularisation à l’époque moderne ne saurait être forcément un point d’aboutissement, mais qu’elle a pu constituer aussi un point de départ.

  • 55  Markus Wriedt, « Säkularisierung wider Willen. Der säkularisierende Modernisierungsschub infolge d (...)

42Le mouvement de modernisation consécutif à l’implantation de la Réforme luthérienne dans l’école et l’université de Wittenberg a constitué, quant à lui, une « sécularisation involontaire » suivant un processus dialectique55. La Réforme, mouvement initialement conservateur voulant restaurer l’Église apostolique idéalisée en se fondant sur la seule autorité de l’Écriture, s’est dans la pratique très vite sentie obligée de recourir à d’autres autorités, telles l’histoire et le droit, pour mener ses combats contre le catholicisme et l’évangélisme. La remise en cause, en parallèle, du monopole ecclésiastique sur l’éducation au profit des parents puis, devant la carence de ceux-ci, des autorités temporelles, de même que le recours aux biens et aux ressources des monastères pour financer le système scolaire ont constitué également un pas – non voulu – vers la sécularisation. L’organisation de ce système selon des principes souvent plus juridiques que théologiques et son adaptation aux besoins de l’administration et de la société civile ont eu pour conséquences de le détourner de sa légitimation théologique initiale et d’affaiblir sa dimension religieuse.

  • 56  Jean-Luc Le Cam, « Späthumanismus, „Helmstedter Konfessionalisierung” und Säkularisierung der Schu (...)

43La réforme scolaire entreprise à la fin de la guerre de Trente Ans dans le duché de Brunswick-Wolfenbüttel par le duc Auguste le Jeune présente quatre éléments indéniables de sécularisation56 : la création d’une inspection générale des écoles relevant directement du duc et confiée à un laïc, professeur de rhétorique ; la dissolution des écoles claustrales rurales, vestiges de la Réforme, au bénéfice de la revalorisation salariale des maîtres des écoles urbaines ; l’émergence progressive, à la tête des principales écoles urbaines, d’un corps d’enseignants se professionnalisant et n’aspirant plus à une carrière ultérieure dans le pastorat ; enfin, l’autonomisation des savoirs et la sécularisation des contenus, dans la lignée d’une restauration de l’humanisme contre les modes pédagogiques du ramisme ou du comenianisme. Les facteurs expliquant cette politique, plutôt originale en Allemagne à l’époque, sont à chercher dans la position dominante d’un courant humaniste et iréniste à l’université d’Helmstedt, notamment autour de Georg Calixt. Ce courant s’exprime dans divers avis remis au prince par l’université sur la réforme de l’école, que l’on peut résumer comme une recherche de différenciation fonctionnelle et d’autonomie du monde scolaire savant vis-à-vis de l’Église. Il a rencontré, outre la sympathie d’un souverain érudit porté au césaropapisme, un courant favorable à la soumission de l’Église, au nom de la doctrine de la raison d’État. Cette réforme ne s’est pas déroulée sans résistance, comme le montrent la querelle autour de la réquisition des moyens des monastères et de la fermeture des écoles claustrales, qui aboutit à un violent affrontement entre le chancelier et le directeur du Consistoire et à un recul du pouvoir sur certaines de ces dispositions. La sécularisation est ici à la fois un produit idéologique (hérité du philippisme et de l’irénisme) et une adaptation pragmatique aux nécessités de la modernisation du système scolaire dans le contexte de la reconstruction après guerre. La disparition progressive de ces éléments du contexte a donc pu entraîner par la suite des retours en arrière, par exemple le retour momentané de l’inspection générale à des théologiens.

  • 57  Hans-Ulrich Musolff, avec Stephanie Bermges et Suzanne Denningmann, « Säkularisierungsphasen der O (...)

44Les phases de sécularisation dans divers gymnases protestants de Westphalie au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles peuvent être repérées, d’une part, à travers les fluctuations ou « crises » de fréquentation et, d’autre part, dans les sujets des thèses soutenues dans les classes terminales de ces établissements57. À Soest, un conflit entre deux maîtres permet d’entrevoir l’irruption d’un enseignement de la philosophie de Descartes sur les passions comme introduction à l’éthique ; il est illustré par une série de disputes philosophiques qui sont autant de témoignages de la diffusion d’une pensée sécularisée. Selon ces textes, en effet, on enseignait aux élèves que les sentiments et les affects, voire même le ressenti corporel, ne sont pas à mépriser et peuvent apporter de la joie, ce qui contredit toute une tradition chrétienne. Par ailleurs, l’exploitation quantitative des collections de disputes tenues dans les décennies 1660-1669 et 1700-1709 permet de caractériser les gymnases calvinistes de Hamm et Steinfurt, au contraire de celui de Dortmund, comme des pôles de sécularisation : les sujets de dissertation s’éloignent de la théologie pour privilégier les thèmes philosophiques, politiques et juridiques (136 sur 267, par exemple, à Hamm). L’exploitation des matricules permet également de relever la croissance des orientations vers les études juridiques. Les fluctuations de fréquentation sont aussi à expliquer par la recherche de cursus préparatoires aux professions du droit, qui rompait avec la tradition de l’enseignement théologique, et par la concurrence du recrutement militaire prussien. Elles permettent finalement de déterminer deux phases de confessionnalisation ou rechristianisation suivies de deux phases de sécularisation, la première vers 1700, la seconde vers 1750.

  • 58  Chantal Grell, « Die Säkularisierung des Geschichtsunterrichts in Frankreich in der frühen Neuzeit (...)

45La sécularisation s’observe aussi en France dans le développement d’une discipline : l’histoire58. Certes, avant le XIXe siècle, l’histoire de France n’est pas une discipline scolaire mais un enseignement particulier réservé à l’éducation des nobles. L’histoire ancienne, en revanche, a bien pénétré le programme des collèges à travers le commentaire des auteurs ou la lecture d’historiens antiques. Cette histoire, auxiliaire des humanités, n’a pas été touchée par l’influence de la Réforme catholique et a été laissée à l’abri du contrôle ecclésiastique, précisément parce qu’elle n’apparaissait pas comme discipline à part entière. Aussi, lorsque Charles Rollin, ancien principal de collège et recteur de l’Université, historien réputé lui-même, voulut dans son Traité des études (1726) développer le programme d’un enseignement autonome de l’histoire, il plaida pour une conception chrétienne de l’histoire antique, qui montrerait la Providence à l’œuvre dans les actions des hommes. Ce janséniste concevait son projet comme une rechristianisation à travers l’histoire. Cependant, il contribuait paradoxalement, par sa didactique, par sa méthode empirique distinguant les faits des interprétations, par son souci du contexte et de la chronologie, à jeter les bases d’une discipline autonome et sécularisée. Même son histoire sainte suivait ces principes. Cet exemple de sécularisation involontaire est significatif d’un certain nombre d’autres situations où s’observent encore plus nettement des rapports ambigus ou complexes entre sécularisation et (re)christianisation.

4 – Des situations mêlées ou ambigües

  • 59  Kurt Wesoly, « Das Interesse der weltlichen Obrigkeiten, der Konfessionen und der Eltern am Elemen (...)

46Étudié sur une vaste période allant du XVIe au XVIIIe siècle, l’enseignement élémentaire dans le duché de Berg permet de confronter l’intérêt des autorités politiques, des confessions et des parents59. La dynastie de Clèves, éteinte en 1609, assez vacillante sur le plan religieux, ce qui permit aux trois confessions de se partager le pays, s’intéressa plutôt à l’enseignement urbain et savant. Mais le duc, catholique, de Palatinat-Neubourg et l’Électeur, réformé, de Brandebourg qui se partagèrent ensuite le pays eurent à cœur de développer l’enseignement élémentaire pour des raisons religieuses, sans pour autant persécuter sur ce point leurs minorités, ne serait-ce que pour éviter leur évasion fiscale et économique. Les Églises, comme il est logique, voyaient dans l’école l’instrument de la propagation de la foi et en exerçaient le contrôle réel au quotidien. Les parents enfin, tout en voulant être de bons chrétiens, avaient un intérêt économique propre à l’acquisition par leurs enfants de compétences techniques suffisantes en lecture, écriture et calcul. Les paysans étaient en effet, dans cette région, souvent employés comme échevins ou greffiers pour les impôts et pouvaient aussi avoir besoin de ces compétences pour leurs affaires. Pour cette raison, les témoignages de fréquentation d’écoles extérieures à la confession d’origine quand elles étaient de meilleure qualité, ou d’écoles privées sauvages (Winkelschulen) sans enseignement religieux, n’étaient pas rares. Ces familles marquaient ainsi leur intérêt – économique ou social – pour la partie séculière de l’enseignement. C’est cette convergence de tous les acteurs, du sommet à la base, poursuivant chacun des objectifs légèrement différents, qui a produit le haut niveau de scolarisation et d’alphabétisation constaté dans cette région.

  • 60  Sabine Holtz, « Zwischen (Re-)Christianisierung und Säkularisierung. Das württembergische Bildungs (...)

47La même complexité s’observe dans le duché de Wurtemberg entre la Réforme et l’avènement des Lumières60. L’unité de la période est constituée par la grande ordonnance ecclésiastique de 1559, qui donne son cadre global au système scolaire jusqu’à la mise en place des réformes éclairées. Le réseau des petites écoles (déjà au nombre de 156 vers 1560, de 900 à la fin du XVIIIe siècle) est avant tout au service de la confessionnalisation, même si l’enseignement des mathématiques élémentaires y est officiellement introduit en 1729. Le réseau d’une petite cinquantaine d’écoles latines est relativement stable, mais réduit à des établissements à un ou deux maîtres, seules Stuttgart et Tübingen présentant des cursus développés ; il délivre un mélange traditionnel d’humanités et d’enseignement religieux, le corps professoral étant constitué de candidats au pastorat en attente d’une cure. La fondation du Paedagogium de Stuttgart en 1686, sous l’incitation du souverain, n’y changea d’abord rien. Au XVIIIe siècle, cependant, la modernisation de son programme, avec l’introduction ou le développement des sciences et de l’histoire-géographie, s’efforce de l’adapter aux besoins de l’État et de l’administration. Mais sur les 53 % d’élèves qui le quittent pour l’université, une bonne moitié choisissent encore à la fin du XVIIIe siècle la faculté de théologie, le reste le droit ou, très minoritairement, la médecine. Et quand on imposa l’enseignement de l’histoire aux écoles claustrales, on s’efforça d’éviter sa trop grande sécularisation. Car ce siècle est aussi celui de la poussée rechristianisatrice du piétisme, qui se lit bien, par exemple, dans les collections de livres des artisans tisserands de Laichingen.

  • 61  Cornelia Niekus Moore, « Die lutherische Erbauungsliteratur für Mädchen in der frühen Neuzeit », p (...)

48Témoigne encore de l’ambiguïté du mouvement observé l’analyse de la lecture féminine en Allemagne protestante à l’époque moderne, et notamment celle des ouvrages extrascolaires qui se revendiquent comme lectures pour jeunes filles61. On y trouve des ouvrages de piété et d’édification, mais aussi des ouvrages profanes, de bienséance, de préparation au mariage, ainsi que des romans ou des ouvrages pratiques. La frontière entre religieux et profane ou séculier est d’ailleurs poreuse, les livres d’édification prenant éventuellement des exemples pratiques et les ouvrages profanes situant la jeune fille dans le cadre d’une vision et d’une morale chrétiennes. L’évolution tend à voir grossir la part des ouvrages profanes, mais il est caractéristique que ces livres d’un nouveau genre soient essentiellement des traductions ou adaptations d’ouvrages étrangers, italiens, français ou néerlandais, les productions proprement allemandes restant plus fidèles au genre de l’édification. Cette contribution nous ramène ainsi plutôt au thème de la privatisation et de l’individualisation de la religion, sans exclure une timide sécularisation.

  • 62  Andreas Wendland, « Jenseits der Societas Jesu. Beobachtungen zur „Bildungslandschaft“ der katholi (...)

49Un exemple très différent de cette complexité est donné par le paysage scolaire de la Suisse catholique62. Nombre d’établissements échappent aux Jésuites et sont donc très souvent dépendants d’autorités locales. L’entrelacement des structures d’encadrement, cantons, communes, seigneuries et abbayes, sans parler des pouvoirs ecclésiastiques, appelle des analyses particulièrement nuancées. Beaucoup de municipalités, surtout dans les petites villes, ont ; comme en Haute Allemagne, tenu à conserver le contrôle de leurs écoles latines, mais en les confiant à du personnel ecclésiastique pour la plupart. Le patriciat favorisant et fréquentant essentiellement les Jésuites, ces petits établissements ont le plus souvent végété et rétrogradé dans la hiérarchie scolaire et leurs patrons ont souvent eu du mal à trouver un personnel enseignant stable et qualifié. C’est précisément par ce biais que la sécularisation pointe en Suisse catholique au XVIIIe siècle : par la volonté des ecclésiastiques eux-mêmes de laisser le service d’école à des professionnels pour pouvoir se consacrer au cœur de leur mission. Cette amorce de sécularisation n’est donc pas le fruit d’une attitude anticléricale, mais le résultat d’une professionnalisation et d’une différenciation fonctionnelle voulue par l’Église elle-même, dans le cadre d’une confessionnalisation encore bien vivace.

  • 63  Axel Oberschelp, « Die “Professionalisierung” der Lehrer und das Hallesche Waisenhaus 1698-1740 », (...)

50La piste de la professionnalisation passe aussi par l’étude du personnel destiné à servir la nébuleuse d’écoles gravitant autour de l’orphelinat piétiste de Halle fondé par August Herrmann Francke63. Celui-ci considérait que l’œuvre de rechristianisation dont il se faisait l’apôtre devait partir de ceux qui partageaient le Lehrstand, l’état d’enseignant, des pasteurs aux simples maîtres d’école. L’immense cité scolaire de plus de 2 000 élèves qui s’était progressivement construite nécessitait elle-même une noria de maîtres, dont la plupart étaient pris parmi les étudiants de la faculté de théologie voisine auxquels on demandait d’enseigner deux heures par jour contre des repas gratuits. À partir de 1709 se met en outre en place un processus de sélection, puis de formation des maîtres, qui s’efforce d’allier chez eux la piété, la moralité et la compétence didactique ; de même qu’en 1707 est formé un séminaire spécial pour les maîtres de la plus haute section de l’établissement. Tout cela devait contribuer à la christianisation de ce personnel, de même que la vie en commun, si possible à l’écart des tentations de la vie étudiante. L’étude quantitative des résultats d’inspection de ces maîtres, qui comporte un volet religieux et moral, montre que les objectifs de piété ont été moins bien remplis que ceux qui concernaient la capacité technique ou la moralité, 43 % des inspectés ayant eu à entendre des reproches à ce sujet. Le résultat de cette œuvre de christianisation est donc paradoxal : dès lors qu’elle s’est transformée en mouvement de masse, elle a perdu en intensité et a dû se concentrer plutôt sur les qualités professionnelles et techniques des maîtres qu’elle formait, contribuant ainsi secondairement à la sécularisation de l’enseignement.

5 – Les bastions de l’éducation à la religion

51La thèse du maintien d’une forte tradition chrétienne dans l’enseignement, conduisant à relativiser la sécularisation dont il est l’objet, est défendue par plusieurs auteurs. Deux d’entre eux s’intéressent à l’éducation des filles, en soulignant sa dimension essentiellement religieuse, conforme à la répartition sociale des rôles sexués.

  • 64  Juliane Jacobi, « Zwischen “nöthigen Wissenschaften” und “Gottesfurcht”: Schulische Mädchenbildung (...)

52C’est ce qui ressort d’une vaste synthèse des connaissances actuelles, à vrai dire souvent fragmentaires, sur l’enseignement des filles en pays protestant, de la Réforme au XVIIIe siècle64. Partant de la conceptualisation d’un enseignement « féminin », conçu dans les ordonnances réformatrices comme différent de celui des garçons de même classe sociale car réduit, même pour les filles de bourgeois, à la religion et aux rudiments, l’auteur de cette synthèse constate l’échec des premières tentatives (par exemple en Saxe) pour créer par le haut des institutions durables pour les filles des élites. Les villes, voire les bourgs, ont cependant progressivement développé, surtout au XVIIe siècle, des écoles de filles, de statut souvent privé au début. L’analyse de leur personnel enseignant fait apparaître le haut degré d’improvisation locale qui a marqué cet enseignement et qui a souvent prospéré d’abord dans l’ombre d’une école privée, ou sous la direction de la femme ou la fille d’un maître public, sans forcément obtenir la reconnaissance des autorités. Elle dément donc la thèse d’un recul de la participation des femmes à l’enseignement au XVIIe siècle. Le contenu de celui-ci a toujours eu pour axe principal la piété, mais les rudiments utiles à la tenue d’une maison (écriture, calcul) ne sont pas pour autant négligés. S’y ajoutent des apprentissages spécifiques aux filles (couture, tricot), dont le caractère pratique ne remet cependant pas en cause le caractère avant tout religieux de cette formation. Les études sur l’alphabétisation et l’exploitation de visites pastorales attestent toutes du plus faible niveau de scolarisation et, partant, de compétences dont bénéficient les filles, mais aussi du rattrapage relatif qui se produit au XVIIIe siècle. L’éducation des jeunes filles de la haute société dans les quelques monastères réformés exceptionnellement conservés par les luthériens est un phénomène marginal, rattaché d’une certaine façon à l’éducation familiale, mais qui reste à étudier plus précisément.

  • 65  Andreas Rutz, « Der Primat der Religion. Zur Entstehung und Entwicklung separater Mädchenschulen i (...)

53La thèse du primat de la religion est également défendue à propos du développement d’un système scolaire séparé pour les filles dans les territoires catholiques du Saint-Empire au XVIIe siècle65. Ici, en effet, ce sont les ordres enseignants (Ursulines, Chanoinesses welches, Demoiselles anglaises, Salésiennes, Chanoinesses du Saint-Sépulcre, membres des Tiers ordres mendiants), ou des laïques ou semi-religieuses vouées à la religion appelées Dévotes ou Béguines, qui ont joué un rôle essentiel dans la prise en charge de l’éducation des filles, ce qui explique sa tonalité très fortement confessionnelle. Une revue de la position respective de ces différentes communautés dans l’enseignement féminin est tentée pour différentes régions catholiques : la Rhénanie d’abord, où l’état des lieux est le plus complet grâce à la thèse de l’auteur ; les Pays Bas espagnols ensuite, puis la Westphalie, la Bavière et l’Autriche, où il faut se contenter pour l’instant d’une esquisse. Le dynamisme de ces ordres et l’engagement religieux des autorités locales sont les deux facteurs de ce développement de l’enseignement féminin, dont la période 1650-1750 marque l’apogée. Cette organisation, qui permettait de disposer d’un personnel plus nombreux et renouvelable, a favorisé la stabilité des structures et permis des innovations pédagogiques telles que les classes de niveau. En ce sens, c’est l’introduction de la Réforme catholique, et donc la confessionnalisation, qui est ici le moteur du progrès. Tout au plus une légère sécularisation s’esquisse-t-elle au XVIIIe siècle avec l’augmentation de la proportion de fondations et de personnels laïques.

  • 66  Thomas Max Safley, « Die Frage einer Säkularisierung der Kindererziehung in den städtischen und ko (...)

54L’éducation dans les orphelinats municipaux et confessionnels d’Augsbourg – ville de parité confessionnelle –, donne des arguments forts à la thèse du primat de la religion, dans la mesure où leur historien considère que ces institutions n’ont connu aucune modification de leurs normes ou pratiques éducatives, fondées essentiellement sur une routine de rituels et d’apprentissages religieux, pendant toute la période moderne, voire contemporaine66. Il part du cas exemplaire d’une enfant convertie au catholicisme à la suite de ses parents, qui refuse en 1716 de revenir à l’orphelinat luthérien après le retour de son père au protestantisme, pour analyser les rapports de ces enfants à la religion et leur vie à l’orphelinat. Seuls 3 % des 5 736 orphelins immatriculés entre 1576 et 1706 sont sortis de l’orphelinat en raison de leur opposition à leur éducation confessionnelle. Constatant que la confession est un puissant élément de l’identité, respecté par les autorités la plupart du temps (sauf de 1629 à 1648), l’auteur conteste l’idée même d’une sécularisation à l’époque moderne, qu’il s’agisse de l’éducation ou de tout autre secteur de la société, rejetant explicitement la thèse de Max Weber.

  • 67  Stefan Brüdermann, « Religiöser Elementarunterricht im Kleinstaat. Das Beispiel Schaumburg-Lippe » (...)

55Le cas des écoles élémentaires du micro-État luthérien de Schaumburg-Lippe (17 paroisses, 33 écoles vers 1750) va dans le même sens67. L’autorité princière, ici si proche des sujets, a certes poussé au développement de l’école et à la scolarisation, mais à des fins avant tout religieuses. Une ordonnance ecclésiale de 1614 réglemente l’enseignement, qui connaît un nouvel élan à partir de 1634 avec l’obligation d’ouvrir une école faite à tous les villages. Engagement et surveillance des maîtres relèvent du consistoire et du surintendant. L’État apporte son concours par quelques aides matérielles et par la coopération de ses baillis à la soumission des parents récalcitrants à la scolarisation de leurs enfants, ceci pour leur salut. Aucune trace notable, donc, ici, de sécularisation à ce niveau d’enseignement.

  • 68  Silke Brockerhoff, « Erziehung “zur Wahren Gottseligkeit und Christlichen Klugheit” - Die Qualifiz (...)

56C’est également ce qui ressort d’une étude sur la fonction de qualification de l’école latine incorporée à l’orphelinat de Halle déjà évoqué plus haut68. Le contenu de son enseignement combine les études classiques de toute école latine, la formation religieuse dans l’esprit du piétisme et l’ouverture sur des disciplines plus « modernes » : mathématique, physique, histoire-géographie. L’orientation générale de l’école se voulait une éducation « au vrai bonheur en Dieu et à l’intelligence chrétienne » : en dehors de la formation religieuse et des chants et prières qui marquaient la journée, c’était aussi la vie à l’école sous la surveillance des maîtres, parfois même en internat, qui y contribuait. L’examen de l’origine géographique des élèves révèle une attractivité assez large de l’école, réputée pour la qualité de son enseignement. L’origine sociale des parents est dans l’ensemble élevée : près de la moitié en fonction dans l’État ou l’Église, des membres des professions libérales aussi, mais également un tiers d’artisans. L’évolution entre 1697 et 1729 tire encore davantage cette structure sociale vers le haut. Les poursuites d’études de ces élèves à l’université de Halle (dans 42 % des cas) se font à 59 % en faculté de théologie, à 30 % en droit, à 6 % en médecine. L’auteur en déduit qu’on ne peut parler d’évolution significative de la fonction de qualification de cette école dans le sens de la sécularisation, compte tenu de cette disproportion.

57À la fin de ce périple à travers divers paysages scolaires et confessionnels et plusieurs niveaux d’éducation, on peut sans doute tirer quelques leçons : la première, c’est qu’il y a bien eu des périodes et des éléments de sécularisation dans l’évolution de l’éducation avant les Lumières, mais qu’il n’y a aucune linéarité dans ce mouvement, les phases de sécularisation pouvant alterner avec des phases de confessionnalisation/rechristianisation ; de ce point de vue, l’irruption de la Réforme catholique et du piétisme constituent indiscutablement des moments de retour en force du religieux. La seconde leçon est qu’on observe assez souvent des mouvements parallèles et contradictoires selon les types d’enseignements concernés : l’éducation primaire dans la plupart des cas, et celle des femmes en général, sont très largement et principalement orientées par la religion et contrôlées par l’Église, tandis que l’éducation supérieure aux humanités, et plus tard aux sciences nouvelles, trouve plus facilement des espaces d’autonomie et cherche dès le XVIIe siècle une différenciation fonctionnelle avec l’Église. C’est aussi à ce niveau que s’esquissent des qualifications nouvelles pour répondre aux besoins de l’État moderne. Enfin, la troisième leçon est que le résultat des initiatives n’est pas forcément conforme aux intentions des acteurs. On a noté plus d’une fois des cas de sécularisation involontaire procédant d’une recherche d’efficacité ou de modernité au service du renforcement de la religion ou de la rechristianisation.


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  • 69  Heinz Schilling, « La “confessionnalisation”, un paradigme comparatif et interdisciplinaire. Histo (...)

58Si l’on devait faire un bilan des grandes tendances que révèlent ces colloques, tant sur le plan de l’historiographie que de la structuration de la recherche, on devrait relever d’abord cette évidence : l’histoire de l’éducation allemande a largement fait sa mue depuis l’époque lointaine où elle se concentrait sur les théories pédagogiques, les institutions d’avant-garde ou les intentions politiques. Elle a évolué vers une histoire des pratiques et du fonctionnement réel des instances de formation, scolaires ou extrascolaires. En ce sens, elle s’est largement rapprochée de ses voisines, de l’historiographie française, par exemple, dont on sait qu’elle est, sur ce domaine, majoritairement portée par la corporation des historiens. Pour autant, ses questionnements restent orientés par les grands phénomènes qui ont marqué l’histoire des pays germaniques, tels l’affrontement ou la coexistence de différentes confessions, ce qui est bien naturel. Mais en étudiant les pratiques réelles, elle en vient justement à relativiser ou à nuancer le poids sur l’enseignement d’un processus comme la confessionnalisation, ce concept incontournable de l’historiographie allemande depuis bientôt trois décennies69. L’histoire sociale se développe aussi, mais sur un mode mineur pour ces périodes, tant il est vrai que sa faisabilité tient avant tout à l’existence de sources fiables, souvent difficiles à trouver avant la fin du XVIIIe siècle. Les quelques percées tout à fait intéressantes dans ce domaine, qu’on observe par exemple dans le colloque de 2004 sur la formation élémentaire et professionnelle, montrent cependant que ce n’est pas une fatalité ni un parti pris. L’inscription régionale, enfin, reste encore fréquente, ne serait-ce que parce qu’elle s’appuie, plus qu’ailleurs en Europe, sur les spécificités et les identités induites par la multiplicité des principautés et les divisions confessionnelles. Elle est malgré tout en régression, au moins en tant qu’approche en soi, car il est vrai qu’une étude approfondie des pratiques nécessite souvent en retour de s’inscrire dans un territoire ou une institution plus limitée, sans pour autant faire de l’histoire régionale. Le fonctionnement de l’AVE permet justement de sortir de l’enfermement territorial pour relativiser ou remettre en perspective, par la comparaison constante, ce qu’on présenterait trop facilement comme des spécificités.

59Pour ce qui est de la structuration de la recherche et de son dynamisme, ces colloques nous apprennent également trois choses. La première, c’est qu’un carrefour comme l’AVE, en confrontant des approches et des méthodologies issues de spécialités disciplinaires différentes, contribue à faciliter leur transfert ou leur réception, voire à fédérer les efforts, comme le montre la proximité désormais constatée entre historiens et pédagogues. La seconde est que cette organisation a aussi naturellement comme corollaire la fonction de favoriser l’insertion des jeunes chercheurs et la transmission de témoin entre générations. Se retrouvent en effet dans ces colloques à la fois des spécialistes chevronnés tirant partie de leur connaissance ancienne et approfondie du terrain et des doctorants ou jeunes docteurs apportant l’air frais de nouveaux travaux70. Ce renouveau est aussi pour une part alimenté en amont par des programmes collectifs de recherche de plus ou moins grande ampleur, tel celui qui a été développé sur les institutions scolaires piétistes de Halle, qui contribuent aussi à fournir un soutien et un cadre à des équipes de doctorants ou de post-doctorants71. Enfin, ce qui frappe l’observateur français, c’est la puissance du substrat d’enseignement et de recherche en histoire de l’éducation que présupposent l’existence pérenne de ce groupe de travail et la régularité des rencontres organisées sur cette seule période, plus ancienne, de notre histoire éducative. C’est ici que l’on reconnaît l’avantage que constitue un solide réseau d’historiens-pédagogues inscrits dans les départements de sciences de l’éducation, tradition allemande dont la France n’a, hélas, pas d’équivalent.

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Notes

1  Étienne François, « Publications récentes sur l’histoire de l’éducation en Allemagne de la fin du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle », Histoire de l’éducation, n° 33, janvier 1987, p. 3-20. L’expression « siècle pédagogique » renvoie au titre d’un ouvrage tout à fait représentatif de ce courant historiographique : Ulrich Hermann, « Das pädagogische Jahrhundert ». Volksaufklärung und Erziehung zur Armut im 18. Jahrhundert in Deutschland, Weinheim/Bâle, Beltz, 1981.

2  Cf. Jean-Luc Le Cam, La Politique scolaire d’Auguste le Jeune de Brunswick-Wolfenbüttel et l’inspecteur Christoph Schrader 1635-1666/1680, Wiesbaden, Harrassowitz, 1996, 2 vol. Cette publication résultait de recherches menées sur le terrain dans les années 1980.

3  Les actes de ces colloques ont été édités de 2003 à 2008 dans la collection Beiträge zur historischen Bildungsforschung (Contributions à la recherche en histoire de l’éducation) aux éditions Böhlau (Cologne/Weimar/Vienne).

4  Une recherche de ce terme sur Internet montre assez le grand nombre et la variété des Arbeitskreise. Il n’a rien à voir, malgré une certaine similitude terminologique, avec les GdR (Groupes de Recherche) français, qu’il faudrait plutôt, mais avec beaucoup de nuances, rapprocher des SFB (Sonderforschungsbereiche) allemands, programmes de recherche à temps limité réunissant de gros moyens humains et matériels. Cf. Christophe Duhamelle et alii, « Les Sonderforschungsbereiche : des programmes pluridisciplinaires pour la recherche allemande en sciences sociales et humaines, Bulletin de la Mission historique française en Allemagne, n° 36, 2000, p. 77-100.

5  Son titre exact, développé en tête de ses statuts, est Arbeitskreis Vormoderne Erziehungsgeschichte (AVE) in der Sektion für Historische Bildungsforschung der Deutschen Gesellschaft für Erziehungswissenschaft (DGfE). Depuis 2006, il a été légèrement modifié pour prendre une formulation plus rigoureuse : Arbeitskreis für die Vormoderne in der Erziehungsgeschichte.

6  Cf. http://dgfe.pleurone.de/.

7  Cf. http://www.bbf.dipf.de/hk/.

8  Règlement intérieur (Geschäftsordnung) approuvé par la Section historique de la DGfE le 21 septembre 1999 à Dresde.

9  Noter aussi l’existence d’une page spéciale présentant l’AVE et ses activités sur le site Internet de la Section d’histoire de l’éducation, http://www.bbf.dipf.de/hk/ave.htm.

10  Ce principe peut connaître quelque souplesse : le prochain colloque aura lieu du 11 au 13 mars 2009, deux ans et demi après le dernier, à cause des travaux de modernisation du centre de congrès du ZIF de Bielefeld où se tiennent depuis quelques années les colloques de l’AVE.

11   Liste reprise pour partie du site de l’AVE et complétée par les comptes-rendus et les informations de la Lettre circulaire de l’Association pour l’histoire de l’éducation allemande : voir le site http://www.bbf.dipf.de/hk/rundbrief/rundbr.htm. Cette recherche nous a permis de retrouver tous les colloques organisés par l’AVE à l’exception des deux premiers. On remarquera que le titre des colloques est souvent modifié lors de la publication.

12  Rudolf W. Keck, Erhard Wiersing (dir.), Vormoderne Lebensläufe - erziehungshistorisch betrachtet, Köln/Weimar/Wien, Böhlau, 1994.

13  Gelehrte - Kleriker - Beamte. Gesellschaftlicher Wandel und individueller Aufstieg : Zur Typenentwicklung des Gebildeten in der Vormoderne. On a systématiquement laissé tomber dans la traduction la précision chronologique redondante « in der Vormoderne », d’ailleurs difficilement traduisible en français. Publié par Rudolf W. Keck, Erhard Wiersing, Klaus Wittstadt (dir.), Literaten – Kleriker – Gelehrte. Zur Geschichte der Gebildeten im vormodernen Europa, Köln/Weimar/Wien, Böhlau, 1996.

14  Der Umgang mit dem Fremden in der Vormoderne. Publication : Christoph Lüth, Der Umgang mit dem Fremden in der Vormoderne : Studien zur Akkulturation in bildungshistorischer Sicht, Köln/Weimar/Wien, Böhlau, 1997.

15  Jugend in der Vormoderne. Publication : Klaus P. Horn, Johannes Christes, Michael Parmentier (dir.), Jugend in der Vormoderne. Annäherungen an ein bildungshistorisches Thema, Köln/Weimar/Wien, Böhlau, 1998.

16  Klaus Arnold, Martin Kintzinger (dir.), Jungsein und in die Jahre kommen. Jugend von der Spätantike bis in die Frühe Neuzeit, encore à paraître chez Böhlau. Compte-rendu du colloque en 1999 dans http://www.fachportal-paedagogik.de/hbo/hbo_set.html?Id=115.

17  Humanismus und Menschenbildung. Aspekte alten und neuen Lernens von der Antikeam Beginn des 21. Jahrhunderts. Publication : Erhard Wiersing (dir.), Humanismus und Menschenbildung. Zu Geschichte, Gegenwart und Zukunft der bildenden Begegnung der Europäer mit der Kultur der Griechen und Römer, Essen, Verlag Die Blaue Eule, 2001.

18  Les actes des trois derniers colloques publiés sont présentés ci-après avec leurs références exactes en notes.

19  Bildungsgänge: Selbst und Fremdbeschreibungen im Mittelalter und in der frühen Neuzeit, colloque devant se tenir du 11 au 13 mars 2009.

20  Bildungsgänge: Selbst und Fremdbeschreibungen im Mittelalter und in der frühen Neuzeit, colloque devant se tenir du 11 au 13 mars 2009.

21  Selon l’expression bien trouvée pour l’Allemagne par Marie-Madeleine Compère dans sa synthèse L’Histoire de l’éducation en Europe. Essai comparatif sur la façon dont elle s’écrit, Paris/Berne, INRP/Peter Lang, 1995.

22  Kirchenhistoriker : c’est une discipline à part en Allemagne, dérivée des études théologiques, un peu comme l’histoire de l’éducation l’est de la pédagogie.

23  Colloque tenu au Zentrum für interdisziplinäre Forschung de l’université de Bielefeld du 28 au 30 novembre 2002 et publié par Hans-Ulrich Musolff et Anja-Silvia Göing (dir.), Anfänge und Grundlegungen moderner Pädagogik im 16. und 17. Jahrhundert, Köln/Weimar/Wien, Böhlau, 2003, 254 p.

24  Anton Schindling, Bildung und Wissenschaft in der Frühen Neuzeit 1650-1800, München, Oldenbourg, 1984, p. 78.

25  Rudolf W. Keck, « Konfessionalisierung und Bildung aus erziehungswissenschaftlicher Sicht », p. 11-30.

26  Andreas Lindner, « Das bikonfessionnelle „Schulwesen“ Erfurts im 16. und 17. Jahrhundert », p. 32-51.

27  Daniel Tröhler, « Republikanische Tugend und Erziehung bei Niccolò Macchiavelli und im Selbstverständnis des Schweizer Stadtbürgertums des 16. Jahrhunderts », p. 55-72.

28  Anja Silvia Göing, « „Physica“ im Lehrplan der Schola Tigurina in Zürich 1541-1597 », p. 73-91.

29  Simone de Angelis, « Bildungsdenken und Seelenlehre bei Philipp Melanchthon. Die Lektüre des Liber de anima (1553) im Kontext von Medizintheorie und reformatorischer Theologie », p. 95-119.

30  Lutz Koch, « Comenius und das moderne Methodendenken », p. 121-135.

31  Hans-Ulrich Musolff, « Wiederkehr der Metaphysik und moderne Bildungstheorie. Zur Interpretation der Schulphilosophie in Curricula des 17. Jahrhunderts », p. 139-188.

32  Frauke Böttcher, « Formen mathematischer und naturwissenschaftlicher Wissensvermittlung im 17. Jahrhundert in Frankreich », p. 189-212.

33  Ulrich Pfisterer, « Kunst im Curriculum des 15. und 16. Jahrhunderts oder: Eine Nürnberger Erziehungsallegorie der Reformation », p. 213-241.

34  Colloque tenu au Zentrum für interdisziplinäre Forschung de l’université de Bielefeld du 10 au 12 novembre 2004, réunissant 32 participants et publié sous la direction d’Alvin Hanschmidt et Hans-Ulrich Musolff : Elementarbildung und Berufsausbildung 1450-1750, Köln/Weimar/Wien, Böhlau, 2005, (Beiträge zur Historischen Bildungsforschung, Bd. 31), cf. http://www.fachportal-paedagogik.de/hbo/hbo_set.html?Id=473.

35  Friedrich Paulsen, Geschichte des gelehrten Unterrichts, 3e éd. Leipzig, Veit, 1919-1921, 2 vol.

36  Alwin Hanschmidt, « Elementarbildung und Berufsausbildung 1450 bis 1750 », p. 19-46.

37  Jean-Luc Le Cam, « Über die undeutlichen institutionellen Grenzen der Elementarbildung. Das Beispiel des Herzogtums Braunschweig-Wolfenbüttel im 17. Jahrhundert », p. 47-72.

38  Bettina Blessing, « Konzepte der Elementarbildung und die Lebenswelt der Lehrer deutscher Schulen. Das Regensburger Beispiel von der Reformation bis 1750 », p. 73-92.

39  Hans-Peter Bruchhäuser, « Die Berufsbildung deutscher Kaufleute bis zur Mitte des 16. Jahrhunderts », p. 95-108.

40  Kurt Wesoly, « Berufsausbildung von Handwerkslehrlingen und Elementarbildung vornehmlich am Mittelrhein bis ins 17. Jahrhundert », p. 109-124.

41  Marcel Lepper, « Wo die Meistersinger das Lesen lernten. Elementarbildung in Nürnberg um 1500 », p. 125-144.

42  Rainer Prass, « Ausbildung und Schriftkenntnisse von Thüringer Bauhandwerkern 1600-1750 », p. 145-166.

43  Hans Ulrich Musolff, « Das Soester Schulwesen und seine Ausbildungsfunktion für nicht-akademische Berufe um 1700 », p. 167-205.

44  Margret Wensky, « Elementarbildung und Berufsausbildung von weiblichen Handwerkslehrlingen in Köln », p. 209-224.

45  Juliane Jacobi, « Elementar- und Berufsbildung der Mädchen im halleschen Waisenhaus 1695-1769 », p. 225-246.

46  Andreas Rutz, « Semireligiosentum und elementare Mädchenbildung. Zur Unterrichtstätigkeit von Devotessen im frühneuzeitlichen Köln », p. 247-264.

47  Franziska Heusch, « Elementarbildung und Berufserziehung für Mädchen und Jungen bei den Berliner Hugenotten in der ersten Hälfte des 18. Jahrhunderts », p. 265-284.

48  Frank Konnersmannn, « Schriftgebrauch, Rechenfähigkeit, Buchführung und Schulbesuch von Bauern in der Pfalz und in Rheinhessen 1685-1830 », p. 287-313.

49  Jutta Nowosadtko, « Weniger „Kriegs=Pflanz=Schule“ denn „christliche Kinderlehr“. Die Schulbildung der Soldatenkinder im 18. Jahrhundert », p. 315-337.

50  La volumineuse histoire de l’éducation allemande parue chez Beck n’y consacrait en effet que quelques pages dans son premier tome : Notker Hammerstein, Handbuch der deutschen Bildungsgeschichte, t. 1 : 15. bis 17. Jahrhundert. Von der Renaissance und der Reformation bis zum Ende der Glaubenskämpfe, München, Beck, 1996. Le tome 2 (18. Jahrhundert. Vom späten 17. Jahrhundert bis zur Neuordnung Deutschlands um 1800, München, Beck, 2005) répare quelque peu cette lacune mais privilégie encore le second XVIIIe siècle.

51  Colloque tenu du 15 au 17 novembre 2006 au Zentrum für interdisziplinäre Forschung de l’université de Bielefeld avec le soutien du ZiF et de la fondation Fritz-Thyssen. Les actes ont été publiés avec le soutien de la fondation Fritz-Thyssen et de l’université de Bretagne Occidentale (Brest) sous la direction de Hans-Ulrich Musolff, Juliane Jacobi, Jean-Luc Le Cam, Säkularisierung vor der Aufklärung ? Bildung, Kirche und Religion 1500-1750, Köln/Weimar/Wien, Böhlau, 2008. Le texte qui suit est une version légèrement remaniée de l’introduction française que j’ai rédigée pour ces actes, p. 15-25. Je remercie les éditions Böhlau et mes collègues coéditeurs d’avoir permis sa réutilisation.

52  Hartmut Lehmann, « Von der Erforschung der Säkularisierung zur Erforschung von Prozessen der Dechristianisierung und der Rechristianisierung im neuzeitlichen Europa » in Hartmut Lehmann (dir.), Säkularisierung, Dechristianisierung, Rechristianisierung im neuzeitlichen Europa. Bilanz und Perspektiven der Forschung, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, p. 9-16. Du même, « Zur Bedeutung von Religion und Religiosität im Barockzeitalter », in Hartmut Lehmann (dir.), Religion und Religiosität in der Neuzeit. Historische Beiträge, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1996, p. 9-27. Du même encore, « Zur Einführung: Aspekte der Säkularisierung » in Hartmut Lehmann (dir.), Protestantisches Christentum im Prozeß der Säkularisierung, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2001, p. 7-13.

53  Hartmut Lehmann, « Auf der Suche nach der Säkularisierung vor der Aufklärung », p. 27-37.

54  Serge Tomamichel, « Das Kolleg von Annecy im 16. Jahrhundert. Eine säkulare Einrichtung im Jahrhundert der Reformation? », p. 39-55.

55  Markus Wriedt, « Säkularisierung wider Willen. Der säkularisierende Modernisierungsschub infolge der reformatorischen Schul- und Universitätsreform », p. 57-75.

56  Jean-Luc Le Cam, « Späthumanismus, „Helmstedter Konfessionalisierung” und Säkularisierung der Schule. Zur Genese der Reform von Schule und Schulaufsicht im Herzogtum Braunschweig-Wolfenbüttel nach dem 30jährigen Krieg », p. 77-101.

57  Hans-Ulrich Musolff, avec Stephanie Bermges et Suzanne Denningmann, « Säkularisierungsphasen der Oberstufen protestantischer Gymnasien in Westfalen im 17. und frühen 18. Jahrhundert », p. 103-138.

58  Chantal Grell, « Die Säkularisierung des Geschichtsunterrichts in Frankreich in der frühen Neuzeit », p. 139-155.

59  Kurt Wesoly, « Das Interesse der weltlichen Obrigkeiten, der Konfessionen und der Eltern am Elementarunterricht im Herzogtum Berg vom 16. bis ins 18. Jahrhundert », p. 157-177.

60  Sabine Holtz, « Zwischen (Re-)Christianisierung und Säkularisierung. Das württembergische Bildungswesen zwischen Reformation und Aufklärung », p. 179-195.

61  Cornelia Niekus Moore, « Die lutherische Erbauungsliteratur für Mädchen in der frühen Neuzeit », p. 197-214.

62  Andreas Wendland, « Jenseits der Societas Jesu. Beobachtungen zur „Bildungslandschaft“ der katholischen Eidgenossenschaft während des Ancien Régime », p. 215-231.

63  Axel Oberschelp, « Die “Professionalisierung” der Lehrer und das Hallesche Waisenhaus 1698-1740 », p. 233-252.

64  Juliane Jacobi, « Zwischen “nöthigen Wissenschaften” und “Gottesfurcht”: Schulische Mädchenbildung von der Reformation bis zum 18. Jahrhundert », p. 253-274.

65  Andreas Rutz, « Der Primat der Religion. Zur Entstehung und Entwicklung separater Mädchenschulen in den katholischen Territorien des Reiches im 17. Jahrhundert », p. 275-288.

66  Thomas Max Safley, « Die Frage einer Säkularisierung der Kindererziehung in den städtischen und konfessionellen Waisenhäusern Augsburgs 1572-1780 », p. 289-308.

67  Stefan Brüdermann, « Religiöser Elementarunterricht im Kleinstaat. Das Beispiel Schaumburg-Lippe », p. 309-324.

68  Silke Brockerhoff, « Erziehung “zur Wahren Gottseligkeit und Christlichen Klugheit” - Die Qualifizierungsfunktion der Lateinischen Schule des Halleschen Waisenhauses 1697-1729, p. 325-342.

69  Heinz Schilling, « La “confessionnalisation”, un paradigme comparatif et interdisciplinaire. Historiographie et perspectives de recherche », Études Germaniques, n° 57, 2002, p. 401-420.

70  Ce n’est pas le phénomène en soi qui est original, mais sa répétition dans un cadre stable. Noter que la Société allemande d’histoire de l’éducation organise même depuis 1997, mais cette fois-ci pour toutes les périodes confondues et donc avec une prédominance de l’histoire contemporaine, un colloque bisannuel sans thème précis réservé aux « jeunes pousses », appelé Forum junger Bildungshistoriker ou plus familièrement Nachwuchstagung (cf. http://www.bbf.dipf.de/hk/aktiv.htm).

71  Voir la liste sur http://www.fachportal-paedagogik.de/hbo/projekte.html.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Luc Le Cam, « L’histoire de l’éducation en Allemagne avant les Lumières »Histoire de l’éducation, 121 | 2009, 5-41.

Référence électronique

Jean-Luc Le Cam, « L’histoire de l’éducation en Allemagne avant les Lumières »Histoire de l’éducation [En ligne], 121 | 2009, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1824 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1824

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Auteur

Jean-Luc Le Cam

Université européenne de Bretagne, Université de Brest, CNRS FRE 3055 CRBC

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