YVOREL (Élise), Les Enfants de l’ombre. La vie quotidienne des jeunes détenus au XXe siècle en France métropolitaine
YVOREL (Élise), Les Enfants de l’ombre. La vie quotidienne des jeunes détenus au XXe siècle en France métropolitaine. Préface de Michelle Perrot, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2007. 356 p. (coll. « Histoire »)
Texte intégral
1À partir de sa thèse consacrée aux « enfants de l’ombre », longtemps relégués dans les silences de l’histoire, Élise Yvorel livre une enquête pionnière très utile pour un champ de recherche en pleine structuration et en prise avec les débats actuels et les solutions les plus répressives – souvent les moins rationnelles – apportées à la délinquance juvénile. Sa démarche se veut « anthropologique », axée sur la vie quotidienne des jeunes détenus. Vu l’étendue chronologique et géographique du sujet, elle a choisi de définir cette catégorie de façon restrictive. On ne s’intéresse pas ici aux maisons de correction, sur lesquelles Henri Gaillac avait tenté une première synthèse il y a déjà plus de trente-cinq ans, mais à la prison ordinaire ou plus ou moins spécifique aux mineurs, tout en essayant de la relier aux autres modes d’intervention. Les sources mobilisées sont essentiellement des sources imprimées ou des sources manuscrites tirées des archives (nationales et départementales). Peu d’histoire orale, malheureusement, en raison, semble-t-il, des difficultés à contacter d’anciens incarcérés. Si la presse retient l’attention de l’auteur, qui en use généralement à titre informatif pour les années récentes, le cinéma et surtout la littérature (à peine est-il question d’Albertine Sarrazin) pourraient être mieux représentés.
2Le plan thématique apparaît assez judicieux, même s’il s’élabore au détriment d’une périodisation claire, ne laissant ressortir que les scansions principales : la Libération, avec la réforme Amor et les ordonnances de 1945 relatives à l’enfance délinquante et à la création d’une direction de l’Éducation surveillée distincte de l’administration pénitentiaire et, comme souvent pour l’histoire sociale du XXe siècle, les années 1960 et 1970. É. Yvorel commence par traiter de l’espace carcéral, montrant qu’il recouvre fréquemment un espace de non-droit où ni la lettre ni l’esprit des textes ne sont appliqués. La séparation des mineurs et des majeurs, des prévenus et des condamnés, qui renvoie à l’angoisse de la contamination, est bien étudiée. Sous le vocabulaire préconisé par les autorités se dévoile la réalité matérielle. Les luttes de définition autour de la prison, qui révèlent les difficultés à légitimer sans mauvaise conscience l’enfermement des adolescents, se répercutent en de multiples batailles de mots. Dans ce monde orwellien, la cellule devenue « chambrette » ne change guère et, s’il est abusif de parler d’immobilisme, les évolutions sont lentes. Les explications de type économique trouvent là leurs limites et il faudrait s’interroger sur les représentations d’une jeunesse tour à tour dangereuse ou en danger, aisément instrumentalisée à des fins politiques.
3L’occupation du temps carcéral fait l’objet d’un constat analogue. L’enseignement, même devenu obligatoire, reste longtemps impraticable, et les loisirs un luxe en dehors de la promenade et de la lecture. L’arrivée de la télévision à partir des années 1970, en dépit de ses effets pervers, marque certainement une étape importante dans l’amélioration des conditions de détention, aidant à rompre l’ennui, permettant l’accès à l’information et un semblant de lien avec l’extérieur. La formation professionnelle est à ce point insuffisante ou inadaptée qu’on peut se demander si la réinsertion est réellement souhaitée. É. Yvorel s’étonne ainsi de l’abandon de l’expérience des prisons-écoles, qu’elle juge relativement réussie de ce point de vue. Comme l’armée ou les institutions totales modélisées par Erving Goffman, la prison infantilise et désindividualise des jeunes dont elle devrait accompagner la construction. Elle semble surtout favoriser la poursuite d’une carrière délinquante. Les chiffres manquent cependant à la démonstration, qui affectionne la manière impressionniste. De plus, si l’importance de la personnalité du chef d’établissement est soulignée, une plus grande attention aurait pu être portée aux ruses et stratégies des différents acteurs (détenus, surveillants, etc.).
4L’auteur achève son étude par une réflexion originale sur le corps, cible de violences et d’« injonctions paradoxales ». Hygiène et propreté sont exigées sans mise à disposition de moyens suffisants. Alors que le « monde libre » gagne en confort, le style de vie du prisonnier paraît de plus en plus archaïque et générateur d’humiliations quotidiennes en raison du développement de formes nouvelles de pudeur. Les problèmes de sexualité demeurent trop succinctement évoqués, alors qu’il s’agit probablement d’une donnée fondamentale en cette période de puberté. Le rôle des sciences est abordé principalement par le biais de la médecine, au travers de l’épidémiologie et de l’usage des somnifères et autres tranquillisants prescrits pour soulager les maux psychiques et peut-être surtout assurer le calme dans l’établissement. Mais qu’en est-il des sciences sociales, des sciences de l’observation et de leurs alliances avec le pouvoir carcéral moderne ?
5Cet ouvrage contribue à combler un vide dans l’historiographie, dans « la nuit qui recouvre l’histoire carcérale », selon l’expression employée par Michelle Perrot dans sa préface. Il défriche un domaine et ouvre par là même de nouvelles pistes de recherche, dont on trouvera des exemples dans le numéro de 2005 de la Revue d’histoire de l’enfance «irrégulière» sur l’enfermement (coordonné par Élise et Jean-Jacques Yvorel et consultable en texte intégral sur revues.org). Si les outils de l’histoire des genres sont employés intelligemment au long de l’analyse, ceux de l’histoire sociale et de la sociologie des classes populaires, principales clientes des tribunaux, pourraient être aussi utiles pour comprendre le dispositif général dans lequel la prison s’insère et comment celle-ci se perpétue malgré les critiques incessantes portées à son encontre depuis sa création. L’« humanisation » des prisons pour mineurs apparaît bien dérisoire et dépassée au regard des approches actuelles, plutôt bienveillantes et compréhensives, de l’adolescence. Les Enfants de l’ombre témoignent de ce paradoxe.
Pour citer cet article
Référence papier
Guillaume Périssol, « YVOREL (Élise), Les Enfants de l’ombre. La vie quotidienne des jeunes détenus au XXe siècle en France métropolitaine », Histoire de l’éducation, 121 | 2009, 114-116.
Référence électronique
Guillaume Périssol, « YVOREL (Élise), Les Enfants de l’ombre. La vie quotidienne des jeunes détenus au XXe siècle en France métropolitaine », Histoire de l’éducation [En ligne], 121 | 2009, mis en ligne le 20 mai 2009, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1787 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1787
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