MEYER (Jean). – L’éducation des princes en Europe du XVe au XIXe siècle
MEYER (Jean). – L’éducation des princes en Europe du XVe au XIXe siècle. – Paris : Perrin, 2004. – 278 p.
Texte intégral
1C’est une histoire très concrète de l’éducation des princes que présente ici Jean Meyer. Les exemples d’éducations princières y comptent plus que les idéaux et analyses développés dans les « miroirs du prince » et les traités, dans les romans éducatifs et les textes hagiographiques. Cependant, pour donner cohérence à son étude, l’auteur, dans le premier chapitre, va à la recherche du fil d’Ariane de cette éducation, en pratique bien disparate, à la recherche de ses principales clefs, entre principes et réalités, entre continuités et ruptures. L’éducation princière est marquée par la guerre et la paix, les grands mouvements intellectuels, l’évolution des royautés européennes et de leurs appareils administratifs, la question de l’hérédité et les ambiances familiales parfois exécrables. J. Meyer structure ensuite son propos autour de nombreux cas marquants d’éducation princière, qu’il regroupe par périodes qui constituent autant de chapitres : Moyen Âge, Renaissance, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Il procède également par espaces culturels et géographiques : l’Europe du nord, de l’ouest (dont la France) et du centre (l’aire germanique surtout) offrent le plus grand nombre d’exemples à son étude.
2Il commence son parcours chronologique par deux textes fondamentaux, le poème Tristan de Godefroy de Strasbourg (fin XIIe-début XIIIe siècle) et les Enseignements de Saint Louis (vers 1250) pour ses enfants Philippe (le futur Philippe III le Hardi) et Isabelle, et met ainsi en relief les deux traditions de l’éducation occidentale, issues de l’Antiquité et revisitées par le christianisme : l’une plus laïque, volontiers encyclopédique, fondée sur les choses et les pratiques de société, donnant large place à la préparation militaire et aux arts de cour, où l’éducation fait du prince un futur roi à cheval ; l’autre, plus religieuse et ancrée dans les textes, dans la lecture du Nouveau et de l’Ancien Testament, la confiance en Dieu étant le principe de base de la conduite du roi idéal. L’équilibre entre ces deux modèles est toujours à construire. L’éducation princière prend aussi en compte les transformations du siècle, car toute éducation princière est liée au climat intellectuel du moment, quelle que soit la période : aux XIVe et XVe siècles, par exemple, elle se ressent de la généralisation de la lecture/écriture dans les milieux de cour et de l’accroissement du nombre de livres. L’humanisme de la Renaissance a donc trouvé un terrain bien préparé pour son développement.
3Les princes de la Renaissance en ont-ils profité ? Les trois grands princes qui marquent la première moitié du XVIe siècle (Henri VIII, monté sur le trône en 1509, François Ier, en 1515, et Charles Quint, en 1515-1519) ont été éduqués par des humanistes. Ils bénéficient du développement de l’imprimerie, d’un accès facile aux grands textes de l’Antiquité, de l’abondante littérature des « institutions », « miroirs des princes », adages et proverbes qui s’appuient sur un fonds ancien issu de l’Antiquité. Les modèles sont l’Institution du prince chrétien d’Érasme et l’Institution princière de Guillaume Budé. La formation curiale des princes de la Renaissance est également exceptionnelle, en particulier celle que reçurent Charles et Ferdinand à la cour de Malines régentée par Marguerite d’Autriche. Plus que tout, ils bénéficient du sentiment des hommes de ce temps qu’un âge nouveau se construit, avec une formidable avancée des techniques et des connaissances, de l’esprit en général. La « prise en main humaniste », selon Jean Meyer, est faite d’une densification du temps des jeunes princes, pour une éducation volontiers encyclopédique où se mêlent les strates médiévales de l’idéal chevaleresque et celles de l’humanisme, la pratique de plusieurs langues, la formation chrétienne et littéraire, les arts de représentation de type curial.
4L’intérêt de l’étude de Jean Meyer est de replacer l’institution des princes dans leur vrai contexte, auquel ils n’ont pu échapper : celui d’une Europe divisée par l’avancée des Turcs à l’est du continent, déchirée par les luttes et guerres civiles entre protestants et catholiques. Les jeunes princes sont environnés par la violence. Il n’est pas sûr que l’éducation humaniste ait été à la hauteur des événements du siècle et des adaptations qu’ils demandaient.
5Le XVIIe siècle impose à la fois la sacralisation des princes, représentants de Dieu sur terre, et la spécialisation que commande le métier de roi dans le cadre d’une monarchie dite absolue. L’éducation « classique » est liée à cette montée de l’absolutisme, avec de forts décalages selon les espaces européens. Il faut compter également avec les réalités humaines, qui concernent aussi les familles régnantes. La mort est l’un des acteurs principaux de cette histoire éducative, réduisant à néant les efforts de grands précepteurs comme Bossuet et Fénelon, mettant aussi en scène, beaucoup trop tôt, des petits princes orphelins vite mis à contribution, marqués à vie par cette enfance déstabilisante.
6L’auteur s’attache d’abord à faire le point dans les différentes zones géographiques européennes, pour montrer que, finalement, chaque État agit en fonction des circonstances : les situations sont très disparates entre les pays du nord, du centre et de l’ouest du continent. Les miroirs des princes, dont c’est l’apogée – et que l’auteur ne montre guère – sont moins importants que l’état de guerre civile que connaît l’Europe, et qui pousse à la remilitarisation de l’éducation princière, et que la mort, acteur essentiel de toute éducation humaine. Quelques grands traits sont dégagés : le recul du latin, sauf dans l’espace germanique où il se maintient plus longtemps, le multilinguisme des éducations princières, le socle latin-français en Europe du centre, l’importance nouvelle des cursus universitaires des princes allemands, leur fréquentation des universités s’étant généralisée après la Guerre de Trente Ans.
7L’éducation des princes au XVIIIe siècle et son interaction avec les Lumières sont abordées par une succession de cas particuliers, en Prusse, en Suède, en Russie, dans les familles bourboniennes (l’éducation de Louis XVI est traitée à partir des Entretiens de La Vauguyon). Le chapitre sur le XIXe siècle est consacré à « l’Europe germanique des Cobourg » (pp. 205-240). La présentation de Jean Meyer est enrichie par sa profonde connaissance de l’histoire européenne, en particulier de l’aire culturelle germanique. À tout moment, l’éducation des princes est placée dans son contexte, celui des grands événements politiques, des évolutions économiques, de l’évolution des monarchies. Avec un inconvénient, nous semble-t-il, l’auteur cherchant à découvrir les ressorts cachés de ces dernières plutôt qu’à comprendre l’éducation des monarques et princes européens. Finalement, son étude entre peu dans l’intimité des éducations princières : vie des petits princes jusqu’à sept ans, si importante pour la personnalité des futurs chefs d’État ; existence quotidienne des enfants, entre parents, gouverneur, précepteurs ; évolution du préceptorat et étude des aréopages de maîtres remarquables, comme celui mis en place par Louis XV autour du petit duc de Bourgogne, son petit-fils, décédé à la suite d’une longue maladie ; nature et importance de la relation entre le mouvement scientifique à l’époque des Lumières, pour une éducation des Enfants de France qui se veut exemplaire. Le livre ne propose guère de réflexion sur les précepteurs et les maîtres qui ont entouré les enfants, et n’évoque pas dans le détail les contenus des enseignements. Il offre par contre un remarquable ensemble d’éducations princières qui éclaire de manière forte l’histoire des monarchies européennes de la Renaissance au XIXe siècle.
Pour citer cet article
Référence papier
Marcel Grandière, « MEYER (Jean). – L’éducation des princes en Europe du XVe au XIXe siècle », Histoire de l’éducation, 113 | 2007, 165-168.
Référence électronique
Marcel Grandière, « MEYER (Jean). – L’éducation des princes en Europe du XVe au XIXe siècle », Histoire de l’éducation [En ligne], 113 | 2007, mis en ligne le 03 avril 2009, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1386 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1386
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