Quelle histoire pour le certificat d’études ?
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certificat d'études primaires, examen, démocratisation, enseignement primaire, niveau des élèves, travaux d'élèveGéographie :
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- 1 À propos des livres de : Claude Carpentier : Histoire du certificat d’études primaires. Textes offi (...)
- 2 L’expression est utilisée en titre pour un ouvrage récent qui consiste essentiellement en un floril (...)
- 3 Claude Carpentier : Échec et réussite à l’école élémentaire dans le département de la Somme entre 1 (...)
1Le certificat d’études primaires (CEP), définitivement enterré depuis une décennie, occupe une place de choix dans la mémoire et la mythologie collectives des Français1. Certains, nostalgiques d’un âge d’or supposé de l’École, en font l’emblème des savoirs utiles et des méthodes efficaces. D’autres y voient plutôt le couronnement d’une conception bornée de l’instruction, dominée par la tyrannique orthographe, la « science des ânes ». Mais cette institution que les Français reconnaissent encore sous l’appellation familière de certif2 est un inconnu célèbre et, jusqu’à ce que deux thèses de doctorat abordent le sujet dans les années 19903, un terrain bien peu fréquenté par les historiens de l’éducation. Le sujet est beau, pourtant, bien que porteur de lourds enjeux idéologiques qui ne facilitent pas le travail historique. L’intérêt nouveau dont il bénéficie semble participer de l’émergence d’une histoire des examens, concours et diplômes.
- 4 J.-B. Piobetta : Le Baccalauréat, Paris, Baillère, 1937.
- 5 André Chervel : Histoire de l’agrégation. Contribution à l’histoire de la culture scolaire, Paris, (...)
2En cette matière, la thèse de Piobetta sur le baccalauréat4 a longtemps fait figure de cas isolé dans l’historiographie de l’éducation. La dernière décennie y a ajouté – hormis l’Histoire du certificat d’études primaires de Claude Carpentier dont il est question ici – l’Histoire de l’agrégation d’André Chervel et l’Histoire des diplômes de l’enseignement technique et professionnel de Guy Brucy5. Ces deux ouvrages s’inscrivent certes dans des perspectives très différentes, celle de la culture scolaire à travers la formation et le recrutement des enseignants pour le premier, celle de la certification des compétences techniques ou professionnelles, qui met en relation la formation scolarisée de la main d’œuvre et le monde du travail, pour le second. Mais ils ont en commun, entre eux et avec les travaux sur le certificat d’études, d’offrir une perspective cavalière sur l’institution scolaire, depuis une de ses articulations, et de poser de ce fait une série de questions de fond sur l’École.
3L’évocation du certificat d’études fait spontanément surgir la question lancinante du niveau des élèves et de son déclin supposé. Qu’on veuille alerter ses contemporains d’une catastrophe scolaire supposée ou, au contraire, démentir par les faits les allégations outrancières des passéistes, il est tentant, et assez légitime, de comparer l’élite de l’enseignement élémentaire d’autrefois aux collégiens d’aujourd’hui. Il serait toutefois très réducteur de ne voir dans cet examen qu’un instrument de mesure du niveau des élèves, et par extension du rendement de l’école, même si les administrateurs de l’enseignement primaire, sous la Troisième République, ont pu être eux-mêmes très attentifs à cet aspect des choses. Ce serait négliger l’histoire complexe d’une institution destinée à l’origine à améliorer la fréquentation scolaire, que les membres de l’administration centrale, les administrateurs et les notables locaux, les enseignants, les familles et les élèves se sont appropriée de façons diverses, en fonction de préoccupations et de stratégies pour le moins divergentes.
- 6 C’est aussi le cadre des thèses de René Lemoine : La Loi Guizot. Son application dans le départemen (...)
- 7 On peut notamment déplorer les sauts de ligne qui transforment la lecture de certains tableaux en c (...)
- 8 Jean Kieffer est par ailleurs l’auteur d’une thèse sur l’enseignement primaire en Moselle, dont il (...)
4Dans la production récente rassemblée pour cette analyse, on trouve matière à réflexion sur les diverses dimensions du certificat d’études autant que des éléments de réponse aux questions que pose le débat sur l’efficacité de l’école. Ces ouvrages reposent tous les quatre sur des monographies départementales. Il en va du certificat d’études comme de l’enseignement primaire en général au XIXe siècle et au moins jusqu’à la fin de la Troisième République : son organisation relève essentiellement des échelons départemental et local, ce qui fait du département un cadre d’étude particulièrement pertinent. Deux de ces monographies – il s’agit des deux ouvrages tirés d’une thèse – concernent le département de la Somme, qui est décidément une terre d’élection pour l’étude de l’enseignement primaire6. Le travail de Claude Carpentier, dont l’intérêt et la portée font regretter qu’il n’ait pas bénéficié d’une édition plus soignée7, confronte les statistiques départementales du certificat d’études aux textes officiels et aux discours tenus par les autorités scolaires nationales et locales. Celui de Brigitte Dancel exploite une partie du gisement de copies du certificat que recèle le département à l’appui d’une solide étude des conditions, des méthodes et des résultats de l’enseignement de l’histoire à l’école élémentaire. Les deux autres ouvrages, réalisés par des fonctionnaires de l’éducation nationale, sont de dimension plus modeste et relèvent plutôt de l’histoire locale. Si celui de Jean Kieffer est avant tout une édition de sujets d’examens accompagnée d’une rapide présentation des particularités du certificat d’études en Moselle sous le statut local hérité de la période allemande8, celui de Paul Beaujard, consacré à la Loire et à une période malheureusement un peu courte (1876-1886), se signale par un effort de documentation et de traitement de l’information, une largeur de vue et un sens historique qu’on ne rencontre pas toujours dans ce genre de publications.
5Les questions couvertes par cet ensemble d’ouvrages ressortent essentiellement de trois plans que nous examinerons successivement : d’abord, la place du certificat dans l’organisation des études, les objectifs qui lui sont assignés par les différentes parties concernées et les aménagements qui en résultent ; ensuite, la sociologie du certificat d’études, celle de la réussite ou de l’échec à l’examen, du prix qui y est attaché et de sa capacité de promotion sociale ; enfin, la façon dont on peut lire aujourd’hui les épreuves du certificat, et en tirer des éléments d’évaluation, tant du rendement et du fonctionnement de l’école d’hier que des effets pédagogiques de l’examen lui-même. Ces éclairages divers permettront d’avancer, pour conclure cette revue d’ouvrages et l’ouvrir sur les nombreuses pistes d’études qu’elle suggère, quelques éléments d’évaluation du rôle qu’a joué le certificat d’études dans l’histoire scolaire à l’époque de sa splendeur, laquelle se confond presque parfaitement avec celle de la Troisième République.
1. Objectifs et évolution du certificat d’études
- 9 Duruy est coutumier de cette démarche pragmatique. Il a encouragé l’enseignement secondaire spécial (...)
6Le certificat d’études a été créé, à une époque où le principe de l’obligation scolaire n’était pas encore inscrit dans la loi, en vue d’améliorer la fréquentation scolaire et le zèle des élèves et des maîtres. C’est la circulaire du 20 août 1866, par laquelle Victor Duruy recommande aux recteurs d’encourager l’introduction d’un certificat d’études primaires dans leur académie, qui donne une impulsion décisive à une institution qui fait déjà ses preuves dans certains départements9. Un certificat d’études avait déjà été prévu, sans grand effet, par le statut des écoles primaires communales du 25 avril 1834, mais il devait se borner à constater le niveau, bon ou mauvais, de l’élève ayant terminé ses études. Rien à voir avec celui de 1866, qui n’est délivré qu’aux élèves ayant montré un niveau satisfaisant, et constitue donc un véritable diplôme. Ce certificat est conçu comme une récompense destinée à stimuler les élèves, en créant une émulation entre eux, et à « vaincre l’indifférence des parents » à l’égard de l’école. Duruy espérait d’ailleurs que le certificat d’études deviendrait « un titre de préférence » pour l’accès à certaines professions de l’agriculture, de l’industrie ou du commerce.
- 10 Ferdinand Buisson (dir.) : Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, 1ère partie, 1882, (...)
7Paul Beaujard, qui a le mérite de s’être intéressé à l’organisation du CEP aux temps héroïques qui suivent la circulaire de 1866, a pu établir qu’un millier de certificats, imprimés d’après le modèle fourni par Duruy, sont délivrés dans la Loire sous le régime de « l’examen de famille »10 – les instituteurs jugeant leurs propres élèves en présence du maire et du curé – entre 1867 et 1876, date à laquelle le département réglemente l’examen. Un règlement départemental, donc, mais dont l’adoption semble résulter d’une pression de l’administration, exprimée notamment par les inspecteurs généraux en tournée et les inspecteurs académiques, en faveur d’un diplôme plus homogène et plus crédible.
- 11 Circulaires du 13 août 1864 ; du 11 juillet 1865, qui associe la question des cours d’adultes à cel (...)
- 12 Cité par P. Beaujard, op. cit., p. 21. L’article de l’inspecteur général Eugène Brouard sur les con (...)
8Dans la Loire comme dans d’autres départements, le certificat d’études doit cohabiter avec l’institution rivale des concours scolaires, voire s’imposer contre elle. Duruy a encouragé, à partir de 1864, l’organisation de ces concours dotés de prix – ouvrages, livrets de caisse d’épargne, voire bourses d’études pour les lauréats départementaux – et destinés à distinguer les meilleurs élèves du cours supérieur, mais aussi les jeunes gens de 15 ans et de 18 ans ayant le mieux gardé et développé les connaissances acquises à l’école11. Au début de la Troisième République, les concours scolaires apparaissent à la hiérarchie du primaire comme l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire : distinguer une élite, d’ailleurs surmenée par une préparation intensive, au détriment de la masse des élèves et pour le prestige de l’école et du maître. À ce contre-exemple, l’inspecteur général en tournée dans la Loire en 1877 oppose le certificat d’études nouvellement réglementé, dont l’objet est « d’apprécier la valeur de l’enseignement donné dans les écoles »12.
9Pourtant, le CEP reste déchiré pendant des décennies entre ces deux projets contradictoires : constater que les élèves – autant d’élèves que possible – ont profité d’une scolarité normale et acquis les compétences ordinaires requises ; ou bien sélectionner les meilleurs, ceux qui pourront éventuellement poursuivre plus loin leurs études, et donc faire du certificat une distinction relativement rare pour en préserver le prix. Bien que la hiérarchie de l’enseignement primaire marque régulièrement sa préférence pour un certificat d’études largement distribué, elle n’arrive pas à surmonter le faisceau de facteurs qui le tirent au contraire vers une forme d’élitisme, et qui tiennent – on y reviendra point par point – à la configuration de l’institution scolaire, à des données d’ordre sociologique, à l’intérêt individuel des instituteurs et à leur intérêt collectif à promouvoir les compétences qui définissent leur qualification professionnelle. Non seulement le certificat d’études n’est décerné, dans la plupart des départements, qu’à une minorité, mais on n’y présente qu’une partie des élèves.
- 13 Loc. cit., p. 348.
- 14 Ibid.
- 15 Cf. les brochures de l’École professionnelle de l’Est de 1889, 1890, 1931. Th. Petit, directeur de (...)
10Certains départements, signale le Dictionnaire de Buisson qui mentionne l’exemple des Ardennes, lèvent en tout cas la contradiction en créant un diplôme à deux degrés qu’on peut passer successivement en deux années13. C’est le cas de la Somme : Claude Carpentier (p. 37), cite un rapport d’inspection de 1880 qui évoque le certificat de premier ordre organisé dans ce département, et il y voit une préfiguration « du certificat d’études primaires supérieures mis en place en 1882 ». Il est plus vraisemblable que, dans la Somme comme ailleurs, ce certificat de premier ordre « constate un niveau d’instruction intermédiaire entre l’enseignement élémentaire et l’enseignement primaire supérieur »14. En Meurthe-et-Moselle, département avancé en matière d’instruction primaire et bien placé quant au taux d’admission au certificat d’études ordinaire, le certificat de premier ordre remplit le rôle d’une sorte d’examen d’entrée dans le primaire supérieur, préparé par les élèves de deuxième année du cours supérieur des écoles élémentaires, déjà titulaires du certificat ordinaire, et par ceux de l’année préparatoire de l’École professionnelle de l’Est, établissement nancéien à la fois primaire supérieur et technique. Il faut d’ailleurs préciser, pour souligner le caractère peu centralisé du certificat d’études, que, dans ce département, cette organisation locale survit à la réglementation nationale jusque dans l’entre-deux-guerres15, alors même que le certificat à deux degrés est envisagé par l’administration, et adopté de façon éphémère, comme une réponse aux difficultés de coordination des différentes parties de l’institution scolaire entre elles, et en particulier aux obstacles s’opposant à la circulation des élèves entre le primaire et le secondaire.
11C’est sous le signe de la démocratisation de l’enseignement, justement, et précisément du projet de l’École unique qui s’impose dans les débats et inspire une série de réalisations dans l’entre-deux-guerres, que Claude Carpentier place son analyse des variations dans l’organisation du certificat d’études, du point de vue de l’âge d’admission à concourir et de la configuration des épreuves. L’idée de l’École unique, popularisée en 1918 par les Compagnons de l’Université nouvelle et adoptée par les radicaux dans leur programme de gouvernement, consiste à rassembler sur les mêmes bancs, pour la première partie de leur scolarité, les jeunes Français alors partagés entre l’enseignement primaire, ouvert à tous, et l’enseignement secondaire, réservé à une élite sociale et doté de ses propres classes élémentaires, afin d’assurer l’égalité des chances et de recruter une nouvelle élite sur la base du mérite et non de la naissance.
- 16 C’est dans cet esprit que le recteur de Lyon impose l’âge minimum de 13 ans, qui ne correspond pas (...)
12C. Carpentier s’attache à la question cruciale – que la réglementation du certificat d’études n’est jamais parvenue à régler de façon satisfaisante – de l’âge minimal auquel les candidats peuvent se présenter. La difficulté vient de ce que l’examen devrait, pour remplir son objectif initial qui est de retenir les élèves à l’école, se passer à l’âge de la fin d’obligation scolaire, fixé par la loi du 28 mars 1882 à 13 ans16. Mais c’est un âge bien tardif pour les meilleurs élèves. Trop l’abaisser ou ne pas mentionner d’âge minimal, c’est prendre le risque de voir ces élèves quitter l’école dès 11 ans, voire plus tôt. Fixer trop haut l’âge de candidature, c’est décourager l’élite des élèves du primaire de se présenter à l’examen, et donc porter atteinte à sa crédibilité. L’âge requis pour passer le certificat est fixé en 1880 à 12 ans au 1er octobre de l’année de l’examen, la loi de 1882 le ramène à 11 ans au jour de l’examen, et on en revient à 12 ans en 1910. Pour trancher le dilemme, un arrêté de février 1923 procède comme les départements évoqués plus haut et scinde l’examen en deux parties, auxquelles on peut se présenter respectivement à 11 et 12 ans, mais cette mesure est rapportée dès l’année suivante.
- 17 La circulaire du 27 septembre 1880 se contente d’indiquer qu’il ne doit pas « dépasser le niveau de (...)
13On observera que l’hésitation sur l’âge de l’examen laisse dans un certain flou, que respectent la plupart de nos auteurs, une question pourtant bien concrète : au niveau de quelle classe correspond donc le certificat d’études17 ? Puisqu’un enfant entré à 7 ans en cours élémentaire termine normalement le cours moyen à 11 ans, le certificat d’études devrait porter sur le programme du cours moyen entre 1882 et 1910 et sur celui du cours supérieur, première année, après 1910. Le caractère foncièrement concentrique des programmes de l’enseignement primaire rend la question un peu artificielle mais, en tout cas, le certificat d’études, sous la Troisième République, n’impose à aucun moment d’aller au bout de la scolarité élémentaire. La deuxième année du cours supérieur sert à préparer les élèves à l’enseignement primaire supérieur, jusqu’à ce que la politique de rapprochement des ordres primaire et secondaire conduise, en 1938, à aligner les âges d’admission et les programmes du premier cycle secondaire et du primaire supérieur et à transformer en conséquence le cours supérieur en cycle de fin d’études. À ce moment-là, qui correspond à l’établissement de flux significatifs entre les écoles primaires et les lycées et collèges, la question de l’âge des candidats au certificat d’études pose le problème plus délicat du contrôle de ces flux. L’instauration d’un examen d’entrée en 6e en a confié la régulation à l’enseignement secondaire ; un certificat d’études passé à 11 ans, envisagé par Jean Zay, aurait pu y substituer le contrôle de l’enseignement primaire.
14La période de l’Occupation voit dans ce contexte ressurgir la solution de l’examen en deux parties, qui va au bout du compte conduire à réserver le certificat d’études aux élèves ne se destinant pas à des études prolongées. Un diplôme d’études primaires préparatoires (DEPP) est établi en 1941, à défaut du concours des bourses qui remplit ce rôle depuis longtemps, pour les élèves souhaitant entrer en 6e (dans un lycée, un collège classique, un collège moderne ou un collège technique) ou suivre un cours complémentaire. De son côté, le certificat d’études est réservé aux élèves arrivés à la fin de l’obligation scolaire, qui sont donc au moins dans l’année de leurs 14 ans. Le DEPP abandonné, après la Libération, le certificat d’études reste le diplôme des classes de fin d’études. Même si la nécessité d’un contrôle exigeant des connaissances est réaffirmée, le CEP n’est plus le diplôme de l’élite primaire, mais celui des élèves qui se contentent d’études courtes au moment où commence l’explosion démographique du second degré. Il faut cependant, remarque C. Carpentier, que des circulaires rappellent à l’ordre les instituteurs tentés de garder leurs meilleurs élèves pour le certificat. Il va sans dire que l’agonie du certificat d’études est engagée dès lors que les réformes entamées au début de la Cinquième République réduisent le primaire à n’être bientôt plus que la première étape d’une scolarité obligatoire qui conduit tous les élèves dans les établissements du second degré. Transformé en épreuve pour adultes en 1971, il est aboli en 1989.
- 18 L’auteur reprend en l’occurrence l’ouvrage bien connu de Viviane Isambert-Jamati : Crises de la soc (...)
- 19 Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie : Les Collèges du peuple, Paris, INRP, CNRS et ENS de Fon (...)
15En examinant la question de l’âge de candidature, C. Carpentier éclaire une partie importante des enjeux attachés au certificat d’études. On peut se demander toutefois s’il ne place pas sa démonstration trop exclusivement sous le signe des rapports entre le primaire et le secondaire, lesquels sont inscrits par ailleurs dans une vision de la ségrégation scolaire18, un peu schématique, que l’historiographie récente tend à nuancer : il est sans doute exagéré de considérer que la période 1880-1902 est marquée par une fermeture étanche des lycées et collèges aux élèves des écoles primaires élémentaires, alors qu’en 1880 précisément le latin, obstacle majeur à leur entrée dans une sixième classique, est supprimé du programme des classes élémentaires des établissements secondaires, et qu’inversement, à la même époque, le programme de l’enseignement primaire s’enrichit de matières nouvelles, ce qui au total rapproche les contenus d’enseignement et facilite grandement le recrutement, certes encore rare et marginal, d’élèves des écoles primaires dans les lycées et collèges. J.-P Briand et J.-M. Chapoulie signalent d’ailleurs que ce phénomène commence à être encouragé par les autorités scolaires vers 189019. Inversement, si la réforme de 1902, comme le rappelle l’auteur, entend ouvrir les collèges et lycées aux élèves issus du primaire, il faut replacer le phénomène dans son contexte, qui comprend la prise de conscience, à l’occasion d’une grande enquête parlementaire, de la concurrence que font les écoles primaires supérieures aux lycées et collèges, et la promotion de l’ancien enseignement spécial, devenu enseignement moderne, au rang – plus symbolique qu’effectif – d’enseignement secondaire à part entière. Il est donc question de faire venir dans les classes modernes des lycées et collèges les bons élèves que reçoit l’enseignement primaire supérieur plus que de démocratiser l’accès aux études classiques. Au total, il semble que la question du passage d’élèves des écoles primaires élémentaires dans l’enseignement secondaire soit ouverte dès l’époque des grandes lois républicaines, mais qu’elle reste marginale au moins jusqu’à ce que la gratuité progressive des lycées ne paraisse – mais la réalité ne le confirme pas vraiment – menacer les lycées et collèges d’une invasion d’élèves venus du primaire.
16Plus généralement, on peut reprocher à l’auteur de sembler faire bon marché dans son analyse – du moins telle qu’il la présente dans la première partie de l’ouvrage – de l’importance de l’enseignement primaire supérieur, et de l’enseignement technique un peu plus tardivement, dans la promotion de l’élite scolaire du primaire élémentaire. De même, on peut regretter que soit un peu éclipsé le rôle joué par les concours des bourses dans le recrutement, par les lycées, collèges, écoles primaires supérieures et écoles pratiques, d’élèves de l’enseignement primaire élémentaire. Les concours des bourses sont d’ailleurs réunis en 1925 – c’est un des premiers pas vers l’École unique – et il faut noter que la plupart des lauréats optent à cette époque pour la filière primaire supérieure. À la fin des années 1930, les enseignements primaire supérieur et technique restent bien les voies essentielles de la promotion sociale par l’école pour les enfants du peuple. Mais c’est précisément un des grands mérites de l’ouvrage de C. Carpentier que de contribuer à dissiper le flou de cette notion de peuple et à dégager l’évolution fine des comportements à l’égard de l’offre scolaire qu’elle recouvre. On peut donc passer sur une présentation parfois un peu sommaire ou prospective des réalités scolaires de la Troisième République pour aller à l’essentiel de l’analyse.
2. Les facteurs de la réussite et de l’échec : une sociologie historique du certificat d’études
17La partie la plus riche de l’ouvrage de C. Carpentier consiste en une vérification empirique d’hypothèses relatives aux déterminants – conditions d’accueil dans les écoles, origine sociale, sexe, âge – de la réussite et de l’échec au certificat d’études, du comportement des familles à l’égard du diplôme et de la capacité de promotion de celui-ci. Elle repose sur un important travail statistique, que l’auteur a effectué à l’échelle du département de la Somme à défaut de séries nationales pertinentes, et on ne peut que se réjouir des carences de la statistique nationale quand elle conduit un auteur à élaborer ses propres sources à partir de données puisées notamment dans les registres matricules des écoles.
18Le certificat d’études a la réputation d’avoir été, sous la Troisième République, réservé à l’élite des élèves primaires. C. Carpentier ne s’est pas contenté de l’indicateur approximatif résultant du rapport entre le nombre de certificats délivrés au cours d’une année et la population de référence, mais il a recherché la proportion d’élèves qui sont finalement sortis diplômés de l’école élémentaire. Il résulte de ses calculs, pour la Somme, que cette proportion, de l’ordre de 20 % en 1882, s’élève rapidement pour se stabiliser autour de 30 % avant 1914, et recommence sa croissance entre les deux guerres jusqu’à représenter environ un élève sur deux dans la deuxième partie des années 1930, puis décliner en raison du développement des études prolongées. À la croissance du nombre des reçus correspond, au cours de la Troisième République, une diminution parallèle, et apparemment paradoxale, des taux de réussite (ils sont très élevés en début de période) et de la proportion d’élèves réussissant le certificat avec une moyenne donnant droit, en fin de période, à une mention bien ou très bien. L’auteur démontre de façon convaincante, et en confrontant sa thèse à une explication du phénomène en termes de baisse du niveau, que cette double évolution, en particulier entre les deux guerres, traduit l’ouverture de la candidature au certificat à une catégorie d’élèves moyens, aux chances de réussite plus aléatoires, qui n’étaient jusque-là pas présentés par les maîtres : un phénomène de démocratisation du certificat d’études, selon son analyse.
19Cette démocratisation est socialement et sexuellement diversifiée. Si l’on veut bien mettre de côté les difficultés soulevées par toute analyse en termes de catégories socioprofessionnelles sur une série chronologique relativement longue (1885-1940), qui plus est à partir de sources souvent peu explicites quant à la profession paternelle (l’auteur présente lui-même sa catégorisation et les résultats qui en découlent avec une certaine prudence), on constate que ce sont, globalement, les catégories sociales les moins défavorisées du peuple qui en bénéficient le plus. Tout se passe comme si, à niveau scolaire équivalent, on se présentait plus facilement, et plus tardivement si nécessaire, au certificat d’études quand on appartient à un milieu relativement favorisé et qualifié.
- 20 P. Beaujard met par ailleurs judicieusement l’accent sur l’effet, à l’égard du taux de présentation (...)
20L’auteur a la bonne idée d’isoler la catégorie des fils de cheminots, et il en ressort un effet manifeste de la politique d’embauche préférentielle pratiquée par les compagnies de chemins de fer à l’égard des fils de leurs employés : on s’y présente massivement, et à tout âge, parce que le certificat d’études est valorisé à l’embauche. Inversement, les enfants de travailleurs non qualifiés se présentent moins, et surtout moins longtemps, manifestement en raison du coût supplémentaire que représente toute nouvelle année d’études20. Un clivage du même ordre sépare les garçons et les filles, masqué par les meilleurs taux de réussite et la précocité à l’examen des filles.
21Dans un cas comme dans l’autre, on semble être devant un phénomène qu’on pourrait qualifier, pour emprunter aux économistes de l’éducation le paradigme du capital humain, de propension différentielle à investir dans l’éducation en fonction des probabilités de rendement de cet investissement, ou tout simplement, pour les plus pauvres, en fonction des capacités d’investissement de la famille. Et l’étude, à partir des registres matricules d’une série d’écoles aux profils différenciés, des devenirs professionnels ou scolaires des élèves sortis de l’école avec ou sans certificat, démontre que la valeur d’usage d’un CEP n’est pas la même selon le milieu d’origine. Les groupes sociaux qui rentabilisent le mieux l’obtention d’un CEP, pour poursuivre des études ou pour travailler directement, sont aussi ceux qui s’y présentent le plus et qui y réussissent le mieux. Il semble bien aussi, malgré la base statistique plus étroite de cette partie de l’étude, que les filles soient dans l’ensemble, à origine sociale égale, moins bénéficiaires d’une réussite au CEP que les garçons.
22Jusqu’aux années 1930, la grande masse de la population primaire a essentiellement pour horizon, en cas de réussite scolaire, les enseignements primaire supérieur ou technique. L’étude statistique rend compte, à partir de cette époque, de la secondarisation progressive d’une partie des élèves de l’enseignement primaire, qui sortent de l’école élémentaire sans passer le certificat d’études. On retrouve dans ce phénomène les mêmes clivages sociaux et sexuels qu’en matière de démocratisation du certificat. En fin de compte, on observe un glissement général : à mesure que des catégories sociales nouvelles s’approprient massivement le certificat d’études, les catégories sociales plus élevées se tournent vers l’enseignement secondaire ; de même, quand les filles sont de plus en plus nombreuses à passer le CEP, les garçons ont déjà commencé à s’en détourner pour entrer en 6e. Le constat est plutôt accablant, quoique pas vraiment nouveau : l’école primaire de la Troisième République n’est pas tout à fait la formidable machine égalitaire qu’on aimerait y voir. Selon le milieu d’origine, selon le sexe, elle produit, à capacité égale (ce qui est déjà socialement problématique), des effets sociaux différents. L’incapacité de l’école à transcender les différences sociales collectives n’est donc pas nouvelle.
- 21 J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie ont insisté sur la dimension spatiale des faits scolaires. Voir not (...)
23Cependant, s’il valide globalement l’application de la théorie de la reproduction sociale à l’école primaire de la Troisième République, C. Carpentier sait en montrer les nuances et les marges d’indécision. Par exemple, la composition sociale d’ensemble de l’établissement influe sur le comportement des différents groupes sociaux auxquels appartiennent ses élèves à l’égard du certificat d’études ; et la proximité d’une EPS exerce un effet d’attraction évident sur le public des écoles voisines, conformément à un phénomène déjà largement mis en valeur par d’autres auteurs21. De quoi désespérer tout de même un peu plus les nostalgiques de l’école républicaine d’antan : leur doux paradis scolaire était déjà miné par les disparités géographiques. Mais peut-être aussi de quoi imaginer des marges d’action pour desserrer l’étau de la fatalité sociale.
3. Comment lire les copies du certificat d’études ?
- 22 Le fonds et une rapide analyse du corpus des copies d’histoire ont été présentés dans le numéro spé (...)
- 23 André Chervel, Danièle Manesse : La Dictée. Les Français et l’orthographe. 1873-1987, Paris, INRP/C (...)
24Le paradis scolaire perdu n’est pas tout à fait ce qu’on croyait, donc. Mais, au moins, les lauréats du certificat d’études, ces as de la dictée et des problèmes d’arithmétiques, peut-on vérifier leur niveau, ainsi que celui des recalés, et le comparer à celui des élèves d’aujourd’hui ? La découverte, par Brigitte Dancel, d’un fonds exceptionnel de copies du CEP aux archives départementales de la Somme22 a offert cette opportunité. Elle a incité l’ancienne direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) du ministère de l’Éducation nationale, soucieuse de faire passer le débat du terrain de l’idéologie à celui de la science, à tenter en 1995 de reproduire une expérience du type de celle qu’André Chervel et Danielle Manesse avaient réalisée en 1986-1987 : confronter les performances d’élèves d’aujourd’hui avec celles de leurs aînés devant des épreuves identiques. Dans l’expérience d’A. Chervel et D. Manesse, le fonds ancien était constitué de 3 000 dictées identiques, adressées entre 1873 et 1877 au ministre de l’Instruction publique par l’inspecteur général Gaspard Beuvain, qui utilisait cet exercice, à l’occasion de ses tournées, pour mesurer le niveau des écoles. La même dictée avait été soumise à 3 000 élèves à travers la France, présentant un échantillon d’âges équivalent et pour la plupart scolarisés dans des collèges. Débarrassée des biais qui faisaient apparaître a priori une certaine supériorité des élèves, ou du moins des garçons, du XIXe siècle, la confrontation avait tourné à l’avantage du XXe siècle, tant du point de vue de la maîtrise orthographique d’ensemble que de celui de l’efficacité des méthodes : en consacrant moins de temps à l’acquisition de l’orthographe, l’école du XXe siècle arrivait à des résultats plus profonds, fondés sur une meilleure compréhension de la langue et marqués par une progression régulière du niveau des élèves en cours de scolarité23.
- 24 Cette population a été composée des élèves d’une série de classes de 6e, 5e, 4e tirées au hasard, d (...)
- 25 Résultats publiés dans Les dossiers d’Éducation & formations, n° 62, février 1996.
25L’expérience de la DEP a consisté à faire passer en 1995, d’une part à une population d’élèves de la Somme, d’autre part à une population d’élèves représentative de la France métropolitaine (2 876 élèves)24, un choix d’épreuves écrites de français (rédaction, dictée et questions de dictée) et d’arithmétique données au certificat d’études en 1923, 1924 et 1925 dans le département de la Somme, puis à soumettre les 9 000 copies d’hier et celles d’aujourd’hui aux mêmes correcteurs, tout en corrélant les résultats obtenus avec l’évaluation des examinateurs du CEP et avec le contrôle continu des élèves de 1995. Les résultats bruts montrent une très forte différence de niveau en dictée, ainsi qu’en analyse grammaticale, à l’avantage des candidats au certificat d’études, une plus grande facilité de ces mêmes candidats à résoudre les problèmes de calcul du CEP, des résultats plus équilibrés quant au reste des matières et un niveau d’ensemble plutôt supérieur des élèves de 1995 en matière de rédaction. Il est vrai que les élèves présentés au certificat d’études représentent dans les années 1920 une petite moitié de l’effectif potentiel, choisis parmi les bons élèves possédant de fortes chances de réussite. Mais, même limitée à la bonne moitié des élèves de 1995, la comparaison reste très inégale en matière de dictée25.
- 26 Anne-Marie Chartier : « Épreuves du certificat d’études primaires en 1995. Étude de quelques facteu (...)
- 27 La réussite en dictée est toutefois corrélée avec la réussite globale de l’élève, ce qui incline à (...)
26Cependant, sur la base d’une analyse fine des résultats et des copies des élèves en dictée et en rédaction, Anne-Marie Chartier26 a pu établir que la supériorité en dictée des candidats au CEP ne correspond pas à une aussi grande supériorité quant à la maîtrise générale de l’orthographe, mais plutôt à une bien meilleure capacité d’auto-contrôle lors de cet exercice particulier, laquelle capacité était due de toute évidence – les témoignages abondent à cet égard – à un entraînement poussé27. Sous la Troisième République, et malgré les efforts des autorités pédagogiques pour en atténuer le poids, la dictée est l’épreuve suprême, celle qui peut à elle seule ruiner les chances d’un candidat. Spécialement préparés à cette épreuve, plus ou moins sévèrement sélectionnés en fonction d’elle, les candidats s’y montrent beaucoup plus rigoureux que les enfants d’aujourd’hui. Ils sont d’ailleurs moins vigilants en matière d’orthographe lors des épreuves de rédaction, dans lesquelles leurs performances sont en général nettement moins convaincantes. Autrement dit, l’excellence en orthographe des lauréats du CEP ne s’explique pas par l’efficacité générale de la pédagogie primaire de l’époque mais plutôt par un effort particulier – un véritable conditionnement dans le cadre de la préparation au certificat – qui semblerait aujourd’hui absolument excessif et contre-productif, et dont le coût pédagogique préoccupait d’ailleurs les autorités scolaires de la Troisième République. Finalement – doit-on s’en étonner ? – c’est moins le niveau qui baisse que les objectifs de l’enseignement et les exigences des examinateurs qui évoluent.
- 28 La moyenne étant requise pour l’admissibilité, il suffit de les maintenir à ce niveau.
- 29 P. Beaujard, op. cit., pp. 87-93 (voir également les graphiques pp. 125-127).
27Tous les auteurs s’accordent sur le poids écrasant de l’orthographe dans le succès au certificat d’études. La dictée est la seule épreuve, sous la Troisième République en tout cas, dans laquelle le zéro – soit cinq fautes majeures – vaille élimination. Les autorités scolaires, notamment à l’époque de la querelle de l’orthographe du tournant des XIXe et XXe siècles, s’efforcent de limiter la place de cet exercice dans le CEP. Les aménagements successifs qu’ils apportent au régime des épreuves ont pour effet, soit de laisser la dictée jouer pleinement son rôle sélectif, soit d’en pondérer plus ou moins efficacement l’influence. C. Carpentier fait de ces variations la base d’un découpage chronologique quant au caractère plus ou moins ouvert ou élitiste du certificat. À travers l’analyse de la distribution des notes obtenues par les candidats, garçons et filles, des centres d’examen de Saint-Chamond, Montbrison et Roanne en 1886, étayée par les remarques de l’inspecteur d’académie de la Loire, P. Beaujard montre en outre qu’il existe un usage différencié de la notation en fonction de la nature des épreuves et de leur position relativement à l’admission finale. À l’écrit, les notes d’écriture et de rédaction semblent être couramment utilisées pour relever, quand c’est possible, les candidats qui n’ont pas été éliminés par la dictée ; à l’oral, l’attitude des jurys paraît souvent gouvernée par le souci d’épargner les survivants de l’écrit28. Au total, seules les épreuves de dictée et de calcul, en raison de la marge négligeable d’appréciation laissée au correcteur, apparaissent comme déterminantes dans la réussite à l’examen29. Le phénomène mérite d’être vérifié ailleurs et à des périodes où le régime des épreuves est différent. Il illustre en tout cas parfaitement le décalage qui peut exister entre les normes qui régissent le certificat et l’usage qu’en font les jurys en fonction de leurs propres préoccupations.
28Dans une démarche très distincte de la vaste opération menée par la DEP, le travail de Brigitte Dancel s’attache, quant à lui, à retrouver la pédagogie des maîtres, ses objectifs et ses résultats, à travers l’analyse conjuguée des copies d’histoire de l’examen, des textes officiels, des recommandations et observations des autorités pédagogiques nationales et locales, des rapports d’inspection, des manuels et de la presse pédagogiques, ainsi que d’une enquête sur le matériel pédagogique utilisé en classe.
29D’abord cantonnées à l’oral, l’histoire et la géographie n’apparaissent parmi les épreuves d’écrit du certificat d’études qu’à partir de 1917, en concurrence avec les sciences. L’enseignement de l’histoire de France n’a été introduit qu’en 1867, par Victor Duruy, parmi les matières obligatoires de l’enseignement élémentaire. On n’étudiait jusque-là que l’histoire sainte. Malgré la légende qui campe les maîtres de la Belle Époque en ardents diffuseurs d’un patriotisme revanchard – c’est confondre les manuels avec les instituteurs et oublier la montée du pacifisme –, l’histoire est vécue comme une matière difficile à enseigner. C’est qu’on demande aux maîtres de raconter, d’illustrer, de mettre en scène les grands moments de l’histoire nationale, de faire vivre dans le cœur des élèves l’amour de la patrie et les vertus morales – celles du citoyen – qui s’y attachent. Or, l’instituteur du début de ce siècle est généralement plus à l’aise dans la dictée, dans la récitation des règles de grammaire ou dans les longues plages de silence pendant lesquelles les élèves sont appliqués à une tâche, que dans la pédagogie active et illustrée qu’on lui demande. Brigitte Dancel apporte à cet égard une intéressante contribution à l’histoire des disciplines scolaires et à celle des pratiques pédagogiques, en montrant à quel point la réalité de la classe s’écarte des normes à travers lesquelles on se contente trop souvent de la saisir.
30L’enquête, bien documentée et solidement argumentée, passe au crible tous les éléments de l’enseignement de l’histoire à l’école élémentaire, et en dresse un tableau qui n’a pas grand-chose à voir avec les idéaux pédagogiques du temps. Les horaires officiels ne semblent pas toujours respectés, l’histoire étant considérée par les maîtres comme une matière mineure. Alors que les programmes sont établis sur la base d’un découpage chronologique, l’usage, dans la Somme, privilégie la méthode concentrique sans que les inspecteurs s’en émeuvent. Il est vrai que les classes uniques des écoles rurales ne facilitent pas l’adaptation de l’enseignement à chaque niveau. Les instructions officielles demandent aux instituteurs, pour rendre vivant l’enseignement de l’histoire, de pratiquer la leçon orale, avec recours au tableau noir, aux cartes et aux images. C’est bien ce qui se fait lors des leçons données devant les collègues et l’inspecteur au cours des conférences pédagogiques. C’est un usage moins unanime dans les classes, où se pratique couramment la leçon par le manuel, articulée autour de la lecture commentée du chapitre consacré à la leçon. Le questionnement des élèves, tenu pour un élément de pédagogie active, est le plus souvent détourné de sa destination « socratique » au profit de la pratique catéchistique des questions fermées renvoyant l’élève à une réponse convenue et stéréotypée. D’une manière générale, cet enseignement de l’histoire s’appuie sur le rabâchage : au total, compte tenu des multiples séquences de l’apprentissage au cours desquelles sont répétées les mêmes choses (sommaire, exposé de la leçon, questionnement, copie puis apprentissage du résumé ; lors de la leçon suivante, questions et récitation de la leçon, sans parler des révisions trimestrielles et annuelles) et de la domination de la méthode concentrique, B. Dancel estime qu’un élève peut voir revenir 36 à 40 fois le contenu de la même leçon en quatre ans de scolarité. Quant au jugement de l’élève, dont la formation est un objectif majeur de la matière, il n’est pas suscité mais fourni par avance.
31Ces travers pédagogiques n’ont cependant rien de nouveau, et il serait d’ailleurs injuste d’y voir une caractéristique particulière à l’enseignement primaire : les modernisateurs de l’enseignement secondaire, sous la Troisième République, dénoncent aussi le recours excessif à la mémoire, et la révolution pédagogique y rencontre également de sérieuses résistances. Reste à apprécier, pour ce qui concerne l’enseignement de l’histoire à l’école primaire dans les années 1920, l’efficacité de ces méthodes éprouvées. Il semble bien que, même sur le plan de l’acquisition des connaissances de base, cette efficacité soit très douteuse. C’est ce qu’établit B. Dancel à partir de l’analyse méthodique du corpus des réponses aux questions d’histoire lors des épreuves du certificat d’études. La grille de lecture qu’elle met en application vise à repérer le noyau dur de connaissances – « le petit trésor d’idées » évoqué par Jules Ferry bien avant ses modernes héritiers – possédé par la majorité des candidats, à établir une typologie quantifiée des erreurs et à mesurer la compétence des candidats dans quatre domaines : la maîtrise de la chronologie ; les notions de causes et de conséquences ; la capacité de choix ou de jugement ; la comparaison historique.
32L’évaluation des compétences des candidats de la Somme au certificat d’études par leurs correcteurs de l’époque suffirait à situer le médiocre résultat de l’enseignement historique : seuls 40 % des candidats répondent de façon jugée satisfaisante. Si l’on tient compte de l’élimination préalable, par non-présentation, de la moitié a priori la plus faible des élèves primaires, il ne reste qu’un élève convenable sur cinq. Et l’évaluation de l’auteur fait apparaître que cette minorité de bons élèves ne maîtrise elle-même, dans l’ensemble, qu’un savoir bien étriqué. Le noyau dur des connaissances plus ou moins largement partagées a les allures d’un maigre sommaire : quelques dates, quelques faits, quelques grands noms. La Révolution française se résume essentiellement à quelques images, renvoyant à l’année 1789 pour la plupart. Sur le régime républicain, les notions sont très sommaires, à peu près limitées à la notion de vote. Quant à la Première Guerre mondiale, encore toute récente, un décalage s’observe entre ce qui relève du vécu des élèves et le discours scolaire qui tend à faire entrer l’événement dans un continuum historique fait de batailles, d’expansions et d’amputations du territoire national. C’est un autre symptôme d’échec, celui d’une pédagogie supposée utiliser les ressources du milieu et de l’histoire locales, pour s’appuyer sur ce que l’élève connaît. Parmi les compétences propres à l’histoire, enfin, seule la notion de causalité paraît maîtrisée par une majorité d’élèves, et à condition d’être fournie d’avance.
4. Le rôle historique du certificat d’études : éléments de bilan
33La démarche de B. Dancel donne donc aux copies du certificat d’études, pour l’essentiel, le statut de documents témoignant de la pédagogie primaire en matière d’histoire et de ses effets sur les élèves. Le résultat est probant sur ce point, et assez précis pour que l’auteur isole des différences de niveau et de profil au sein de son échantillon : les élèves des écoles mixtes, qui correspondent à de petites écoles rurales, et souvent à classe unique, sont globalement plus faibles ; les filles semblent à la fois plus scolaires et plus émotives dans leur approche de l’histoire ; les garçons plus sensibles à ses dimensions institutionnelle et patriotique, ce qui peut correspondre en partie à une différence dans la transmission des connaissances par les instituteurs et les institutrices. On peut se demander toutefois si l’interrogation de la pédagogie à travers les copies de l’examen ne gagnerait pas à s’accompagner d’une analyse plus poussée de ce que l’examen modifie dans la pédagogie des maîtres, et dans l’organisation de leur enseignement en général.
- 30 Bruno Belhoste : « Les Caractères généraux de l’enseignement secondaire scientifique de la fin de l (...)
34En effet, quand un cycle d’études débouche sur un examen, un concours, ou toute autre forme de valorisation scolaire ou professionnelle considérée comme son aboutissement normal ou comme un aboutissement potentiel important, la préparation à ce débouché tend à devenir l’objectif essentiel de ce cycle d’études ou à faire l’objet d’un regroupement d’élèves en vue de cette préparation. À ce moment-là, les conditions sont réunies pour que le débouché influence, voire modifie profondément le contenu, les méthodes et l’esprit des études dont il est supposé constituer le couronnement. Dans le cas des classes préparatoires scientifiques du XIXe siècle (en vue de la section sciences de l’École normale supérieure, de l’École polytechnique, de l’École centrale, etc.), les exigences des examens d’admissions conditionnent l’essentiel de l’enseignement scientifique secondaire, qui n’a longtemps guère d’autre raison d’être30.
35Il serait très exagéré de placer la préparation au CEP sur le même plan. Au moment de sa création, le certificat d’études n’est considéré que comme un moyen de stimuler la fréquentation des écoles, et pas comme une fin en soi. Par ailleurs, si la réglementation de l’examen fixe le régime des épreuves, elle ne définit aucun programme spécifique, l’examen vérifiant l’acquisition des compétences et des connaissances transmises au cours de la scolarité primaire. Il est vrai que certaines épreuves, comme celle d’histoire, sont supposées porter sur les acquisitions de l’année de préparation au certificat. Mais, outre le fait, relevé plus haut, que la notion d’année de préparation ne correspond pas tout à fait à une classe précise, l’enquête de B. Dancel montre, d’une part que, dans la pratique, l’enseignement de l’histoire, conserve souvent un caractère concentrique, d’autre part que certains sujets sortent du cadre du programme du cours moyen ou du cours supérieur (1ère année). Toutefois, le régime des épreuves instaure à lui seul une hiérarchie entre les matières et entre les exercices scolaires, comme on l’a relevé en particulier pour la dictée. Et l’accusation récurrente, portée à l’encontre du CEP, d’engendrer le bachotage – expression judicieusement importée dans l’enseignement primaire – indique bien que ce diplôme pèse suffisamment lourd pour modifier la réalité scolaire qu’il n’est supposé que sanctionner. Reste à pointer les raisons de ce succès qui n’allait pas de soi.
- 31 Guy Brucy, op. cit.
- 32 Ce phénomène, et l’analyse des différences entre la France et l’Allemagne à cet égard dans les anné (...)
- 33 On renverra à l’article fondateur de la théorie dite du filtre : K. J. Arrow : « Higher Education a (...)
36C. Carpentier situe largement les enjeux du certificat d’études du côté des portes, scolaires ou professionnelles, qu’il peut ouvrir. On a examiné plus haut la question de l’insertion scolaire du certificat d’études, et plus rapidement évoqué celle de son utilité sur le marché du travail. Le certificat d’études n’est à aucun moment un diplôme professionnel, et encore moins un diplôme qui assurerait, par le biais de conventions collectives, une place déterminée dans l’organisation des entreprises. Mais la France n’est pas l’Allemagne. Dotée précocement d’un marché du travail libéralisé par l’interdiction des corporations, elle n’a jamais eu les organisations syndicales et patronales puissamment représentatives qui ont permis, outre-Rhin, au paritarisme de prendre le relais du corporatisme dans le contrôle de la formation, des qualifications et des embauches. Si elle a pu peu à peu construire un système de reconnaissance des qualifications professionnelles, c’est bien tardivement et de façon incomparablement moins automatique31. Et cette lacune a manifestement ouvert aux lauréats du certificat d’études, à côté des diplômes de spécialité comme le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) créé en 1911, un avantage à l’embauche et pour l’avancement ultérieur, non seulement dans le secteur tertiaire mais aussi dans l’industrie32. Selon un schéma d’interprétation devenu classique, le certificat jouerait dans ce cas le rôle d’un signal réduisant les risques d’erreur de l’entreprise dans son choix33. Toutefois, il ne faut pas se contenter de chercher les raisons du succès du certificat d’études du côté des élèves et de leurs familles, mais s’interroger sur les motivations des autres agents de ce succès, notamment les instituteurs, et aussi les notables locaux et les représentants de l’administration de l’enseignement primaire.
37À cet égard, l’analyse par P. Beaujard des conditions d’installation du certificat d’études dans la Loire, et notamment de la composition des commissions locales d’examen, ouvre une piste intéressante. Il montre comment s’élabore en quelques années, à travers des épisodes tels que la laïcisation de 1880, un partage de la légitimité entre les deux composantes principales des commissions : les notables d’un côté, les instituteurs et institutrices de l’autre. Les premiers montrent plus d’empressement à participer aux commissions et à leur conférer une légitimité qu’on qualifierait aujourd’hui de « citoyenne », qu’à endosser le rôle plus délicat, techniquement et politiquement, de l’examinateur : cette difficulté explique d’ailleurs une bonne part de l’échec des concours scolaires dans ce département. Les seconds trouvent au contraire leur compte dans un rôle d’examinateur qui sanctionne implicitement leur qualification professionnelle.
- 34 António Nóvoa : Le Temps des professeurs. Analyse socio-historique de la profession enseignante au (...)
- 35 André Chervel : « L’École républicaine et la réforme de l’orthographe (1879-1891) », Mots, n° 28, n (...)
38Pour reprendre une catégorie adaptée de la sociologie anglo-saxonne des professions par António Nóvoa, le certificat d’études constituerait donc un élément dans le processus de professionnalisation des instituteurs34. Cette interprétation se rapproche de l’analyse qu’A. Chervel fait du conservatisme orthographique des instituteurs à la fin du XIXe siècle35 : devenus au cours du XIXe siècle, au prix d’un grand effort national, des spécialistes de ce domaine du savoir, les instituteurs n’entendent pas le laisser dévaloriser par une réforme simplificatrice. C’est aussi dans cet esprit qu’ils résistent opiniâtrement aux pressions des autorités scolaires pour diminuer le poids de la dictée dans les épreuves du certificat d’études.
39Le certificat d’études n’est pas seulement un instrument d’affirmation de l’identité professionnelle des instituteurs. Il est aussi une expérience humaine pour tous ses participants, particulièrement marquante pour ceux qui vivent à la campagne et se rendent au bourg pour participer à la cérémonie civique solennelle que constitue la journée de l’examen. D’anciens candidats ont raconté l’émotion de cette journée. P. Beaujard évoque ce qu’elle peut représenter pour un maître ou une maîtresse d’école rurale. C’est pour eux une forte expérience d’ouverture sur l’extérieur en même temps que l’occasion de mesurer les résultats de leur enseignement, et à travers ceux-ci de mettre en cause leur pratique pédagogique. Voilà qui complète les visites des inspecteurs et les conférences pédagogiques pour faire de la Troisième République (ou au moins de sa première partie) le moment d’un formidable effort de mise à niveau des enseignants de l’école élémentaire. Évidemment, cet effet d’ouverture ne vaut qu’à partir du moment où les maîtres se décident à présenter des élèves à l’examen, et il tend à s’estomper avec la répétition des sessions, sans parler de l’effet qu’a pu avoir l’évolution générale de la société.
- 36 P. Beaujard, op. cit., pp. 51-63.
40Le nombre des écoles qui présentent des candidats constitue pour l’administration scolaire un indice de l’amélioration du niveau d’ensemble de l’enseignement. Une école qui ne présente pas de candidats, au début de la Troisième République, est une école qui n’atteint pas le niveau du cours moyen. Dans ces conditions, les inspecteurs départementaux, encouragés par leur hiérarchie, se dépensent pour convertir les maîtres récalcitrants, ce qui produit un effet manifeste et rapide sur la courbe des candidatures. Cette croissance est contrariée dans la Loire, au début des années 1880, par le retrait volontaire de candidats des écoles congréganistes, qui dominent dans le département, dans un moment où la concurrence avec les laïcs tourne à la controverse publique sur la qualité comparée des deux types d’écoles. En revanche, il semble que le durcissement des critères d’admission, à la même époque et à la faveur de la prise en main des jurys par les instituteurs et institutrices, n’entrave pas la croissance, comme s’il conférait au contraire de la valeur à l’examen36. En 1886, 490 écoles du département sur 792 présentent des candidats. Il reste que la question de la proportion des élèves présentés dans chaque école, largement évoquée plus haut, prend le relais de celle des écoles qui participent ou non au certificat d’études à mesure que celui-ci se généralise. En soi, et parce qu’il s’accompagne d’un élargissement du taux de candidature, ce progrès constitue certainement l’indice d’un effet positif du CEP sur l’évolution de l’instruction publique.
41Néanmoins, les effets pervers de l’examen, perçus très tôt par les observateurs avisés, ne sont pas effacés par ce progrès relatif : le succès à l’examen est une affaire trop sérieuse pour que les maîtres laissent n’importe quel élève se présenter, et monter au combat sans une solide préparation. C. Carpentier illustre ce phénomène bien connu par une série de profils d’enseignants, qui montrent l’importance des succès au certificat dans une trajectoire réussie d’instituteur. Que les élèves soient entraînés jusqu’au surmenage, que ce conditionnement n’aille pas dans le sens d’une acquisition profonde, solide et durable des connaissances et des savoir-faire et que les autres élèves de l’école puissent pâtir des soins accordés aux futurs candidats, l’administration en est parfaitement, et très tôt, convaincue. Le fait est que les succès au CEP demeurent pourtant un solide critère d’évaluation, ce qui ne peut qu’encourager les maîtres à pratiquer la sélection de leurs élèves et le bachotage intensif.
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42Au total, si le certificat d’études primaires a été, et de très loin, le diplôme le plus distribué sous la Troisième République, il ne semble pas avoir eu dans l’histoire de l’enseignement français dans son ensemble le même rôle que dans l’évolution – ou l’inertie, par certains aspects – de l’enseignement primaire. Certes, le « baccalauréat du primaire », partagé entre deux projets contradictoires, a inauguré, bien avant son glorieux aîné, la dialectique de la masse et de l’élite. À plus d’un titre, les problèmes qui marquent son existence sous la Troisième République préfigurent ceux du baccalauréat après la Deuxième Guerre mondiale. Mais le certificat d’études, clef des études postélémentaires populaires pendant des décennies, se trouve poussé dans une voie de garage par le cours que prend la démocratisation de l’enseignement à partir du moment où c’est la voie de la fusion des ordres qui triomphe.
- 37 Des candidats au CEP en Meurthe-et-Moselle, originaires d’Alsace-Lorraine, passent déjà une épreuve (...)
43Le certificat d’études constitue, quoi qu’il en soit, une pièce maîtresse du puzzle auquel ressemble encore l’histoire scolaire de la Troisième République. Et il convient pour finir de souligner à nouveau l’importance de la dimension locale, de la variété des situations et des usages locaux, dans cette histoire, dont aucune étude conçue à l’échelle nationale ne pourrait rendre compte. L’ouvrage de Jean Kieffer en fournit un exemple évidemment extrême, celui d’un département rattaché à la France, à l’issue de la Première Guerre mondiale, après un demi-siècle de souveraineté allemande. En Moselle, comme en Alsace, l’instauration d’un enseignement primaire conforme au droit commun français se heurte à deux obstacles majeurs : la question confessionnelle, puisque l’Alsace-Lorraine n’a pas connu la séparation de l’Église et de l’État, et la question linguistique. Dans cette affaire sensible, le règlement du certificat d’études, que les autorités scolaires entendent substituer à son équivalent germanique, devient un enjeu politique. Finalement, l’instruction religieuse, maintenue dans l’enseignement, est bannie de l’examen, mais une épreuve d’allemand y est introduite pour les candidats des zones dialectales germanophones37. Le taux réel de réussite à l’examen s’avère par ailleurs plus faible que dans le reste de la France, ce que pourrait en partie expliquer la forte implantation de l’apprentissage.
44Sans que la variété des situations prenne toujours un tour aussi politique, l’aperçu qu’en donnent les ouvrages dont on a rendu compte ici, et les singularités qu’on rencontre dès qu’on se penche sur un département précis, permettent d’entrevoir, cachées dans les registres matricules, les rapports d’inspection ou les délibérations des commissions locales, des richesses que les historiens de l’éducation auraient tort de négliger. Sur l’histoire du certificat d’études, comme en général en matière d’histoire des enseignements populaires de cette Troisième République si proche et pourtant si mal connue, il reste beaucoup à faire, et ce n’est pas une mauvaise nouvelle.
Notes
1 À propos des livres de : Claude Carpentier : Histoire du certificat d’études primaires. Textes officiels et mise en œuvre dans le département de la Somme (1880-1955), Paris, Montréal, L’Harmattan, 1996, 330 p. ; Brigitte Dancel : Enseigner l’histoire à l’école primaire de la IIIe République, Paris, PUF, 1996, 243 p. ; Paul Beaujard : L’Établissement du certificat d’études primaires dans le département de la Loire. 1876-1886, Saint-Étienne, Archives départementales de la Loire, 1998, 161 p. ; Jean Kieffer : Le Certificat d’études primaires en Moselle dans l’entre-deux-guerres, Metz, Éditions Serpenoise, 1999, 111 p.
2 L’expression est utilisée en titre pour un ouvrage récent qui consiste essentiellement en un florilège, tantôt attendri, tantôt accablé, d’extraits de livres d’école : Michel Jeury : La Gloire du certif. Les trésors des livres d’école. 1850-1950, Paris, Robert Laffont, 1997, 315 p. Il n’y est guère question du certif, dont le nom est apparemment censé évoquer l’esprit de l’enseignement primaire tout entier.
3 Claude Carpentier : Échec et réussite à l’école élémentaire dans le département de la Somme entre 1880 et 1955. Non-valeurs scolaires et accès au certificat d’études : aspects sociaux et pédagogiques de ce qui ne fut pas une affaire d’État, Paris, Université Paris V, 1992 ; Brigitte Dancel : L’Histoire de l’enseignement de l’histoire à l’école de la IIIe république. Le ministre, le maître et l’élève dans les écoles primaires élémentaires de la Somme, 1880-1926, Paris, Université Paris V, 1994.
4 J.-B. Piobetta : Le Baccalauréat, Paris, Baillère, 1937.
5 André Chervel : Histoire de l’agrégation. Contribution à l’histoire de la culture scolaire, Paris, INRP/Éditions Kimé, 1993 ; Guy Brucy : Histoire des diplômes de l’enseignement technique et professionnel (1880-1965). L’État, l’École, les Entreprises et la certification des compétences, Paris, Belin, 1998.
6 C’est aussi le cadre des thèses de René Lemoine : La Loi Guizot. Son application dans le département de la Somme, Abbeville, F. Paillard, 1933, un classique, et de Claude Lelièvre : Développement et fonctionnement des enseignements post-élémentaires dans la Somme de 1850 à 1914. Mise à l’épreuve des théories relatives aux appareils idéologiques d’État, Paris, Université Paris V, 1985.
7 On peut notamment déplorer les sauts de ligne qui transforment la lecture de certains tableaux en casse-tête et la reproduction, à la limite de la lisibilité, d’une partie des annexes de la fin de l’ouvrage.
8 Jean Kieffer est par ailleurs l’auteur d’une thèse sur l’enseignement primaire en Moselle, dont il a tiré un ouvrage publié par le même éditeur (L’Enseignement primaire mosellan de 1918 à 1939, Metz, Éditions Serpenoise, 1997, 218 p.).
9 Duruy est coutumier de cette démarche pragmatique. Il a encouragé l’enseignement secondaire spécial et les cours secondaires féminins de la même façon.
10 Ferdinand Buisson (dir.) : Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, 1ère partie, 1882, article « Certificat d’études primaires ; 2. Historique » (H. Métivier), p. 347.
11 Circulaires du 13 août 1864 ; du 11 juillet 1865, qui associe la question des cours d’adultes à celle des concours ; du 9 mai 1868, qui porte sur les concours entre écoles et les expositions scolaires, deux modalités collectives de l’émulation scolaire.
12 Cité par P. Beaujard, op. cit., p. 21. L’article de l’inspecteur général Eugène Brouard sur les concours scolaires, dans le Dictionnaire de Buisson, (loc. cit., pp. 456-457), est un véritable réquisitoire.
13 Loc. cit., p. 348.
14 Ibid.
15 Cf. les brochures de l’École professionnelle de l’Est de 1889, 1890, 1931. Th. Petit, directeur de l’École primaire supérieure de Nancy, évoque en 1909, dans son rapport annuel au comité de patronage, le certificat de premier ordre comme un diplôme « propre à notre département » (Bulletin de la Société industrielle de l’Est, supplément au n° 66, p. 4). Les résultats de cet examen ne sont pas repris dans la statistique nationale. Notons que, dans sa circulaire du 27 septembre 1880, Jules Ferry insiste sur la part laissée volontairement à l’initiative locale et à l’action de l’administration académique dans l’organisation du certificat.
16 C’est dans cet esprit que le recteur de Lyon impose l’âge minimum de 13 ans, qui ne correspond pas encore à la fin de l’obligation scolaire légale, dans le règlement du département de la Loire de 1876, P. Beaujard, op. cit., pp. 22-23.
17 La circulaire du 27 septembre 1880 se contente d’indiquer qu’il ne doit pas « dépasser le niveau des études réellement et quotidiennement faites par la division supérieure de l’école primaire ». La réglementation de 1882, qui porte l’âge minimal à 11 ans, reste muette sur la question de la classe correspondante, mais l’arrêté du 18 janvier 1887 stipule que le certificat d’études donne droit à l’entrée dans le cours supérieur.
18 L’auteur reprend en l’occurrence l’ouvrage bien connu de Viviane Isambert-Jamati : Crises de la société, crises de l’enseignement, Paris, PUF, 1970.
19 Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie : Les Collèges du peuple, Paris, INRP, CNRS et ENS de Fontenay-Saint-Cloud, 1993, p. 378.
20 P. Beaujard met par ailleurs judicieusement l’accent sur l’effet, à l’égard du taux de présentation, de la fréquentation scolaire, qui devient plus épisodique à partir d’un certain âge dans les milieux sociaux, notamment la paysannerie, où les enfants sont requis par des tâches productives.
21 J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie ont insisté sur la dimension spatiale des faits scolaires. Voir notamment J.-P. Briand, J.-M. Chapoulie : « L’Institution scolaire et la scolarisation : une perspective d’ensemble », Revue française de sociologie, XXXIV, 1993, pp. 3-42, et J.-P. Briand : « Le Renversement des inégalités régionales de scolarisation et l’enseignement primaire supérieur en France. Fin XIXe-milieu XXe siècle », Histoire de l’éducation, n° 66, mai 1995. Voir aussi l’étude monographique d’Antoine Prost : L’Enseignement s’est-il démocratisé ?, Paris, PUF, 1986.
22 Le fonds et une rapide analyse du corpus des copies d’histoire ont été présentés dans le numéro spécial d’Histoire de l’éducation, mai 1992, n° 54, Travaux d’élèves. Pour une histoire des performances scolaires et de leur évaluation. XIXe-XXe siècles (P. Caspard, dir.), pp. 147-155.
23 André Chervel, Danièle Manesse : La Dictée. Les Français et l’orthographe. 1873-1987, Paris, INRP/Calmann-Lévy, 1989.
24 Cette population a été composée des élèves d’une série de classes de 6e, 5e, 4e tirées au hasard, dont la distribution permettait d’obtenir une répartition par âges conforme à celle des candidats des années 1920.
25 Résultats publiés dans Les dossiers d’Éducation & formations, n° 62, février 1996.
26 Anne-Marie Chartier : « Épreuves du certificat d’études primaires en 1995. Étude de quelques facteurs ayant pu agir sur les résultats des élèves », Éducation & formations, n° 53, mars 1998, pp. 19-34.
27 La réussite en dictée est toutefois corrélée avec la réussite globale de l’élève, ce qui incline à faire de cette capacité d’autocontrôle un atout important pour rendre les acquisitions scolaires efficaces (ibid. pp. 27-28).
28 La moyenne étant requise pour l’admissibilité, il suffit de les maintenir à ce niveau.
29 P. Beaujard, op. cit., pp. 87-93 (voir également les graphiques pp. 125-127).
30 Bruno Belhoste : « Les Caractères généraux de l’enseignement secondaire scientifique de la fin de l’Ancien Régime à la Première Guerre mondiale », Histoire de l’éducation, n° 41, pp. 3-45. On se permettra de renvoyer également à l’analyse d’un phénomène du même ordre concernant l’histoire de l’enseignement technique industriel : Philippe Savoie : « Société et école : réflexions autour de l’enseignement technique français (XIXe-XXe siècles) », in C. Majorek, E. V. Johanningmeier, F. Simon, W. Bruneau : Schooling in Changing Societies : Historical and Comparative Perspectives, Gent, Paedagogica Historica, Suppl. Series IV, 1998, pp. 69-88.
31 Guy Brucy, op. cit.
32 Ce phénomène, et l’analyse des différences entre la France et l’Allemagne à cet égard dans les années 1970, ont fait l’objet d’une étude sociologique bien connue : M. Maurice, F. Sellier, J.-J. Silvestre : Politique d’éducation et organisation industrielle en France et en Allemagne. Essai d’analyse sociétale, Paris, PUF, 1982.
33 On renverra à l’article fondateur de la théorie dite du filtre : K. J. Arrow : « Higher Education as a Filter », Journal of Public Economics, juillet 1973, pp. 193-216. Cette théorie a apporté une des premières réfutations d’origine sociologique à l’interprétation néo-classique des relations entre la formation et le marché du travail. Alors que les économistes du capital humain voient dans la valorisation du diplôme une rémunération du surcroît de productivité intégré à l’individu par l’éducation ou la formation (laquelle constitue pour eux un investissement immatériel), la théorie du filtre propose une explication fondée sur l’idée d’une recherche, par les employeurs, d’une réduction de la marge d’incertitude quant aux capacités de la personne embauchée ou promue. Ce schéma d’interprétation a l’avantage de rendre compte de façon plus satisfaisante de la valorisation des diplômes généraux dans un contexte professionnel exigeant des compétences techniques.
34 António Nóvoa : Le Temps des professeurs. Analyse socio-historique de la profession enseignante au Portugal (XVIIIe-XXe siècles), Lisbonne, Instituto Nacionalde Investigação cientifica, 1987. L’application aux enseignants de la notion de profession au sens anglo-saxon du terme, lequel se réfère au modèle des professions libérales, est contestée (J.-M. Chapoulie : Les Professeurs de l’enseignement secondaire. Un métier de classe moyenne, Paris, Éditions de la MSH, 1987). Dans l’analyse d’A. Nóvoa, le processus de professionnalisation comprend l’appropriation de connaissances et de techniques spécialisées.
35 André Chervel : « L’École républicaine et la réforme de l’orthographe (1879-1891) », Mots, n° 28, n° spécial « Orthographe et société », septembre 1994, pp. 35-55, repris dans A. Chervel : La Culture scolaire. Une approche historique, Paris, Belin, 1998, pp. 125-139.
36 P. Beaujard, op. cit., pp. 51-63.
37 Des candidats au CEP en Meurthe-et-Moselle, originaires d’Alsace-Lorraine, passent déjà une épreuve d’allemand, à l’époque où leur région est sous souveraineté allemande.
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Référence papier
Philippe Savoie, « Quelle histoire pour le certificat d’études ? », Histoire de l’éducation, 85 | 2000, 49-72.
Référence électronique
Philippe Savoie, « Quelle histoire pour le certificat d’études ? », Histoire de l’éducation [En ligne], 85 | 2000, mis en ligne le 23 mars 2009, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1234 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1234
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