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Notes critiques

THÉVENIN (André). – La Mission laïque française à travers son histoire 1902-2002

Paris : Mission laïque française, 2002. – 239 p.
Catherine Mayeur-Jaouen
p. 98-101
Référence(s) :

THÉVENIN (André). – La Mission laïque française à travers son histoire 1902-2002. – Paris : Mission laïque française, 2002. – 239 p.

Texte intégral

1Le livre d’André Thévenin, préfacé par Jean-Pierre Bayle, président de la Mission laïque française, a été rédigé par un professeur de philosophie qui a exercé dans différents lycées français à l’étranger et publié à l’occasion du centenaire de la Mission laïque. C’est dire que cet ouvrage d’une lecture agréable et fondé sur une solide documentation – notamment celle des différents bulletins successifs de la Mission – ne prétend pas remplir les objectifs d’un vrai livre d’histoire : on n’y trouvera donc ni notes infra-paginales, ni bibliographie, ni index – ce que le lecteur historien peut légitimement regretter – mais une iconographie riche et abondante, une chronologie détaillée et des encarts sur telle ou telle figure de la Mission laïque, le tout servi par une présentation soignée. L’auteur, très influencé par ses sources, en épouse souvent trop étroitement l’esprit. Mais il a le mérite de poser clairement, au-delà des ambitions parfois apologétiques qui sont les siennes, les enjeux de l’enseignement français à l’étranger depuis un siècle, et même au-delà.

2Créée le 8 juin 1902, la Mission laïque française avait pour but d’exporter l’école républicaine officielle. Elle eut pour prédécesseurs l’Alliance française, créée en 1883 – mais pour laquelle les écoles n’étaient pas prioritaires – et l’Alliance israélite universelle, créée en 1860, et qui chassa largement sur les mêmes terres d’un Orient méditerranéen et levantin. L’initiative de la création venait de l’expérience malgache, celle du fondateur Pierre Deschamps, influencé par les conceptions coloniales d’un Gallieni. L’objectif n’était pas de créer une même école pour tous, ce qui conduirait à déraciner les élèves indigènes, mais de s’adapter à la mentalité des élèves sur place, de les éduquer à partir de leur propre culture. Les mots de Deschamps le disent bien : « Perfectionner les indigènes par la mise en harmonie de deux cultures, dans le respect de la culture indigène, par l’effet d’une large compréhension de la part de la culture française ». Ni domination, ni assimilation, mais la foi dans un devoir de civilisation… Si ces mots d’ordre furent répétés par les plus clairvoyants et les plus ouverts des membres de la Mission laïque, il est manifeste que l’ambition initiale fut loin d’être toujours suivie, surtout à l’heure de la domination coloniale la plus affirmée, celle de l’entre-deux-guerres, à l’époque où des sociétés encore cosmopolites pouvaient laisser espérer la suprématie de la langue française. Les débats qui, dans le Bulletin de la Mission laïque, opposent dans l’entre-deux-guerres tenants d’une mission civilisatrice univoque et assimilationniste, d’une part, et tenants de l’adaptation locale, d’autre part, sont les symptômes d’un malaise qui dura finalement aussi longtemps que la présence coloniale elle-même. L’École normale d’enseignement colonial Jules-Ferry, destinée à former les professeurs de la Mission laïque, créée dès 1902, prévoyait une pédagogie « coloniale », c’est-à-dire vouée à un enseignement pratique, avec des cours de langue indigène. Cette école, de façon caractéristique, ne rouvrit plus ses portes après 1914.

3Autre ambiguïté de départ jamais résolue : la création de la Mission laïque en 1902 correspondait à un moment de laïcité anticléricale agressive, celle d’Alphonse Aulard par exemple, qui fut l’un de ses premiers et principaux soutiens. Son implantation en Orient se fera d’ailleurs explicitement contre les établissements plus anciens des congréganistes, ceux par exemple des Jésuites au Caire ou des Lazaristes à Damas. Car c’est en Orient que la Mission connaît son heure de gloire, avec les grands lycées de Salonique, de Beyrouth, du Caire ou d’Alexandrie. Si, à Beyrouth, les élèves musulmans forment la moitié des effectifs dès 1914, ailleurs c’est à une clientèle cosmopolite et fortunée que s’adressent les lycées d’Orient – comme leurs homologues catholiques. Sans doute les lycées d’Alexandrie et du Caire ont-ils, du fait de leur laïcité, recruté une proportion considérable de juifs. L’entre-deux-guerres voit le développement de la Mission laïque avec de nouvelles implantations favorisées par le mandat français en Syrie, à Alep, à Damas. De nouvelles créations comme le Lycée Razi de Téhéran en 1928 ou plus tard, en 1948, celui d’Addis-Abeba permettent d’envisager un rayonnement accru. La Seconde Guerre mondiale voit la scission de l’œuvre, les chefs des lycées d’Égypte déclarant dès 1940 que le siège central de la Mission laïque se trouve en Égypte jusqu’à la libération de Paris. Le proviseur du lycée d’Alexandrie devient et restera le nouvel homme fort de la Mission laïque.

4C’est dire le poids considérable de l’Égypte dans l’histoire de la Mission laïque : en 1956, elle compte neuf établissements et plus de 10 000 élèves sur les seize établissements, tous pays confondus, de la Mission et ses 16 000 élèves. C’est dire aussi l’amputation considérable que représente en 1956, lors de la crise de Suez, la fermeture des établissements, devenue définitive en 1961. Le drame égyptien met en lumière la fin d’un monde, celui de ces grands lycées d’Orient tributaires du poids politique de la France, celui de l’héritage colonial auquel la Mission avait d’ailleurs, en 1955, renoncé dans la formulation de ses statuts, celui enfin d’une société cosmopolite disparue. Après le désastre égyptien suit une période de marasme où la Mission laïque doit repenser son rôle dans le cadre de la coopération culturelle et de la francophonie. À partir des années 1970, un nouvel essor s’amorce, polymorphe et parfois brouillon. Il consiste à créer des écoles pour enfants d’expatriés, les « écoles de sociétés » destinées aux enfants de personnels français de sociétés au Canada, au Chili ou ailleurs. La dispersion géographique s’ensuit, délaissant un peu l’Orient – où le Liban reste un point fort – au profit de nouveaux terrains d’expansion comme l’Espagne ou le Maroc. Le bilan esquissé à l’occasion du centenaire montre le développement des années 1990 qui oblige à penser en termes de réseaux des écoles de plus en plus nombreuses et diverses. Si l’auteur conclut sur la rénovation du concept de laïcité, l’impression dominante est, à la vérité, que la spécificité de la Mission laïque s’est quelque peu perdue à l’heure de la coopération culturelle.

5On voit bien les spécificités de la Mission laïque : le rôle des anciens élèves de l’ENS Saint-Cloud, dès sa fondation ; le poids probable des Francs-maçons (à commencer par le fondateur Pierre Deschamps) ; un discours sur la laïcité… Mais la Mission laïque partage, en même temps, beaucoup de traits communs avec l’histoire des établissements français congréganistes en Orient : des soucis incessants de locaux, de financements, de patronage d’écoles, et des affirmations générales souvent contredites, sur place, par un certain bricolage. Bien qu’ayant affirmé à ses débuts qu’elle ne saurait s’inspirer de l’exemple des congrégations, la Mission laïque épouse pourtant le modèle missionnaire catholique en Orient et rencontre les mêmes soucis à l’heure des nationalismes triomphants : nationalisations, fermetures d’établissements, accusations d’avoir formé des élèves finalement déracinés… Les thèmes soulevés par le livre d’André Thévenin ressemblent de près à ceux des thèses récemment soutenues sur l’enseignement français en Égypte (Frédéric Abécassis à Aix-en-Provence) ou en Syrie (Jérôme Bocquet à Paris-I, sous presse) dans la période, et qui montrent, au-delà des concurrences très fortes entre établissements, les convergences d’objectifs et de réalisations.

6L’historien spécialiste du Moyen-Orient pourra sans doute regretter quelques définitions ou affirmations hâtives ou erronées, par exemple à propos du millet, p. 55, du protectorat catholique de la France, p. 57 ou encore du mandat français à San Remo qui ne portait en réalité que sur la Syrie dont la France, sans mandat pour le faire, a détaché le Liban. L’ensemble du livre est étroitement tributaire de ses sources et de leur esprit, et va souvent jusqu’à reprendre le vocabulaire et les expressions de ces sources. Mais un bel hommage est rendu au personnel de la Mission laïque, à ces quelques grandes figures qui consacrèrent leur vie à l’enseignement français hors de France. Ce livre sera une base de départ utile et solide pour toute recherche plus approfondie sur le sujet.

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Pour citer cet article

Référence papier

Catherine Mayeur-Jaouen, « THÉVENIN (André). – La Mission laïque française à travers son histoire 1902-2002 »Histoire de l’éducation, 105 | 2005, 98-101.

Référence électronique

Catherine Mayeur-Jaouen, « THÉVENIN (André). – La Mission laïque française à travers son histoire 1902-2002 »Histoire de l’éducation [En ligne], 105 | 2005, mis en ligne le 13 mai 2009, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1120 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1120

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Auteur

Catherine Mayeur-Jaouen

 

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