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Manuels, auteurs et éditeurs dans les premières décennies de l’enseignement scolaire de l’allemand

Textbooks, authors and publishers in the first decades of the teaching of German in schools
Schulbücher, Autoren und Verleger in den ersten Jahrzehnten des Schulunterrichts ‘Deutsch als Fremdsprache’
Manuales, autores y editores en los primeros decenios de la enseñanza escolar del alemán
Elisabeth Rothmund
p. 15-40

Résumés

L’institution de chaires d’allemand et d’anglais dans les collèges royaux en 1829 marque le début de l’enseignement scolaire des langues vivantes. Premier ensemble de manuels conçu dans ce cadre, le Cours complet de Régnier/Le Bas connut un grand succès et marqua durablement l’orientation de cet enseignement. Francophones, ses auteurs connaissaient parfaitement le milieu scolaire et disposaient d’une longue expérience de l’enseignement des langues classiques, ce qui explique les principales caractéristiques de leurs ouvrages : l’insistance sur la grammaire et la traduction, et l’appui pris sur les connaissances déjà acquises dans l’apprentissage du grec et du latin. L’évolution des différentes éditions révèle l’ampleur du travail réalisé pour systématiser l’enseignement de la langue étrangère et y intégrer la dimension nécessairement pratique et orale de l’apprentissage d’une langue vivante. Très vite cependant, la réalisation de manuels scolaires devient un enjeu commercial et social pouvant susciter des rivalités entre Français et Allemands, mais aussi entre Allemands, dont le degré d’intégration dans la société et le système éducatif français variait en fonction de critères aussi divers que l’expérience, la réussite aux concours de recrutement et la naturalisation.

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Texte intégral

  • 1  Cf. l’étude fondamentale de Paul Lévy : La langue allemande en France. Pénétration et diffusion de (...)
  • 2  Cf. M. Espagne et alii, op. cit., pp. 72-73 : « La Grammaire de Ph. Le Bas […] et d’A. Régnier […] (...)

1La date-clé de l’histoire de l’enseignement institutionnel des langues vivantes en France est sans conteste 1829/1830, qui marque le commencement réel, bien qu’encore hésitant, d’un enseignement scolaire de l’allemand et de l’anglais1. La décision politique de créer dans tous les collèges royaux des chaires d’allemand et d’anglais suscite alors la publication d’un certain nombre de manuels, parmi lesquels le Cours complet de langue allemande de Régnier et Le Bas, probablement l’ouvrage de ce type qui connut le plus grand succès2 si l’on en croit les nombreuses rééditions attestées jusque dans les années 1860 et même au-delà. Le succès de cette méthode, ainsi que les rapports qu’elle laisse entrevoir avec d’autres travaux parus aussi bien en France qu’à l’étranger, permet de se faire une certaine idée de ce qu’était alors l’enseignement scolaire de l’allemand en France et de la manière dont furent conçus les premiers manuels.

  • 3  Philippe Le Bas, Adolphe Régnier : Cours complet de langue allemande. Ont été consultés les exempl (...)

2Conformément à une orientation que l’on voulait résolument classique, le Cours complet se composait d’une Grammaire, d’un Cours de thèmes et d’un Cours de versions, ces derniers assortis d’un volume de corrigés. S’y ajoutaient les deux tomes d’un cours de littérature, l’un consacré à la prose, l’autre à la poésie3.

3Il ne s’agit pas ici de proposer une étude systématique des méthodes d’enseignement de l’allemand pour la période 1830-1850, ni même un examen complet du Cours de Régnier/Le Bas, mais à partir d’une étude de celui-ci et de son évolution au fil du temps, ainsi que des prises de position de ses auteurs et de leurs rapports avec leurs collègues et concurrents, de dégager certains aspects qui nous paraissent représentatifs des débuts de l’enseignement scolaire des langues « modernes ».

  • 4  Cf. par exemple P. Lévy, op. cit., T. 1, p. 251 sqq. On rappellera ici le jugement de Stendhal dan (...)
  • 5  Malgré les prémices que constituent les Considérations sur l’état de l’enseignement des langues vi (...)

4La caractéristique la plus frappante de cette méthode est assurément son extrême alignement sur l’enseignement des langues classiques, qui se révèle d’emblée dans la prééminence accordée à la grammaire et la conception même des exercices de traduction. Cela ne manque pas de soulever plusieurs interrogations d’ordre didactique, qui surgirent d’ailleurs aussi à l’époque : ce sont d’une part la question de l’oralité dans toutes ses implications (phonétique, présence de l’oral dans le cours de langue, aptitude à la conversation – une dimension conditionnée par l’image qu’on avait alors en France de la langue allemande parlée, différente de celle de la langue écrite, elle-même tributaire des œuvres dont on avait connaissance)4, d’autre part la nature même d’un enseignement de langue vivante, à travers la prise en compte (ou non) du contexte culturel : la littérature et tout ce qui peut relever, au sens le plus large, de la « civilisation ». En filigrane se formule alors la question fondamentale de la définition d’un enseignement de langue vivante : s’agit-il d’apprendre une langue ou bien de découvrir une culture ? S’agissait-il en 1830 d’appréhender un pays et sa réalité quotidienne ou bien seulement ses grands auteurs ? Entendait-on apprendre à parler une langue étrangère, ou bien seulement permettre de lire les grands textes ? Des réponses à ces questions dépend la conception des outils et des méthodes d’enseignement. Corollairement, c’est la question de la raison d’être même de cet enseignement qui se pose : pourquoi apprenait-on alors l’allemand, ou, plus exactement, pourquoi considéra-t-on qu’un tel enseignement avait sa place dans les établissements d’enseignement publics ?5

5Pour clore ce panorama nécessairement bref, nous formulerons quelques remarques sur les enjeux de la production des ouvrages à usage scolaire et sur la concurrence, pas toujours élégante, qui en opposa les principaux acteurs.

I. L’institutionnalisation de l’enseignement de l’allemand et l’orientation des premiers manuels

  • 6  Ordonnance du Roi concernant l’administration supérieure de l’Instruction publique, les facultés d (...)
  • 7  Cité in M. Espagne et alii, op. cit., p. 25 : « J’oserai donc réclamer, au nom des Pères de famill (...)
  • 8  Cité in M. Espagne et alii, op. cit., p. 24 (§ 7, « Des maîtres de langues vivantes, d’arts et d’a (...)

6L’acte fondateur de l’enseignement scolaire de l’allemand en France est l’ordonnance du ministre Vatimesnil, datée du 26 mars 1829 et complétée par l’arrêté Montbel du 15 septembre de la même année, qui institue des chaires d’allemand et d’anglais dans tous les collèges royaux6 faisant ainsi favorablement écho à une demande présentée dès 1824 par l’inspecteur d’académie de Paris Louis Gabriel Taillefer7. Par la mise en place de mesures contraignantes, il voulait mettre un terme à une situation dans laquelle tout enseigne­ment sérieux, efficace et utile, des langues modernes était impossible. Sans être totalement absentes des établissements scolaires avant cette date, les langues vivantes ne bénéficiaient en effet d’aucun encoura­gement. Le premier statut des collèges royaux (1821) mettait ainsi sur le même plan les leçons de langues vivantes et celles de musique, de danse et d’escrime: facultatives, elles avaient lieu «pendant les heures de récréation»; réservées aux élèves des classes supérieures, leur charge incombait aux familles. Les maîtres de langue étaient choisis par le proviseur, en fonction de leur savoir-faire…8 De méthodes et de manuels, il n’était point question.

  • 9  Cf. l’arrêté du 3 avril 1830, « qui modifie les statuts et règlements concernant les études dans l (...)
  • 10  Sur l’œuvre de Salvandy, cf. M. Espagne et alii, op. cit., pp. 30-33. Le décret du 21 août 1838 (B (...)

7L’ordonnance de 1829 marque donc un progrès en ce sens que l’enseignement de langue vivante sera désormais dispensé dès la classe de 5e, à des horaires hebdomadaires fixés par arrêté ministériel. Mais bien qu’officiellement intégré au cadre institutionnel, il n’est toujours pas obligatoire au sens où nous l’entendons aujourd’hui, puisque ce sont, du moins dans un premier temps, les établissements qu’il s’agissait d’obliger à proposer un enseignement de ce type à qui en ferait la demande9. Il fallut attendre l’action du ministre Salvandy, à la fin des années 1830, pour que l’enseignement de langues vivantes soit rendu effectivement obligatoire, que soient instaurés des critères pour le recrutement des enseignants, adopté le principe d’inspections, et, enfin, établis des programmes et une liste des livres autorisés10.

  • 11  Cf. M. Espagne et alii, op. cit., p. 24 et P. Lévy, op. cit., T. 1, pp. 263-264.
  • 12  Notions élémentaires de grammaire allemande, à l’usage des élèves du prytanée, Ainsi que des Franç (...)
  • 13  Nouveau dictionnaire des langues allemande et française […]. Paris, 1824, 1850 ; Grammaire alleman (...)
  • 14  La plupart des Allemands nommés après 1829, en revanche, avaient exercé soit dans des institutions (...)
  • 15  Cf. Préface du tome I (Grammaire), p. VII : « l’habitude de l’enseignement qui nous a fait connaît (...)

8C’est dans cette situation initiale, dans laquelle, faute de cadre, tout est encore à inventer, que s’inscrit le Cours complet d’Adolphe Régnier et Philippe Le Bas. Pour avoir été l’une des premières méthodes conçues pour l’enseignement scolaire, il n’est cependant pas la première méthode d’apprentissage de l’allemand réalisée dans la France moderne. L’allemand était admis depuis plusieurs décennies déjà dans les écoles militaires11, et il fallait bien qu’il s’appuyât sur quelque manuel. On citera ici à titre d’exemple les ouvrages de Jean-Frédéric Simon, professeur au Prytanée de Saint-Cyr puis à l’École d’application du Corps royal d’État-major, à qui on doit entre autres des Notions élémentaires de grammaire allemande ainsi qu’une Grammaire allemande […] précédée d’un précis de grammaire générale12. Il fut suivi, dans les années 1820-1830, par Joseph T. Hermann – auteur d’un dictionnaire, d’une grammaire et de cours de thèmes et versions13. Parmi les ouvrages conçus et publiés à partir de 1830, le Cours complet de Régnier/Le Bas présente une particularité qui ne fut pas sans répercussion sur la méthode adoptée, son succès et l’évolution ultérieure des méthodes d’enseignement de l’allemand. Que ce soit par rapport à leur presque contemporain Hermann ou, plus tard, à Bacharach et Adler-Mesnard, Régnier et Le Bas se distinguent à double titre : ils sont francophones, même si Régnier est né à Mayence et que tous deux disposent d’une bonne connaissance de l’Allemagne, et à la différence de la plupart des Allemands maîtres de langue, dont beaucoup comptent parmi les premiers auteurs de manuels, ils ne sont pas, à l’époque où ils conçoivent leurs ouvrages, spécialistes de l’enseignement de cette langue : philologue, Régnier enseigna surtout la rhétorique avant de dispenser également des cours d’allemand ; Le Bas, helléniste, archéologue puis bibliothécaire à la Sorbonne, n’enseigna jamais cette langue14. Ils disposaient pourtant de deux atouts qui marquèrent profondément les débuts de l’enseignement de l’allemand et l’orientation des manuels : à la différence de leurs collègues allemands, ils avaient une bonne connaissance du milieu scolaire français, d’où ils étaient issus et où ils exerçaient déjà dans d’autres disciplines15, et avaient l’expérience du seul enseignement de langue qui s’y pratiquât alors, celui des langues classiques. Cela explique sans doute qu’il leur soit revenu d’élaborer la première méthode complète de langue allemande à usage scolaire, et qu’ils l’aient scrupuleusement calquée sur celle en usage pour les langues anciennes. On ignore cependant s’ils en prirent eux-mêmes l’initiative ou si cette mission leur fut confiée, en raison précisément de leur expérience.

  • 16  Cf. par exemple la circulaire de Victor Cousin du 18 septembre 1840 (B.U., T. 9, pp. 129-131), qui (...)
  • 17  Cf. B. Kaltz, op. cit., p. 9.

9La Préface de la Grammaire leur donna l’occasion d’exposer les principes de leur conception pédagogique – dont on peut imaginer qu’elle reflétait l’opinion du ministère, si tant est toutefois que le ministère ait eu alors une opinion bien définie : il est plus probable que tout cela se soit fécondé mutuellement au cours des premières années16. L’accent est mis sur la grammaire, qui constituait alors le socle de tout apprentissage linguistique, classique ou moderne, mais qui prit, dans le cas de l’allemand, des proportions plus importantes qu’ailleurs. Le phénomène est ancien, et l’extrême attention accordée à la grammaire apparaît comme la conjonction de deux tendances distinctes qui finirent par se rejoindre : une « grammatisation » en quelque sorte intrinsèque à l’allemand, dont la raison première est à chercher en Allemagne même, dans les travaux de Gottsched, d’Adelung et de leurs successeurs17, et la place de la grammaire dans l’enseignement scolaire en général et dans l’apprentissage des langues classiques en particulier. Cela explique que la Grammaire de Régnier/Le Bas s’inscrive à la fois dans la lignée des grammaires générales de l’allemand, parues en France ou en Allemagne, et dans une perspective scolaire typiquement française, marquée par la volonté de se caler sur des méthodes déjà éprouvées et de tirer profit des acquis des autres disciplines.

  • 18  « Nous avons consulté et mis à profit les travaux les plus importants qui ont paru sur cette langu (...)
  • 19  « Déjà des hommes d’un talent distingué se sont occupés de faciliter parmi nous l’étude de l’allem (...)
  • 20  Ibid. La Grammaire de J.-F. Simon, op. cit., était d’ailleurs « précédée d’un précis de grammaire (...)
  • 21  Ibid.

10Comme nombre de leurs collègues, les auteurs commencent par souligner que les grammaires déjà existantes (auxquelles ils ne manquent pas de rendre hommage)18, n’étant pas destinées à l’origine à un public scolaire, ne pouvaient être utilisées en l’état pour le nouvel enseignement, quelle que soit leur valeur intrinsèque19. S’adressant à un public non familiarisé avec « les notions essentielles de la grammaire générale »20, elles comportent souvent une partie totalement inutile pour un public scolaire, c’est-à-dire « des enfants qui commencent l’étude de l’allemand et de l’anglais à une époque où ils ont étudié les grammaires de trois langues, du français, du latin et du grec, et où ils connaissent déjà les rapports généraux de ces trois langues entre elles »21.

  • 22  Ibid.
  • 23  Ibid., p. VIII.
  • 24  « Nous espérons que MM. les professeurs de langue allemande attachés à nos collèges apprécieront l (...)

11Pour Régnier et Le Bas, « une grammaire, soit anglaise, soit allemande, destinée à cette classe d’élèves », doit impérativement s’appuyer sur leurs acquis et « tendre à leur faire saisir un rapport de plus, tout en leur présentant un exposé complet et précis des faits propres à chacune de ces langues »22. C’est avant tout dans le domaine de la syntaxe qu’ils disent s’être employés à montrer « par des rapprochements familiers aux élèves les rapports de la langue allemande avec les langues savantes qu’ils étudient »23. Cet aspect radicalement nouveau – fonder l’apprentissage de l’allemand non seulement sur la langue maternelle des élèves, mais aussi et surtout sur les autres langues qu’ils sont censés connaître après un apprentissage systématique, est aussi bien destiné à faciliter le travail de l’élève qu’à aider les enseignants dans une tâche nouvelle pour eux aussi. Il s’agit d’accroître la motivation des élèves, ou du moins d’éviter qu’ils ne trouvent l’enseignement de l’allemand trop rebutant, parce que trop difficile et trop nouveau, et de donner aux professeurs des points d’appui24.

  • 25  Cf. Savoye, op. cit., p. 9, également cité dans P. Lévy, op. cit., T. 2, p. 51.
  • 26  L’arrêté du 21 août 1838 stipule d’ailleurs que l’enseignement des langues vivantes « sera gradué (...)

12Plus qu’aligné sur l’enseignement des langues classiques, celui des langues modernes se voit donc littéralement greffé sur celui-ci, ce qui présente à la fois intérêts et inconvénients. Au titre des intérêts, on citera le gain de prestige, destiné à convaincre aussi bien les familles que les collègues d’autres disciplines voyant d’un mauvais œil «l’invasion des barbares dans le sanctuaire classique »25, mais aussi un double avantage pratique: un intérêt accru lié sinon à une plus grande facilité, du moins à une moindre difficulté, et, par ricochet, un gain en matière de discipline – l’un des problèmes récurrents dans l’enseignement des langues vivantes lorsqu’elles n’étaient que facultatives et assurées par des maîtres de langues peu formés à cette tâche. Les inconvénients de la conception « classique » sont patents : les langues modernes n’étant conçues que comme des extensions des langues anciennes, qu’on ne pouvait apprendre qu’après l’acquisition d’une certaine maîtrise de celles-ci, elles n’étaient susceptibles d’intéresser que les élèves assez bons en latin et en grec. À ceux qui ne brillaient pas dans les langues classiques, les langues modernes ne pouvaient en revanche pas proposer d’alternative. Ou pour le dire autrement : mieux valait être bon en latin et en grec si on voulait être bon en allemand (ou en anglais)26.

  • 27  Cf. note n° 3, p. 21. Pour Simon et Hermann, voir notes supra. Pour Theodor Heinsius, il s’agit de (...)
  • 28  Jacob Grimm : Deutsche Grammatik, 4 vol., Göttingen, 1819-1837.
  • 29  Heinrich Bauer : Vollständige Grammatik der neuhochdeutschen Sprache, Berlin, 1827-1833.
  • 30  Johann Christian August Heyse : Theoretisch-praktische deutsche Schulgrammatik oder kurzgefasstes (...)
  • 31  Karl Ferdinand Becker : Deutsche Sprachlehre. I. Organisation der Sprache als Einleitung zur deuts (...)
  • 32  Cf. supra : « … leur faire saisir un rapport de plus… ».

13L’un des aspects de cette insistance sur la grammaire est le souci manifeste de Régnier et Le Bas de tirer le meilleur bénéfice des travaux des grammairiens allemands eux-mêmes. Si la référence à Gottsched a disparu pour cause d’obsolescence, Adelung reste incontournable, bien que les auteurs n’en aient qu’une connaissance indirecte27. Ils n’auront cependant de cesse de peaufiner leur ouvrage en y intégrant, au fil des éditions successives, le fruit de leur lecture des travaux les plus récents des grammairiens et lexicologues allemands. Dans la préface à la 3e édition, ils disent ainsi avoir eu recours aux ouvrages « les plus récents et les plus estimés qui ont paru en Allemagne depuis 1830 ou qu’[ils n’avaient] pu [se] procurer à l’époque où [leur] grammaire a été publiée » : Grimm28, Bauer29, Heyse30 et K. F. Becker31, ces deux derniers étant particulièrement intéressants en leur qualité d’auteurs de grammaires scolaires. En dépit d’un caractère fortement empirique et de prémisses discutables, la démarche témoigne d’une incontestable volonté de définir quelque chose comme une première didactique de l’allemand : forts de leur expérience pédagogique, mais relativement novices en ce qui concerne cette langue, c’est assez logiquement que Régnier et Le Bas se tournent vers des ouvrages scolaires parus outre-Rhin, en quête tant d’une formulation claire des faits de langues que d’une méthode adaptée aux enfants. Dans la mesure où on estimait alors que toute acquisition linguistique suivait les mêmes principes32, il n’est pas étonnant qu’on ne se demande même pas si une méthode scolaire adaptée à des enfants dont l’allemand est la langue maternelle le sera également à ceux pour qui il s’agit d’une langue étrangère.

  • 33  Ce que certains politiques, tel D. Fr. Arago en 1837, n’hésitent pourtant pas à faire : « Il n’est (...)
  • 34  Bacharach et Adler-Mesnard collaborent au Cours complet de Régnier et Le Bas avant de réaliser leu (...)

14Si la référence à ces ouvrages souligne le souci légitime de suivre l’évolution des sciences grammaticales en Allemagne, la comparaison des différentes éditions du premier tome du Cours complet révèle aussi que les auteurs ne rechignent devant aucun effort pour atteindre la plus grande clarté dans leur exposé. Cela est dû autant aux difficultés inhérentes à la langue allemande et à celle, spécifique, qu’ils rencontrent dans l’élaboration d’une méthode destinée à une discipline nouvelle pour eux aussi, qu’à la nécessité persistante de légitimer l’existence de l’enseignement des langues vivantes et d’en assurer la promotion : même s’il ne saurait être question de faire de l’allemand une langue facile33, les efforts pour présenter son apprentissage comme abordable sont manifestes. On voit ainsi se multiplier tableaux et classifications, témoins d’une volonté de systématisation sans égale dans d’autres disciplines. Il est vrai qu’il fallait d’abord dompter la matière avant de la rendre présentable. Les éléments les plus significatifs à cet égard sont sans doute le tableau synoptique des déclinaisons établi par Henri Bacharach et le « travail très-complet et très-commode sur les déclinaisons allemandes » d’Adler-Mesnard, présents au moins à partir de la 6e édition. Il semble qu’infatigablement mus par le souci d’une clarté et d’une efficacité pédagogique toujours plus grandes, Régnier et Le Bas n’aient pas hésité à s’attirer la collaboration d’Allemands ayant eux-mêmes une certaine expérience de l’enseignement de leur langue. Les ajouts sont de toute évidence issus de la pratique enseignante et des échanges entre enseignants et/ou auteurs, la coopération paraissant avoir été relativement bonne, au moins dans les premières années34.

II. Le poids de l’enseignement des langues classiques

  • 35  « La langue allemande se compose, comme les langues grecque et française, de dix sortes de mots ». (...)
  • 36  Ibid., p. 38.
  • 37  Ces comparaisons avec les langues anciennes n’apparaissent qu’en notes infrapaginales, dans les éd (...)

15S’il reconnaît sa dette envers ses prédécesseurs, le Cours de Régnier et Le Bas tient aussi à s’en démarquer par son orientation scolaire. Aussi bien la Grammaire que les exercices de traduction témoignent de la volonté d’asseoir l’apprentissage de l’allemand sur la connaissance des langues classiques. Il peut s’agir d’une comparaison générale évoquée pour ainsi dire en passant35, ou de rapprochements plus détaillés : l’allemand selbst comparé au français même et au latin ipse, a, um36, le préverbe ent rapproché du latin e, ex, ab et des prépositions grecques correspondantes, ou encore les avant-syllabes un comparée au in latin et erz rapproché de l’archi grec37. Mais c’est surtout dans la seconde partie, consacrée à la syntaxe, que l’on tente de faire comprendre, par des rapprochements avec le grec, les mécanismes de l’allemand ne trouvant pas d’équivalents français. Malgré l’intérêt du principe, application et résultat ne semblent pas toujours pertinents, ainsi qu’en témoigne l’explication du prétérit allemand et de ce qui le distingue du parfait. Régnier et Le Bas le situent d’abord par rapport aux temps du passé de la langue française, avant de le rapprocher de l’aoriste grec. Force est de constater que l’exposé ne gagne pas forcément en clarté : « L’imparfait [c’est-à-dire le prétérit allemand] répond à la fois à l’imparfait et au prétérit défini français [i.e. au passé simple] (aoriste grec), et il peut même quelquefois se traduire par le prétérit indéfini ».

16Avant de poursuivre, les auteurs précisent en note, au moins à partir de la 5e édition : « On pourrait donc le nommer imparfait-aoriste. Les Grecs ont deux formes différentes pour ces deux temps ; mais il y a beaucoup d’affinité entre l’imparfait et l’aoriste ; ils emploient assez souvent l’imparfait dans les narrations ; et on rencontre quelquefois dans la même phrase des imparfaits et des aoristes mêlés ensemble. Dans Homère et même dans Hérodote on trouve des imparfaits qu’il faut nécessairement traduire comme des aoristes (voy. la Gramm[aire] gr[ecque] de M. Burnouf, § 358) ».

  • 38  6e édition, pp. 265-267. La comparaison avec l’aoriste est absente de la 1ère édition, qui contien (...)

17Après avoir essayé de définir les conditions d’emploi des différents temps du passé (selon que la datation est précisée ou qu’il s’agit simplement de marquer une antériorité, selon qu’on a été témoin oculaire ou non), les auteurs concluent par une remarque qui trahit surtout leur perplexité face à un phénomène que malgré leurs efforts, ils ne parviennent toujours pas à expliquer de manière satisfaisante : « Comme il dépend souvent de la volonté de celui qui parle de raconter avec plus ou moins de précision, on peut, dans bien des cas, employer presque indifféremment l’un ou l’autre temps »38.

  • 39  Préface au Tome II, 1832, p. V.
  • 40  Ibid., pp. V-VI.

18La proximité d’esprit avec l’apprentissage des langues anciennes apparaît également dans la conception des exercices de traduction ; elle est même clairement revendiquée dès la préface : « Le plan que nous avons suivi a déjà été appliqué avec succès à l’enseignement des langues anciennes »39. Contre toute attente, le cours de thème n’entend pas proposer aux élèves de s’entraîner à rendre en allemand une pensée initialement conçue en français, mais de rétablir en allemand des phrases ou de brefs extraits pris de l’allemand et spécialement traduits par les auteurs du Cours : « Toutes les phrases françaises que nous proposons sont traduites de l’allemand, avec la plus grande fidélité ; souvent même nous avons introduit volontairement dans notre texte quelques tournures plus allemandes que françaises ; et lorsqu’il arrive que notre traduction ne reproduit pas entièrement le texte de l’auteur, ce qui souvent serait impossible, le vocabulaire, en indiquant la tournure à suivre, conduit l’élève à rétablir mot pour mot la phrase allemande qui doit lui servir de modèle »40.

  • 41  Ibid., p. V.
  • 42  Ibid.
  • 43  Tous les exemples sont cités d’après le Tome II, 2nde éd., 1836, et le Tome III, 2nde éd., 1838.

19Cela dépasse de loin le cadre du thème d’imitation, et plus que « d’amener les élèves à exprimer leurs idées en allemand »41, il s’agit uniquement d’apprendre « le plus grand nombre d’idiotismes possible »42 en passant par leur traduction littérale – un apprentissage pour lequel une version suivie d’un thème d’imitation aurait été plus adaptée. Le principe ne varie pas : la phrase à traduire est accompagnée d’un certain nombre d’aides : vocabulaire, renvois aux paragraphes de la Grammaire et conseils relatifs à la syntaxe ; les élèves n’ont plus qu’à décliner et, éventuellement, à conjuguer, l’ensemble s’apparentant davantage à un jeu de construction intellectuel. Pour être particulièrement significatifs, les exemples ci-dessous ne sont en rien exceptionnels43 :

  • 44  J. von Müller : « Hunnen sind im Anfang des Römischen Kaiserthums an dem Kaspischen Meer ».

« N° 7, p. 6 : On trouve des Huns au bord de la mer Caspienne, dès le commencement de l’empire romain. Voc. Tournez : Huns sont dans le commencement du romain empire auprès de la Caspienne mer ; Huns, Hunnen ; dans le, im, § 92 ; romain, römisch (pour la terminaison à donner à l’adjectif, voy. § 25) ; empire, Kaiserthum, das ; auprès de, an, dat.; Caspien, Kaspisch, § 25; mer, Meer, das44.

  • 45  Schiller : Conjuration du Fiesque (V, 10) : « Den Mohren fanden wir eine brennende Lunte in den Je (...)

N° 5, p. 11 : Nous avons trouvé le Maure qui jetait une mèche allumée dans l’église [des Jésuites]. Voc. Tournez par une inversion fréquente en allemand : Le Maure trouvâmes nous une allumée mèche dans l’église des Jésuites jeter. Trouvâmes, fanden ; nous, § 49; allumé, brennend, § 26; mèche, Lunte, die ; dans, in, acc. ; église des Jésuites, Jesuiterdom, der ; jeter, werfen. Nous disons bien en français : nous le vîmes jeter, mais nous ne disons pas : nous le trouvâmes jeter ; pourquoi ? Au reste, cette construction n’est pas commune en allemand avec le verbe finden »45.

20Les textes sont « tirés des classiques les plus célèbres » : Campe, Fichte, G. Forster, Gellert, Goethe, Herder, Hölty, A. von Humbold, Iffland, Kant, Klopstock, Lessing, Luther, J.-P. Richter, Schiller, A.W. Schlegel, Voß, Wieland, Winckelmann – pour n’en citer que quelques-uns ; s’y ajouteront au fil des rééditions Gleim, Heine, Hoffmann, J.E. mais aussi F. Schlegel, Stolberg, Tieck et bien d’autres encore.

  • 46  Le Cours de thème et de version en français et en allemand, de J.T. Hermann, qui connut plusieurs (...)
  • 47  L’enseignement de l’allemand se faisait évidemment presque intégralement en langue française ; Vic (...)
  • 48  Cette méthode avait fait ses preuves dans l’enseignement du thème grec, si l’on en croit par ex. l (...)

21Si d’autres méthodes proposeront plus tard des thèmes extraits d’auteurs français46, le procédé est révélateur : bien qu’il s’agisse de l’enseignement d’une langue vivante, c’est avant tout l’allemand écrit qu’on transmet, une langue livresque, celle des grands auteurs, qui n’est évidemment pas identique à celle qui est alors parlée en Allemagne. Étroitement liée à l’orientation que l’on entendait donner à l’enseignement des langues vivantes, cette démarche répondait aussi à des impératifs pratiques pour les auteurs des manuels eux-mêmes : malgré leurs séjours en Allemagne, leur connaissance de l’allemand était plus passive qu’active47. Concevoir des exercices de thème à partir de textes rédigés en allemand par des auteurs dont c’était la langue maternelle représentait une sécurité incomparable, puisque cela réduisait considérablement le risque de n’être pas totalement idiomatique dans les corrigés proposés48. Mais la méthode avait des limites : la langue littéraire ayant ses spécificités, on n’était pas toujours aussi idiomatique qu’on le pensait. Assurément représentative d’une littérature moderne, la langue écrite des auteurs sollicités ne l’était pas d’une langue vivante. Même si les conditions de l’introduction des langues modernes à l’école ne permettaient guère de procéder autrement, c’est un fait : dans les premières décennies, on n’apprenait d’allemand que celui de Schiller et Goethe, et que nombre des écrivains cités aient été des contemporains, ne change rien à l’affaire.

  • 49  Environ 50 % des auteurs des versions sont présents dans le recueil de thème, et ce sont aussi ces (...)
  • 50  On se souvient des recommandations de V. Cousin dans sa Circulaire du 18 septembre 1840 : « Les ve (...)

22Le cours de version recèle lui aussi quelques particularités qui suscitent l’étonnement, bien qu’elles s’inscrivent parfaitement dans la situation évoquée à l’instant. On y trouve pour l’essentiel les mêmes auteurs que dans le recueil de thèmes, le choix privilégiant auteurs et historiens de la seconde moitié du XVIIIe et des premières décennies du XIXe siècle49. Mais on note aussi quelques bizarreries : des auteurs grecs et latins, présentés dans leur traduction allemande50, par exemple Horace, traduit par Wieland, mais aussi Virgile, Homère ou Euripide, ainsi que des textes de Herder inspirés d’épigrammes grecques. Le corrigé ajoute alors au texte français l’original grec ou latin. À l’image de ce qui se pratiquait en thème, on utilise aussi des extraits de littérature française adaptés en allemand par de grands auteurs, qu’il s’agit de retraduire : Phèdre de Racine dans la traduction de Schiller, ou le Tancrède de Voltaire adapté par Goethe. On trouve même un extrait de la traduction par Schiller de l’Iphigénie en Aulide d’Euripide, pour laquelle le corrigé, outre une traduction littérale, donne en note le texte grec, doublé d’un extrait français de Racine !

23Si la démarche s’expliquait pour le thème, on s’interroge en revanche sur le sens à donner à de tels exercices de version : s’agissait-il dans l’esprit de leurs concepteurs d’apprendre une langue ou de promouvoir une certaine idée de la culture allemande ? Exclusivement axé sur la grammaire et la littérature, et envisagé dans une perspective cumulative par rapport aux langues anciennes, l’enseignement de langues vivantes finit par s’apparenter davantage à de la syntaxe et de la littérature comparées qu’à l’acquisition d’une compétence pratique. En témoigne d’ailleurs le souhait des auteurs du manuel de version de voir leur ouvrage « considéré comme un essai de gnomologie allemande que consulteront peut-être aussi avec plaisir ceux pour qui le livre serait inutile comme ouvrage élémentaire ».

III. Vers une prise de conscience de la spécificité d’un enseignement de langue vivante

  • 51  Bulletin administratif, T. 5, p. 377. Cf. aussi les décrets du 10 avril et du 30 août 1852, ainsi (...)
  • 52  « Les langues vivantes ne seront donc pas apprises au point de vue exclusivement littéraire, comme (...)
  • 53  Cf. P. Lévy, op. cit., T. 2, p. 66 sqq.

24Les faiblesses de cette méthode ne tardèrent pas à se faire sentir et à se répercuter sur les textes officiels ; ceux-ci apparaissent alors comme un reflet (certes éventuellement incomplet et potentiellement déformé) de certaines insuffisances de l’enseignement tel qu’il fut initialement conçu et pratiqué. On lit ainsi dans l’Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées du 15 novembre 1854 que l’enseignement de langues vivantes doit avoir pour but « de rendre les élèves capables d’exprimer aisément leurs pensées dans un idiome étranger, et de comprendre ceux qui le parlent devant eux »51. La suite apparaît clairement comme une condamnation de la méthode développée par Régnier et Le Bas : sont dénoncées avant tout les dimensions littéraires et théoriques d’un apprentissage que l’on veut désormais résolument pratique52. Mais exiger qu’on mette l’accent sur l’expression orale signifie bien qu’elle n’était jusqu’alors pas au centre des préoccupations. La raison en est simple : on ne peut apprendre à bien parler une langue qu’avec quelqu’un qui la parle lui-même suffisamment bien. S’il n’y a pas de doutes à avoir sur les premiers maîtres de langue d’origine allemande, alsacienne ou lorraine, les francophones, même lorsqu’ils maîtrisaient la grammaire et savaient lire l’allemand, ne parlaient pas toujours couramment cette langue53. Leurs compétences dans ce domaine n’étaient pas vérifiées, et pour cause, et dans la mesure où leur enseignement, essentiellement théorique, se déroulait en français, cet aspect de leur qualification n’avait qu’une importance toute relative. La difficulté essentielle de l’allemand oral apparaît dès les premiers chapitres de la Grammaire, lorsqu’il s’agit d’expliquer la prononciation de sonorités allemandes n’ayant pas d’équivalent en français. Le manuel est alors toujours une solution de fortune, une langue vivante ne pouvant être apprise qu’au contact de ceux qui la parlent ; on note ainsi plusieurs remarques sur des sons « qu’on ne peut représenter par le secours des lettres » et dont « on ne pourra se faire une idée bien exacte […] qu’en les entendant prononcer ». L’exemple des diphtongues est particulièrement intéressant et la comparaison des différentes éditions révèle l’ampleur de la difficulté :

« Pour prononcer les diphtongues, il faut laisser aux voyelles qui les composent le son qui leur est naturel.

äu n’a pas d’équivalent en français. Le son qu’elle forme se rapproche d’dans Saül.

[…]

eu, la prononciation de cette diphtongue ne peut s’apprendre que de vive voix. Le son qui en résulte répond à-peu-près à celui d’eui dans feuille ».

25Voilà ce qu’on peut lire dans l’édition de 1830 ; les indications erronées disparaissent dans l’édition de 1847, mais sans être remplacées : « Il faut, en général, laisser aux voyelles qui les composent le son qui leur est naturel, cependant cette règle souffre plusieurs exceptions, et comme la plupart de ces diphtongues n’ont pas d’équivalent en français, ce n’est que de vive voix qu’on peut en indiquer la véritable prononciation ».

  • 54  « Il est presque impossible de donner aux étrangers une idée claire d’une chose qui ne s’apprend q (...)
  • 55  « Pour la prononciation, après en avoir exposé les règles, on y accoutumera l’oreille des élèves p (...)

26Déjà J.T. Hermann avait senti la difficulté de l’enseignement de la prononciation, qu’il entendait résoudre en réservant l’enseignement des langues vivantes aux seuls « locuteurs natifs »54. Mais pendant longtemps, l’oral n’est présent que sous la forme de dictées et de récitations55.

  • 56  États de la Confédération Germanique Pour faire suite à l’histoire générale de l’Allemagne. Par M. (...)
  • 57  Panorama de l’Allemagne. Par une société d’hommes de lettres allemands et français. Sous la direct (...)

27Une autre conséquence de l’orientation classique de l’enseignement de l’allemand dans les premières décennies de son existence scolaire est la faible importance accordée à ce qui ressortit au sens large de la « civilisation ». La littérature n’eut guère de mal à se faire une place, puisqu’il s’agissait surtout de permettre aux élèves, comme déjà pour le latin et le grec, de lire les grands textes. En revanche, rien ou presque n’était prévu pour acquérir en milieu scolaire quelque connaissance de la réalité du pays dont on entendait apprendre la langue. On soulignera toutefois les efforts de Le Bas pour dépasser le cadre strictement littéraire de l’enseignement de l’allemand par la publication, dans la collection L’Univers pittoresque, Histoire et description de tous les peuples, de leurs religions, mœurs, coutumes, industries &c., d’un volume consacré aux États de la Confédération germanique, « pour faire suite à l’histoire générale de l’Allemagne »56. Mais cet ouvrage ne s’inscrivait aucunement dans une perspective scolaire, pas plus d’ailleurs que le Panorama de l’Allemagne de Savoye, qui entendait donner une image vivante du monde germanique en s’attachant la collaboration « d’hommes de lettres allemands et français » parmi lesquels Victor Cousin, Geoffroy Saint Hilaire, les frères Grimm, Gutzkow, Heine, Meyerbeer, Edgar Quinet, Leopold Ranke, Régnier, Rosenkranz, Rotteck, A.W. Schlegel, D.F. Strauss ou encore L. Tieck57.

IV. Les manuels de langue : un enjeu social et commercial

28Conscients peut-être de la responsabilité qui leur incombait en tant que « pionniers », Régnier et Le Bas tentèrent, dans les premières années de l’enseignement scolaire de l’allemand, d’initier une certaine coopération entre ses différents acteurs ; mais la publication de manuels devint vite un enjeu tel que la concurrence à laquelle se livrèrent les différents auteurs prit rapidement, au moins pour certains d’entre eux, un tour très agressif. Sans vouloir généraliser à partir de situations peut-être particulières, nous évoquerons pour conclure deux cas de figure qui soulignent à quel point pour certains, l’enjeu était de taille. Il est vrai que la vente de méthodes ou d’ouvrages que l’on pourrait qualifier de parascolaires représentait, outre l’occasion de se faire une réputation, une source de revenus non négligeables au regard de la situation financière des premiers maîtres de langues. Les deux exemples retenus sont l’arrogance de J.T. Hermann, telle qu’elle apparaît dans les préfaces de ses différentes publications et qui pose corollairement la question d’une rivalité entre Français et Allemands, et la querelle (d’Allemands !) qui opposa dans les années 1851/1852 Henri Bacharach et Adler-Mesnard.

  • 58  « On manquait de grammaires ; ou du moins celles qui existaient alors, surtout en France, étaient (...)
  • 59  « Le plus pur dialecte de la Saxe, et la langue de la bonne compagnie, remplacent, dans notre ouvr (...)

29S’il peut à juste titre se flatter d’avoir devancé de quelques années Régnier et Le Bas, Hermann fait preuve d’une immodestie qui confine en plus d’un endroit au mépris le plus total pour ses collègues. À l’entendre, toutes les grammaires parues avant la sienne étaient mauvaises, rédigées par des ignorants ou des incapables58, et celles qui la suivirent ne furent que de médiocres imitations. Si la critique des ouvrages des autres peut à la rigueur être mise au crédit d’une rhétorique visant à assurer la promotion de son propre travail et si on peut lire en filigrane le souci sans doute légitime de propager une vision positive de la langue et de la culture allemandes59, les attaques formulées dans les éditions postérieures à 1830 révèlent la vraie nature des griefs. Hermann s’en prend avec une virulence inouïe aux professeurs qui, depuis l’institutionnalisation de l’enseignement des langues vivantes, ont rédigé des manuels à cet usage, coupables à ses yeux d’empiéter de manière insupportable sur un territoire qu’il estime réservé : « Depuis que l’étude des langues modernes est devenue sérieuse et qu’elle fait partie intégrante de l’enseignement des écoles, il n’est pas de professeur qui n’ait voulu faire sa Grammaire. Il est facile d’en deviner la cause ; c’est le moyen de se faire un nom et de se recommander à l’attention du monde littéraire : nous avons donc une multitude de productions de ce genre, mais il en est peu d’un mérite réel et que l’on puisse citer ».

30Étonnamment, le premier reproche formulé concerne la dimension pédagogique : Hermann reproche à ces ouvrages de ne pas être suffisamment adaptés à leur public, les nouveaux professeurs n’ayant pas, contrairement à lui, d’expérience de l’enseignement de l’allemand. Assez rapidement toutefois, il reprend les accusations déjà formulées dans les éditions antérieures : les exemples ne sont pas tirés des meilleurs auteurs et ne sauraient donc pas représenter le langage le plus pur : « Les grammaires imprimées en France avant la nôtre étaient entièrement dépourvues de ce genre de mérite [i.e. de bons exemples]. On eût dit que les auteurs s’étaient appliqués seulement à réunir quelques formes de dialogues destinés à des conversations d’une familiarité souvent triviale. Quand on les avait étudiés, on ne savait rien, ou du moins ce que l’on avait appris, il eût beaucoup mieux valu ne pas le savoir, car on ne connaissait qu’une langue grossière qui ne pouvait rendre intelligibles les productions de nos bons auteurs. C’était l’allemand vulgaire et barbare des postillons et des aubergistes ».

31Bien qu’il s’agisse toujours de reproches visant ses prédécesseurs, Hermann les insère de telle manière à ses propos que l’association aux « nouveaux » auteurs est inévitable. Il n’est d’ailleurs pas plus amène envers ses successeurs : « Les Grammairiens qui sont venus après nous n’ont été que nos imitateurs. Il en est qui ont copié effrontément notre texte, sans indiquer la source où ils avaient puisé les règles et les exemples. Pour déguiser ce vol littéraire, ils ont hasardé quelques changements, mais leur impéritie les a fait tomber dans les plus étranges bévues ; en sorte que l’élève qui les suit n’apprend qu’un dialecte tout hérissé de solécismes et de mots inusités dans le pur langage de l’Allemagne. Quelques auteurs cependant n’ont point osé s’aider de notre travail sans en faire l’aveu : Nous avons mis à profit le travail consciencieux de M. Hermann, disaient-ils dans leur 1ère édition, nous avons adopté la marche tracée par lui pour les verbes irréguliers etc… Mais dans les réimpressions de leurs opuscules, j’ai peine à deviner quel motif leur a fait retrancher cet hommage rendu à la vérité et à la reconnaissance qu’ils devaient à leur devancier ».

  • 60  Cf. note n° 3, p. 21.
  • 61  Il semble pourtant qu’il n’ait pas contribué à la bonne réputation des enseignants allemands, puis (...)
  • 62  La Grammaire de Hermann bénéficia pourtant d’une autorisation ministérielle le 24 juillet 1830. Le (...)

32On n’a aucune peine à reconnaître qu’il vise ici Régnier et Le Bas60. Ceux-ci, très probablement mandatés pour réaliser sur la base de leur propre expérience pédagogique, une méthode adaptée, se sont appuyés en toute bonne foi sur les ouvrages existants, se considérant en quelque sorte comme des passeurs entre les travaux antérieurs et le public scolaire. Il est vrai qu’une évocation de Hermann disparaît de l’édition de 1847, au profit de la mention plus globale de « plusieurs grammairiens », elle-même assortie d’une référence à M. Pompée. Mais il est évident que dès la 3e édition de leur Grammaire, Régnier/Le Bas ne citent plus nommément que les auteurs des ouvrages absents des éditions précédentes ; dans la mesure où chaque nouvelle édition reprenait les préfaces antérieures, il n’y a aucune malice dans ces « omissions ». Hermann supportait visiblement mal que des professeurs francophones, quelle que soit leur expérience de l’enseignement scolaire français, interviennent dans le cadre de l’enseignement de langue vivante61, et il n’est pas exclu qu’il n’ait guère apprécié de voir d’autres enseignants allemands associés aux éditions plus tardives du Cours complet. On ne dispose cependant d’aucune information permettant de savoir s’il a ou non cherché à prendre contact avec Régnier/Le Bas, ou réciproquement. Mais il ne fait guère de doute qu’un fort sentiment de jalousie anime ses propos62.

  • 63  Cf. la réponse de Bacharach aux premières accusations : « Le titre annonce des notes envoyées à MM (...)
  • 64  Des quatre ou cinq textes documentant cette querelle, trois seulement ont été conservés (BnF) : No (...)
  • 65  « Les versions extraites de Lessing et d’Archenholtz, ou bien indiquent d’avance aux candidats les (...)
  • 66  Ainsi Adler-Mesnard reproche-t-il à Bacharach l’indication d’un génitif « des Felses », qu’on ne r (...)

33Ce sont des rivalités du même ordre qui amenèrent Adler-Mesnard à s’en prendre à son compatriote Henri Bacharach en 1851, même si le conflit qui les opposa présente quelques différences significatives. Ciblées et nominatives (mais initialement anonymes), les attaques n’apparaissent pas au détour d’une préface, mais dans des factums conçus à cet effet et diffusés auprès d’un public soigneusement choisi63. Elles n’émanent pas seulement d’un auteur, mais impliquent désormais aussi des éditeurs64. La récrimination initiale est censée porter sur la publication d’ouvrages de préparation à des concours dont les auteurs sont également examinateurs. L’accusation formulée en ce sens contre Bacharach n’occupe pourtant que six lignes sur un total de seize pages, et n’apporte en rien la preuve d’un avantage effectif ; elle se contente d’en évoquer la possibilité (dans le cas où sont divulgués les sujets du concours) ou, dans le cas contraire, celle d’un leurre des lecteurs dans le seul but de faire vendre65. Bien qu’il s’agisse d’un problème légitime, la vraie nature des Notes critiques se révèle tout au long des pages suivantes, qui ne sont rien d’autre qu’un relevé systématique des erreurs (grammaire, solécismes et barbarismes, français et allemands) dont Bacharach se serait rendu coupable. Le ton, globalement dépréciatif, est souvent méprisant, voire déloyal66. Et même si certaines erreurs surprennent, en effet, Adler-Mesnard s’exprime avec une suffisance qui n’a rien à envier à celle d’Hermann et répond manifestement à la même volonté de défendre un territoire qui lui semble acquis.

  • 67  « [Il] a prouvé son instruction par d’excellents travaux. Son mode d’enseignement est parfait. On (...)
  • 68  Cf. la première réponse de Bacharach : « Je suis bien coupable aussi envers M. Mesnard. Il fut un (...)
  • 69  Adler-Mesnard avait été reçu 1er à ces deux concours, en 1842 et en 1850.
  • 70  Cela explique sans doute la conclusion de la première réponse de Bacharach (décembre 1851) : « La (...)
  • 71  Cf. sa réponse d’août 1852 : « Il est faux que je n’aie aucun titre à occuper les emplois qui me s (...)
  • 72  Les indications dont on dispose à ce sujet ne permettent pas d’apporter de réponse claire : M. Esp (...)

34Nous n’avons évidemment pas pu vérifier la pertinence de tous les arguments évoqués de part et d’autre – les torts sont visiblement partagés –, mais le fond de l’affaire semble être le suivant : bien qu’allemands tous les deux, et sensiblement du même âge, Adler-Mesnard et Bacharach représentent deux personnalités et deux types d’enseignants-auteurs très différents. Tout porte à croire qu’Adler-Mesnard, pourtant préféré à Bacharach pour la succession de Régnier à l’École normale, en dépit d’un rapport très favorable à son rival67, avait mal supporté que pour la chaire d’allemand de l’École polytechnique, on ait donné la préférence à Bacharach68. Sans doute estimait-il que ce poste lui revenait de droit, en raison de ses titres : il était docteur et avait passé avec succès le Certificat d’aptitude ainsi que l’agrégation69. Naturalisé de surcroît depuis 1848, il pouvait représenter un parfait modèle d’intégration au système français70. Bacharach, en revanche, ne pouvait se fonder que sur son expérience pédagogique et sur ses titres et grades obtenus en Allemagne ; mais il n’était ni docteur, ni certifié, ni agrégé – ce qui lui fut reproché71 – et tout semble indiquer qu’au moment de la querelle, il n’avait pas encore obtenu de réponse favorable à une demande de naturalisation déposée en 184872.

  • 73  « Je ne vous dirai pas, MM. Dézobry et Magdeleine, pourquoi vous vous faites les éditeurs des Note (...)
  • 74  De l’examen des livres scolaires au ministère de l’Instruction publique, 15 mars 1853.

35À cette compétition personnelle s’ajoutèrent des rivalités éditoriales. La conjonction entre Adler-Mesnard et Dézobry/Magdeleine n’est en rien le fruit du hasard, puisque les seconds sont les éditeurs du premier. À en croire Bacharach, ils auraient également souhaité publier ses ouvrages, mais celui-ci aurait refusé leurs conditions73. S’il est évidemment difficile de reconstituer les événements, l’attitude des éditeurs n’en paraît pas moins singulière, et c’est assez légitimement que Bacharach s’en étonne, soupçonnant sans doute avec quelque raison que Dézobry/Magdeleine cherchaient à discréditer la concurrence pour favoriser leur auteur. Influents, ils étaient très attentifs à l’évolution de l’édition scolaire et n’hésitaient pas à prendre publiquement position, par exemple contre la suppression en 1848 des commissions d’examen des livres scolaires74. On s’étonne pourtant de les voir, après avoir participé activement à ce qui s’apparente malgré tout à une cabale contre un auteur concurrent, s’opposer – certes en 1853 – à une pratique trop stricte de la censure ou des autorisations et estimer que les mauvais ouvrages s’élimineront d’eux-mêmes.


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  • 75  Cité dans M. Espagne et alii, op. cit., p. 84.
  • 76  Cf. M. Espagne et alii, op. cit., p. 83 sqq.

36Quels qu’en aient été les raisons profondes et le premier initiateur, cette querelle jette néanmoins une lumière singulière sur le rôle des éditeurs et révèle quelle part ils entendaient prendre dans l’orientation des méthodes et de l’enseignement scolaire des langues vivantes. À en juger selon les publications ultérieures, Adler-Mesnard (et ses éditeurs) semble(nt) bien être sorti(s) vainqueur(s) de cette étrange joute. Mais la méthode employée reste discutable et n’est pas sans rappeler certains rapports d’inspection particulièrement odieux dans lesquels il n’hésitait pas à s’en prendre violemment à la disgrâce physique d’un enseignant75. Sa carrière, toutefois, se termina sans gloire en 1866 par une mise à la retraite anticipée, après qu’il eut giflé un élève76.

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Notes

1  Cf. l’étude fondamentale de Paul Lévy : La langue allemande en France. Pénétration et diffusion des origines à nos jours. Tome 1 (1950) : Des origines à 1830 ; Tome 2 (1952) : De 1830 à nos jours : « C’est 1829 qui marque le début de l’organisation méthodique et continue de l’enseignement des langues vivantes dans les lycées et collèges, et en moins de quarante ans, on passe des premiers tâtonnements aux formes qui, dans leurs grandes lignes, resteront désormais immuables » (T. 2, p. 5). Cf. aussi Michel Espagne, Françoise Lagier et Michael Werner : Le maître de langues. Les premiers enseignants d’allemand en France (1830-1870), Paris, 1991, pp. 8-10, et Barbara Kaltz : « L’étude de l’allemand en France. De ses débuts ‘pratiques’ à l’établissement de la germanistique à l’université », Historiographia Linguistica XXVII : 1 (2000), pp. 1-20.

2  Cf. M. Espagne et alii, op. cit., pp. 72-73 : « La Grammaire de Ph. Le Bas […] et d’A. Régnier […] est l’un des principaux ouvrages de référence dans la pratique de l’enseignement de l’allemand sous la monarchie de Juillet ». Cf. aussi Alain Choppin : Les manuels scolaires en France de 1789 à nos jours. T. 5: Les manuels d’allemand, Paris, 1993.

3  Philippe Le Bas, Adolphe Régnier : Cours complet de langue allemande. Ont été consultés les exemplaires conservés à la Bibliothèque nationale de France (BnF) et à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNUS). Tome I : Grammaire allemande, à l’usage des collèges et des maisons d’éducation […], 1ère éd., 1830 (BnF) ; 2e éd., 1832 (BnF) ; 3e éd., 1834 (BnF) ; 4e éd., 1839 (BNUS) ; 5e éd., 1841 (BnF) ; 6e éd., 1846 (BnF) ; Tome II : Cours de thèmes allemands, appliqués aux règles de la grammaire […], 1ère éd. 1831 (BnF) ; 1832 (BnF) ; 2e éd., 1836 (BnF, BNUS) ; 3e éd., 1843 (BnF) ; 7e éd., 1863 (BnF) ; Tome III : Cours de thèmes allemands, appliqués aux règles de la grammaire […]. Texte allemand, 2e éd., 1838 (BnF, BNUS) ; 3e éd., 1849 (BnF) ; Tome IV : Versions allemandes, appliquées aux règles de la grammaire […], 1ère éd., 1832 (BNUS) ; 2e éd., 1841 (BnF) ; 3e éd., 1847 (BnF) ; Tome V : Versions allemandes, appliquées aux règles de la grammaire […]. Traduction française, 1ère éd. 1832 (BnF, BNUS) ; 2e éd., 1847 (BnF) ; Cours de littérature allemande ou morceaux choisis des auteurs les plus distingués de l’Allemagne, précédés de notices biographiques et rangés dans l’ordre historique […]. Paris, 1ère éd., 1833/1834 (BnF) ; 4e éd., 1844 (BnF) ; 9e éd., 1867 (BnF).

4  Cf. par exemple P. Lévy, op. cit., T. 1, p. 251 sqq. On rappellera ici le jugement de Stendhal dans une lettre à sa sœur (1807) : « Cette langue allemande est le croassement des corbeaux ». Lévy signale toutefois que les jugements plus favorables se multiplient dès le début du XIXe siècle, à l’image de celui de Charles de Villers (Considérations sur la prééminence des deux langues allemande et française, in : Le spectateur du Nord. Journal politique, littéraire et moral, Avril, Mai, Juin 1800, T. 14, pp. 19-49).

5  Malgré les prémices que constituent les Considérations sur l’état de l’enseignement des langues vivantes dans les collèges de France, publiées par J. Savoye dès 1846, il faudra attendre les années 1850 pour que soient formulées des réponses claires.

6  Ordonnance du Roi concernant l’administration supérieure de l’Instruction publique, les facultés de droit, les facultés de médecine, les écoles secondaires de médecine, les collèges royaux et communaux, les institutions et pensions et les écoles primaires protestantes, précédée d’un rapport dans lequel le ministre plaide pour une réduction des horaires de l’enseignement d’histoire ; c’est dans les plages horaires ainsi libérées que prendra place le nouvel enseignement des langues vivantes : « Le temps que l’on employait dans les classes inférieures à étudier inutilement l’histoire sera consacré avec avantage à apprendre les langues vivantes, genre d’instruction trop négligé en France, et dont le besoin se fait sentir chaque jour plus vivement, à mesure que les relations entre les peuples se multiplient, et que les littératures modernes s’enrichissent », Bulletin universitaire, T. 1, p. 182. L’ordonnance elle-même stipule au titre III. Des collèges royaux et communaux. Art. 17 : « Des règlements universitaires prescriront les mesures nécessaires : 1° Pour que l’étude des langues vivantes, eu égard aux besoins des localités, fasse partie de l’enseignement dans les collèges royaux » (p. 188). L’arrêté Montbel (Arrêté sur l’enseignement des langues vivantes dans les collèges royaux, B.U., T. 1, pp. 366-367) fixe les conditions pratiques de l’enseignement des langues vivantes.

7  Cité in M. Espagne et alii, op. cit., p. 25 : « J’oserai donc réclamer, au nom des Pères de famille, au nom des amis de l’Instruction publique et des lettres, au nom des Élèves, et dans l’intérêt même de l’État, la création, dans chaque collège, de deux chaires spéciales consacrées à l’Enseignement de deux langues vivantes au moins, l’Allemand et l’Anglais ».

8  Cité in M. Espagne et alii, op. cit., p. 24 (§ 7, « Des maîtres de langues vivantes, d’arts et d’agréments ») : « Les leçons de langues vivantes, de musique et d’escrime, ne sont données que sur la demande des parents, et seulement aux élèves des quatre classes supérieures. Les maîtres de musique et d’escrime sont payés par les parents des élèves qui reçoivent leurs leçons. Il en est de même à l’égard des maîtres de langues vivantes, sauf les exceptions qui pourraient être autorisées par le Conseil royal suivant les localités ».

9  Cf. l’arrêté du 3 avril 1830, « qui modifie les statuts et règlements concernant les études dans les collèges royaux », Art. 8 : « Dans tous les collèges royaux, l’enseignement d’une ou plusieurs langues vivantes fera partie de l’enseignement donné aux frais desdits collèges. Toutefois, l’étude des langues vivantes sera facultative pour tous les élèves, tant qu’internes qu’externes, suivant les intentions que les parents ou tuteurs auront manifesté à cet égard. L’enseignement des langues vivantes appartiendra aux classes de 5eet de 4e, de 3eet de 2e », B.U., T. 2, p. 117.

10  Sur l’œuvre de Salvandy, cf. M. Espagne et alii, op. cit., pp. 30-33. Le décret du 21 août 1838 (B.U., T. 7, pp. 362-363, également cité in A. Choppin : Les manuels scolaires en France. T. 4: Textes officiels 1791-1992, Paris, 1993, p. 141) stipule : « Art. 1er : L’enseignement d’une langue vivante est obligatoire dans tous les collèges du royaume. Art. 2 : La langue allemande et la langue anglaise seront professées dans tous les collèges royaux […]. Art. 3 : Les cours de langues vivantes commenceront en cinquième et se prolongeront jusqu’en rhétorique […]. Art. 5 : L’enseignement sera gradué de manière à suivre les progrès de l’enseignement classique. Il y aura un professeur particulier pour la classe de rhétorique. Il devra être licencié ès-lettres. Il pourra professer la seconde […]. Art. 8 : Le programme des cours et la liste des livres autorisés seront arrêtés tous les ans en Conseil royal ». La commission spéciale d’inspection, instituée le 12 mai 1838, comprenait, entre autres, Taillefer, l’helléniste E. Burnouf et Ph. Le Bas.

11  Cf. M. Espagne et alii, op. cit., p. 24 et P. Lévy, op. cit., T. 1, pp. 263-264.

12  Notions élémentaires de grammaire allemande, à l’usage des élèves du prytanée, Ainsi que des François qui ont fait quelques études et qui veulent apprendre l’allemand ; Par le C. Simon, Professeur de langue allemande au Prytanée de S. Cyr près de Versailles, Paris / Strasbourg 1802. – Grammaire allemande où l’auteur s’efforce de développer le mécanisme de cette langue dans son ensemble, à l’usage de S.A.S. Msgr le duc de Chartres. Cet ouvrage est précédé d’un précis de grammaire générale servant d’introduction à la grammaire allemande. Par M. Simon, Professeur d’allemand de S.A.S. Msgr le Duc de Chartres ; à l’École d’application du Corps Royal d’État-major ; au Collège Royal de Louis le Grand ; et au Collège Royal de Henri IV, Paris, 1819.

13  Nouveau dictionnaire des langues allemande et française […]. Paris, 1824, 1850 ; Grammaire allemande […] Paris, 1824 ; Grammaire française-allemande […], 6e éd. 1842 ; Cours de thèmes et de versions en français et en allemand […], 2nde éd. 1835.

14  La plupart des Allemands nommés après 1829, en revanche, avaient exercé soit dans des institutions privées, soit en tant que précepteurs auprès de grandes familles françaises.

15  Cf. Préface du tome I (Grammaire), p. VII : « l’habitude de l’enseignement qui nous a fait connaître les besoins de nos écoles… ».

16  Cf. par exemple la circulaire de Victor Cousin du 18 septembre 1840 (B.U., T. 9, pp. 129-131), qui semble s’inspirer largement du Cours complet.

17  Cf. B. Kaltz, op. cit., p. 9.

18  « Nous avons consulté et mis à profit les travaux les plus importants qui ont paru sur cette langue, et nous nous plaisons à reconnaître ce que nous devons aux savantes recherches de M. Simon, aux nombreux travaux de M. Heinsius, à l’ouvrage consciencieux de M. Hermann, qui tous ont adopté en partie les bases posées par Adelung, dont la grammaire fait encore autorité ». Dans l’édition de 1847, l’évocation de Hermann disparaît au profit d’un renvoi à la «Grammaire allemande de M. Pompée » (2nde éd., Besançon, 1814). Compte tenu des propos pour le moins dépréciatifs tenus par Hermann sur ceux qui se sont inspirés de ses travaux (cf. infra), on comprend que Régnier et Le Bas aient renoncé à toute mention de son nom. Nous n’avons en revanche trouvé aucune indication sur la grammaire de M. Pompée.

19  « Déjà des hommes d’un talent distingué se sont occupés de faciliter parmi nous l’étude de l’allemand et de l’anglais ; mais leurs travaux antérieurs à la décision dont nous venons de parler [l’ordonnance de 1829], ne sauraient convenir entièrement aux élèves de nos collèges », 1ère éd. 1830, p. VI.

20  Ibid. La Grammaire de J.-F. Simon, op. cit., était d’ailleurs « précédée d’un précis de grammaire générale ».

21  Ibid.

22  Ibid.

23  Ibid., p. VIII.

24  « Nous espérons que MM. les professeurs de langue allemande attachés à nos collèges apprécieront les motifs qui nous ont fait entreprendre ce travail, sur un plan qui tend à faciliter leurs savantes leçons, en donnant pour base à leur enseignement les connaissances que les élèves ont déjà acquises dans les autres langues ».

25  Cf. Savoye, op. cit., p. 9, également cité dans P. Lévy, op. cit., T. 2, p. 51.

26  L’arrêté du 21 août 1838 stipule d’ailleurs que l’enseignement des langues vivantes « sera gradué de manière à suivre les progrès de l’enseignement classique ». Quelques mois plus tôt, le Conseil royal justifiait sa décision d’exiger des candidats aux chaires de langues vivantes le titre de bachelier ès-lettres par la conviction que « les langues vivantes […] ne doivent être enseignées […] que d’une manière approfondie et qui se rapproche des études classiques ». À peine deux ans plus tard, Victor Cousin suggérera même d’étudier l’allemand à partir des traductions d’ouvrages anciens. Ce n’est qu’en 1847 qu’on envisage pour la première fois un enseignement spécial dans lequel la langue vivante remplace le latin, et il faudra attendre Victor Duruy pour que soit institué un cursus avec langues vivantes entièrement dépourvu de langues classiques. Cf. P. Lévy, op. cit., T. 2, p. 41 sqq.

27  Cf. note n° 3, p. 21. Pour Simon et Hermann, voir notes supra. Pour Theodor Heinsius, il s’agit de la Sprachlehre, l’un des volumes de Teut, oder theoretischpraktisches Lehrbuch des gesammten deutschen Sprachunterrichts, paru à Berlin entre 1807 et 1811, puis dans une version remaniée et étendue dans les années 1830 sous le titre Teut, oder theoretisch-praktisches Lehrbuch der gesammten deutschen Sprachwissenschaft. La Sprachlehre traite des aspects grammaticaux et stylistiques, ainsi que de l’histoire de la grammaire, de la poétique et de la rhétorique allemande.

28  Jacob Grimm : Deutsche Grammatik, 4 vol., Göttingen, 1819-1837.

29  Heinrich Bauer : Vollständige Grammatik der neuhochdeutschen Sprache, Berlin, 1827-1833.

30  Johann Christian August Heyse : Theoretisch-praktische deutsche Schulgrammatik oder kurzgefasstes Lehrbuch der deutschen Sprache (plusieurs éditions à partir de 1827).

31  Karl Ferdinand Becker : Deutsche Sprachlehre. I. Organisation der Sprache als Einleitung zur deutschen Grammatik (1827) ; II. Deutsche Grammatik (1829) ; Schulgrammatik der deutschen Sprache (3e éd. 1835) ; Ausführliche deutsche Grammatik als Kommentar der Schulgrammatik (1836-1839).

32  Cf. supra : « … leur faire saisir un rapport de plus… ».

33  Ce que certains politiques, tel D. Fr. Arago en 1837, n’hésitent pourtant pas à faire : « Il n’est pas d’intelligence, toute simple qu’elle soit, qui n’apprenne l’allemand en deux années d’une manière satisfaisante », cité dans P. Lévy, op. cit., T. 2, p. 51.

34  Bacharach et Adler-Mesnard collaborent au Cours complet de Régnier et Le Bas avant de réaliser leurs propres manuels (Adler-Mesnard publie dès le milieu des années 1830, mais ses ouvrages spécifiquement scolaires sont plus tardifs ; ceux de Bacharach paraissent dans les années 1849-1851). On ne sait toutefois rien des conditions de cette coopération : Adler-Mesnard et Bacharach se sont-ils signalés auprès de Régnier/Le Bas, ou bien ceux-ci ont-ils fait appel à eux ? La Préface à la 3e édition mentionne « les observations qui nous ont été faites et que nous avons même provoquées ». Il paraît en revanche acquis qu’à aucun moment, il n’y eut de conflit entre l’un des deux Allemands et les deux Français. On ne dénote d’ailleurs d’hostilité – ou d’arrogance – vis-à-vis de Régnier et Le Bas que de la part d’Hermann, tandis que les rapports entre Bacharach et Adler-Mesnard prendront un tour nettement plus agressif dans les années 1851-1852, cf. infra.

35  « La langue allemande se compose, comme les langues grecque et française, de dix sortes de mots ». Grammaire, 1ère éd., 1830, p. 7.

36  Ibid., p. 38.

37  Ces comparaisons avec les langues anciennes n’apparaissent qu’en notes infrapaginales, dans les éditions plus tardives, p. ex. 6e éd. 1847, pp. 144-146. Seule la proximité sémantique entre ver et le latin ex, per ou entre erz, ant et le grec archi, anti est évoquée dès la 1ère édition, p. 130.

38  6e édition, pp. 265-267. La comparaison avec l’aoriste est absente de la 1ère édition, qui contient en revanche une longue citation de la grammaire de Heinsius traduite par Taillefer (pp. 217-218). Nous n’avons cependant trouvé trace d’aucune traduction française des ouvrages de Heinsius. Dans les éditions ultérieures, cette citation disparaît au profit de la comparaison avec le grec, jugée plus explicite, mais qui n’est guère qu’une reformulation à usage du public scolaire français de ce que disait déjà Heinsius.

39  Préface au Tome II, 1832, p. V.

40  Ibid., pp. V-VI.

41  Ibid., p. V.

42  Ibid.

43  Tous les exemples sont cités d’après le Tome II, 2nde éd., 1836, et le Tome III, 2nde éd., 1838.

44  J. von Müller : « Hunnen sind im Anfang des Römischen Kaiserthums an dem Kaspischen Meer ».

45  Schiller : Conjuration du Fiesque (V, 10) : « Den Mohren fanden wir eine brennende Lunte in den Jesuiterdom werfen ».

46  Le Cours de thème et de version en français et en allemand, de J.T. Hermann, qui connut plusieurs éditions entre 1835 et 1846, procède de manière très similaire à celui de Régnier/Le Bas, mais recourt, au moins pour des exercices plus avancés, à des textes de Fénelon, La Harpe, Champfort, Marmontel, Molière etc. Dans les Versions et thèmes écrits et parlés d’Adler-Mesnard (1859), on trouve des textes de Rousseau, Buffon, Fénelon, Voltaire, Bossuet, Chateaubriand, Pascal, Fontenelle, plus rarement des textes traduits de l’allemand et quelques textes rédigés par l’auteur lui-même. Il est à noter que dans les deux cas, les auteurs sont germanophones.

47  L’enseignement de l’allemand se faisait évidemment presque intégralement en langue française ; Victor Cousin envisage prudemment en 1840 que l’enseignant fasse l’une ou l’autre leçon dans la langue enseignée : « Le professeur pourrait, de temps en temps, faire sa leçon dans la langue enseignée, et les élèves seraient tenus d’apporter une rédaction abrégée de cette leçon dans la même langue ». Il est vrai qu’il avait fallu attendre 1830 pour que l’enseignement de la philosophie abandonne le latin au profit du français !

48  Cette méthode avait fait ses preuves dans l’enseignement du thème grec, si l’on en croit par ex. les propos d’Edmé-Paul-Marcellin Longueville dans la préface de son Cours de thèmes grecs (plusieurs éditions à partir des années 1820) : n’ayant pas, dit-il, « l’avantage d’être né à Athènes et contemporain de Platon », il refuse de se donner pour autorité, préférant citer scrupuleusement les auteurs dont il tire des passages. Mais ce qui se justifiait dans le cas d’une langue morte ne s’imposait pas pour une langue vivante.

49  Environ 50 % des auteurs des versions sont présents dans le recueil de thème, et ce sont aussi ces auteurs que l’on retrouve dans les deux volumes du Cours de littérature et dans d’autres manuels comparables.

50  On se souvient des recommandations de V. Cousin dans sa Circulaire du 18 septembre 1840 : « Les versions et les thèmes consisteront surtout en morceaux grecs et latins qu’on fera traduire en anglais et en allemand, et réciproquement ».

51  Bulletin administratif, T. 5, p. 377. Cf. aussi les décrets du 10 avril et du 30 août 1852, ainsi que le rapport du 19 septembre 1853, qui stipule que l’enseignement des langues vivantes « n’est assimilé à celui des langues classiques ni par les méthodes qu’on y applique, ni par le temps qu’on y consacre ». Cf. P. Lévy, op. cit., T. 2, p. 47 sqq.

52  « Les langues vivantes ne seront donc pas apprises au point de vue exclusivement littéraire, comme les langues mortes, qui, ne devant point servir à l’échange habituel des idées, au commerce de tous les jours et de toutes les conditions, ont surtout été étudiées jusqu’ici pour former le goût et l’esprit des élèves. Ici l’enseignement pratique est appelé à prendre la place de l’enseignement théorique ; l’application orale et immédiate des règles doit être substituée aux exercices systématiquement calqués sur les procédés abstraits de la grammaire. C’est la pratique orale, soit dans la classe, soit au-dehors, qui produira, dans cet enseignement spécial, les résultats dus au travail personnel et à la réflexion dans les autres branches de connaissances » (B.A., T. 5, p. 377). Cf. aussi V. Duruy : Instruction aux Recteurs sur l’enseignement des langues vivantes (29.09.1863) : « Nous enseignons à nos enfants les langues mortes pour leur apprendre à penser, les langues vivantes pour leur apprendre à les parler» (B.A., T. 13, p. 318).

53  Cf. P. Lévy, op. cit., T. 2, p. 66 sqq.

54  « Il est presque impossible de donner aux étrangers une idée claire d’une chose qui ne s’apprend que de vive voix », « la prononciation exacte des diphtongues ne peut s’apprendre que de la bouche d’un Allemand », « Il est impossible de donner par écrit aux étrangers une idée claire de la prononciation ; il est nécessaire que le maître enseigne de vive voix aux élèves quelle est la véritable. Les élèves doivent souvent répéter les mots ci-dessus, et les exercices qui suivent, jamais seuls, dans leurs premières leçons, mais toujours avec leur maître, qui doit être allemand ».

55  « Pour la prononciation, après en avoir exposé les règles, on y accoutumera l’oreille des élèves par des dictées fréquentes, et on fera apprendre par cœur et réciter convenablement les morceaux dictés », V. Cousin, circulaire du 18 septembre 1840. En dépit des fortes déclarations de principe, le texte de l’Instruction générale de 1854 n’apporte guère de progrès. Il faut attendre longtemps pour que des compétences en allemand parlé soient requises des candidats aux chaires de langue vivante : on commence par exiger le grade de bachelier, puis de licencié ès lettres (1838), avant qu’un Certificat d’aptitude à l’enseignement des langues vivantes soit institué en 1841. Une agrégation d’allemand, créée en 1848, fut supprimée dès 1852. Seuls ces deux concours comprenaient des épreuves orales en langue étrangère.

56  États de la Confédération Germanique Pour faire suite à l’histoire générale de l’Allemagne. Par M. Ph. Le Bas […], Paris, s.d.

57  Panorama de l’Allemagne. Par une société d’hommes de lettres allemands et français. Sous la direction de J. Savoye, Paris, 1838. Le but de l’ouvrage est présenté en ces termes : « Qu’est-ce autre chose, après tout, que le panorama d’un pays, si ce n’est son image entière, embrassant dans un même cadre son territoire et ses habitants, ses sites et ses mœurs, son aspect physique et son caractère moral, son histoire écoulée et sa situation actuelle dans toutes les directions où la poussent sa destinée et son génie ? ».

58  « On manquait de grammaires ; ou du moins celles qui existaient alors, surtout en France, étaient sans méthode, sans style, sans clarté ; n’offrant à l’élève que des exemples sans choix, des locutions triviales ou surannées, des règles fausses ou insuffisantes » (Préface aux 8e et 9e éd. du Cours de Thème et de Version).

59  « Le plus pur dialecte de la Saxe, et la langue de la bonne compagnie, remplacent, dans notre ouvrage, ces dialectes plus ou moins corrompus et cette rusticité de tours qui ont envahi la plupart des Grammaires publiées en France, loin du centre de la littérature allemande. Nous ne faisons parler que des écrivains tels que Klopstock, Wieland, Lessing, Voss, Schiller, Goethe, Schlegel, et les plus beaux génies des temps modernes. L’oreille se forme à leurs harmonies, au lieu de s’engourdir aux sons monotones de phrases vulgaires. En étudiant notre Grammaire, on se familiarise avec les tours les plus élégants, et l’esprit, soutenu par la variété des images, par la force des pensées, n’éprouve pas ce dégoût qui l’arrête, dans les Grammaires communes, au milieu d’exemples insipides » (Préface aux 2nde et 3e éd. de la Grammaire).

60  Cf. note n° 3, p. 21.

61  Il semble pourtant qu’il n’ait pas contribué à la bonne réputation des enseignants allemands, puisqu’il fut révoqué en 1840 « pour incapacité […] à la satisfaction non dissimulée d’un proviseur inquiet de la succession de professeurs allemands », cité dans M. Espagne et alii, op. cit., p. 51.

62  La Grammaire de Hermann bénéficia pourtant d’une autorisation ministérielle le 24 juillet 1830. Le Cours de thèmes et de versions ne fut en revanche autorisé qu’à partir de 1840 (cf. A. Choppin, op. cit., p. 39, p. 46).

63  Cf. la réponse de Bacharach aux premières accusations : « Le titre annonce des notes envoyées à MM. les ministres de la guerre et de l’instruction publique. Ces notes n’ont pas été faites seulement pour être placées sous les yeux de MM. les ministres ; elles ont été envoyées à mes chefs, aux fonctionnaires des collèges et des écoles spéciales, répandues à profusion dans les centres d’examen, mises entre les mains des élèves, glissées dans les paquets de librairie, adressées aux représentants du peuple, à tous les hommes influents. Les parents de mes anciens élèves particuliers en ont reçu des exemplaires ».

64  Des quatre ou cinq textes documentant cette querelle, trois seulement ont été conservés (BnF) : Notes critiques recueillies sur les ouvrages de M. Bacharach, professeur de langue allemande à l’École Polytechnique, examinateur pour l’admission à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, et transmises à MM. les Ministres de la Guerre et de l’Instruction publique, par MM. Dézobry et E. Magdeleine, à l’appui de leurs Réclamations contre MM. les Examinateurs aux Écoles du Gouvernement qui publient des livres sur les Matières de leurs examens, Paris, août 1851. – Réponse à un factum intitulé Notes critiques sur les ouvrages de M. Bacharach […]. Question intéressant les familles, les auteurs et toute la librairie en général, Paris, 1852. – Aux lecteurs des libelles intitulés : Un dernier mot sur les ouvrages de M. Bacharach. Par M. Adler-Mesnard et Réplique honnête de Dézobry et E. Magdeleine, Libraires-Éditeurs, à M. Bacharach, Paris, avril 1852. – Les libelles en question n’ont pu être retrouvés.

65  « Les versions extraites de Lessing et d’Archenholtz, ou bien indiquent d’avance aux candidats les Morceaux sur lesquels ils seront examinés (chose qui ne s’est jamais vue), ou bien ne sont qu’un vain leurre pour ceux qui apportent foi au titre du livre, portant : Ouvrage destiné aux aspirants aux Écoles Polytechnique et de Saint Cyr, et rédigé conformément aux derniers programmes d’admission ».

66  Ainsi Adler-Mesnard reproche-t-il à Bacharach l’indication d’un génitif « des Felses », qu’on ne rencontrerait dans aucun auteur, alors qu’il apparaît pourtant dans le dictionnaire Grimm (il est vrai que celui-ci date de 1862) ; de même, Adler-Mesnard affirme d’un ton péremptoire que le pluriel « Lärmen » n’existe pas, alors que Grimm signale son existence au moins chez les auteurs anciens. Plus mesquin, Adler-Mesnard tient à souligner « qu’à l’apparition de sa Grammaire et du Cours de thèmes, l’auteur [Bacharach] reçut de la part de ses collègues des avertissements sévères au sujet des fautes étranges qui s’y rencontrent presque à chaque page ». Tous les commentaires tendent à souligner l’incompétence de Bacharach, tant dans l’une ou l’autre langue que d’un point de vue pédagogique : « les fautes qu’il fait à cet égard sont celles d’un étranger peu familiarisé avec le génie de la langue allemande », « quelques-unes des phrases que nous allons citer sont à la vérité tirées d’auteurs français, mais le choix même de ces phrases accuse non seulement un mauvais goût prononcé, mais encore une ignorance profonde de ce qu’exige un travail consacré à des élèves qui doivent apprendre à écrire en allemand ».

67  « [Il] a prouvé son instruction par d’excellents travaux. Son mode d’enseignement est parfait. On ne lui reproche que de la timidité », Rapport du 10 avril 1843, cité dans M. Espagne et alii, op. cit., p. 175.

68  Cf. la première réponse de Bacharach : « Je suis bien coupable aussi envers M. Mesnard. Il fut un temps où M. Mesnard, chargé, par accident, de l’inspection des classes de langues vivantes dans les collèges de Paris, visita les miennes au collège Bourbon. Il ne tarit en éloges ni sur la tenue ni sur l’instruction ; mes classes étaient des classes modèles, j’étais un professeur modèle. Mais voyez l’influence des positions ; depuis lors, je me suis trouvé en concurrence avec M. Mesnard pour la chaire de langue allemande à l’École Polytechnique ; j’ai été présenté par la commission mixte, choisi par M. le ministre, nommé par décision du Président de la République ».

69  Adler-Mesnard avait été reçu 1er à ces deux concours, en 1842 et en 1850.

70  Cela explique sans doute la conclusion de la première réponse de Bacharach (décembre 1851) : « La conduite de M. Adler-Mesnard surtout n’a pas de nom. On n’avait pas encore vu un professeur calomnier, auprès du ministre et du public, les livres d’un de ses collègues. Cela n’est ni universitaire, ni français ».

71  Cf. sa réponse d’août 1852 : « Il est faux que je n’aie aucun titre à occuper les emplois qui me sont confiés. Sans parler des diplômes et certificats d’études qui m’ont été accordés en Allemagne, et qui furent mes meilleures protections à mon arrivée en France [B. est licencié de l’Université de Giessen], 18 ans d’un enseignement irréprochable au Collège Sainte Barbe, au lycée Bonaparte, aux Écoles des Ponts et Chaussées et des Mines, les résultats incontestés que j’y ai obtenus, les rapports des chefs de ces établissements, les témoignages des inspecteurs qui ont visité mes classes, la confiance du Ministère de la Guerre, continuée durant six années, les conseils de l’ancien conseil de perfectionnement et ceux de la commission mixte de l’École Polytechnique, sont des titres qui valent bien un brevet d’aptitude et une palme conquise d’hier ».

72  Les indications dont on dispose à ce sujet ne permettent pas d’apporter de réponse claire : M. Espagne et alii, op. cit., ne mentionne que la date de la demande de naturalisation, P. Lévy, op. cit., évoque la naturalisation, mais sans indiquer de date, semblant reprendre la préface d’Alexandre Dumas à la traduction du Faust de Goethe réalisée par Bacharach.

73  « Je ne vous dirai pas, MM. Dézobry et Magdeleine, pourquoi vous vous faites les éditeurs des Notes Critiques sur mes ouvrages ; je me contenterai de vous demander si vous auriez édité ces notes dans le cas où j’eusse consenti, suivant vos offres, à vous confier la publication de ces mêmes ouvrages ? Non, assurément ! Édité par vous, je devenais un auteur irréprochable. Mais je n’ai pas accepté vos conditions, et j’ai préféré remettre mes intérêts à la maison Hachette et compagnie. Oh ! je suis bien criminel » ; Bacharach cite par ailleurs à l’appui de ses dires les propos d’un collègue, également « dénoncé » après que Dézobry/Magdeleine eurent « vainement cherché à devenir leurs éditeurs » en 1849 et 1850.

74  De l’examen des livres scolaires au ministère de l’Instruction publique, 15 mars 1853.

75  Cité dans M. Espagne et alii, op. cit., p. 84.

76  Cf. M. Espagne et alii, op. cit., p. 83 sqq.

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Pour citer cet article

Référence papier

Elisabeth Rothmund, « Manuels, auteurs et éditeurs dans les premières décennies de l’enseignement scolaire de l’allemand »Histoire de l’éducation, 106 | 2005, 15-40.

Référence électronique

Elisabeth Rothmund, « Manuels, auteurs et éditeurs dans les premières décennies de l’enseignement scolaire de l’allemand »Histoire de l’éducation [En ligne], 106 | 2005, mis en ligne le 31 décembre 2009, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1076 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1076

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Auteur

Elisabeth Rothmund

Université Paris XII, Val de Marne

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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