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Comptes rendus et notes critiques

CONDETTE (Jean-François), HOUTE (Arnaud-Dominique), LE BIHAN (Jean) et LIGNEREUX (Aurélien) (dir.), Former, encadrer, surveiller. Documents d’histoire sociale de la France contemporaine (XIXe-XXIe siècles)

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 360 p.
Stéphane Lembré
p. 316-319
Référence(s) :

CONDETTE (Jean-François), HOUTE (Arnaud-Dominique), LE BIHAN (Jean) et LIGNEREUX (Aurélien) (dir.), Former, encadrer, surveiller. Documents d’histoire sociale de la France contemporaine (XIXe-XXIe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 360 p.

Texte intégral

1Il existe au moins trois bonnes raisons de lire avec attention, et de posséder dans sa bibliothèque, ce livre collectif. La première, que ne reflète pas le titre mais que dévoile la quatrième de couverture et que confirme l’« envoi » final signé par Jean-François Condette et Arnaud-Dominique Houte, pour l’hommage qu’il représente à l’égard de la carrière de Jean-Noël Luc, historien de la France contemporaine, défricheur de l’éducation et de la gendarmerie, animateur de la recherche durant plusieurs décennies. La seconde, parce que les recueils de documents soigneusement sélectionnés et commentés sont des ressources précieuses, utiles aussi bien aux étudiants qu’à leurs enseignants, et pourtant pas si nombreuses que l’on pourrait le croire. Enfin, dans la mesure où, loin de se complaire dans une évocation compassée de la carrière du dédicataire, ce livre démontre, en actes, la richesse de l’histoire telle que la pratiquait et la pratique ce dernier, et la contribution aux renouvellements historiographiques des recherches initiées, encadrées ou encouragées par le professeur Jean-Noël Luc.

2Sur ce dernier plan, les trente-trois pièces d’archives qui composent le recueil sont autant d’éclairages soigneusement commentés sur une histoire de l’État « à l’œuvre », dans deux domaines, l’éducation et la surveillance, où celui-ci « a spectaculairement renforcé sa présence dans la vie de tous les Français au cours des deux derniers siècles », comme le rappellent d’emblée Jean Le Bihan et Aurélien Lignereux en soulignant la « pléthore documentaire », gage du « bonheur de l’historien » (p. 27).

3Chacune des contributions reproduit la source choisie, la commente et propose quelques prolongements bibliographiques pour les lecteurs désireux d’approfondir le sujet. L’ouvrage s’organise en six parties, l’introduction proposant plusieurs clés de lecture permettant de nouer étroitement ces deux fonctions principales de l’État. Sur le volet éducatif, des fondations napoléoniennes jusqu’aux effets de la décentralisation, l’un des apports principaux des contributions réunies réside dans la très grande diversité des acteurs convoqués dans cette fresque, au-delà même des « mondes enseignants » évoqués dans le titre de la troisième partie. Nombreux sont en effet ceux qui sont concernés par l’instruction et l’éducation, sous différents angles : architectes, chefs d’établissement, éducateurs, hommes politiques, inspecteurs, instituteurs, normaliens, pédagogues, universitaires, etc. La seconde partie, intitulée « École, élèves, normes et sociétés (milieu XIXe siècle-milieu XXe siècle) », aborde aussi bien le plan d’une salle d’asile (Nathalie Brémand) et les dessins d’un collège à l’occasion d’un concours (Anne-Marie Châtelet) que des approches centrées sur la production de la législation et des normes : projet de décret sur les bourses débattu en 1881 au Conseil supérieur de l’Instruction publique (Jean Le Bihan), célébration méritocratique des réussites de l’école républicaine à travers un palmarès scolaire de 1926 (Jérôme Krop) et, comme en miroir révélant l’une des failles de cette méritocratie, affiche de 1928 en faveur de l’école unique (Pierre Porcher-Ancelle). Si l’État est moins visible dans l’exploration des normes masculines par Ivan Jablonka, il est en revanche concerné par la question du surmenage en 1930, abordée par Cédric Boulard, à condition d’explorer les relations entre mouvements éducatifs et corps d’inspection. Du début du XIXe siècle à la fin du XXe siècle, le lecteur peut ainsi déambuler entre des sujets et des documents d’une réelle diversité, même si l’on rencontre assez peu d’actrices – Olivier Golliard étudiant néanmoins les « petites vagabondes » au prisme des répertoires analytiques de la préfecture de police de Paris – et relativement peu d’élèves, sinon dans la cinquième partie, « Encadrer les jeunesses difficiles au XXe siècle ». La vitalité de l’historiographie consacrée aux enseignants, à leur identité et à leur contrôle, trouve des illustrations diverses dans la troisième partie, en alternant des « cas » comme cette cabale contre un instituteur vosgien en 1843 (Jung-In Kim) ou « l’affaire Mercier » – un instituteur dont l’incurie pédagogique au quotidien n’a d’égal que la capacité à faire illusion lors des visites de l’inspecteur au sortir de la Deuxième Guerre mondiale – analysée par Matthieu Devigne, ou encore un retour sur des travaux antérieurs, à l’image de l’étude de la réponse d’un instituteur breton au concours ministériel de 1860 par Gilbert Nicolas. Yves Verneuil choisit quant à lui de confronter un court extrait du Code du professeur de l’enseignement secondaire (1904) rappelant la nécessité des réunions mensuelles des professeurs de lycée et fait l’hypothèse que leur relatif échec à la fin du XIXe siècle, loin de refléter un simple désintérêt, renvoie à des enjeux de reconnaissance et d’autonomie professionnelles. La dernière partie (« L’éducation en débats : massification scolaire et tensions à la fin du XXe siècle ») ouvre, dans le sillage de travaux récents, sur des objets de recherche relativement disparates mais à propos desquels l’histoire de l’éducation a sans conteste son mot à dire : ainsi des « archives générées par les institutions nouvelles instituées durant le dernier quart du XXe siècle en liaison avec le développement de l’intercommunalité qui modifie les formes de coopération rurales et urbaines », comme le souligne Sylvie Zenouda (p. 308), des représentations associées à la Préhistoire (Pascal Semonsut), de la question budgétaire qu’aborde Clémence Cardon-Quint à travers le budget 1985 dont les chiffres doivent être examinés avec prudence et en tenant compte du processus d’élaboration et d’adoption de ce budget comme des enjeux qu’il revêt, ou encore de la polémique sur le lycée « light » qui éclate en 1998 durant le passage (de 1997 à 2000) au ministère de l’Éducation nationale de Claude Allègre, analysée par Yann Forestier à travers un article du journal Le Monde.

4Bien que les six parties séparent clairement éducation et surveillance, les échos sont suggestifs : outre la synchronie de la montée en puissance de l’État, ils permettent de souligner la pluralité des acteurs, des conceptions et des intérêts que recouvre le concept d’État, de même qu’ils éclairent le processus d’édification des normes ainsi que les variations de leur mise en œuvre et de leur appropriation. Chemin faisant, si les cas d’étude sont précisément situés dans un cadre principalement national, les circulations transnationales ne sont pas oubliées, qu’il s’agisse des idées de Robert Owen introduites en France par Joseph Rey (Nathalie Brémand) ou de l’expérience genevoise fondatrice d’un Julien Fontègne en matière d’orientation scolaire et professionnelle (Jérôme Martin).

5On notera, au terme de la lecture, que les documents, de longueur inégale, sont forcément mis en forme pour les besoins de l’édition – comme un rappel que l’édition de documents ne saurait remplacer le contact avec l’archive –, en précisant aussi qu’un tel livre, par sa matérialité même, privilégie nécessairement des documents écrits ou figurés (sept chapitres font le choix de commenter des plans, dessins, affiches ou photographies), ce qui écarte par là même les images animées, les sources sonores ou les archives du web, par exemple. Il ne s’agit certainement pas de s’en offusquer, mais plutôt d’y voir la confirmation des évolutions profondes du métier d’historien, qui ne saurait s’exercer indépendamment des changements sociaux, politiques et technologiques. S’il a connu « la vogue d’une histoire quantitative nourrie par les illusions informatiques » (p. 348), la carrière de Jean-Noël Luc l’a aussi emmené à l’ère du numérique : les territoires et les moyens de l’historien se transforment, mais la rigueur méthodologique, sur laquelle se referme l’ouvrage, reste une exigence.

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Pour citer cet article

Référence papier

Stéphane Lembré, « CONDETTE (Jean-François), HOUTE (Arnaud-Dominique), LE BIHAN (Jean) et LIGNEREUX (Aurélien) (dir.), Former, encadrer, surveiller. Documents d’histoire sociale de la France contemporaine (XIXe-XXIe siècles) »Histoire de l’éducation, 162 | 2024, 316-319.

Référence électronique

Stéphane Lembré, « CONDETTE (Jean-François), HOUTE (Arnaud-Dominique), LE BIHAN (Jean) et LIGNEREUX (Aurélien) (dir.), Former, encadrer, surveiller. Documents d’histoire sociale de la France contemporaine (XIXe-XXIe siècles) »Histoire de l’éducation [En ligne], 162 | 2024, mis en ligne le 07 décembre 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/10573 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/13883

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Auteur

Stéphane Lembré

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