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Comptes rendus et notes critiques

FRIEND (J. L.), The Athenian Ephebeia in the Fourth Century BCE / HENDERSON (T. R.), The Springtime of the People. The Athenian Ephebeia and Citizen Training from Lykourgos to Augustus

Leyde, Boston, Brill, 2019 / Leyde, Boston, Brill, 2020
Thierry Lucas
p. 297-300
Référence(s) :

FRIEND (J. L.), The Athenian Ephebeia in the Fourth Century BCE, Leyde, Boston, Brill, 2019.

HENDERSON (T. R.), The Springtime of the People. The Athenian Ephebeia and Citizen Training from Lykourgos to Augustus, Leyde, Boston, Brill, 2020.

Texte intégral

1Avec les travaux de « l’école de Paris » dans la seconde moitié du XXe siècle (on pense en particulier au Chasseur noir de P. Vidal-Naquet), l’éphèbe est devenu une figure familière de l’historiographie française sur la Grèce ancienne. P. Vidal-Naquet, partant des premières attestations de l’éphébie à Athènes au IVe siècle av. J.-C., y voyait une institution remontant aux temps les plus anciens de la Grèce, à l’époque archaïque. Dans cette vision, l’éphèbe d’avant Aristote était un jeune homme à la croisée des chemins entre l’adolescence et l’âge adulte, subissant un rite initiatique pour gagner au sein de la cité sa place d’homme, caractérisée tout à la fois par sa participation à la vie publique et son inclusion dans la phalange des combattants lourdement armés, les hoplites.

2Reste que la position de Vidal-Naquet est toujours fortement débattue, faute d’éléments tangibles permettant de cerner cette hypothétique éphébie archaïque. Les sources disponibles montrent surtout que l’institution a connu un développement notable et une diffusion dans tout le bassin égéen à partir de l’époque hellénistique ; le cas de l’éphébie athénienne est à la fois l’exemple le plus ancien certainement attesté et le mieux connu grâce à la redécouverte au XIXe siècle de la Constitution d’Athènes d’Aristote, dont un chapitre entier décrit le fonctionnement de l’institution à la fin du IVe siècle av. J.-C. Cependant, il n’y avait pas eu de synthèse sur l’éphébie athénienne du IVe siècle av. J.-C. depuis le livre de C. Pélékidis en 1962 : les ouvrages récents, notamment en français, avaient surtout contribué avec succès à mettre en lumière les évolutions de l’institution à l’époque hellénistique, soit à Athènes (E. Perrin-Saminadayar), soit dans le bassin égéen (A. Chankowski).

3Cette lacune a été récemment comblée : par les hasards du monde académique, deux monographies en anglais ont été publiées sur le sujet la même année, dans la même collection. J. L. Friend s’intéresse essentiellement à l’éphébie d’Aristote, celle du IVe siècle av. J.-C., et plus précisément de la période d’activité de Lycurgue (338-324 av. J.-C.), et fournit en outre un catalogue exhaustif des inscriptions de cette période relative à l’éphébie. T. R. Henderson se penche sur une plage chronologique plus large, du IVe siècle av. J.-C. à la fin de l’époque hellénistique, mais c’est bien, là aussi, la phase de la fin du IVe siècle av. J.-C. qui occupe l’essentiel de l’ouvrage.

4Sur un point crucial, les opinions des deux auteurs concordent : opposés à l’idée, défendue encore récemment par A. Chankowski, d’une origine de l’institution dès la première moitié du IVe siècle av. J.-C., ils entendent démontrer que c’est seulement dans le dernier tiers du IVe siècle av. J.-C. que l’institution est apparue à Athènes. Le terme éphèbos est certes attesté dès le début du IVe siècle av. J.-C., mais cela n’impliquerait pas, pour nos deux auteurs, l’existence d’une « éphébie », c’est-à-dire d’une organisation institutionnalisée par l’État pour prendre en charge la formation de ces jeunes gens. Prise en ce sens, l’éphébie serait une création ex nihilo de l’année 334/333 av. J.-C., mise en place lors d’une réforme précise, la loi d’Épikratès, prévoyant l’inscription obligatoire des jeunes hommes, de leurs 18 à leurs 20 ans (malgré un fort taux d’exemption, supérieur à un tiers de la classe d’âge). C’est là clairement un point qui fera débat : les arguments développés par J. L. Friend et T. R. Henderson ne suffisent pas à emporter l’adhésion face à la position de A. Chankowski ; ce qui pose problème, c’est leur acception très limitée du terme « éphébie », qui désignerait uniquement l’institution obligatoire décrite par Aristote. L’existence même du mot éphèbos implique pourtant que, dès le début du IVe siècle av. J.-C. au moins, les jeunes gens étaient perçus à Athènes comme un groupe d’âge à part, dont la formation civique, morale et militaire faisait l’objet d’une attention toute particulière. Du reste, dans sa description très précise de l’institution, Aristote parle bien des éphèbes, mais n’emploie jamais le terme « éphébie » ; on ne saurait pourtant en tirer parti pour dire que l’institution n’existait pas au temps d’Aristote. L’éphébie a pu exister sous une forme ou une autre dès le début du IVe siècle (même s’il s’agissait d’une réalité différente de l’éphébie lycurguéenne décrite par Aristote), sans qu’on ait éprouvé le besoin d’employer le mot. Dans ce cadre, il y aurait bien eu une réforme importante vers 334 av. J.-C., mais certainement pas une création ex nihilo.

5Passé ce point de départ commun, les deux ouvrages se complètent assez bien. Du livre de J. L. Friend, on retiendra surtout qu’il s’agit d’un outil de travail commode, fournissant un corpus exhaustif de toutes les inscriptions relatives à l’éphébie au IVe siècle av. J.-C. Pour le reste, l’ouvrage présente malheureusement une tendance marquée à restreindre l’éphébie à son aspect martial, en en faisant une sorte de service militaire. J. L. Friend va même jusqu’à voir dans la création de l’éphébie une solution instaurée par la cité pour faire face à un problème militaire précis, la recrudescence des raids de pillage à la frontière entre l’Attique et la Béotie après la destruction de Thèbes en 335 av. J.-C. – il faut cependant noter qu’il n’y a strictement aucun élément qui permette d’étayer cette hypothèse. De même, les différents aspects religieux et éducatifs liés à l’éphébie sont réduits à ce qu’on appellerait aujourd’hui « l’esprit de corps » de cette unité militaire. Partant de ces bases, J. L. Friend restitue donc une image fortement guerrière de l’éphébie, faite de patrouilles à la frontière et de courses-poursuites avec des pillards béotiens – là encore, il n’y a pourtant rien dans la documentation qui permette de restituer si précisément l’activité militaire des éphèbes. Enfin, on peut également déplorer un point de vue centré de façon presque caricaturale sur l’Athènes classique : l’ouvrage est strictement confiné à la période d’une dizaine d’années de fonctionnement de l’institution sous Lycurgue (ca. 334-322 av. J.-C.), et c’est à peine si un paragraphe de l’épilogue est dédié à l’histoire de l’éphébie à Athènes aux époques hellénistique et romaine, tandis que rien n’est dit de l’adoption de l’institution dans une large partie du monde grec dès le début du IIIe siècle av. J.-C., marquant la diffusion du modèle athénien et, in fine, son succès.

6À bien des égards, l’analyse de T. R. Henderson, bien que moins précise sur la période lycurguéenne, est certainement plus satisfaisante, puisqu’il montre que la préoccupation majeure de la cité, derrière la mise en place de l’éphébie, était avant tout l’éducation civique et morale des jeunes citoyens, et plus généralement le redressement moral de la cité après la défaite de Chéronée face aux Macédoniens en 338 av. J.-C. Par exemple, les principaux encadrants de l’éphébie, l’ordonnateur (kosmètès) et les éducateurs (sophronistai), n’étaient pas des officiers militaires, mais des magistrats chargés de veiller à la bonne tenue des jeunes gens. Si l’aspect martial de l’éphébie était bien réel et avait pour but d’accentuer l’effort de mise à niveau de l’appareil militaire athénien, il était aussi et peut-être même d’abord conçu comme un véhicule de la formation morale et civique des jeunes citoyens. La prise en compte des évolutions de l’institution à l’époque hellénistique, même si cette partie de l’ouvrage est la moins détaillée, est également bienvenue et permet d’appréhender l’histoire de l’éphébie sur le temps long (mise en place d’une formation intellectuelle dans le cursus, ouverture aux étrangers), et de mieux souligner le caractère exceptionnel de l’institution obligatoire de l’époque d’Aristote, qu’on ne retrouve plus par la suite à Athènes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thierry Lucas, « FRIEND (J. L.), The Athenian Ephebeia in the Fourth Century BCE / HENDERSON (T. R.), The Springtime of the People. The Athenian Ephebeia and Citizen Training from Lykourgos to Augustus »Histoire de l’éducation, 162 | 2024, 297-300.

Référence électronique

Thierry Lucas, « FRIEND (J. L.), The Athenian Ephebeia in the Fourth Century BCE / HENDERSON (T. R.), The Springtime of the People. The Athenian Ephebeia and Citizen Training from Lykourgos to Augustus »Histoire de l’éducation [En ligne], 162 | 2024, mis en ligne le 07 décembre 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/10502 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1387y

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