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Notes critiques

CHERVEL (André). – La culture scolaire. Une approche historique

Paris : Belin, 1998. – 238 p. (Histoire de l’éducation)
Françoise Mayeur
Bibliographical reference

CHERVEL (André). – La culture scolaire. Une approche historique. – Paris : Belin, 1998. – 238 p. (Histoire de l’éducation)

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  • 1  Par l’adjonction, notamment, de deux études inédites, consacrées respectivement à la version latin (...)

1À certains moments, s’impose à un chercheur l’idée de « nouer sa gerbe » sur l’un ou l’autre des sujets qu’il a le plus profondément défrichés. La dispersion de contributions importantes données à des revues ou des ouvrages collectifs, la difficulté ou l’impossibilité d’accès à certaines de ces publications, la maturité, enfin, de la réflexion ont amené ainsi André Chervel à reprendre et enrichir1, par le voisinage même du recueil, certains textes qui lui tiennent à cœur sur la culture scolaire. Celle-ci en effet n’est pas la « culture par l’école », qui serait alors un moyen de transmission des savoirs comme un autre ; l’auteur établit qu’il est une forme de culture scolaire « dans son principe ». Mais, de plus, cette culture s’analyse dans ses relations avec la société où elle s’insère. La perspective est résolument historique, ce qui jette en effet une lumière particulière sur la question, en montrant la durée des cheminements comme les moyens des changements observés. Ainsi découvre-t-on un désintérêt certain et somme toute paradoxal de la réflexion pédagogique pour « l’existence même d’une forme de culture qui ne serait accessible que par la médiation de l’école ». Appréhendée à travers les exercices et les pratiques des classes, cette culture n’apparaît pas pour autant immobile, et les contenus varient. L’une des grandes constatations auxquelles aboutit A. Chervel réside en la vision d’une verticale inversée : les grandes mutations, dans les contenus comme les méthodes scolaires, ne proviennent pas de quelque volonté d’en haut, mais résultent de modifications dans les pratiques ; progressives, elles finissent par recueillir l’adhésion d’une grande majorité du corps enseignant, avant de faire l’objet de mesures gouvernementales. Mesures qui, alors, sont bien acceptées par ceux qui sont chargés de les appliquer, car ils les ont forgées eux-mêmes. Une telle analyse est propre à renouveler le regard sur la bifurcation de Fortoul, par exemple : sans doute le système était-il mal organisé, selon Duruy qui le supprima, sans doute l’autoritarisme du ministre, la conjoncture politique n’étaient-ils pas favorables à une réussite. L’essentiel résiderait pourtant dans l’absence de consentement initial de la part des professeurs.

2Surtout consacré à l’enseignement secondaire, envisagé sur une longue période, et à l’histoire des disciplines littéraires, l’ouvrage comporte des développements sur l’enseignement primaire. Sa rigueur logique tend à démontrer que l’école fonctionne comme un système largement autonome et qu’elle change (ou ne change pas) sous l’effet de deux mouvements massifs et contraires : ce sont les disciplines enseignées qui déterminent les traits du système. L’orthographe, de Guizot à nos jours, s’affronte à la dissertation littéraire, qui a au fil du temps pris la place de la vieille « amplification » et fut encouragée par Jules Ferry. Les « variations » ultérieures du niveau scolaire s’en trouvent éclairées. Les origines du mot d’enseignement « secondaire » dans l’acception moderne sont plus récentes que les écoles centrales instituées par la Révolution. Le mot s’emploie vers 1815 pour désigner tous les établissements qui dispensent un enseignement classique, des classes de grammaire jusqu’à la rhétorique et la philosophie. Les « écoles secondaires » antérieures, conçues comme intermédiaires entre l’enseignement primaire et les humanités proprement dites, semblent avoir connu un succès qui ne s’est pas démenti après la création des lycées. Les décrets fondateurs de l’Université rompent l’équilibre. Ils conçoivent, comme l’avait fait Destutt de Tracy, un enseignement qui n’a rien de commun avec l’enseignement primaire : la marque de l’établissement secondaire, c’est désormais le latin.

  • 2  Comme l’« échec » du français dans les régions de patois ou de langues telles que le flamand et l’ (...)

3La cinquantaine de pages consacrées à l’histoire des disciplines scolaires est riche de données strictement examinées ; ainsi les composantes de la discipline scolaire visitées pas à pas, les connexions entre disciplines voisines, l’abandon du mode mutuel dans les années 1830-1850, dès que les écoles publiques abordent, avec l’arithmétique et la grammaire, des enseignements plus « sophistiqués » que la lecture et l’écriture. La lente diversification des « matières » au sein des humanités classiques attire la critique de Le Play qui reproche à tout enseignement scolaire de ne pouvoir enseigner « la vraie science de la vie ». Peut-être faudrait-il ne pas être si catégorique sur certains thèmes évoqués au passage2. Jules Ferry, faute de grandes transformations sociales et économiques en France, ne pouvait guère agir sur l’absentéisme scolaire ; son habileté n’est pas tant là où la voit l’auteur que dans le camouflage partiel opéré par la loi de 1882 ; elle autorisait bien des absences et se conformait somme toute assez largement au comportement des parents d’élèves.

4L’inventaire des travaux écrits des élèves dans l’enseignement secondaire est un modèle de précision et de justesse, de même que les remarques du chapitre 3 sur version latine et enseignement du français, où l’on voit l’influence de l’exercice sur l’évolution du style français. La version latine devient alors une « gymnastique intellectuelle », tandis que la composition française (chapitre 4), examinée de façon plus précise par le dépouillement des sujets donnés au baccalauréat, aboutit à la fin du siècle au « tout littéraire », ce qui n’explique pas les raisons profondes du choix en faveur de la littérature. Les humanités classiques (chapitre 5) voient se substituer au « plan d’études » le « programme », au terme d’un long processus qui fait de celui-ci « un trait d’union disciplinaire entre les professeurs des différentes classes ». L’influence des évolutions politiques et culturelles apparaît au reste bien faible au regard de cet effort de concertation auquel auront travaillé constamment les instructions officielles et les inspecteurs généraux. Cohésion que confirme l’évocation des études dans les collèges de l’Oratoire à la fin de l’Ancien Régime (chapitre 7). L’image « moderniste » opposée à celle des collèges jésuites ne semble pas pertinente, du moins pour l’enseignement des langues, car les contraintes pédagogiques ont amené, dans tous les collèges, à unifier les pratiques enseignantes.

5L’enseignement de l’orthographe par l’école primaire a connu un bouleversement avec la loi Guizot. Le règne de l’orthographe, qu’apprennent désormais les maîtres d’école, s’accompagne de toute une pédagogie de celle-ci. Il suscite une réaction visible chez les réformateurs républicains, tels Buisson et Pécaut. Jules Ferry évoque « l’abus de la dictée » en 1880. Preuve nouvelle qu’est indispensable le consentement profond du corps enseignant, la lutte de dix-sept ans que mène Buisson contre cet « abus » de l’orthographe, afin de parvenir à l’« éducation » des enfants, se révèle infructueuse : les instituteurs, un temps ébranlés, restent dans les années 1890 de fermes partisans de la dictée, et la transformation voulue ne s’opère pas.

6Ces nouveautés dans l’approche et le sérieux des investigations montrent le grand pouvoir explicatif des affirmations qu’A. Chervel a formulées d’emblée. Elles rendent compte en particulier de ce que l’on a pu appeler l’« inertie » du système éducatif en France et, plus sévèrement encore, l’imperméabilité aux innovations, aux expérimentations, en un mot au changement pédagogique. Sans doute conviendrait-il de croiser ensuite de telles analyses avec des constatations plus classiques, relatives à l’âge du corps enseignant et au type de formation initiale reçue. La méthode qui se fonde sur l’étude des disciplines scolaires montre cependant son bien-fondé. La société globale se ressource périodiquement dans la culture scolaire que forment ces disciplines ; elle est « originellement destinée à des jeunes », ce qui n’est pas sans conséquences à méditer.

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Notes

1  Par l’adjonction, notamment, de deux études inédites, consacrées respectivement à la version latine et à la composition française.

2  Comme l’« échec » du français dans les régions de patois ou de langues telles que le flamand et l’alsacien. Le collège d’Altkirch dans les années 1830 diffère des lycées d’Alsace plus tard. Le rapport de l’inspecteur Anthoine sur le Nord ne suffit pas à caractériser une situation qui, là aussi, fut mouvante. Dans le pays bigouden, selon P. Hélias, les Bretons ont appris le français quand ils en ont constaté l’utilité pratique.

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Françoise Mayeur, “CHERVEL (André). – La culture scolaire. Une approche historiqueHistoire de l’éducation [Online], 85 | 2000, Online since 12 March 2009, connection on 08 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1013; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1013

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