WISARD (François). – L’Université vaudoise d’une guerre à l’autre. Politique, finances, refuge
WISARD (François). – L’Université vaudoise d’une guerre à l’autre. Politique, finances, refuge. – Lausanne : Éditions Payot Lausanne, 1998. – 523 p. (Études et documents pour servir à l’histoire de l’Université de Lausanne, XXXV)
Texte intégral
1Depuis quelques années, l’université de Lausanne est le sujet d’une forte curiosité de la part de ses propres historiens. Leurs recherches sont publiées dans la série « Études et documents pour servir à l’histoire de l’Université de Lausanne » : le trente-cinquième volume de la collection comprend la thèse de doctorat de François Wisard. L’auteur traite principalement les processus de décision politique concernant l’université cantonale dans une Suisse neutre pendant les deux guerres mondiales, tout comme ceux qui dominaient l’entre-deux-guerres, période de non-expansion de l’enseignement supérieur vaudois. Comme le titre l’indique, F. Wisard a structuré son exposé autour de trois axes : la relation entre la communauté universitaire et le champ politique du canton ou de la confédération, le financement de l’université et ses conséquences pour son autonomie et pour la position sociale du personnel académique ; l’implication de l’institution, finalement, dans l’accueil de réfugiés, surtout pendant les hostilités qui ont opposé les pays voisins.
2En comparaison avec l’expansion qu’elle a connue durant les Trente Glorieuses, la période 1914-1945 semble bien morose pour l’enseignement supérieur de Lausanne. Le nombre d’étudiants stagne. Les autorités cantonales vaudoises sont confrontées à de sérieux problèmes budgétaires et veulent limiter les dépenses universitaires, au point d’envisager l’intégration dans une hypothétique université romande. Le nombre de bâtiments affectés à l’enseignement et à la recherche croît à peine: on bâtit peu, hormis le nouvel hôpital académique, largement financé – le fait est marquant – par l’industriel Solvay. Toutefois, F. Wisard avance que ces décennies ne peuvent être traitées comme un simple intermède entre deux phases de croissance. En effet, sous une apparence de stabilité, le champ universitaire vaudois de l’entre-deux-guerres présente quelques changements. Il y a l’alignement relatif de la politique universitaire vaudoise sur le reste de la Suisse, notamment en ce qui concerne les salaires et les retraites des professeurs. L’auteur décrit la diminution des pouvoirs discrétionnaires du canton et suggère de subtils déplacements de pouvoir au sein de l’université elle-même. Il nous peint aussi une université qui, pendant deux guerres, reflète la politique d’asile de la confédération helvétique. Il ne s’agissait pas seulement d’accueillir des réfugiés civils : en conséquence d’accords internationaux, le pays accueillait aussi des prisonniers de guerre malades ou blessés, internés sur son territoire. Il y avait une volonté d’aide intellectuelle à certains de ces groupes, en leur donnant la possibilité de suivre des études notamment, mais les résultats étaient plutôt limités. Pendant la Seconde Guerre mondiale, en conséquence d’un droit d’asile assez restrictif, peu de réfugiés, politiques ou autres, atteignaient l’université de Lausanne. Il y en eut davantage dès 1943, mais le nombre resta dans des limites bien définies.
3Considérant l’attention que porte l’historiographie récente aux attitudes collectives du personnel universitaire, on lira sans doute avec beaucoup d’intérêt les passages consacrés au profil politique des professeurs vaudois. À cet égard, F. Wisard nous donne un relevé des phénomènes d’expression politique ou plutôt de ce qui semble être la dépolitisation du groupe. À ce sujet, la première et la deuxième guerres mondiales se présentent, en quelque sorte, comme deux pôles opposés. Non seulement la différence est marquée entre les distorsions causées par les deux conflits au sein de l’université (elles ont été nettement plus grandes en 1914-1918), mais toute l’attitude du corps académique dénote des contrastes frappants. Pendant la Première Guerre mondiale et les premières années qui la suivent, les universitaires de Lausanne se montrent « engagés » et curieusement « pétitionnaires » ; ils se démarquent de leurs confrères des cantons alémaniques par une sympathie grandissante pour la cause alliée, défendent activement leurs intérêts matériels, tout en gardant un profil conservateur et résolument antisocialiste. La fin des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale, par contre, nous montrent un professorat appartenant toujours en majorité à la droite vaudoise certes, mais qui apparaît comme très passif, même quand ses traitements sont mis en cause. Ils adoptent délibérément un profil bas politique, affichant un tel neutralisme devant les belligérants que même les atteintes les plus brutales aux libertés académiques – notamment la fermeture, en 1943, de l’université d’Oslo par l’occupant – ne suscitent que des marques de sympathie bien hésitantes avec les collègues frappés. Le doctorat honoris causa attribué par l’université de Lausanne à son alumnus Benito Mussolini en 1937 semble entrer dans le même ordre d’attitudes : à partir du moment où le consulat italien eut vent d’un éventuel doctorat honoraire (proposé par un professeur italien, ami du Duce), il s’agissait de ne pas irriter le voisin fasciste par un refus, quitte à ne pas motiver le titre conféré par des arguments trop clairement politiques.
4Le livre de F. Wisard est si riche d’informations qu’il est impossible d’en relever ici tous les aspects. Néanmoins, l’ouvrage ne satisfait pas entièrement le lecteur, surtout quand il y cherche plus que de simples données sur l’université en cause, espérant y trouver une grille de lecture qui pourrait aider l’analyse d’autres universités que la vaudoise. Le constat d’une absence de théorie généralement acceptée de l’histoire universitaire incite l’auteur, trop facilement à notre avis, à ne pas en avoir du tout, et à renoncer à toute approche plus sociologique du champ universitaire. Ce choix d’un empirisme pur et simple explique peut-être la naïveté de certaines interprétations, notamment pour ce qui est de l’idée que l’auteur se fait de l’éthique professorale avancée par von Humboldt. Quand l’auteur situe, par exemple, le non-engagement du corps académique vaudois devant la destruction d’universités, comme celle perpétrée en 1943 par les nazis à Oslo, dans le cadre d’une « restauration de l’idéal humboldtien », on a tout de même quelque mal à le suivre. Mais ce qui frappe avant tout, c’est le manque de tout schéma explicatif de ce phénomène de dépolitisation apparente. Comment, en effet, l’auteur aurait-il pu le produire sans une approche plus globale du groupe social en cause, par des méthodes comme celles proposées par une historiographie plus avancée, par C. Charle et J. Schriewer plus en particulier ? Certes, l’historiographie traditionnelle des universités continue de rendre ses services – ce livre le démontre – mais, au niveau analytique, cette optique est bien décevante. L’interprétation du pouvoir (universitaire) comme « multiple, polycentrique, protéiforme », telle que l’ambitionne ce livre, nous semble requérir une démarche plus audacieuse peut-être, plus modélisée sans doute, plus comparatiste aussi.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jeffrey Tyssens, « WISARD (François). – L’Université vaudoise d’une guerre à l’autre. Politique, finances, refuge », Histoire de l’éducation [En ligne], 85 | 2000, mis en ligne le 12 mars 2009, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/1010 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.1010
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