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Agentivité ou autonomie ? Pour une théorie critique de la vulnérabilité

Agency or Autonomy? Toward a Critical Theory of Vulnerability
Marie Garrau

Résumés

Alors que les travaux sur la vulnérabilité se sont d’abord focalisés sur l’oubli de la vulnérabilité dans la théorie politique contemporaine, puis sur la construction conceptuelle de la notion et la mise au jour de ses implications normatives, les travaux récents s’interrogent sur les rapports de la vulnérabilité et de l’agentivité, et invitent à interroger l’association courante entre vulnérabilité et passivité. L’idée que nous devrions dépasser cette opposition est sans conteste importante, mais elle peut aussi engendrer un certain nombre de problèmes. En particulier, elle peut conduire à ôter à la catégorie de vulnérabilité la portée critique qui lui était initialement conférée en philosophie comme en sciences sociales. Comment, alors, penser les rapports de la vulnérabilité et de l’agentivité ? En réponse à cette question, ce texte défend une double thèse : d’abord que, pour des raisons théoriques et politiques, nous ne devons ni dissocier, ni associer trop rapidement vulnérabilité et agentivité. La possibilité de construire une conception critique de vulnérabilité dépend en effet de notre capacité à trouver une voie médiane entre ces deux impossibilités. Ensuite, qu’une telle voie médiane peut être trouvée en faisant intervenir, dans la relation entre la vulnérabilité et l’agentivité, un troisième terme : celui d’autonomie relationnelle.

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Texte intégral

Remerciements : Je tiens à remercier Vanina Mozziconacci pour ses commentaires précieux sur une version précédente de ce texte.

  • 1 Voir notamment Fineman (2004) ; Gilligan (2008) ; Goodin (1985) ; Honneth, Anderson (2005) ; Kittay (...)
  • 2 Voir notamment Armstrong (2017) ; Butler (2005, 2007, 2010) ; Ferrarese (2019) ; Garrau (2013 ; 201 (...)

1Dans ce texte, je voudrais prendre comme point de départ une tendance nouvelle dans les travaux sur la vulnérabilité. Alors que ceux-ci se sont focalisés sur l’oubli de la vulnérabilité dans les théories contemporaines de la justice et du politique1, puis sur la construction conceptuelle de la notion et la mise au jour de ses implications normatives dans les sphères morales et politiques2, un ensemble de travaux plus récents s’interrogent désormais sur les rapports de la vulnérabilité et de l’agentivité, et invitent à questionner l’association courante entre vulnérabilité et passivité. Ce geste est explicite chez des théoriciennes comme Erin Gilson (2014), qui définit la vulnérabilité comme une « capacité à être affecté et à affecter », mettant ainsi l’accent sur la double face de la vulnérabilité et en soulignant l’ambivalence. Il est aussi manifeste dans les travaux récents de Judith Butler, qui invite dans Rassemblement (2016a, p. 175), à « penser ensemble vulnérabilité et agentivité », et qui souligne dans le chapitre qu’elle signe dans Vulnerability in Resistance, livre codirigé avec Zeynep Gambetti et Leticia Sabsay, que la remise en question de l’opposition courante entre ces deux termes – vulnérabilité et agentivité – constitue une tâche proprement féministe (2016b, p. 25). Il apparaît enfin dans toute une série de travaux qui défendent une conception de l’agentivité inspirée de Arendt, et soulignent dans cette perspective que la vulnérabilité, entendue comme ouverture à la contingence et à l’imprévisibilité, constitue une condition de possibilité de l’action définie comme création de nouveau (voir par exemple Markell, 2003 ; Ziarek, 2013).

2L’idée que nous devrions déplacer et dépasser l’opposition courante entre vulnérabilité et agentivité est importante pour des raisons théoriques et politiques ; je vais y revenir. Mais elle peut aussi susciter des inquiétudes car elle soulève un certain nombre de problèmes. J’en distinguerai trois, d’ordres différents et qui ne sont pas également préoccupants. D’abord, il me semble que l’idée d’une nécessaire remise en question de l’opposition entre vulnérabilité et agentivité gagnerait à s’assumer comme une thèse critique, répondant à des usages spécifiques de la catégorie de vulnérabilité, qui s’adossent à une équation discutable entre vulnérabilité et passivité. En effet, ces usages ne sont pas d’abord ceux que l’on trouve en philosophie morale, sociale et politique, où les théoricien·nes qui recourent au concept de vulnérabilité en proposent le plus souvent des interprétations complexes et nuancées. C’est bien davantage dans le champ des politiques publiques, du côté des usages administratifs du concept, que l’on va trouver ce genre d’interprétation. Ce sont ces usages et leurs effets politiques, sociaux et subjectifs qu’il importe alors de documenter et de critiquer. Je ne reviendrai pas directement sur ce point dans la suite du propos, mais les remarques que je consacrerai à différent·es théoricien·nes de la vulnérabilité permettront de montrer que la vulnérabilité est en fait rarement opposée à l’agentivité – bien que la question de leur rapport n’ait pas forcément été posée de façon frontale jusque récemment.

3Ensuite, et c’est le deuxième problème, la volonté de penser ensemble vulnérabilité et agentivité comporte un risque réel, celui d’ôter à la vulnérabilité la portée critique qui lui était initialement associée et qui rend compte du rôle que cette notion a joué dans un certain nombre de travaux de philosophie contemporaine. Le concept de vulnérabilité en philosophie pratique a en effet servi une critique théorique et une critique politique : critique théorique de conceptions de la justice entées sur une figure problématique du sujet (souverain, désincarné, purement rationnel, masculin…), et critique politique des processus sociaux qui dénient aux sujets contemporains les conditions auxquelles iels peuvent mener une vie décente. Dans les deux cas, la référence à la vulnérabilité devait permettre d’attirer l’attention sur des aspects de la vie humaine et de l’organisation sociale trop souvent minorés dans la théorie ; elle devait permettre de construire une représentation plus juste, plus réaliste, plus complexe de la subjectivité contemporaine et de l’intrication des processus sociaux et subjectifs ; et ce dans le but de nous aider à repenser nos obligations morales et politiques. Dans ce cadre, souligner la passivité du sujet, son exposition et sa dépendance à ce qui ne dépend pas de lui, les formes de violence et de privation, mais aussi d’attention et de soin mutuel, qu’une telle position socio-existentielle rend possible ou appelle, était central. Le risque est que ces dimensions de la vulnérabilité – ce qu’on pourrait appeler la négativité de la vulnérabilité – disparaissent dans la volonté nouvelle de souligner, a contrario, l’agentivité ou le pouvoir des vulnérables ; et que corollairement disparaissent un certain nombre des implications politiques et institutionnelles que l’on pouvait tirer de la mise au jour de ces dimensions. Une telle disparition n’a rien de nécessaire : de même que souligner la vulnérabilité des sujets n’a jamais signifié, en philosophie du moins, les déposséder de tout pouvoir d’agir, de même souligner leur agentivité n’implique pas ipso facto de dénier la passivité et la dépendance qui rendent cette agentivité possible ou la structurent. Mais ça reste une possibilité, qui suppose pour être écartée que soient articulés finement les concepts de vulnérabilité et d’agentivité. Or, ce sont justement les modalités de cette articulation qui sont au cœur du troisième problème que je voudrais souligner.

4Si on peut trouver nécessaire et important le projet de penser ensemble vulnérabilité et agentivité, trop souvent encore, un tel appel ouvre en effet sur des considérations très générales sur la manière d’articuler effectivement ces deux concepts, les différents niveaux de signification qui sont les leurs et les interprétations distinctes qu’il est possible d’en faire dans ce cadre. Ni le concept de vulnérabilité, ni celui d’agentivité ne font en effet l’objet de consensus dans la littérature. Différentes conceptions peuvent en être défendues, dont les implications éthiques et politiques seront distinctes. L’enjeu n’est donc pas simplement de penser ensemble vulnérabilité et agentivité, ou de remettre en question l’opposition qui existerait entre ces deux concepts, mais de préciser comment il convient de comprendre chacun d’eux dans une telle perspective. Or, répondre à cette question suppose d’avoir clarifié les raisons qui commandent ce projet d’articulation et ce qui est attendu théoriquement et politiquement d’une telle démarche.

  • 3 Le concept d’autonomie relationnelle a d’abord été introduit en philosophie par la philosophe du dr (...)
  • 4 Le choix de la notion d’agentivité plutôt que de celle d’autonomie est manifeste chez Butler. Pour (...)

5Dans ce qui suit, je voudrais essayer de proposer des éléments pour répondre à ces différents problèmes. L’enjeu sera d’éclairer la question des rapports entre agentivité et vulnérabilité, en m’appuyant sur des travaux qui offrent des outils pour ce faire et en essayant à la fois de ne pas désamorcer la double portée critique du concept de vulnérabilité, et de clarifier les conceptions de la vulnérabilité et de l’agentivité qui peuvent être utiles dans cette perspective. Le but de cette démarche s’éclaire à la lumière de ce qu’on pourrait appeler le problème de la vulnérabilité et de l’agentivité, que l’on peut formuler en insistant sur deux impossibilités symétriques et inverses : on ne doit pas, pour des raisons théoriques et politiques, dissocier vulnérabilité et agentivité ; mais on ne doit pas non plus, pour des raisons théoriques et politiques, associer trop rapidement vulnérabilité et agentivité. La possibilité de construire une conception critique de vulnérabilité – c’est-à-dire une conception qui serve la critique des injustices présentes – dépend de notre capacité à trouver une voie médiane entre ces deux impossibilités, et donc de notre capacité à articuler sur un mode convaincant ces deux notions. C’est ce que j’essaierai de montrer dans la première section, en revenant sur ce problème de la vulnérabilité et de l’agentivité, et sur ses implications quant à notre manière de penser la vulnérabilité. Mais je voudrais aussi aller plus loin, et tenter d’apporter des éléments de réponse à ce problème. Comment faire, donc, pour articuler de façon satisfaisante ces deux concepts, et reconnaître l’agentivité des vulnérables tout en conservant les moyens de critiquer les atteintes auxquelles iels sont, de fait, exposé·es ? L’idée que je défendrai ici est que nous devons pour cela sortir du couple formé par les notions de vulnérabilité et d’agentivité et faire appel à un concept tiers, celui d’autonomie, entendue comme « autonomie relationnelle »3. Alors que les concepts d’agentivité et d’autonomie ont pu être opposés dans les débats récents en théorie féministe4, je voudrais montrer que nous avons besoin des deux pour élaborer une politique féministe émancipatrice. Car ce n’est qu’à la condition d’être pensé en rapport avec l’agentivité et l’autonomie que le concept de vulnérabilité peut conserver la puissance critique qui en fait l’intérêt pour la philosophie sociale et politique.

Vulnérabilité et agentivité : les raisons d’un problème

6Le « problème de la vulnérabilité et de l’agentivité » peut se formuler en référence à deux impossibilités symétriques et inverses : on ne doit ni dissocier ni associer trop rapidement vulnérabilité et agentivité. Afin de mieux le cerner, on peut revenir rapidement sur les raisons de ces deux impossibilités, qui sont chaque fois d’ordre théorique et politique.

7« On ne doit pas dissocier vulnérabilité et agentivité », autrement dit : on ne doit pas penser la vulnérabilité comme un état de pure passivité d’un côté, et l’agentivité comme la prérogative d’un sujet purement actif de l’autre. D’un point de vue théorique, le risque d’un tel geste serait en effet de faire ressurgir la figure (masculine) du sujet souverain et indépendant, que les théoricien·nes de la vulnérabilité ont cherché à destituer de sa place centrale dans la philosophie moderne en attirant l’attention sur les multiples relations de dépendance dans lesquelles est pris tout sujet et sur l’exposition au pouvoir d’autrui et de son environnement qui en découle (voir Butler, 2010 ; Gilligan, 2008 ; Tronto, 2009 ; Fineman, 2005). Ce serait corollairement s’interdire de comprendre le processus de la subjectivation et l’importance des formes variées de soin, de soutien et de reconnaissance sur lesquelles un tel processus s’étaye. Ce serait enfin se rendre aveugle aux pratiques ordinaires des sujets en situation de vulnérabilité, qui attestent de leur capacité à valoriser et à poursuivre certains biens, à critiquer certains types de relations et à déplacer certaines normes ; pratiques dont certain·es soulignent qu’elles forment le terreau dans lequel s’enracinent les mobilisations politiques d’ampleur quand elles se font jour (Scott, 2009).

8Penser comme mutuellement exclusives la vulnérabilité et l’agentivité poserait en outre problème en raison des effets politiques d’un tel geste. Cela pourrait nourrir le départage qu’opèrent le sens commun et les politiques publiques entre les groupes dits vulnérables, renvoyés à la passivité et à l’incapacité, et les autres, les « normaux », censément actifs, performants, indépendants (Paperman, 2005). Cela pourrait accroître la stigmatisation des premiers, ainsi que l’indifférence et l’irresponsabilité des seconds (Tronto, 2009). Cela pourrait légitimer la mise en place de politiques paternalistes de protection et de surveillance à destination des groupes dits vulnérables, et la négation systématique, au nom de leur sécurité, de la liberté qui devrait leur être reconnue (Thomas, 2010). Cela pourrait enfin alimenter, dans l’élaboration de ces politiques dont iels sont les « cibles », le déni des savoirs dont iels sont porteurs et l’invisibilisation des pratiques collectives de soutien mutuel et d’autoprotection dont iels peuvent être les agents (Hill Collins, 2016).  

9À l’aune de cette énumération, on comprend l’inquiétude que certain·es expriment face à la possibilité d’une réduction de la vulnérabilité à la passivité ; voire le rejet que suscite parfois le concept de vulnérabilité, fondé sur l’idée qu’il serait impossible de le resignifier ou d’en dégager des usages philosophiquement féconds et politiquement progressistes (Thomas, 2010 ; Cole, 2016). Cette inquiétude semble particulièrement légitime d’un point de vue féministe, étant donné que la vulnérabilité a été construite historiquement comme une propriété de la féminité tandis que l’agentivité était identifiée comme une propriété du masculin. Si tel est le cas, il peut sembler qu’attirer l’attention sur la vulnérabilité des sujets risque de réactiver des rapports et des assignations de genre qu’il importe au contraire de défaire. Dans une perspective féministe pourtant, on peut arguer que le constat d’une opposition genrée de la vulnérabilité et de l’agentivité ne doit pas nous conduire à abandonner purement et simplement le concept de vulnérabilité, mais doit plutôt nous inviter à interroger la construction d’une telle opposition pour la dépasser, comme nous y invite Butler (2016a). Autrement dit, un tel constat ne constitue pas en soi une objection au réinvestissement de la catégorie de vulnérabilité, mais plutôt une incitation à faire preuve de vigilance dans la manière dont nous la construisons, et à ne pas réitérer dans ce cadre les oppositions qui l’ont historiquement grevée.

10Pour autant, on peut aussi souligner que nous devons faire preuve de prudence dans la réévaluation et la réinterprétation du concept de vulnérabilité, en nous tournant vers les raisons de la seconde impossibilité mentionnée plus haut. Pourquoi importe-t-il de ne pas associer trop rapidement vulnérabilité et agentivité ? Là encore, les risques sont de deux ordres. D’un point de vue théorique, le risque est de faire perdre toute portée critique au concept de vulnérabilité. Cette dimension critique opère à deux niveaux. Le concept de vulnérabilité a d’abord permis – c’est sa fonction de critique théorique – de décentrer et de complexifier les conceptions dominantes du sujet en attirant l’attention sur les dimensions corporelles, affectives, relationnelles et sociales de la subjectivité, ainsi que sur la vanité des prétentions à la souveraineté et à la transparence, et sur les limites et les formes de la maîtrise accessibles au sujet (Butler, 2009 ; Gilligan, 2008 ; MacKenzie, 2013 ; Nussbaum, 1986, 2006 ; Pelluchon, 2009 ; Tronto, 2009). Ce faisant, l’attention portée à la vulnérabilité a conduit à interroger les médiations qui interviennent dans la construction de la subjectivité et de la capacité d’agir des sujets ; elle a permis de mettre au jour et de revaloriser les pratiques sociales qui sous-tendent cette dernière – en particulier les pratiques de care (Gilligan, 2008 ; Kittay, 1999 ; Nussbaum, 2006 ; Paperman, 2015 ; Tronto, 2009) ; enfin, elle a constitué le ressort d’une interrogation critique dédiée aux processus sociaux qui mettent à mal de telles médiations et rendent difficile l’accès des sujets à une vie décente (Garrau, 2013, 2018a).

11En ce point la critique théorique ouvre sur la critique politique. En effet, dire que les sujets sont vulnérables – qu’iels sont dépendants d’un ensemble de relations et de « supports sociaux » (Castel, Haroche, 2001) et exposé·es à leur absence et à leur destruction – permet de critiquer les situations sociales de dépossession et de domination dans lesquelles ces supports viennent à manquer, et la vulnérabilité, en s’intensifiant, devient manifeste. C’est se donner les moyens de diagnostiquer comme moralement problématiques certaines configurations sociales parce qu’elles empêchent certain·es de vivre comme iels l’entendent, les font souffrir, les rendent impuissant·es. Ce rappel permet ainsi de comprendre le premier risque induit par une association trop rapide de la vulnérabilité et de l’agentivité. Insister sur l’agentivité des sujets vulnérables, c’est potentiellement perdre de vue la négativité de la vulnérabilité – négativité qui constitue la pointe critique du concept et le vecteur des déplacements conceptuels et normatifs qu’il autorise. C’est risquer de refermer, dans un même mouvement, l’interrogation socioanthropologique sur les médiations de la puissance d’agir, et son corollaire, l’analyse critique des processus sociohistoriques qui les mettent en cause.

12Mais les risques sont aussi politiques et liés au contexte discursif dans lequel cette réévaluation de la vulnérabilité en lien avec l’agentivité prend place. Ce contexte peut être décrit pour les aspects qui nous intéressent ici en référence au concept de néolibéralisme. Comme l’ont souligné plusieurs théoricien·nes contemporain·es (voir Foucault, 2004a, 2004b ; Brown, 2007 ; Dardot, Laval, 2010), le néolibéralisme ne renvoie pas simplement à une transformation des logiques qui gouvernent le champ économique, mais plus fondamentalement à une extension de la rationalité économique à l’ensemble des sphères de la société et à une transformation connexe des modes d’exercice du pouvoir et des modes de subjectivation. Alors que sont remises en cause les protections sociales héritées de l’après-guerre, que l’emploi se précarise et que s’intensifie la compétition pour l’accès aux biens sociaux, les sujets sont invité·es à se faire entrepreneur·es d’elleux-mêmes. Les injonctions à être autonomes, actif·ves, créatif·ves, souples, innovant·es…, tout en étant difficiles à contester, placent les sujets dans la situation paradoxale de devoir donner toujours plus d’elleux-mêmes, alors que sont fragilisées voire détruites les conditions sociales auxquelles il semble possible de le faire (Duvoux, 2009). Ce discours, en permettant que soit déléguée aux sujets la responsabilité de leurs réussites et de leurs échecs, permet alors de justifier la remise en cause des protections sociales classiques, accusées de brider la créativité et l’énergie des individus, tout en constituant un poids pour la collectivité.

  • 5 Cette remarque montre ainsi que ce qu’on a appelé le problème de l’agentivité et de la vulnérabilit (...)

13Sans chercher à revenir sur les critiques légitimes qui ont pu être adressées tout au long des années 1960 et 1970 aux institutions de la protection sociale (Esprit, 1972 ; Verdès-Leroux, 1978 ; Fraser, 1989, 2011), on ne peut qu’être frappée par les échos existants entre d’un côté la célébration néolibérale de l’agentivité, de la créativité et de la résilience des individus ordinaires, et de l’autre, l’accent mis par certain·es théoricien·nes de la vulnérabilité sur la capacité d’agir et de résistance des sujets et des groupes vulnérables, ou sur la thèse selon laquelle la vulnérabilité constitue une condition et une composante de l’agentivité. Ce qui semble disparaître dans les deux cas – et bien que ces discours visent des objectifs politiques opposés –, c’est une fois encore la négativité qui marque l’expérience de la vulnérabilité en tant qu’elle est une expérience sinon de dépossession de soi, du moins de non-possession de soi ; ce sont aussi les rapports sociaux de pouvoir dans lesquels sont placés les sujets, qui rendent compte de leur vulnérabilité ainsi que des limites (et pas seulement de la possibilité) de leur agentivité. L’épaisseur du monde social, les formes de stratification qui le structurent et qui rendent compte de l’inégalité des conditions de vie, des chances et des espérances sont peu présentes dans ces discours. De même, d’ailleurs, qu’en sont relativement absents les corps douloureux, fatigués, prostrés, les formes d’action routinisées, absentes à elles-mêmes, ou encore la violence retournée contre soi, dans lesquelles se donne aussi à vivre la vulnérabilité à l’époque contemporaine. Si donc on comprend bien que les théoricien·nes qui insistent sur l’agentivité des sujets vulnérables cherchent ainsi à redonner du pouvoir à celleux dont iels parlent et à les libérer du stigmate de la victime, on peut s’inquiéter de voir disparaître de leurs discours – dans le contexte néolibéral de transformation de l’esprit et du mode de production capitaliste – l’analyse critique des processus sociaux qui les ont rendus particulièrement vulnérables en premier lieu (voir ici Bracke, 2016 ; Cole, 2016 ; Fraser, 2011)5.

14En ce point, les raisons de ce qu’on a appelé le problème de la vulnérabilité et de l’agentivité devraient apparaître clairement. Mais apparaissent aussi des perspectives pour le résoudre, ouvertes par sa structure même. Celle-ci permet en effet de commencer à déterminer à quelles conditions théoriques il pourrait être possible de construire ce qu’on pourrait appeler un concept critique de vulnérabilité. Un tel concept devrait rendre justice à la capacité d’agir des sujets vulnérables sans pour autant réinvestir incidemment l’injonction néolibérale à être en permanence actif·ve ; sans non plus omettre de penser les processus sociaux qui portent atteinte à la capacité d’agir de certains sujets et de certains groupes. Comment construire un tel concept, et articuler vulnérabilité et agentivité d’une façon qui soit théoriquement et politiquement satisfaisante ?

Déplacer l’opposition ? Vulnérabilité ontologique, vulnérabilités sociales et agentivité

15Une première réponse repose sur la production d’une différenciation interne au concept de vulnérabilité. Elle consiste à distinguer une vulnérabilité de type ontologique de vulnérabilités socialement induites, et à faire jouer le concept d’agentivité différemment en fonction du type de vulnérabilité considéré. Ainsi, on pourra soutenir que la vulnérabilité ontologique ne s’oppose pas à l’agentivité, et que celle-ci n’est en péril que quand la vulnérabilité s’intensifie, dans certaines situations. En distinguant deux niveaux ou deux figures de la vulnérabilité, une telle solution permet de tenir ensemble l’idée que la vulnérabilité et l’agentivité ne s’excluent pas, et l’idée que la vulnérabilité renvoie à une diminution tendancielle voire à une disparition de l’agentivité.

16Sans qu’elle soit présentée comme une réponse au problème de la vulnérabilité et de l’agentivité, cette thèse apparaît dans un certain nombre de travaux contemporains qui distinguent et cherchent à articuler une conception ontologique et une conception sociale de vulnérabilité afin de rendre raison du fait que, si nous sommes tou·tes fondamentalement vulnérables car dépendant·es et exposé·es à un monde naturel et social que l’on ne peut jamais entièrement maîtriser, nous ne le sommes ni également ni identiquement.

17C’est le cas dans les travaux de Martha Nussbaum, qui souligne que les êtres humains sont à la fois « vulnérables et capables », car dotés de besoins et de capacités dont la satisfaction et le développement supposent l’instauration de relations de dépendance et d’attachement à autrui et au monde. Nussbaum a d’abord insisté sur la vulnérabilité entendue comme une condition d’existence irréductible, et en a souligné la profonde ambivalence dès lors que cette vulnérabilité nous expose à la perte autant qu’elle rend possible l’accès à une vie dotée de sens (Nussbaum, 1986). Mais elle a par la suite souligné que certaines formes de vulnérabilité, induites par des arrangements sociopolitiques spécifiques, n’étaient ni irréductibles ni ambivalentes, et devaient au contraire être supprimées afin que toutes et tous puissent accéder à une vie digne (Nussbaum, 2001 ; 2006). Tel est l’enjeu de la politique des capabilités qu’elle défend. Cette distinction apparaît aussi chez Judith Butler qui distingue precariousness et precarity (Butler, 2009), la première renvoyant à la situation existentielle d’êtres qui ne peuvent devenir sujets qu’à la condition d’être interpellé·es par les normes linguistiques et sociales qui encadrent et médiatisent les rapports interpersonnels qu’iels entretiennent avec les autres, la seconde faisant référence à la situation sociale d’êtres privé·es des « supports » relationnels et sociaux qui rendent la vie vivable et attestent du fait qu’elle compte. On peut enfin citer le travail de Catriona MacKenzie, qui distingue vulnérabilités inhérentes, vulnérabilités situationnelles et vulnérabilités pathogènes (MacKenzie, Rodgers, Dodds, 2014). Les premières dérivent de la condition humaine, de notre corporéité, de notre absence d’autosuffisance et de notre dépendance à l’égard des autres. En tant qu’êtres humains, nous sommes vulnérables à la faim, à la soif, à la douleur, à la maladie, etc. Les deuxièmes, qui peuvent être transitoires ou permanentes, dérivent des contextes spécifiques dans lesquels nous nous trouvons, et de facteurs personnels, sociaux, politiques, économiques ou environnementaux. Enfin, les troisièmes dérivent de processus sociaux moralement problématiques, telles que des relations interpersonnelles ou sociales oppressives ou injustes. Les femmes socialisées dans des sociétés patriarcales sont vulnérables en ce sens, de même que les travailleur·euses dans un contexte de chômage de masse et d’institutionnalisation de la précarité de l’emploi.

18On voit ainsi ce que ces approches ont en commun en dépit de leurs différences : toutes cherchent à rendre raison du fait que la vulnérabilité est une condition commune et partagée liée au type d’êtres que nous sommes, et à tenir compte du fait que la vulnérabilité varie du point de vue de son intensité, de ses facteurs, et de son vécu d’un individu et d’un groupe à l’autre. Ce faisant, elles permettent de comprendre qu’il n’y a pas d’opposition entre vulnérabilité ontologique et agentivité. Entendue comme ouverture au monde et relationalité, la vulnérabilité constitue au contraire dans ces approches une condition de l’agentivité, quelle que soit la manière dont on la pense. Chez Nussbaum, elle est cette réceptivité par le biais de laquelle l’agent se rend présent au monde et y découvre des biens à désirer et des objets à viser. Chez Butler, elle est cette affectabilité qui rend possible le travail des normes et ouvre le processus par le biais duquel advient un sujet capable de reprendre et de déplacer ces mêmes normes. Pour ces théoriciennes qui affirment la primauté de la vulnérabilité et sa dimension constitutive, une telle thèse n’a donc pas simplement une vocation critique à l’endroit des conceptions classiques du sujet souverain ; elle a aussi une dimension productive dans la mesure où elle conduit à repenser le sujet agissant comme un sujet toujours déjà vulnérable, et l’ouverture au monde et aux autres – avec ce qu’elle comporte d’involontaire – comme ce qui ouvre simultanément l’espace du pâtir et celui de l’agir. Dans cette perspective, pâtir et agir apparaissent comme les deux faces d’une même médaille, au sens où c’est la passivité entendue comme ouverture et exposition au monde qui rend possible l’action dans le monde, non pas simplement en la précédant, mais en rendant compte des formes de l’investissement du sujet dans le monde.

19Ces approches ne tombent-elles pas alors dans une apologie de la vulnérabilité qui épuiserait la dimension critique du concept ? La réponse est négative, dès lors que ces théoriciennes ménagent une distinction entre vulnérabilité ontologique et vulnérabilités induites. Il devient en effet possible de soutenir que si la première est une condition de l’agentivité, en revanche les secondes vont de pair avec sa disparition tendancielle. Les sujets particulièrement vulnérables seraient celleux que des circonstances spécifiques auraient pour effet de réduire à l’impuissance.

20Bien qu’elle paraisse intéressante, cette solution, qui consiste à déplacer l’opposition entre vulnérabilité et agentivité plutôt qu’à la dissoudre, s’expose cependant à des objections. Une première concerne les problèmes posés par le principe sur lequel elle repose, à savoir celui d’une distinction entre deux figures de la vulnérabilité. Cette distinction semble nécessaire pour rendre compte du fait que nous sommes tou·tes vulnérables, mais ni identiquement ni également. Cependant, on peut objecter que la manière de l’opérer et de la comprendre n’a rien d’évident. La vulnérabilité ontologique ne se donne en effet jamais à voir à l’état pur ; elle est toujours la vulnérabilité d’un sujet particulier, situé·e de façon spécifique dans l’histoire et dans l’espace social, et dont l’expérience vécue, le corps, le rapport à soi et au monde, dépendent d’une trajectoire singulière. Quant à la catégorie de « vulnérabilités sociales » ou de « vulnérabilités socialement induites », elle est aussi discutable : elle masque le fait que la vulnérabilité « ontologique » est elle aussi sociale dans la mesure où elle dérive de (et manifeste) la dimension relationnelle et sociale de l’existence humaine ; elle laisse en outre penser que la vulnérabilité ontologique existerait antérieurement à l’action de la société sur la subjectivité, ou que les sujets pourraient exister antérieurement ou indépendamment de leur existence sociale – alors que l’un des enjeux de la référence à la vulnérabilité est de souligner l’intrication de la subjectivité et du social. De même, parler de « vulnérabilités situationnelles » comme le propose MacKenzie ne résout rien dans la mesure où l’on peut soutenir que la vulnérabilité se manifeste toujours en situation et selon des modalités particulières qui renvoient à la spécificité de la situation dans laquelle elle est expérimentée.

21Ces remarques invitent ainsi à reprendre la question du sens d’une telle distinction. Elles montrent que la distinction entre vulnérabilité ontologique et vulnérabilités sociales ou situationnelles n’a pas de contenu empirique, mais fonctionne plutôt comme un principe régulateur de la recherche et comme le vecteur d’un jugement normatif : elle permet de poser le caractère irréductible et constitutif de la vulnérabilité pour la subjectivité humaine, d’écarter ainsi toute velléité d’éradication de la vulnérabilité ; et en même temps, elle attire l’attention sur le fait que certaines figures ou manifestations de la vulnérabilité sont problématiques. Et, dans cette perspective, c’est précisément l’agentivité qui pourrait permettre de tracer une telle frontière. Autrement dit, c’est parce qu’elles se manifesteraient dans un affaiblissement voire une disparition de l’agentivité que certaines formes de vulnérabilité pourraient être dites problématiques, et que leur distribution inégalitaire devrait constituer l’objet d’une préoccupation et d’une action politique.

  • 6 Ces catégories, élaborées par la sociologie des mouvements sociaux et plus spécifiquement par les t (...)

22Cette clarification permet de répondre à la première objection ; mais elle en ouvre aussi deux nouvelles, à la fois plus simples et plus difficiles à contourner. On peut en effet objecter à l’idée que certaines formes de vulnérabilité seraient problématiques, parce qu’elles se manifestent dans une diminution ou une disparition de la capacité d’agir des sujets, le fait que nombre de membres de groupes particulièrement vulnérables, car exposés à différentes formes de violence sociale et d’oppression, conservent de fait une capacité à agir, mais aussi à résister et à se mobiliser contre les violences qu’iels subissent. Si tel n’était d’ailleurs pas le cas, aucune mobilisation n’aurait jamais lieu. Car même si on admet que celles-ci surviennent dans des moments spécifiques de transformation des structures sociales et bénéficient de l’aide de militant·es moraux ou d’entrepreneur·es de protestation6 qui ne sont pas directement concerné·es par les buts de la mobilisation (Neveu, 2019), il n’en reste pas moins qu’elles ne seraient pas possibles en l’absence de l’action des membres des groupes vulnérables. On peut également souligner que poser une équation entre vulnérabilité problématique et diminution de l’agentivité pourrait conduire à légitimer les politiques paternalistes qui s’élaborent au nom des groupes particulièrement vulnérables sans pour autant prendre leur voix en compte. La récente loi française pénalisant l’achat de services sexuels constitue un exemple de ce type de politique : promue par les associations abolitionnistes qui entendent protéger les intérêts des prostituées, elles ont été élaborées et votées sans qu’il ne soit tenu compte de l’avis des premières concernées, dont la voix est disqualifiée en référence à la situation de vulnérabilité dans laquelle elles se trouvent (Mathieu, 2015 ; voir aussi pour des exemples analogues dans le domaine des politiques migratoires Ticktin, 2011).

23Ces deux objections permettent de voir que la stratégie du déplacement de l’opposition, qui caractérise cette première solution au problème de l’agentivité et de la vulnérabilité, n’est pas réellement convaincante. Ceci ne signifie pas qu’il faille renoncer à distinguer vulnérabilité ontologique et vulnérabilités problématiques. Il reste en effet crucial d’affirmer le caractère constitutif de la vulnérabilité et de pouvoir distinguer les formes de vulnérabilité qui posent problème de celles qui n’en posent pas, afin de guider l’action politique. Cependant, l’agentivité ne peut servir de critère dans cette démarche car elle demeure présente chez les sujets rendu·es particulièrement vulnérables par les situations dans lesquelles iels se trouvent. Quand Butler appelle à penser ensemble vulnérabilité et agentivité, c’est d’ailleurs sur ce point qu’elle veut attirer l’attention. Certes, elle cherche à défendre une conception renouvelée de l’action, qui reconnaisse la passivité et les parts d’involontaire et d’imprévisibilité qui rendent l’agir possible ; en ce sens on peut dire qu’elle interroge la possibilité et le sens de l’agentivité à la lumière d’une conception ontologique de la vulnérabilité. Mais il est tout aussi vrai que son invitation a pour but de nous rendre attentif·ves aux formes d’agentivité dont font preuve les sujets particulièrement vulnérables, celleux qui sont en butte à la violence sociale, à la dépossession, dont les vies ne comptent pas et sont construites comme jetables. Si donc on ne peut résoudre le problème de la vulnérabilité et de l’agentivité en distinguant une vulnérabilité ontologique de vulnérabilités problématiques, il faut se tourner vers une autre solution. C’est ce que je propose de faire dans la section suivante, en distinguant cette fois agentivité et autonomie, et en soutenant que si la vulnérabilité rend possible l’agentivité et n’implique pas sa disparition, elle devient cependant problématique quand font défaut les conditions relationnelles et sociales qui permettent le développement et l’exercice de l’autonomie. Plutôt que de déplacer l’opposition entre vulnérabilité et agentivité, cette stratégie propose de la réévaluer via l’introduction d’un concept tiers. C’est donc une stratégie de la triangulation, qui implique de traiter le concept d’agentivité comme un concept descriptif et de faire porter la charge normative et critique sur le concept d’autonomie.

Introduire un troisième terme ? Vulnérabilité, agentivité et autonomie

24Jusqu’à présent, je ne me suis pas attardée sur le concept d’agentivité. Ce concept fait rarement l’objet d’une définition en bonne et due forme dans la littérature. Il prend plutôt sens au regard de la double fonction qui lui est assignée (McNay, 2016) : la première semble être de permettre la description positive des actions entreprises par des sujets classiquement appréhendé·es sous l’angle du manque, de la souffrance et de l’incapacité, en raison de la position qu’iels occupent dans les structures sociales. Associé à une méthodologie du proche qui prend au sérieux les significations subjectives que les agent·es donnent à ce qu’iels font (Mahmood, 2009 ; Detrez, 2011), et solidaire d’une ontologie relationnelle qui dénie aux sujets la possibilité de s’extraire des rapports de pouvoir dans lesquels iels sont nécessairement inscrit·es, ce concept vise à mettre au jour le pouvoir de celleux qui sont traditionnellement considéré·es comme n’en ayant pas.

  • 7 Pour les critiques féministes adressées au concept d’autonomie, voir MacKenzie et Stoljar, 2000. On (...)

25Cependant, et c’est sa seconde fonction, ce travail de mise au jour ne doit pas conduire à réinvestir une conception de la subjectivité qui réattribuerait subrepticement à celle-ci des propriétés typiques de la conception moderne qu’il s’agit de congédier. Il importe de ne pas reconduire une figure du sujet souverain, maître de son action et capable de se déterminer ou de trouver dans sa seule raison les normes de sa conduite. Le concept d’agentivité est ainsi mobilisé dans le cadre d’une stratégie déflationniste typique de la pensée postmoderne (Lyotard, 1979) comme une solution de rechange au concept moderne d’autonomie, supposé véhiculer une conception du sujet irréaliste, voire idéologique7. L’agentivité peut alors se définir comme la capacité d’un agent à avoir un effet ou un impact sur le monde. Cette capacité ne suppose ni une indépendance par rapport aux rapports sociaux de pouvoir, ni une absence de contraintes, ni non plus une transparence de la volonté à elle-même ou son indépendance à l’égard du monde. Comme le soutient Butler (2016a), l’agentivité, entendue comme capacité à resignifier et à déplacer les normes existantes, est produite par la manière même dont les normes opèrent. Celles-ci ne sont agissantes qu’à la condition d’être reprises par les sujets dans leur pratique quotidienne ; or, ce mouvement de reprise ouvre un espace d’indétermination qui est aussi celui du déplacement et de la réinvention des normes.

26Le concept d’agentivité permet ainsi de reconnaître les pratiques singulières dans lesquelles les sujets peuvent s’engager, et l’inventivité dont ces derniers sont capables, quelles que soient les circonstances dans lesquelles iels se trouvent. Les réquisits minces qu’il pose sur l’action en font alors un outil utile pour mettre au jour des manières d’agir et des formes d’action que l’on pourrait, en raison de leur discrétion ou de leur conformité de façade aux normes en vigueur, avoir tendance à négliger ou à ranger trop rapidement dans la catégorie de l’agir routinisé ou habituel (Mahmood, 2009). Mais ce qu’il permet de gagner sur un plan descriptif, il semble aussi qu’il le perde sur le plan normatif. À l’aune d’une telle approche en effet, il semble que les sujets soient toujours en capacité d’agir, que nulle contrainte, nulle situation ne puisse mettre radicalement en péril un pouvoir d’agir qui apparaît comme le nécessaire produit de la vie dans les normes. On voit ainsi où réside le problème d’une telle thèse : elle risque de nous faire perdre toute possibilité de critiquer les situations dans lesquelles les sujets, parce qu’iels se retrouvent en butte à des contraintes ou privés de supports, agissent certes, mais sur un mode qui leur semble insatisfaisant. C’est pour conserver la possibilité d’une telle critique que l’on propose de se munir d’un concept tiers, celui d’autonomie.

27Le choix d’articuler les concepts de vulnérabilité et d’agentivité à celui d’autonomie peut sembler étrange : en effet, l’un des buts poursuivis par celleux qui recourent au concept d’agentivité semble être de se passer du concept d’autonomie, associé à un ensemble de présupposés anthropologiques problématiques. L’idée est que le concept d’autonomie supposerait un sujet détaché du monde et de sa propre corporéité, trouvant dans sa raison les normes de sa conduite, et capable de se déterminer par la seule force de sa volonté. Or, un tel portrait occulte les relations interpersonnelles et sociales complexes dans lesquelles s’opère la subjectivation, le fait que le sujet existe d’abord en tant que corps et advient toujours dans un monde qui le précède et qui est normativement structuré.

28Pourtant, de ces critiques légitimes ne s’ensuit pas que nous devions abandonner le concept d’autonomie et la fonction normative qui lui est associée, qui consiste à distinguer des modes d’action qui sont existentiellement et moralement satisfaisants, de modes d’action qui ne le sont pas. Plusieurs raisons militent en ce sens, mais il suffit ici d’en rappeler deux. D’abord, le terme d’autonomie permet, en dépit des critiques qui lui ont été adressées, de nommer un ensemble d’expériences ordinaires dotées de valeur pour la grande majorité des individus contemporains, si bien que son abandon nous mettrait dans l’embarras quand il s’agit de décrire et d’analyser ces expériences ordinaires : le sentiment d’être en accord avec soi, d’être l’auteur des choix que l’on fait, de pouvoir exprimer dans ses activités quotidiennes ce qui compte pour soi, de ne pas être soumis à des influences étrangères ou sous l’emprise de désirs que l’on ne reconnaît pas comme siens ou que l’on ne peut contrôler, etc. (Haber, 2009 ; Meyers, 2004).

29Ensuite, nous avons besoin d’outils théoriques qui permettent de dire non seulement la persistance du pouvoir d’agir dans les situations de contrainte et de dépossession – telle est la fonction du concept d’agentivité –, mais aussi les difficultés et les obstacles, internes et externes, auxquelles se heurtent les sujets dans de telles situations, ce qui les empêche non pas d’agir, mais d’agir conformément à ce qui leur semble important. Une conception adéquate de l’autonomie peut nous aider à faire cela, à condition qu’elle soit compatible avec l’idée que la subjectivité se constitue dans le cadre de relations interpersonnelles et de rapports sociaux, et qu’elle pense l’autonomie comme un savoir-faire dont le développement et l’exercice dépendent de conditions matérielles et sociales. Ces deux conditions sont remplies par la conception de l’autonomie élaborée par Diana T. Meyers, qui me semble particulièrement intéressante et sur laquelle je terminerai donc cette analyse.

30Meyers définit l’autonomie en partant de l’expérience à laquelle elle renvoie :

Les gens autonomes savent qui iels sont – ce qui leur importe, de qui iels se préoccupent, ce que sont leurs capacités et leurs limitations – et iels sont capables de transcrire cette compréhension d’eux-mêmes en action dans leur vie quotidienne. Il y a un bon ajustement entre leur identité individuelle, leur conduite, leurs sentiments réflexifs. Les choix et les actions autonomes occasionnent un sentiment de plénitude [wholeness] profondément satisfaisant. Par contraste, l’absence d’autonomie prolongée ou temporaire se traduit dans toute une gamme de sentiments troublants, qui vont de la confusion et du sentiment d’être incompétent à l’anxiété chronique, l’étrangeté à soi et l’incapacité à agir. Ces symptômes peuvent rendre les gens misérables et empêcher toute lutte pour regagner ou atteindre l’autonomie (Meyers, 2004 : xvii, notre traduction).

L’autonomie désigne ici à la fois un rapport à soi et un rapport au monde : elle est un pouvoir d’agir conformément à ce qui nous importe et qui exprime ce que nous sommes, qui engendre chez le sujet des sentiments positifs de confiance et d’accomplissement. À l’inverse, l’hétéronomie, ou l’incapacité du sujet à agir sur un mode qui exprime ce qui lui importe et qui il est, se traduit dans des sentiments négatifs qui ont toute chance de diminuer en retour sa capacité d’agir. L’autonomie suppose donc que le sujet identifie ce qui lui importe, soit capable de l’exprimer et de se conduire en accord avec de telles valeurs. Selon Meyers, elle repose en fait sur trois savoir-faire (skills) distincts : la découverte de soi, la définition de soi et la direction de soi. Elle est donc une capacité complexe, qui résulte d’un apprentissage et est susceptible de degrés, selon que l’agent dispose des différents savoir-faire sur lesquels elle repose, et qu’il peut ou non les exercer effectivement. Pour rendre compte de ce point, Meyers distingue « l’autonomie programmatique », « l’autonomie épisodique » et « l’autonomie fondée sur un accès partiel à soi » (Meyers, 1987). La première renvoie au plus haut degré d’autonomie et suppose de pouvoir répondre à la question « Quel genre de vie veux-je vivre ? » et de vivre conformément à la réponse qu’on y apporte. La deuxième suppose d’être capable de répondre à la question « Que veux-je faire maintenant ? » et d’agir conformément à la réponse qu’on y apporte. La troisième, qui renvoie au degré le plus faible d’autonomie, suppose de pouvoir exprimer et agir selon ses convictions sincères, quand bien même celles-ci n’auraient pas été examinées de manière critique et rattachées à un ensemble de valeurs cohérentes.

31L’approche de Meyers est intéressante à plusieurs égards, mais on peut en souligner deux. D’abord, elle permet de mettre en lumière les dynamiques temporelles complexes qui sous-tendent l’apprentissage et l’exercice de l’autonomie. L’autonomie dépend de savoir-faire, qui en sont aussi l’expression – la découverte de soi, la définition de soi, la direction de soi. Mais ces savoir-faire supposent eux-mêmes le développement de certaines dispositions chez le sujet, telles que la sensibilité, l’inventivité, la rationalité critique et la détermination à agir. Ces dispositions s’acquièrent dans le temps long de la socialisation – elles doivent être développées et cultivées ; mais elles peuvent l’être plus ou moins chez un individu et connaître des variations ; elles peuvent aussi être altérées temporairement ou définitivement dans certaines circonstances. L’autonomie n’est donc pas d’un bloc, et ceci explique qu’on puisse être plus ou moins autonome selon les moments de sa vie : on peut être engagé dans la découverte de soi, sans pour autant parvenir à définir ce qui nous importe ; on peut parvenir à définir ce qui nous importe sans pour autant vivre conformément à cette idée ; on peut agir ponctuellement de façon autonome, sans pour autant disposer d’un plan de vie ou avoir clarifié l’ensemble des valeurs qui nous guident ; on peut voir son plan de vie et son système de valeurs remis en question par la survenue d’une maladie, la perte d’un proche, la perte d’un emploi ou l’expérience de la violence ; on peut refuser ponctuellement de s’interroger sur ce qui compte pour soi ou de l’exprimer ; on peut se trouver temporairement ou définitivement dans l’incapacité de le faire.

32Les distinctions introduites par Meyers permettent ainsi de décrire la complexité des situations vécues par les agents et de restituer leur dimension normative. Elles offrent des prises dont le concept d’agentivité est dépourvu pour permettre de qualifier finement les modes d’agir du sujet. Son approche permet aussi de résoudre certaines des difficultés auxquelles le concept d’autonomie est classiquement exposé, et de montrer en particulier que l’on peut se conduire de façon autonome dans des situations d’oppression ou de dépossession. Certes, il s’agira là d’une autonomie partielle dans la mesure où l’éventail des opportunités dont dispose l’agent sera considérablement réduit, et d’une autonomie d’autant plus fragile que l’agent sera exposé à des processus susceptibles d’altérer la confiance qu’il a dans son autonomie (Barkty, 1989). Mais une telle autonomie n’en reste pas moins possible, pour deux raisons : d’abord parce que les sujets sont rarement opprimé·es de façon uniforme et égale dans tous les espaces sociaux qu’iels traversent, ce qui signifie qu’il est peu probable qu’iels n’aient fait à aucun moment l’expérience de relations sociales propices au développement et à l’exercice des dispositions sur lesquelles l’autonomie repose ; ensuite, parce que dans l’hypothèse où leur situation sociale changerait et où iels se trouveraient confronté·es à des formes nouvelles ou plus intenses de domination, ces dispositions ayant une certaine inertie, elles ne disparaîtraient pas d’un coup. L’approche de Meyers permet ainsi de rendre justice à ces cas de figure caractérisés par la permanence de l’autonomie dans des conditions sociales qui pourtant lui font obstacle et la mettent en péril. Pour autant, elle conserve bien une portée critique : car sans réduire l’autonomie à ses conditions relationnelles et sociales, elle n’envisage jamais l’autonomie indépendamment de telles conditions. Meyers développe en effet une conception relationnelle de l’autonomie.

  • 8 Sur ce point, voir Garrau (2018b) et Mozziconacci (2019).

33Les conceptions relationnelles de l’autonomie trouvent leur source dans un article de Jennifer Nedelsky daté de 19898, mais ont fait depuis l’objet de nombreux développements (voir Nedelsky, 1989, 2009 ; MacKenzie, Stoljar, 2000 ; Jouan, 2008 ; Veltman, Piper, 2014). Dans une anthologie qui fait référence, Catriona MacKenzie et Natalie Stoljar (2000) rappellent que ces conceptions se sont développées en réponse aux différentes critiques qui ont été adressées, en particulier dans le champ féministe, au concept classique d’autonomie. Les autrices en recensent cinq : la « critique symbolique », qui vise moins le concept d’autonomie que « l’abstraction ou le caractère idéal de l’homme autonome », qui dépeint ce dernier comme un être indépendant et autosuffisant ; la « critique métaphysique », qui récuse le concept d’autonomie au motif que son acceptation supposerait de souscrire à « une conception atomistique ou radicalement individualiste des agents, considérés comme des entités séparées les unes des autres » (MacKenzie, Stoljar, 2000, p. 7), et ne permet pas de voir que les capacités des agents se développent dans un contexte social ; la « critique du point de vue du care », qui souligne que les relations, y compris les relations de dépendance, sont nécessaires au développement de la subjectivité et dotées d’une valeur morale ; la « critique postmoderne » qui cible le sujet rationnel, unifié et transparent à soi de la philosophie moderne, arguant que les sujets sont toujours constitués par des discours et des micropratiques de pouvoir ; enfin, la « critique du point de vue de la diversité », qui met en question la pertinence du concept d’autonomie en partant de l’idée selon laquelle les identités sont intrinsèquement plurielles car nous appartenons tous à plusieurs groupes sociaux, dont les normes et les pratiques peuvent être différentes, voire contradictoires.

34Ces critiques ont attiré l’attention sur la nature relationnelle, affective, incarnée et intrinsèquement diverse de la subjectivité humaine et souligné que les subjectivités sont forgées dans et par des relations sociales qui sont aussi des relations de pouvoir. Cependant, elles n’impliquent pas nécessairement un rejet du concept d’autonomie. Ce qu’elles impliquent plutôt, c’est le rejet de certaines conceptions de l’autonomie et la réouverture de l’enquête conceptuelle concernant le sens de l’autonomie afin d’en élaborer une conception qui tienne compte des dimensions corporelles, affectives et relationnelles de la subjectivité, ainsi que du fait que les sujets évoluent et se constituent dans des rapports de pouvoir. Tel est le cahier des charges auquel répondent les conceptions relationnelles, qui visent à rendre compte de la manière dont sont formées les dispositions sur lesquelles repose l’autonomie, et qui soulignent le rôle profondément ambivalent du contexte social à cet égard, dès lors qu’il soutient tout autant qu’il peut altérer ou empêcher le développement et l’exercice de l’autonomie.

35Dans cette perspective, adoptée par Meyers, l’autonomie dépend donc de facteurs externes au sujet, dont la présence ou l’absence rend en partie compte de sa capacité à agir de façon autonome. Ces facteurs sont de deux types : il y a d’abord les facteurs relationnels et sociaux qui interviennent pour rendre possible ou faire obstacle au développement des dispositions et des savoir-faire sur lesquels repose l’autonomie. Le développement de la rationalité critique et de l’imagination, l’apprentissage de la découverte de soi et la capacité à agir conformément à sa volonté ne surgissent pas ex nihilo. Ils supposent que le sujet soit l’objet de soin et d’attention, qu’il ait accès à des formes d’interactions réciproques, à des savoirs, à des biens sociaux et culturels complexes. Il y a ensuite les facteurs sociaux et politiques qui, sans conditionner entièrement l’autonomie, peuvent s’avérer décisifs dans son exercice et donc dans son maintien. C’est le cas d’un contexte social et politique qui reconnaît le sujet comme autonome, et lui garantit sur cette base un éventail suffisamment large d’opportunités signifiantes ainsi qu’une protection contre la violence et la dépossession.

36L’approche de Meyers, en analysant les savoir-faire dans lesquels se déploie l’autonomie et en soulignant qu’ils dépendent centralement des conditions externes dans lesquelles se trouvent les sujets, n’autorise donc pas simplement à dire que ceux-ci agissent d’une façon plus ou moins autonome ; elle permet aussi de fonder la critique des situations qui, en privant les sujets des conditions relationnelles, sociales et politiques sur lesquelles s’étaye l’autonomie dans ses différentes dimensions, compromettent son développement, son exercice et son maintien. Ainsi, elle offre un ensemble de critères à partir desquels diagnostiquer les situations de vulnérabilités problématiques, sans pour autant conduire à l’idée que les sujets et les groupes particulièrement vulnérables seraient dépourvus d’agentivité.

Conclusion

37Le maniement des concepts de vulnérabilité et d’agentivité est solidaire d’un ensemble de risques, qui sont liés au fait que tout en étant théoriquement et politiquement utiles, ils ne doivent être ni dissociés, ni associés trop rapidement. C’est à condition de résoudre ce « problème de la vulnérabilité et de l’agentivité » qu’un usage critique du concept de vulnérabilité peut être fait. Les raisons pour lesquelles ces concepts ne doivent pas être dissociés sont faciles à comprendre : une telle dissociation se traduirait en effet par la reconduction de conceptions problématiques du sujet, par la stigmatisation des sujets étiquetés comme vulnérables, par le recouvrement des formes d’agentivité mises en œuvre par ces mêmes sujets. Pour éviter ces effets, il faut redéfinir la vulnérabilité en dépassant l’opposition théoriquement douteuse et politiquement ruineuse de la vulnérabilité et de l’agentivité. Si l’on prend la vulnérabilité dans son acception anthropologique, comme vulnérabilité constitutive ou fondamentale, on dira alors qu’elle désigne une situation d’ouverture et de dépendance au monde qui est aussi la condition à laquelle nous pouvons devenir sujet et agir dans le monde. Si l’on prend la vulnérabilité dans son sens sociologique et critique, comme vulnérabilité induite ou problématique, on dira qu’elle n’abolit pas non plus l’agentivité des sujets, qui continue de s’attester dans une variété de pratiques allant du maintien de soi à l’aménagement continu du monde autour de soi en passant par la critique de l’existant ou l’engagement avec d’autres dans des formes de contestation et de résistance au monde comme il va. S’arrêter là n’est cependant pas satisfaisant et met en évidence les écueils d’une position qui aboutirait, à l’inverse de la première évoquée, à poser une équation simple entre vulnérabilité et agentivité. Ce qui semble en effet se perdre dans un tel geste, c’est la possibilité d’identifier certaines situations de vulnérabilité comme problématiques, car portant atteinte à ce que nous valorisons chez les sujets. Si en effet les sujets conservent leur agentivité quelles que soient les situations dans lesquelles iels se trouvent, pourquoi et au nom de quoi demanderions-nous que ces situations soient abolies ou transformées ? La réponse que j’ai proposé d’apporter à cette question consiste à introduire dans l’équation un troisième terme, celui d’autonomie, et à en défendre une conception relationnelle. Dans cette perspective, il est bien possible de distinguer certaines situations de vulnérabilité comme problématiques, ou de soutenir que si nous sommes tou·tes vulnérables, certain·es le sont plus que d’autres. Le reconnaître ne signifie cependant pas dénier à celleux qui se trouvent dans de telles situations tout pouvoir d’agir, mais souligner qu’iels sont privé·es des conditions relationnelles et sociales qui permettent de maintenir et d’exercer leur autonomie – ce qui constitue une injustice contre laquelle nous mobiliser.

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TRONTO Joan, Un Monde vulnérable. Pour une politique du care, trad. H. Maury, Paris, La Découverte, 2009 (1993).

VELTMAN Andrea, PIPER, Mark, Autonomy, Oppression and Gender, Oxford, Oxford University Press, 2014.

VERDES-LEROUX Jeanine, Le Travail social, Paris, éditions de Minuit, 1978.

ZIAREK Ewa Plonowska, « Feminist Reflections on Vulnerability. Disrespect, Obligation, Action », SubStance, vol. 42, no 3, 2013, pp. 67-84.

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Notes

1 Voir notamment Fineman (2004) ; Gilligan (2008) ; Goodin (1985) ; Honneth, Anderson (2005) ; Kittay (1999) ; Laugier, Paperman (2005) ; Nussbaum (1986, 2000, 2006) ; Okin (2008) ; Tronto (2009).

2 Voir notamment Armstrong (2017) ; Butler (2005, 2007, 2010) ; Ferrarese (2019) ; Garrau (2013 ; 2018a) ; Le Blanc (2007, 2011) ; MacKenzie, Rogers, Dodds (2013) ; Nussbaum (1986, 2000, 2006) ; Pelluchon (2009, 2011) ; Tronto (2013).

3 Le concept d’autonomie relationnelle a d’abord été introduit en philosophie par la philosophe du droit féministe Jennifer Nedelsky dans un article de 1989. Il a depuis fait l’objet d’un travail d’approfondissement important dans le champ de la philosophie féministe. J’y reviens dans la section 3.

4 Le choix de la notion d’agentivité plutôt que de celle d’autonomie est manifeste chez Butler. Pour un point clair sur ce débat et l’intérêt de la notion d’agentivité, on peut se reporter au premier chapitre de Politique de la piété. Le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique, de Saba Mahmood (2009).

5 Cette remarque montre ainsi que ce qu’on a appelé le problème de l’agentivité et de la vulnérabilité constitue une illustration et une spécification du dilemme que la pensée critique doit en général affronter et qui consiste à élaborer les moyens conceptuels et méthodologiques de penser ensemble la domination ou l’oppression et la résistance ou l’émancipation. Sur ce point, voir Detrez, 2011.

6 Ces catégories, élaborées par la sociologie des mouvements sociaux et plus spécifiquement par les théoricien·nes de la mobilisation des ressources, désignent des agent·es apportant leur soutien à des mouvements sociaux sans pour autant en être les bénéficiaires direct·es. Tandis que les étudiant·es blanc·hes engagé·es dans le mouvement des droits civiques illustrent la première, l’abbé Pierre luttant contre le mal-logement illustre la seconde. Voir Neveu, 2019.

7 Pour les critiques féministes adressées au concept d’autonomie, voir MacKenzie et Stoljar, 2000. On revient sur ce point ci-dessous.

8 Sur ce point, voir Garrau (2018b) et Mozziconacci (2019).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Garrau, « Agentivité ou autonomie ? Pour une théorie critique de la vulnérabilité »Genre, sexualité & société [En ligne], 25 | Printemps 2021, mis en ligne le 12 juillet 2021, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gss/6794 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/gss.6794

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Auteur

Marie Garrau

Maîtresse de conférence en philosophie sociale, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne
mariegarrau@gmail.com

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Droits d’auteur

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