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« Contre leurs violences sexistes, autodéfense féministe ! » À propos des stages d’autodéfense féministe et de ce qu’ils nous enseignent

Contre leurs violences sexistes, autodéfense féministe !About feminist self-defense classes and what they teach us
Aurélia Léon

Résumés

La diffusion des stages d’autodéfense féministe en France a considérablement progressé en une décennie. Partant d’une recherche de terrain effectuée avec le double statut de doctorante en sociologie et d’actrice de la diffusion de l’ADF, cet article se penche d’abord sur l’expérience des participantes et quelques-uns de ses traits caractéristiques : la dimension événementielle du stage, son rôle dans une identification des participantes en tant que « public » dans un sens deweyien et la place du subir et de l’agir dans cette découverte, ainsi que les possibilités que l’expérience participante ouvre en matière d’énonciation de vécus de victimation. Puis on se déplace du côté du dispositif pour comprendre la régularité avec laquelle de tels effets sont obtenus. Apparaissent alors la dimension téléologique des activités, qui structure une invitation à rejoindre l’« enquête » féministe sur les violences sexistes engagée dans les années 1970, et l’association méthodologique entre empowerment et expérimentation somatique.

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Texte intégral

1Bien connus des militantes, les stages d’autodéfense féministe (ADF) attirent également un nombre croissant de femmes extérieures aux réseaux féministes. Relancée au début des années 2000 (Zeilinger, 2018b), l’ADF constitue aujourd’hui en France une « pratique féministe en expansion » (Millepied, 2017a) par rapport à laquelle les publications se multiplient peu à peu (Léon, 2010, 2012a, 2012b ; Lienard, 2015 ; Millepied, 2016, 2017a, 2017b ; Anders, 2017 ; Dorlin, 2017 ; Faire Face, 2018).

  • 1 La mise en circulation des références en langue étrangère doit beaucoup à Irène Zeilinger (voir en (...)

2Contre les idées reçues, depuis les années 1980, toute une littérature a souligné l’utilité de la résistance active des femmes dans la protection contre le viol et les agressions sexuelles : cri, appel à l’aide, résistance physique, parole, fuite (Bart, O’Brien, 1985 ; Levine-MacCombie, Koss, 1986 ; Quinsey, Upfold, 1985 ; Ullman, Knight, 1992, 1993). D’autres travaux également ont démontré l’efficacité des cours d’ADF pour la prévention des violences contre les femmes (notamment Kidder et al., 1983 ; Brecklin, Ullman, 2005 ; Kelly, Sharp-Jeffs, 2016)1. Pourtant, la diffusion de l’ADF s’est globalement faite dans l’indifférence des pouvoirs publics (Hollander, 2009).

3L’article aborde premièrement les stages d’ADF sous l’angle de l’expérience : que vivent les femmes qui suivent un stage ? Quelles sont les lignes directrices de leur expérience telle qu’elles-mêmes la rapportent ? On cherchera ensuite à voir comment les stages produisent les effets décrits. Nous nous déplacerons pour cela du côté des « appuis conventionnels » de l’action (Dodier, 1993) en envisageant les stages comme « dispositif » (Dodier, Barbot, 2016). Ce faisant, nous approfondirons deux aspects structurants du mode opératoire des stages, la question de l’empowerment et celle de l’expérimentation somatique.

  • 2 Mes remerciements aux organisatrices de la journée d’étude « Mobilisations par la vulnérabilité » o (...)

4Derrière cela, un triple enjeu se dégage : primo, contribuer à mettre en lumière les spécificités d’une pratique dont la documentation est récente dans la littérature francophone, et ce faisant souligner certaines conditions auxquelles une prévention, en matière de « violences de genre » (Simonetti, 2016), peut être efficace. Secondo, alimenter la réflexion sur les formes contemporaines des répertoires d’action féministes. Enfin, développer une phénoménologie de l’ADF articulant perspective pragmatiste et féministe, prenant sa part du projet intellectuel et moral d’un pragmatisme « pessimiste » (Stavo-Debauge, 2012a) qui pense depuis et devant l’expérience de « vies menacées » (Dorlin, 2017)2.

Méthodologie
L’autrice participe aux phénomènes décrits en tant qu’observatrice et participante mais aussi en tant que productrice, actrice de la scène associative et animatrice d’ADF, dans la continuité d’autres travaux contribuant à une production de savoir depuis la pratique (Hollander, 2004, 2009, 2014 ; Zeilinger, 2008 ; Anders, 2017 ; Faire Face, 2018).
Le matériau se compose de 72 observations de stages de 2 jours en position d’observation-participante (12 stages de méthodes variées donnés par 6 animatrices dans des contextes associatifs ; 60 auto-observations dans des stages animés par l’autrice) et de 30 entretiens biographiques semi-directifs d’une durée moyenne de 2 h 20 (7 animatrices, 23 participantes). De manière complémentaire, il est fait appel à des données secondaires telles que des évaluations de stage rédigées sur papier libre par les participantes à la demande des animatrices (N=280), des extraits d’un film documentaire ou des textes supports pour l’animation. Tous ont été anonymisés, à l’exception de ceux qui présentent un caractère public.
Les observations participantes ont été effectuées avec l’accord des animatrices et des participantes et dans le respect du principe de confidentialité des stages sur les propos tenus par les participantes. Cette exigence interne à la pratique se justifie par le souci d’assurer aux femmes suivant les stages des conditions de participation satisfaisantes : il s’agit, en particulier, qu’elles puissent se sentir en confiance pour s’exprimer sur leur situation. On réserve pour cette raison le verbatim et la description d’activités gestuelles aux animatrices et ne présente que des données agrégées concernant les participantes. Il en résulte que l’activité de chaque partie, en stage, n’est pas décrite avec le même niveau de détails.
La production documentaire a été effectuée principalement en France mais a impliqué également la rencontre d’actrices de la diffusion de l’ADF et de participantes dans les pays francophones limitrophes ainsi qu’au Canada. Une des limites au groupe enquêté ainsi formé est qu’il n’inclut que des femmes cisgenres, ultra majoritaires dans le public accueilli par les associations, et qu’il ne représente donc pas la pluralité des expériences des personnes qui sont, par leur identité et leur expression de genre et de sexe, en position d’avoir à se prémunir contre des violences de genre.

Une expérience qui fait événement

  • 3 Fem do chi, Seito Boei, Riposte ou pratiques dérivées.

5Quelles que soient la ou les écoles dont elles ont fait l’expérience3 et la ou les animatrices chargées du stage qu’elles ont suivi, les participantes rencontrées s’accordent sur une générativité des stages, ce dont rend compte l’invocation récurrente d’un « avant et [d’]un après le stage ». Cinq personnes sur 30 emploient directement la formule en entretien, et la quasi-totalité des enquêtées mobilise un schéma narratif structuré par des indicateurs spatiotemporels positionnant le stage comme un cap entre deux périodes, autrement dit comme une expérience puissamment transformatrice. Ainsi, la dimension événementielle du stage se manifeste-t-elle d’abord dans sa « discontinuité » (Quéré, 2006).

  • 4 Victimation est utilisé ici au sens des enquêtes de victimation, à savoir avoir été victime d’un ou (...)

6Rendre compte d’un événement implique, selon Quéré, de l’identifier « sous une description » (Ibid., 191). L’analyse des entretiens et des données d’observation permet d’en dégager les éléments récurrents : en premier lieu, une définition « par l’aval » (Ibid.) qui se manifeste à travers la prégnance du champ sémantique de la « compréhension », de la « prise de conscience », de la « découverte » et, plus encore, de la « révélation », c’est-à-dire d’une connaissance d’ordre supérieur en capacité de reconfigurer d’autres plans de connaissance. Trois formes principales lui sont ensuite associées : l’identification d’une communauté de condition, la construction d’une dialectique subir/agir et le développement d’une herméneutique propice à l’élucidation des états de victimation4.

L’identification d’une communauté de condition

7Pour une part importante des participantes, les stages constituent un vecteur d’identification d’une communauté de condition : elles se découvrent à cette occasion une communauté d’expérience sur la base de rapports sociaux.

  • 5 Observation également faite par nombre d’animatrices. Sur ce point, l’autrice remercie Irène Zeilin (...)
  • 6 216 sur 280 évaluations de stages de deux jours. Les indicateurs retenus au dépouillement sont : «  (...)

Cette constante se dégage de l’ensemble des matériaux qui objectivent le passage des participantes, en stage, à un discours au « nous »5 venant transfigurer une motivation à participer initialement fondée sur l’expression d’un besoin individuel de réassurance, de sécurité et d’estime de soi (les stages s’adressent en priorité à un public qui ne s’identifie pas comme féministe). Cette affirmation émergente d’appartenance à un groupe constitué par des rapports de genre se retrouve également dans les évaluations bilan rédigées par les participantes, qui aux trois quarts se caractérisent par l’affirmation d’un « nous »6. Enfin, l’ensemble des entretiens présente des expressions significatives de l’émergence d’un système « nous/eux » associé à un registre revendicatif mettant en cause une organisation sociale inégalitaire (« sexisme », « domination masculine », « patriarcat », etc.), et ce quel qu’ait été le niveau de proximité ou d’éloignement initial des participantes vis-à-vis des réseaux féministes.

La construction d’une dialectique subir/agir

8Le discours de l’expérience participante associe cette communauté d’appartenance « en tant que femmes » au prisme d’un pâtir (vivre dans la violence ou sous sa menace) avec une découverte d’ordre contraire, celle de la puissance d’agir ordinaire, impensée, des femmes.

Les participantes réalisent en stage leur propre force (dans tous les sens du terme, en en prenant conscience et en l’accomplissant), mais aussi la force des autres femmes. Et cette révélation, d’autant plus marquante que le groupe est composite, inclut des femmes de profils sociaux divers, d’âges et de conditions physiques variables et banales. Elle opère également par le biais de l’identification aux animatrices, femmes ordinaires qui font des choses extraordinaires :

[L’animatrice], moi je la trouvais hyper radicale dans son discours… Elle avait un truc assez austère, enfin elle souriait pas trop, et… Je l’ai trouvée genre super balaise, elle était p’tite, machin, nana, je la connaissais pas, hein, du tout, et, et elle m’a super impressionnée… Et je crois qu’y avait aussi ce truc de… de, ouais, de voir des femmes fortes, tu vois, alors que tu pourrais la croiser dans la rue, que bon tu te poses pas de questions forcément, quoi… (Amel, participante, 37 ans, diplôme de niveau 6, au RSA, deux enfants).

9La dialectique subir/agir, récurrente en entretiens, se retrouve également dans les évaluations des participantes. Le dépouillement de ces textes, qui vont de quelques lignes à une demi-page, tout en confirmant la centralité de cette tension atteste également la prégnance du registre revendicatif déjà repéré dans les entretiens. Le couple oppositionnel [subir/agir], parfois l’élément [agir] seul, y apparaissent vectorisés par un rapport d’antagonisme [ant.].

Évaluations de stage (extraits codés)
Éval. 97 [subir/agir] ; [je/nous] : « […] Grand énorme merci pour cette intense expérience collective entre femmes. C’est bon de sentir notre force, ensemble. […] Je cherche un moyen d’arrêter de flipper depuis huit ans, depuis les premières agressions sexuelles. […] Aujourd’hui, une nouvelle porte s’ouvre pour moi. Une tranche de vie où je vais enfin pouvoir me détendre, revivre, car je sais qu’en cas d’attaque, de tentative d’agression, j’ai désormais des ressources pour me protéger. Précieux cadeau. Merci. […] Je sors de ce sentiment d’impuissance, je retrouve du pouvoir sur ma vie. […] »
Éval. 98 [agir] ; [ant.] : « […] Demain, RDV avec mon ex pour clôturer la relation, à point (poing ?!) nommé pour être plus que jamais déterminée à poser mes limites et besoins. […] »
Éval. 99 [subir/agir] ; [je/nous] ; [ant.] « […] Je sens cette force en moi. Elle ne me quittera pas et je sens qu’elle me donne des ailes. J’ai compris que je suis légitime pour faire respecter mes limites. Ce dont je doutais fortement. Merci pour toutes ces femmes blessées et solidaires. De belles guerrières. […] »

10Une attitude revendicative, résistante, ressort ainsi de l’économie générale du texte formé par les évaluations, particulièrement des rapports syntagmatiques entre [subir/agir] et [je/nous] et de l’usage d’un lexique caractéristique de l’affrontement (« poing » ; « guerrières »). L’insistance avec laquelle [ant.] revient dans les écrits des participantes, le contraste entre le faible nombre de motifs structurant les évaluations (éloge et remerciements ; affirmation de puissance ; dialectique subir/agir ; articulation je/nous ; affirmation d’antagonisme) et le caractère extrêmement ouvert de l’invitation (« faire un retour sur le stage », « dire comment vous avez vécu le stage ») poussent à appréhender cette tonalité oppositionnelle comme étant partie intégrante de la générativité des stages.

Une herméneutique propice à l’élucidation d’états de victimation

11Enfin, la révélation engage la possibilité de requalifier des situations antérieures, les états que ces situations ont générés, et d’imputer des causes et des responsabilités les concernant. Dans les évaluations, cette dynamique s’observe à la récurrence des postures d’énonciation traduisant la construction d’un état de victimation (« j’ai compris que j’avais subi », « je réalise que j’ai été victime »). Elle s’observe également aux affirmations de rejet du blâme des victimes (« je ne suis pas responsable », « ce n’est pas de ma faute », « j’ai le droit de vivre librement »).

12Apparaît ici quelque chose de l’ordre de la réévaluation de situations, de leurs causes et de leurs conséquences. Quelque chose de l’ordre, également, de la réévaluation de certains états et de certaines qualités associées aux êtres, à soi, et à d’autres que soi que l’herméneutique des stages incite à considérer comme des autres comme soi, sur la base de l’identification d’un pâtir commun et de la reconnaissance mutuelle d’une capacité d’agir accrue. Ainsi, dans une évaluation, une participante remercie l’animatrice pour les « outils de compréhension et d’action pour panser quelques blessures, en éviter d’autres et être actrice de [sa] propre vie » (éval. 231) tandis qu’une autre témoigne : « J’ai pu poser des mots (même sans les dire tout haut) sur des histoires vécues, m’autoriser à appeler ça “violence” sans culpabiliser, et me féliciter d’en être sortie, me sentir plus armée à ne plus jamais les laisser se reproduire » (éval. 183).

  • 7 Pour une discussion critique sur « la révolution constructiviste des sciences sociales » invitant à (...)

13Ce faisant, il devient manifeste que s’identifier comme victime de violences ou d’abus et attribuer à leurs auteur·ices la responsabilité actantielle des faits ne va pas de soi. Les observations de stages comme les retours de participantes soulignent qu’il n’y a pas une parole « déjà là » attendant d’être libérée mais une parole à construire qui n’a rien de l’évidence martelée par l’antienne de « la libération de la parole des victimes ». Sans vouloir retrancher quoi que ce soit au bien-fondé de la topique de la victimation7, il s’agit d’attirer l’attention sur le fait que s’identifier comme victime de violences de genre est le fruit d’un « travail » (Smith, 2018 [2005], 209-214) auquel contribuent les stages – c’est « l’ignorance » (Mills, 2007 ; Tronto, 2008) dans laquelle se complaisent les « vies épargnées » (Dorlin, 2017) et le spontanéisme naïf des épistémologies des promesses inhérentes au « choc » (Stavo-Debauge, 2012a, 2012b, 2015) que l’on vise.

14Faut-il pour autant en déduire que la réussite des stages est soluble dans la « capacité d’explication du monde » (Reynaud, 1982, 177) du féminisme ? L’idée est séduisante mais elle n’explique pas qu’un stage de deux jours produise de tels effets sur des participantes extérieures aux réseaux féministes. Et cela d’autant plus si l’on considère que « seul un travail de contre-dressage, impliquant la répétition des exercices, peut, à la façon de l’entraînement de l’athlète, transformer durablement les habitus » (Bourdieu, 2003 [1997], 248).

Le dispositif stage

Un agencement téléologique

15Appréhender les stages en tant que dispositif, c’est-à-dire comme un « enchaînement préparé de séquences, destiné à qualifier ou transformer des états de choses par l’intermédiaire d’un agencement d’éléments matériels et langagiers » (Dodier, Barbot, 2016, 431) permet de dépasser la dimension phénoménologique de l’expérience participante pour mettre à jour sa structure procédurale, instrumentale et normative sous-jacente et mieux comprendre son unité par-delà les différences de méthodes, d’animation et de publics d’un stage à l’autre.

16Plusieurs objets en fournissent une objectivation interne. C’est le cas de la littérature « grise » de coordination et de standardisation des pratiques (Smith, 2018 [2005]). Il peut s’agir des « grilles » d’animation, qui servent de support aux animatrices en rappelant la succession des activités et, certaines fois, les objectifs qu’ils remplissent (« cerner les demandes », « anticiper et prévenir les problèmes », « mémoriser les prénoms », « valoriser chacune au sein du groupe », etc.). Il s’agit également des manuels, objets de révisions collectives ponctuelles, qui justifient à travers des commentaires explicatifs la sélection des activités et les consignes d’animation : « Prendre du temps pour créer un lien avec les femmes avant le début du cours afin de respecter les différentes habitudes culturelles » ; « Peut être une occasion de défaire la culpabilité des femmes » ; « Préjugés : cette partie est porteuse de changement social et est très importante à nos yeux », etc.

17La formation des animatrices, au travers des manuels, des temps d’enseignement collectifs, des coanimations et de leurs « feedbacks », est également le lieu d’une mise en ordre et en reproductibilité des pratiques. Les registres de la prescription, de la description et de la justification y sont liés. Il s’y déploie des connaissances relatives au développement des capacités d’autodéfense, des savoirs sur des « outils » (un certain nombre de praticiennes préfèrent ce terme à « techniques ») et les effets qu’ils sont susceptibles de produire sous certaines conditions, ainsi que des savoirs sur des publics et leurs possibles réactions vis-à-vis de ces outils. Par exemple, dans un manuel, la description d’une activité invitant les participantes à mettre en pratique des outils d’autodéfense verbale (une sorte de jeu de rôles) est accompagnée de l’explication suivante : il s’agit de permettre aux femmes de sortir de l’isolement que génèrent les agressions grâce à la mise en commun de certains « vécus » de violences ; de leur permettre de se rendre compte de la puissance de ce type d’échanges et de comprendre qu’elles peuvent être des ressources les unes pour les autres ; il s’agit également de leur permettre de s’entraîner dans un espace protégé pour être en capacité d’utiliser ensuite ces outils en conditions réelles ; enfin, de leur permettre d’augmenter leur confiance en elles par la prise de conscience de leurs capacités de défense, encouragées par l’approbation de l’animatrice et des autres participantes.

Ainsi, l’animation et le programme des stages répondent-ils à des objectifs précis : ils visent à reproduire des résultats connus, maintes fois observés, stabilisés par essais-corrections.

Une invitation à rejoindre une enquête collective

  • 8 « Enquête » est à entendre ici au sens de la théorie de l’enquête (en particulier, Dewey, 1993 [193 (...)

18L’une des dimensions clés de ce dispositif tient dans le fait que les stages plongent les participantes au cœur d’une « enquête »8 collective sur les violences commencée plusieurs décennies auparavant (entre autres, Hanmer, 1977 ; Kelly, 1987 ; Jaspard, 2011 [2005] ; Delage, 2017).

  • 9 La notion d’enquête est particulièrement heuristique en ce qu’elle implique l’entre-définition de l (...)

La notion d’enquête permet de mieux comprendre de quelle manière opère la « grille de lecture féministe du monde » dont un nombre significatif de participantes fait pour la première fois l’épreuve en stage9. La problématisation implique la sélection d’un certain nombre de faits opérationnels concourant à la fois à la spécification du problème, à l’élucidation des moyens à mettre en œuvre pour le résoudre et à l’identification des êtres, ici les personnes, qu’il concerne par ses conséquences – à la formation d’un public, au sens deweyien (Dewey, 2010 [1927] ; Zask, 2008). Ces faits peuvent être d’ordre divers : les stages agencent et mettent en culture des jugements (on n’est pas responsable des agressions qu’on subit), des descriptions (en tant que femmes, on est majoritairement exposées aux agressions de personnes connues), des expérimentations guidées (visant à permettre aux participantes de prendre conscience de leurs limites personnelles, de leurs ressources, de leur force personnelle et collective, etc.), des récits (les « histoires de réussites » tenant lieu de témoignages autant que d’apologues), etc. Autant d’éléments participant à qualifier, déterminer, organiser, mettre en rapport d’une façon déterminée, les entités, les qualités et les relations que convoque le stage. Ainsi de la première histoire de réussite racontée par une animatrice dans un stage :

Des fois, on “sent” quelque chose, sans que ça soit toujours très précis. Notre ligne de justice nous avertit, on est en alerte. Par rapport à ces situations, on est pas obligée de faire “comme si de rien n’était”, on peut écouter ça et faire quelque chose. Un exemple qui nous a été rapporté en stage c’est une femme qui était seule dans le métro et s’est sentie inquiète par rapport à un homme en face d’elle et qui la regardait. Ce qu’elle a fait, c’est qu’elle s’est mise à se curer le nez… (geste appuyé du doigt frottant la narine de l’extérieur) et à parler toute seule à voix haute ! (Rires à la ronde)

  • 10 L’oubli de soi, l’étrangeté à soi, la dévalorisation de la connaissance de soi, de ses émotions et (...)

19L’histoire fournit un plan d’action clé en main et contribue à alimenter des scénarios de riposte. Elle remplit également une fonction de réassurance : des choses peuvent être faites dans une situation ressentie comme inconfortable pour se sentir « plus à l’aise » bien que, de l’extérieur, cette situation ne soit pas nécessairement identifiée comme une situation problématique. Elle s’inscrit de plus dans une dimension contre-stéréotypique vis-à-vis des prescriptions de genre. D’une part car prendre soin de ses ressentis ne concorde pas avec l’attendu de dévouement des femmes et tranche radicalement avec les habitudes du « dirty care »10 induites par l’expérience de la violence, selon le concept forgé par Dorlin (2017, 174-177). D’autre part du fait de la « stratégie » de riposte employée, puisque, dans ce récit, ce que la femme fait au profit de sa sécurité, là encore, elle le retranche aux attendus probables de sa socialisation. Si la riposte est efficace, c’est, entre autres choses, parce qu’elle s’inscrit en faux par rapport aux canons d’une féminité placée sous le signe de la réserve et de la pudeur, et que ce faisant, elle crée la surprise.

20Si l’on replace l’extrait dans le cadre plus large de la séquence dont il est tiré, à savoir un temps consacré aux « limites » personnelles et à leur fonction dans la prévention, le récit se révèle également remplir deux autres fonctions. Une fonction probatoire (si d’autres femmes peuvent « écouter » leurs limites et s’appuyer sur elles pour passer à l’action, alors vous en avez la capacité), et une fonction de permission (si d’autres femmes le font et que nous validons ici leur droit à le faire, vous aussi disposez de ce droit, y compris si cela revient à vous situer dans le registre de la contre-performance de genre). Enfin, les histoires de réussite étant décrites comme des histoires vraies rapportées par d’autres participantes lors de précédents stages, elles fonctionnent également comme des invitations. Elles incitent les participantes à relater leurs propres « vécus », et à le faire en mettant l’accent sur la part qu’elles ont prise à la résolution des situations « inconfortables ou dangereuses » en cause.

21À ce sujet, l’observation montre que si quelques récits adoptent d’emblée la mise en forme requise (situation problématique / action d’une ou plusieurs femmes / dénouement favorable – énoncé clairement ou sous-entendu, signe que la réussite tient au réamorçage de la possibilité d’un passage du subir à l’agir), d’autres cependant sont effectués sous l’angle de l’impuissance et de la domination. Dans ces cas, ce sont les animatrices qui les requalifient comme histoires de réussite en orientant la narration sur la participation des protagonistes (et narratrices) à leur résolution. Quand les narratrices s’arrêtent à l’acmé de la violence, elles demandent : « Et après, qu’est-ce qu’il s’est passé ? », « Et qu’est-ce que tu as fait ? », et ce jusqu’à ce que le récit épuise la description de la menace. La logique du questionnement rejoint ainsi un axiome de base des stages en même temps qu’elle le fonde, à savoir l’idée que les participantes possèdent toutes déjà une capacité d’autoprotection forgée dans l’expérience, capacité que les stages ont pour visée de rendre perceptible et de renforcer.

22La sollicitation de l’assentiment des participantes à la requalification de leurs récits d’expérience est un point culminant de cette dynamique. L’accord donné pour l’inscription d’une histoire personnelle au stock des histoires de réussite dont dispose l’ADF est chargé de signification, au sens propre, puisqu’il peut modifier grandement le sens de l’histoire racontée. Il en ressort que les histoires de réussite possèdent le pouvoir d’entériner l’entrée de leurs narratrices, en qualité de personnage principal, dans l’ordre des autodéfenseuses. Ici les participantes qui prennent la parole ne sont plus seulement des femmes ayant vu leurs limites bafouées, ayant subi des atteintes, des agressions, elles sont aussi des femmes qui se battent.

La méthode de l’empowerment

23Le thème de l’empowerment mis en avant par la communication des associations (newsletters, sites Internet, réseaux sociaux, dépliants, interviews à la presse, etc.) est repris dans les médias comme un effet des stages. Au point qu’un article de magazine évoque des « stages d’“empowerment” et d’autodéfense »11.

24Le modèle de Rowlands (1997, 13) distingue trois niveaux d’empowerment, qui s’opposent au pouvoir de domination et de contrôle (power over, pouvoir sur) : le pouvoir personnel intérieur (power from within), basé sur l’estime, le respect de soi-même et la considération d’autrui comme son égal·e ; le pouvoir personnel d’action dans le monde de type non dominateur (power to, pouvoir de) ; et le pouvoir collectif (power with, pouvoir avec), dans lequel l’action de groupe élargit la portée du pouvoir. L’expérience participante des stages d’ADF gagne en compréhension à travers ce prisme puisqu’il apparaît : 1) Que les participantes sont amenées à remettre en cause le pouvoir pris sur leur vie par les auteur·ices d’agressions et les groupes sociaux auxquels ces dernier·es appartiennent en développant leur pouvoir intérieur individuel (relatif à l’estime de soi, à la confiance en soi, au sentiment de sa propre légitimité, dont le vocabulaire revient dans 29 entretiens sur 30). 2) Que les participantes puisent dans les stages des ressources pour accroître leur pouvoir de vivre libres, d’agir, se soigner, travailler, apprendre, se déplacer, aimer, se lier et se délier, etc. Cela s’observe très concrètement aux « turning points » (Voegtli, 2004, 2016 ; Broqua, 2006) volontaires survenus après le stage, des tournants biographiques délibérés que les participantes imputent au moins partiellement au stage qu’elles ont suivi. 3) Que le stage favorise le développement de rapports de solidarité entre « cibles » de violences de genre, suivant l’expression d’une participante, et encourage de bien des manières l’engagement collectif (en fournissant un exemple de précédent réussi, en constituant une occasion de rencontre entre femmes, en favorisant l’échange autour de problématiques communes, en valorisant l’engagement féministe, en permettant la rencontre de féministes, en démontrant la force individuelle et collective des femmes, etc.).

25Le fait que les bénéfices de l’ADF, pour les femmes, s’étendent au-delà de la stricte amélioration de leur sécurité est établi dans la littérature (Cohn et al., 1978 ; Hollander, 2004, 2009 ; McCaughey, 1997 ; McDaniel, 1993 ; Ozer, Bandura, 1990 ; Weitlauf et al., 2000). Mais l’empowerment est-il seulement un produit des stages ? Les manuels destinés aux apprenties invitent à envisager l’empowerment non seulement comme un résultat visé mais aussi comme une méthode. N’y a-t-il pas quelque chose d’incantatoire cependant à invoquer le renforcement du pouvoir d’agir pour lutter contre sa confiscation ? C’est qu’il faut, tout d’abord, distinguer ce qui relève de l’état de capacité d’agir et du processus permettant d’activer un tel état, comme le font Bacqué et Biewener (2013), puis nous autoriser, à des fins de compréhension, un détour par une autre méthode d’intervention. Une pratique dont les chemins de l’efficacité sont connus : la méthode Jacotot, dite également méthode de « l’enseignement universel ».

  • 12 Dans la perspective de Jacotot, c’est l’explication qui produit l’ignorant·e, creuse sans cesse la (...)

26L’histoire est celle d’un pédagogue qui découvre les vertus de la posture du/de la « maître·sse ignorant·e » : l’efficacité d’une relation directe entre les apprenant·es et l’objet de leur apprentissage, et le caractère contre-productif des médiations explicatrices (Rancière, 1987). Arrêtons-nous sur l’essentiel nous concernant : la transitivité du postulat d’égalité des intelligences. C’est ce postulat, dérivé de l’observation de l’apprentissage de leur langue maternelle par les jeunes enfants, qui est à la base de la critique qu’adresse Jacotot au système scolaire12. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est qu’en penseur conséquent, Jacotot s’emploie à tester la validité de son idée, et, ce faisant, crée un dispositif ad hoc assurant les conditions pratiques de sa réussite. Dit autrement, Jacotot « croit » à l’égalité des intelligences et agence les situations d’apprentissage dont il a la responsabilité de telle sorte qu’elles aboutissent à ce résultat ; la confirmation de l’hypothèse passe par sa réalisation.

27On retrouve dans l’ADF un postulat ayant la même fonction. L’égalité en jeu, cette fois, est celle des puissances d’agir. C’est elle qui fonde l’affirmation, par les animatrices en stage, d’une puissance défensive des femmes comme relevant d’un déjà-là (« on est toutes déjà des autodéfenseuses », « on a toutes déjà été confrontées à des situations désagréables ou dangereuses, on peut se féliciter d’y avoir survécu car même si sur le moment on s’est pas dit que c’était de l’autodéfense, de fait dans ce monde qui n’est pas idéal on a toutes déjà eu à faire quelque chose pour notre sécurité… »). C’est ce postulat d’égalité des puissances d’agir que l’on retrouve également dans une séquence saisie en 1984 par la caméra d’Hélène Bourgault et Bénédicte Delesalle, étendu cette fois à un niveau ontologique.

28La scène montre Lucie Dextras, fondatrice du Fem do chi et animatrice charismatique, en pleine animation de stage. Dextras suscite les rires autour d’elle en convoquant une image ; il est question d’un chaton qui, confronté à une tentative d’étranglement, s’empêcherait de se défendre en se disant en lui-même : « Je ne peux pas lui donner un coup de patte, [cet agresseur] est tellement plus grand… Je ferais mieux de faire le mort, des fois qu’il deviendrait plus violent… » Morale du conte :

  • 13 Hélène Bourgault, Bénédicte Delesalle, Fem do chi Self défense pour femmes, France, 1984, disponi (...)

L’être qui vous attaque, qui vous menace, est très fragile. C’est pas vrai que vous êtes fragiles ! C’est des histoires qu’on vous a racontées. Et c’est pas vrai qu’il est très fort ! C’est des histoires qu’on vous a racontées. Mais vous devez vous donner la permission. Comprendre que, c’est vrai que pour votre enfant, vous allez faire n’importe quoi. C’est vrai que pour votre copine, vous allez faire n’importe quoi. C’est vrai ça… Parce que, une femme, on va lui dire : es-tu capable de te défendre ? Elle va dire non. Ou elle va me dire : Lucie, tu m’as montré tout ça, mais je sais pas si je pourrai le faire. Elle va me dire : oui, mais si je fais ça, peut-être que je vais manquer mon coup et il va devenir plus violent ! Ou peut-être que là je vais manquer mon coup, et que, entre le premier et le deuxième, il va me frapper encore plus. Ou peut-être que je suis mieux de faire la morte, comme ça il va se calmer. Nous autres, c’est notre conditionnement qui parle. Et non pas notre instinct13.

  • 14 Au sens de l’anglais precarity, distinct du precariousness qui décrit la condition de toute vie (Kr (...)

29La parabole de Dextras pose sur le ton de l’humour, dans une sorte de continuisme naturaliste, l’universalité de la capacité des vivants à défendre leur vie. Le conte prend ainsi le contre-pied des approches préventives qualifiées en stage de « traditionnelles », « sexistes » ou « paternalistes », qui désignent les femmes comme des incapables : incapables de prendre des décisions judicieuses, de se protéger et d’exercer leurs droits. Car si les chatons peuvent se défendre mais que certaines femmes se sentent privées de cette capacité, c’est qu’une ou plusieurs choses les empêchent d’accéder à leurs pleines ressources. On peut comprendre alors le travail réalisé en cours d’ADF comme une déconstruction d’un corps/sujet vulnérable et une reconstruction d’un corps/sujet résistant, une vie prête, coûte que coûte, à défendre sa persistance contre les formes de précarisation14 qui la frappent ou menacent de le faire.

30Revenir au moment consacré à l’examen des approches « traditionnelles » de la prévention permettra de préciser la façon dont les stages s’y prennent pour effectuer ce travail. La discussion sur les limites des consignes usuelles de prévention (ne pas : sortir seule le soir, porter de tenue aguichante, regarder les inconnus dans les yeux, répondre en cas d’interpellation, voyager seule, faire de stop, etc.) est l’occasion d’une élucidation collective de leur dimension idéologique et normative et de leur incidence sur les vies auxquelles elles s’appliquent. Les groupes (re)découvrent leurs conséquences et leur faible utilité dans une optique de prévention : de telles règles demandent aux femmes d’en rabattre sur leur liberté de mouvements, leur liberté vestimentaire, le choix de leurs activités, le choix de leurs relations, leur imposent de se montrer discrètes, de raser les murs ; elles les rendent responsables de la prévention, et, en cas d’agression, coupables de « l’avoir bien cherché » ; elles renforcent les peurs des femmes, et contribuent à les faire se sentir des proies ; elles ne tiennent pas compte des situations différentes dans lesquelles se trouvent les unes et les autres, ignorent la plupart des contraintes qui s’imposent à un grand nombre ; elles infantilisent les femmes en leur dictant ce qu’elles devraient faire dans telle ou telle situation ; elles renforcent les représentations les plus stéréotypées sur les agressions, au mépris des données de victimation ; elles dissuadent les filles et les femmes, comme l’écrit Lieber (2008, 293-294), d’envisager leur corps « comme des instruments d’action ».

31Dénaturaliser intellectuellement l’état d’incapacité physique, émotionnel ou psychique des femmes devant les agressions à l’aide d’un matériel cognitif forgé à partir et dans la continuité des existences et des mobilisations féministes est une des voies empruntées par l’empowerment en stage, mais ce n’est pas la seule. Il reste à parler de la place qu’y tient l’expérimentation somatique.

La centralité de l’expérimentation somatique

La découverte d’un « monde » dérobé

32Les stages utilisent l’expérience corporelle pour remettre en question les lignes de partage fixées par les normes de genre qui qualifient des corps comme puissants et d’autres comme intrinsèquement vulnérables, en association avec un faisceau d’autres qualités qui se révèlent être également des valeurs (ou des grandeurs) dans le système de genre : agressifs, désirants, valant pour eux-mêmes, toujours-déjà-victorieux pour les premiers ; passifs, soumis aux désirs des autres, valant pour les autres, toujours-déjà-vaincus pour les seconds… La remise en cause de ces lignes de partage révèle des pans entiers d’un « monde », compris comme tout ce qui arrive, dissimulé par la « réalité » (Boltanski, 2008, 2009, 2012) du système de genre : un monde dérobé, à la vue et à l’expérience, à la connaissance subjective et aux pratiques des femmes. Les participantes découvrent, par exemple, qu’en mobilisant « toute [leur] énergie, toute [leur] détermination », selon une formule d’usage en stages, et en privilégiant des frappes sur des parties fragiles du corps telles que visage, parties génitales, articulations, etc., elles peuvent porter des coups neutralisants.

>C’était accessible les armes [corporelles] qui étaient proposées ? Oui carrément. >Carrément ? Ouais, c’était que des exercices très… des mouvements hyper simples, je sentais pas… J’avais un peu peur de ça, d’ailleurs […] j’avais un peu peur… que mon rapport à mon corps, qui est pas toujours simple, qui est même plutôt assez complexe… Je me sens pas, je me trouve empotée, pas à l’aise dans mes mouvements, trop grosse, enfin, tu vois… Je m’étais dit : “ah je vais…” Tu vois, “je vais…”. Alors qu’en fait, c’était hyper accessible à tous les corps, j’avais l’impression. On n’a pas besoin d’être des super athlètes pour faire un stage d’autodéfense, tu vois. Je suis pas… Je suis pas athlétique, et tu vois, j’étais pas à la ramasse. >Mmm… C’était pas… J’avais pas de courbatures, c’était pas éprouvant… C’était accessible. Ouais, c’était accessible (Sophie, participante, 30 ans, diplôme de niveau 7, salariée dans le secteur associatif).

Ces gestes ne garantissent pas en soi la capacité à se défendre. Mais ils participent d’un programme qui vise à produire des situations défaisant des injonctions décapacitantes par des propositions capacitantes, dans lesquelles des prises sont offertes et accompagnées d’encouragements à le faire.

  • 15 L’argument se fonde sur l’expérience directe du domaine (judo, taijitsu, savate, krav maga). Par ai (...)

33Les gestes de défense physique enseignés ne diffèrent pas beaucoup de ceux qu’on peut apprendre dans des cours de self-defense mixtes non féministes15 : très peu de technique, gestes qualifiés d’« innés » dans des cours de défense classiques (réputés solliciter le cerveau reptilien), frappes en ligne de face (trajectoire la plus courte), techniques percutantes pratiquées à travers des zones fragiles du corps de l’agresseur. Les différences sont ailleurs :

  • Les cours se déroulent en non-mixité, même si le type de non-mixité requise fait l’objet de débats étant donné la centralité de cette question pour les mobilisations féministes aujourd’hui. En tout état de cause, il est impensable que des cours d’autodéfense féministe soient donnés par des hommes cisgenres.

  • Les stages sont conçus pour répondre aux situations d’agression auxquelles les femmes doivent le plus faire face, notamment dans l’espace privé et du fait du/de la partenaire ou de l’ex-partenaire.

    • 16 La visualisation, empruntée à l’entraînement sportif, consiste à se figurer mentalement une séquenc (...)

    La capacité à se défendre est abordée dans une vision holistique qui mobilise aussi bien le rapport aux émotions et aux ressentis, le langage verbal et non verbal que des gestes de défense physique et les interactions entre ces différents registres d’action. Dans certaines pratiques, l’apprentissage par la démonstration et la répétition est complété par des visualisations16.

  • Tenant compte des conditions socio-économiques de vie de la plupart des femmes, qui ne leur permettent pas de s’entraîner à loisir, les cours d’ADF visent plutôt à libérer leurs capacités de défense qu’à entraîner les femmes en vue d’un apprentissage de longue durée.

  • La méthode postule que toutes savent déjà et sont capables de se défendre.

  • Les cours se basent sur la transmission d’informations et de savoirs féministes et sur le partage d’expériences entre participantes.

  • L’exposition des femmes aux violences et leur incapacité supposée à se protéger sont abordées comme la résultante et la composante d’un rapport de domination. Inversement, les possibilités de retourner les attendus de ce rapport de domination pour se défendre sont prises en compte (effet de surprise de la riposte en général, déstabilisation que suscitent des comportements contre-stéréotypés du point de vue du genre, etc.).

  • Les animatrices cherchent à développer une approche inclusive des relations entre violences et domination, tenant compte des effets du genre (violences sexistes et LGBTIQphobes) mais aussi du classisme, du racisme, du colonialisme, du validisme et de l’agisme.

Engagement corporel et non-mixité

34Quantité de travaux ont remis en question le mythe de l’égalité des chances par la mixité et souligné les problèmes posés par celle-ci en contexte scolaire (notamment Barnett, Rivers, 2004 ; Buchmann et al., 2008 ; Duru-Bellat, 1994 [2010], 1995, 2008 ; Mosconi, 1989, 1994, 1998, 2001, 2004 ; Zaidman, 1996). Ces travaux soulignent la prégnance des stéréotypes de genre en situation de mixité, et le fait qu’ils renforcent filles et garçons dans l’affirmation de leur « spécificité » et dans la construction de leur « différence » : « Au regard des interactions entre les élèves, la mixité tend à limiter le développement personnel et intellectuel de chacun et de chacune » (Bréau et al., 2016).

35Or l’ADF demande aux femmes de se livrer à des pratiques qui relèvent pour elles de l’interdit dans le système de genre. Lieber (2008, 294) note : « La pratique du self-defense, ou d’un autre sport de combat, force en quelque sorte les femmes à se comporter de façon non féminine […] ». Hollander explicite :

Lorsque les femmes apprennent ou pratiquent l’autodéfense, elles utilisent leur corps de manière énergique. Elles donnent des coups de pied, elles cognent, elles donnent des coups de coude, elles frappent. Elles hurlent – non des hurlements féminins mais des hurlements profonds et puissants. Et ce qu’elles crient est également inattendu. […] Elles affirment, à travers leur langage corporel, leurs paroles et leur ton de voix, qu’elles ont de la valeur et méritent de se défendre. Tout cela va à l’encontre des idées dominantes sur ce que devrait être une femme (Hollander, 2009, 16, notre traduction).

36Sur ce point, les participantes interviewées sont unanimes : la non-mixité leur a permis de sortir d’une grammaire comportementale, gestuelle et psychique défavorable à la défense de soi. Faire des grimaces, crier, faire preuve de force et constater que des femmes d’âge et de condition physique variés le peuvent également était plus facile à réaliser dans le secret des coulisses. Et il est connu, en effet, que dans un premier temps au moins, en l’absence d’un rapport de force favorable, l’entre-soi et le hors-champ rendent possible des choses impensables sur la scène publique (Scott, 2008 [1992]). Dans le même ordre d’idée, les participantes font aussi valoir que la non-mixité en stage leur a permis des échanges impensables en présence d’hommes cisgenres.

  • 17 Voir en particulier Delphy (2017 [2006]).

37Les praticiennes, suivant en cela la théorie féministe17, expliquent que la non-mixité permet aux femmes de désubjectiver leur vécu, de sortir de la honte et de la culpabilité, de se raconter sans avoir à craindre de blesser les hommes, et sans avoir à les rassurer, ni à les réconforter. Les animatrices considèrent aussi qu’elle libère les femmes des rapports de séduction, de disponibilité et d’encouragement vis-à-vis des hommes pour leur permettre de se centrer sur elles-mêmes. Plusieurs participantes témoignent que la non-mixité leur a permis de se tranquilliser par rapport à des craintes que suscitent chez elles les entraînements en mixité (être enfermée dans un rôle de femme, ne pas pouvoir explorer librement ses capacités, être tournée en ridicule, infantilisée, violentée également, crainte de subir des rappels de traumas). Enfin, et leurs trajectoires d’engagement post-stage le confirment, la quasi-totalité des participantes rapporte que l’expérience de la non-mixité en ADF les a encouragées à développer des liens de solidarité entre femmes, voire entre « cibles » des violences de genre.

38Paradoxalement, puisqu’elle semble d’abord les identifier à leur rôle social de sexe, les données convergent pour désigner la non-mixité choisie comme un facteur essentiel d’une expérience dans laquelle, temporairement, des femmes se soustraient à nombre des contraintes que les rapports de genre font peser sur elles. Il en ressort que la non-mixité constitue une variable capitale pour défaire le cercle vicieux des injonctions décapacitantes et de commencer à tracer, pour paraphraser Rancière (1987, 42), l’autre cercle, celui de la puissance.

Une « rematérialisation » du corps des femmes

39Le fait que l’ADF (r)établisse la possibilité d’autres engagements corporels que ceux auxquels le système de genre confine les femmes et les filles est un élément récurrent dans la littérature. Les publications anglophones parlent d’embodiment (McCaughey, 1998) ; Millepied développe la notion de « scripts corporels alternatifs » (Millepied, 2017a). C’est aussi un point qui revient dans les entretiens :

[…] c’est la 1re étape de… “Ah ouais je peux… en fait je suis forte physiquement !” Et ça, pour moi, c’était une découverte, quoi, vraiment, et ça a été… Du jour au lendemain, ça a changé énormément de choses sur l’aspect physique, vraiment. >Ça a changé énormément de choses ? >Dans ma vision du monde, de moi, de plein de choses qui se passaient, quoi… Et de ce jour-là à maintenant, je sais que chaque jour où… chaque fois que je fais des trucs d’autodéfense ou d’autres choses ou quoi, je sais que j’ai l’impression de faire des paliers à chaque fois de… d’apprivoiser ce truc. Et que maintenant, j’ai plus… j’ai plus peur. Je vais pas dire que j’ai plus peur, mais par rapport à d’où je viens, j’ai vraiment… pas du tout la même appréhension du physique (Amel, participante, 37 ans, diplôme de niveau 6, au RSA, deux enfants).

  • 18 À propos de la « direction de plus en plus “reconstructive” […], ou encore “affirmative” » prise pa (...)
  • 19 L’idée que « les techniques du corps transmises dans le stage fournissent la base de l’élaboration (...)

40On peut parler à ce titre d’une « re-matérialisation du corps », au sens « fort et non substantialiste » que donne Kraus à la formule18, que l’expérimentation somatique arrache à un état de pseudo-corps, de corps éthéré, de corps-à-risque dans le système de genre, à risque d’agression sexuelle en particulier. L’expérience des stages fait passer d’un modèle de corps vulnérable et défini par le pâtir à un modèle de corps proactif dans sa défense et articulant subir et agir : rendu vulnérable mais capable de défense19. Ainsi, dans le documentaire d’Hélène Bourgault et de Bénédicte Delesalle, après un exercice consistant à briser une planche au poing, entend-on Lucie Dextras s’adresser en ces termes aux participantes :

[…] si mon poing peut passer à travers ça, tu te rends compte que si tu ne frappes pas, c’est une faveur que tu fais à l’autre. Alors ça va changer un peu. Votre attitude. C’est pas parce que vous êtes des pauvres victimes, c’est parce que vous avez bon cœur !

41Ce qui revient à dire qu’il s’agit moins d’apprendre aux femmes à se battre que de désapprendre à ne pas se battre (Dorlin, 2017). On l’entend au reste lorsque des animatrices rejettent le terme de « techniques » pour parler de leur pratique : nous n’avons pas besoin de « recettes » pour nous défendre, nous avons besoin de « nous reconnecter à nos capacités ». L’expérimentation somatique fournit à cette hypothèse un plan de vérification et, à toutes fins pratiques, un test concret du pouvoir transformateur de cette hypothèse une fois mise en acte.

Conclusion

42On a vu que les stages sont vécus comme un événement : qu’ils activent auprès de leur public, au sens de la sociologie de la réception, une identification en tant que public, au sens deweyien cette fois, et que les fondements de cette identification se trouvent dans l’élucidation d’un pâtir commun imputable à un état des rapports sociaux. On a vu également que cette identification est aussi découverte d’une puissance d’agir corrélative de la production d’une position d’énonciation en tant que cibles du système de genre. Et on a vu enfin que ce geste herméneutique engage le présent et l’avenir mais également le passé, puisque à travers lui des épisodes de vie antérieurs, des états et des qualités se trouvent requalifiés sous l’angle de la victimation.

43Suivant ce constat, nous avons abordé les stages en tant que dispositif. Les textes qui organisent la pratique en premier lieu, grilles d’animation et manuels, les espaces de formation d’animatrices également, nous ont fourni la matière permettant d’attester cette organisation logique, séquencée, et téléologique des stages. L’étude du fonctionnement des histoires de réussite, ensuite, nous a permis d’observer le cadrage féministe à l’œuvre dans les stages, pour comprendre en quoi ils convient les participantes à rejoindre une enquête, toujours au sens deweyien, dont la formulation initiale remonte à la fin des années 1960 – début des années 1970.

44Il restait à identifier les principaux opérateurs de cette association : comment des femmes extérieures aux milieux féministes sont-elles acquises, sous certains aspects seulement mais en un temps aussi bref, à une problématisation féministe ? Deux grands leviers d’opérationnalisation de cette problématisation, qui en fournissent à la fois un plan de vérification (attestation de la preuve) et d’accomplissement (pas de différé dans la promesse d’émancipation), ont été relevés : la méthode de l’empowerment, décrite dans ses parallèles avec la méthode de l’égalité des intelligences chez Jacotot, et l’expérimentation somatique, dont j’ai tâché de montrer la centralité.

45Ce faisant, il apparaît que l’efficacité des stages d’ADF pour la prévention des violences de genre tient au fait qu’ils articulent des savoirs théoriques et pratiques féministes largement éprouvés. Il s’agirait, pour aller plus loin, de s’intéresser aux modalités d’importation de ces savoirs et au processus qui les (a) fait passer peu à peu du domaine réservé de l’entre-soi féministe au domaine public par la médiation, entre autres, des stages.

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Notes

1 La mise en circulation des références en langue étrangère doit beaucoup à Irène Zeilinger (voir en particulier 2018a).

2 Mes remerciements aux organisatrices de la journée d’étude « Mobilisations par la vulnérabilité » organisée par le laboratoire CRISES (EA 4424) en 2018 et aux participant·es pour cette occasion d’échanges stimulants, ainsi qu’aux évaluatrices et coordinatrices du numéro pour leurs remarques, leur patience et leurs encouragements.

3 Fem do chi, Seito Boei, Riposte ou pratiques dérivées.

4 Victimation est utilisé ici au sens des enquêtes de victimation, à savoir avoir été victime d’un ou plusieurs actes de violence, d’agressions. Sur l’utilité de distinguer victimation et victimisation pour sortir du « dilemme de la victime », on se référera à Chamayou, 2010.

5 Observation également faite par nombre d’animatrices. Sur ce point, l’autrice remercie Irène Zeilinger qui lui a généreusement mis à disposition en 2012 des notes qu’elle avait rédigées à partir de ses propres stages.

6 216 sur 280 évaluations de stages de deux jours. Les indicateurs retenus au dépouillement sont : « nous » ; « on » ; « féminisme » ; « féministe » (pluriel et singulier) ; « femme » (pluriel et singulier) ; « fille » (pluriel et singulier) ; « camarades » ; « sœurs » ; « sororité » ; « solidarité » ; « toutes » ; « toute femme » ; « chacune » ; « pas seule » ; « collectif » ; « collective » ; « rassemblement » ; « ensemble ».

7 Pour une discussion critique sur « la révolution constructiviste des sciences sociales » invitant à prendre au sérieux la réalité des réalités « construites », on renverra à Avanza, Laferté (2005).

8 « Enquête » est à entendre ici au sens de la théorie de l’enquête (en particulier, Dewey, 1993 [1938]). Pour Dewey, l’expérimentalisme reconstruit en sciences dures avec la diffusion de « l’esprit scientifique » est inhérent au processus naturel de l’adaptation. Il trouve un prolongement dans les relations sociales lorsque, confrontés à une situation troublée, au caractère indéterminé, menaçant la continuité de leur existence, les individus s’engagent dans une activité de problématisation, c’est-à-dire d’institution d’un problème en vue de sa résolution.

9 La notion d’enquête est particulièrement heuristique en ce qu’elle implique l’entre-définition de la situation problématique, du « public » acteur de sa résolution et des voies prises par cette résolution, mais on pourrait aussi aborder les stages au prisme du concept de « médiation » (Hennion, 1993). Enquête et médiation désignent des processus engageant un travail herméneutique dont des entités, des objets matériels et immatériels, ressortent transformés, dans leur qualification et dans leurs relations.

10 L’oubli de soi, l’étrangeté à soi, la dévalorisation de la connaissance de soi, de ses émotions et de ses perceptions qui résulte de la focalisation sur ceux dont on redoute la violence.

11 http://www.heteroclite.org/2012/02/autodefense-feministe-stages-lyon-1563.

12 Dans la perspective de Jacotot, c’est l’explication qui produit l’ignorant·e, creuse sans cesse la distance entre le·a maître·esse et l’apprenant·e et diffère d’autant l’accomplissement de la promesse d’émancipation par le savoir (Rancière, 1987).

13 Hélène Bourgault, Bénédicte Delesalle, Fem do chi Self défense pour femmes, France, 1984, disponible à l’adresse : http://base.centre-simone-de-beauvoir.com/DIAZ-510-55-0-0.html. On voudrait remercier ici le centre audiovisuel Simone-de-Beauvoir, dont on salue le travail, pour nous avoir permis de consulter ce document.

14 Au sens de l’anglais precarity, distinct du precariousness qui décrit la condition de toute vie (Kraus, 2016).

15 L’argument se fonde sur l’expérience directe du domaine (judo, taijitsu, savate, krav maga). Par ailleurs, les différences entre les cours de self-defense mixtes ou non mixtes (mais, parfois, avec un homme dans le rôle de l’instructeur) et les cours d’ADF sont affirmées par toutes les animatrices rencontrées. Elles se retrouvent dans la littérature également, sans toutefois que des comparaisons terme à terme n’aient été effectuées au sens strict ; la tentative la plus aboutie en français se trouve chez Millepied (2016).

16 La visualisation, empruntée à l’entraînement sportif, consiste à se figurer mentalement une séquence de mouvements, sans engager d’activité motrice. C’est une technique facilitant l’acquisition de nouveaux mouvements et l’optimisation de mouvements déjà connus.

17 Voir en particulier Delphy (2017 [2006]).

18 À propos de la « direction de plus en plus “reconstructive” […], ou encore “affirmative” » prise par Butler autour de la question de la precariousness après son travail de déconstruction du corps et du sexe (Kraus, 2016, 26).

19 L’idée que « les techniques du corps transmises dans le stage fournissent la base de l’élaboration de techniques de soi » (Millepied, 2017b, 53) est également présente chez Léon (2012a, 2012b), avec une insistance sur la dimension « propédeutique » de l’expérience.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aurélia Léon, « « Contre leurs violences sexistes, autodéfense féministe ! » À propos des stages d’autodéfense féministe et de ce qu’ils nous enseignent  »Genre, sexualité & société [En ligne], 25 | Printemps 2021, mis en ligne le 12 juillet 2021, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gss/6665 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/gss.6665

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Auteur

Aurélia Léon

Doctorante en sociologie, université Lumière Lyon 2, Centre Max Weber (UMR 5283)
aurelia.leon@msh-lse.fr

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Droits d’auteur

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