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Décoloniser la vulnérabilité : penser l’agir minoritaire des femmes d’Afrique subsaharienne dans la cause du VIH en France

Decolonizing vulnerability: thinking minority agency of Sub-Saharan African women from the HIV cause in France
Marjorie Gerbier-Aublanc

Résumés

Particulièrement touchées par le VIH en France, les femmes d’Afrique subsaharienne ont été assimilées à un « groupe vulnérable », victimes des hommes dans l’épidémie. Issu d’une analyse empirique de leur mobilisation dans la cause du VIH, cet article vise à « décoloniser la vulnérabilité » qu’elles sont censées incarner, en dévoilant la pluralité des capacités d’agir que ces femmes déploient sur ce terrain. Les actions développées au sein des associations qu’elles portent reposent sur une grammaire du care qui, en répondant aux besoins matériels des femmes et en reconnaissant leurs capacités, active un processus d’agir minoritaire : ensemble de tactiques qu’elles imaginent, depuis leur position minoritaire, afin de négocier les assignations dont elles sont l’objet. La cause du VIH apparaît alors comme un espace où l’agir comme « être vulnérable » devient moteur de transformation politique.

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Texte intégral

  • 1 Voir la synthèse de l’épidémie du VIH en France, publiée par le CRIPS en 2019 : https://vih.org/sit (...)
  • 2 Tandis que d’autres groupes sociaux, tels que les homosexuels ou les personnes hémophiles (Fassin, (...)
  • 3 L’empowerment, concept dont la traduction en français est complexe, désigne « le pouvoir d’agir » d (...)
  • 4 La lutte contre l’épidémie s’est très tôt construite autour de mobilisations « communautaires », au (...)

1Les femmes nées à l’étranger, notamment dans un pays d’Afrique subsaharienne, représentent en France le deuxième groupe de population le plus touché par le VIH1. Après 20 ans d’invisibilité dans la lutte contre l’épidémie, en tant que femmes et immigrantes, elles sont devenues au tournant des années 2000 des « cibles politiques prioritaires » (Musso, 2011). Pensées de manière homogène comme les victimes passives et sans ressource des hommes dans l’épidémie (Musso, 2005)2, elles ont alors été érigées en « groupe vulnérable ». Cette représentation a façonné un objectif d’empowerment3 (Bacqué, Biewener, 2013) des femmes d’Afrique subsaharienne au sein de la lutte contre l’épidémie. En ce sens, les acteurs politiques, médicaux et associatifs du VIH ont encouragé l’émergence d’initiatives communautaires4 tournées vers et portées par les femmes d’Afrique Subsaharienne. C’est ainsi qu’elles sont devenues, depuis la fin des années 2000, des piliers de la lutte contre le VIH auprès des populations immigrantes. Mais comment des femmes supposées « vulnérables » sont-elles parvenues à investir de la sorte l’espace social du VIH et à y jouer un rôle moteur ? Les réalités de leur mobilisation sur ce terrain invitent d’emblée à déconstruire le portrait dressé de ces femmes.

2La littérature sur l’épidémie offre cependant peu d’éléments de réflexion sur le sujet. Les recherches en sciences sociales abordent les facteurs exposant ces femmes à l’infection par le VIH en France, à savoir : des inégalités de genre exacerbées par les contraintes de la précarité socioadministrative en contexte migratoire (Desgrées du Loû et al., 2016 ; Lydié, 2008). Les effets vulnérabilisants de la maladie sur la vie sociale, conjugale et sexuelle de ces femmes (Pourette, 2006, 2008) sont également examinés, ainsi que les préjugés genrés et racialisés façonnant leur suivi thérapeutique (Pourette, 2010, 2017). Cependant, bien que les ressources dont elles disposent pour négocier les épreuves induites par le VIH apparaissent en filigrane des travaux cités, leur vulnérabilité est peu discutée (Musso, 2011). Par ailleurs, tandis qu’elles ont activement investi l’espace social du VIH depuis deux décennies, les femmes immigrantes restent les grandes oubliées des recherches soulignant la portée thérapeutique, sociale et politique des mobilisations dans la lutte contre l’épidémie en France (Barbot, 2002 ; Broqua, 2006 ; Girard, 2013 ; Pinell, 2002).

  • 5 Dans la continuité des réflexions d’E. Dorlin (2005) et de D. Kergoat (2009), cet article considère (...)
  • 6 L'immigration comme produit de la colonisation en constitue une continuité historique et sociologiq (...)

3Afin d’enrichir cette littérature, cet article analyse, dans une perspective décoloniale, l’agency (Butler, 2009) déployé par ces femmes « vulnérables » dans la lutte contre le VIH. Déconstruire la vulnérabilité des femmes d’Afrique subsaharienne implique de considérer la consubstantialité5 des rapports sociaux de genre, de classe et de race (Kergoat, 2009) façonnant leurs expériences d’immigrantes et leur mobilisation dans la cause du VIH. La « position minoritaire » (Guillaumin, 2002) qu’elles occupent au sein de la société française les assigne en effet à des représentations homogénéisantes et à des rôles dévalorisants, imprégnés de représentations coloniales6 (Dorlin, 2006 ; Musso, 2005 ; Pourette, 2010). Afin de dépasser ces assignations, les théoriciennes postcoloniales invitent à penser la multiplicité des formes d’agency des femmes non occidentales, en prêtant attention à la manière dont elles « habitent les normes » (Mahmood, 2009 ; Narayan, 2010). « Décoloniser » la vulnérabilité incarnée par ces femmes immigrantes implique donc non seulement de dévoiler la manière dont elles négocient, depuis leur position minoritaire, cette figure de vulnérabilité dans l’espace social du VIH, mais également de souligner la portée sociale et politique de leur mobilisation.

4Ces réflexions sont issues d’une recherche doctorale portant sur l’engagement associatif des immigrantes d’Afrique subsaharienne dans la lutte contre l’épidémie en France (Gerbier-Aublanc, 2021). Suivant une démarche de théorisation ancrée (Glaser, Strauss, 2010), les analyses qui suivent sont « enracinées » dans une enquête socio-ethnographique (Olivier de Sardan, 2008) ayant, entre autres, conjugué 18 mois d’observation participante au sein de six associations d’immigrant.e.s luttant contre le VIH, majoritairement investies par des femmes, et la conduite d’entretiens auprès de 86 personnes gravitant autour de ces associations, parmi lesquelles 43 femmes engagées en leur sein. L’analyse croisée de ces données interroge la notion de vulnérabilité, en mettant en lumière ce qu’elle permet de construire comme agency et ce qu’elle limite ou reproduit comme assignations au sein de cet espace social.

5En effet, si des situations de vulnérabilité mènent les femmes immigrantes vers l’espace associatif communautaire du VIH, l’entre-soi féminin en contexte migratoire apparaît comme un vecteur significatif d’agency (Butler, 2009 ; Mahmood, 2009). Pour autant, les réponses mobilisées par les femmes dans cet espace social sont façonnées par leur assignation aux sphères d’action du care (Molinier, 2013 ; Tronto, 2009) au sein de la société française.

6La première partie de l’article examine l’articulation entre vulnérabilité et grammaire du care au sein des mobilisations étudiées. Dans une deuxième partie, le déploiement concret du care est analysé dans ce qu’il produit comme agency : une forme d’agir minoritaire dépassant la simple résistance aux rapports de domination. Enfin, la dernière partie souligne comment les espaces de représentation ouverts aux femmes de l’immigration par la cause du VIH favorisent un usage subversif des figures de vulnérabilité.

La vulnérabilité, au fondement d’une grammaire du care

7L’expérience de la vulnérabilité détermine la mobilisation des femmes d’Afrique subsaharienne dans la cause du VIH. Le rapport à la vulnérabilité façonne non seulement leurs trajectoires d’engagement mais également la grammaire du care structurant le fonctionnement et les projets associatifs.

La vulnérabilité, une force mobilisante

8Deux profils de femmes ont été identifiés au sein des associations ethnographiées : les aidantes et les usagères. Les aidantes, piliers des associations, apportent quotidiennement un soutien multidimensionnel (thérapeutique, social, administratif, psychologique) aux usagères de la structure. Les usagères sont l’ensemble des destinataires de ce soutien. Ces associations reposant sur l’entraide entre immigrantes vivant avec le VIH, les frontières entre les statuts d’aidantes et d’usagères peuvent être mouvantes. Dans les deux cas, la décision d’intégrer une association résulte d’un arbitrage opéré par les femmes, entre les situations de vulnérabilité provoquées par le diagnostic de séropositivité d’une part, et le poids du secret inhérent à cette pathologie, d’autre part. En effet, la mobilisation dans la cause du VIH expose les femmes à des risques de stigmatisation au sein des réseaux de compatriotes, qui freinent le recours associatif de nombre d’entre elles (Gerbier-Aublanc, 2021 ; Pourette, 2013). Néanmoins, la nécessité de répondre aux situations de vulnérabilité provoquées par le VIH détermine l’engagement associatif en tant qu’aidante ou usagère.

9Les aidantes sont des femmes séropositives ou séronégatives au VIH, pour la plupart installées de longue date en France et bien insérées socialement. Nombre d’entre elles sont arrivées dans les années 1980-1990 pour suivre des études, et ne sont jamais reparties. Elles ont alors construit leur vie sociale, professionnelle et familiale en France. La plupart des aidantes séropositives se sont engagées très tôt, en Afrique ou en France, dans la lutte contre l’épidémie. Certaines militantes associatives reconnues dans leur pays ont immigré en France au cours des années 2000 car leur état de santé se détériorait. À leur arrivée, elles se sont rapidement rapprochées des associations afin de prolonger leur engagement, et de se recréer un réseau social en France. Les aidantes séronégatives se sont quant à elles mobilisées dans la cause du VIH pour diverses raisons. Certaines ont accompagné un proche dans la maladie et ont vécu le décès d’un être cher, causé ou non par le VIH. D’autres ont pris conscience de l’exposition particulière des femmes immigrées aux risques d’infection par le VIH et se sont mobilisées afin de sensibiliser les populations. Quels que soient leur statut sérologique et les motifs de leur engagement, ces femmes étaient dotées d’un ensemble de ressources économiques, sociales et cognitives qu’elles ont choisi de mettre au service d’autrui au sein des associations ; ces ressources leur permettant de dépasser la peur de la stigmatisation causée par un tel engagement. Au moment de l’enquête, les deux tiers des aidantes étaient salariées des structures associatives, notamment embauchées en contrats à durée déterminée comme médiatrices en santé ; les autres étaient bénévoles à temps plein.

10Pour les usagères associatives, le diagnostic de séropositivité a généré des ruptures biographiques brutales, notamment la nécessité de s’installer en France pour pouvoir accéder aux traitements antirétroviraux pas toujours disponibles dans les pays d’origine. La plupart des femmes identifiées comme usagères séjournaient en effet temporairement sur le territoire français pour des raisons familiales, touristiques ou professionnelles, sans projet d’installation. La découverte de leur séropositivité, les contraignant à rester en France, a provoqué l’effondrement brutal des structures de reconnaissance et de protection sociale de ces femmes. Elles ont perdu leur ancrage social, laissé au pays leur famille, parfois des enfants en bas âge, et ont dû renoncer à leur position professionnelle. En France, ces femmes cumulent ensuite isolement géographique et social, en raison de l’émigration et d’une mise à distance des réseaux de compatriotes par crainte de la stigmatisation. Ce double isolement est associé à des situations de précarité (administrative, sociale, économique, affective) inhérentes à leur statut d’immigrées (Fassin, 2007 ; Sayad, 1999) et aux conditions de leur installation en France (Gosselin, Desgrées du Loû, Lelièvre, 2017). Ces dernières se trouvent alors plongées dans une « situation liminaire » (Calvez, 1994), un présent flottant qui entrave toute projection d’avenir. Ce « contexte d’instabilité structurelle » (Soulet, 2003, 182) justifie le recours associatif des usagères ; leur survie immédiate primant sur les risques de stigmatisation.

11Au sein des collectifs, les femmes imaginent « des formes d’entre-soi […] où les expériences de migrations et de discriminations s’articulent avec celles des traitements et de l’impact social et affectif de la maladie » (Musso, 2011, 242). Le modèle associatif qu’elles développent, façonné par la rencontre entre aidantes et usagères et l’imbrication de leur identité de genre, de leur statut d’immigrante postcoloniale et de l’expérience de la maladie, s’inscrit dans le registre du care (Tronto, 2009).

Le care, une prise en soin sensible des situations de vulnérabilité

12Majoritairement féminines, ces associations reposent sur des dynamiques d’auto-support imprégnées d’une éthique du care : la solidarité, le souci de l’autre, le soin mutuel, la reconnaissance d’autrui et la responsabilité collective règlementant les rencontres et façonnant les pratiques. Au-delà de la dynamique d’entraide sur laquelle ces dynamiques associatives s’appuient, ce type de mobilisation a fortement été impulsé par les autres acteurs du VIH. Le registre de l’intervention associative de ces femmes a donc, dès le départ, été en partie balisé. Il était, d’une part, attendu qu’elles relayent les messages de prévention au sein de leurs « communautés ». Elles ont, d’autre part, été appelées à accompagner la stabilisation de la situation sociale et thérapeutique des femmes immigrantes vivant avec le VIH, et à combler en quelque sorte les interstices des dispositifs de prise en charge institutionnels (Gerbier-Aublanc, 2021). La grammaire du care au fondement de ces associations procède en ce sens tout autant d’une volonté collective de répondre aux situations de vulnérabilité provoquées par le VIH que de l’assignation, issue de leur position minoritaire, de ces femmes au travail du care au sein de la société française.

13S’appropriant cet espace d’intervention, ces femmes imaginent « un modèle de prise en soin sensible » (Gerbier-Aublanc, 2021) des situations de vulnérabilité. L’expérience de la maladie en contexte migratoire provoque des situations de vulnérabilités à la fois sociales et symboliques qui mettent en péril l’identité sociale des personnes vivant avec le VIH. L’éthique du care au fondement de l’auto-support favorise en ce sens le développement de deux types de réponses : d’une part des solutions pratiques aux besoins sociaux et thérapeutiques des usagères, ainsi que la valorisation de leurs expériences, et d’autre part le soutien de leur estime sociale et la reconnaissance de leurs capacités d’agir. Ainsi, la grammaire du care déployée au sein des associations étudiées permet tout autant de répondre aux situations de vulnérabilité sociale des usagères, qu’à leurs besoins symboliques de reconnaissance. C’est l’articulation de ces deux types de réponses qui rend ce modèle de prise en soin sensible.

14D’un point de vue pratique, les aidantes proposent deux modes d’accompagnement aux usagères. Elles les accueillent d’abord au sein des locaux associatifs, en proposant chaque jour un repas et des activités afin de les accompagner vers la redéfinition de projets de vie au-delà du VIH. S’adaptant à leurs conditions d’existence précaires, elles déploient en parallèle des pôles d’action sociale et de médiation en milieu hospitalier. Les aidantes associatives interviennent alors aux côtés des équipes hospitalières et des travailleurs sociaux, en vue de stabiliser la situation sociale et thérapeutique des patientes identifiées comme particulièrement vulnérables. Pour ce faire, elles les accompagnent dans leurs démarches de régularisation administrative, de stabilisation résidentielle et d’insertion professionnelle (Gerbier-Aublanc, 2021), ainsi que dans la coordination complexe de leur parcours de soin, faisant le lien entre les différent.e.s soignant.e.s et intervenant.e.s sociaux qu’elles sont amenées à rencontrer. Les aidantes transmettent par ce biais aux usagères les connaissances et repères leur permettant d’investir au mieux les espaces de leur prise en charge thérapeutique et sociale.

15Les usagères puisent par ailleurs au sein des associations les formes de reconnaissance favorisant le (re)déploiement de leurs capacités d’agir. Plusieurs principes au fondement du modèle d’entraide associative alimentent ce processus. Un principe de « familiarité » à partir duquel aidantes et usagères cherchent à domestiquer l’environnement au sein duquel elles évoluent afin de se recréer des repères communs. Les liens qui se développent au sein des collectifs, à partir du partage de l’expérience du VIH en contexte migratoire, reproduisent des formes d’organisation quasi familiales et de « convivialité à l’africaine » dont les femmes sont particulièrement nostalgiques. Cette expression, mobilisée par les femmes sur le terrain, fait référence au partage d’attributs culturels (langues vernaculaires, musiques, plats culinaires) ainsi qu’à des façons de faire (des modes d’accueil, d’interactions sociales, d’expression de soi) qui diffèrent à leur sens de celles de la société française. Dans un contexte d’isolement et de rupture des sociabilités traditionnelles, l’origine géographique commune – l’Afrique – ainsi que certains codes culturels collectivement construits, en opposition aux référents de la société d’accueil, favorisent l’invention quotidienne d’une communauté de sens porteuse de reconnaissance. Cette reconnaissance passe notamment par le soutien de l’estime sociale des usagères. Un ensemble de pratiques visent à agir sur les identités blessées (Pollak, 1993) des personnes, en les revalorisant et en retournant le stigmate associé au VIH. Il s’agit par exemple de discours véhiculant une étiologie différente de l’infection par le VIH – une maladie des belles personnes sollicitées de toutes parts par les prétendant.e.s, ce qui explique leur infection – ou d’activités visant la réappropriation de son corps et le bien-être psychique (l’aquagym, l’ostéopathie, le théâtre, la socio-esthétique, les ateliers de coiffure ou de nutrition, la gymnastique, notamment). Il s’agit également de pratiques de louanges collectives, inspirées des traditions orales des griots des pays d’Afrique de l’Ouest ou encore du kasala, chant traditionnel des Luba du Kasaï-Oriental de la République démocratique du Congo (RDC). Dans une association, les femmes ont par exemple imaginé une adaptation de cette pratique. Le kasala renvoie traditionnellement à une narration poétisée des événements marquants du clan, de son passé historique, dans le but d’émouvoir les individus, de provoquer des sentiments et d’induire des comportements dans trois catégories de circonstances : les événements requérant du courage ; les moments de joie collective ; le décès et le deuil (Madiya, 1975 ; Mufuta, 1968). Au sein de cette association, « faire le kasala » d’une personne revient à retracer son histoire familiale et son parcours socioprofessionnel afin de mettre en lumière tout ce qu’elle a accompli avant de se retrouver dans cette situation éprouvante et de lui redonner confiance en elle.

16Ces rites de revalorisation suscitent chez les usagères une forme de réflexivité et de distance à soi, une activité critique face à leurs expériences biographiques qui leur permet de dépasser l’état liminal dans lequel elles se trouvent.

Le pouvoir du care : l’agir minoritaire

17L’irruption du VIH dans la vie des usagères représente une situation extrême qui ébranle fondamentalement la conscience qu’elles ont de leur capacité d’agir, dans un contexte migratoire vulnérabilisant. Les associations constituent en ce sens des espaces de subjectivation (Foucault, 1999a), dont la fréquentation permet aux usagères vulnérabilisées de se redéfinir comme les sujets de leur existence. La reconnaissance qu’elles puisent dans l’auto-support associatif ravive alors un sentiment d’appartenance au monde commun ; condition symbolique indispensable de l’agir, lorsque les ressources mobilisables sont limitées.

La dynamique de l’agir minoritaire

18La grammaire associative du care apparaît comme un moteur d’agency (Butler, 2009) pour les usagères. Cependant, l’agency des femmes immigrantes dans le contexte associatif du VIH émerge, non pas simplement comme une forme de résistance aux rapports de domination, mais bien comme « un produit de rapports de subjectivation spécifiques » (Mahmood, 2009, 37), façonné par leur position minoritaire (Guillaumin, 2002) en France. L’espace associatif du VIH soutient en ce sens l’émergence d’une forme d’agir minoritaire : ensemble des « tactiques » (De Certeau, 1990) imaginées par les personnes appartenant à des groupes minoritaires afin de négocier les assignations sociales dont elles sont l’objet, et de s’ériger comme sujets de leur existence. Cet agir minoritaire intervient lorsque des individus se trouvent aux prises de relations asymétriques avec des institutions, et sont dans l’impossibilité d’émettre une voix audible qui puisse transformer en profondeur la dimension inégalitaire des rapports sociaux. L’agir minoritaire fait écho au paradoxe foucaldien de la subjectivation, dans la mesure où les conditions qui assignent les femmes immigrantes à un statut minoritaire – ici, la figure de vulnérabilité – sont aussi le moyen par lequel elles s’érigent comme sujet agissant. En ce sens, l’agir minoritaire comme art des vulnérables passe d’abord, au même titre que l’« agir faible » (Soulet, 2003), par une action symbolique sur la définition de la situation, la construction d’une réflexivité au cœur de la production de ressources. Néanmoins, l’agir minoritaire, à la différence de l’agir faible, suppose l’inscription de l’individu au sein d’un collectif qui le reconnaît comme appartenant à un monde commun, activant par là la conscience des ressources personnelles dont il dispose pour agir sur ces assignations minoritaires.

19Cet agir minoritaire est perceptible dans différentes sphères de la vie des femmes immigrantes engagées dans la cause du VIH. Dans la suite de cet article, nous nous intéressons à différentes manières qui permettent aux usagères de négocier les modalités de leur insertion sociale et professionnelle en France.

L’insertion sociale et professionnelle comme épreuve vulnérabilisante

20La stabilisation résidentielle, qui débute souvent par l’obtention d’une place en hébergement institutionnel, ainsi que l’accès à l’emploi constituent des étapes fondamentales du parcours de stabilisation des femmes. Ces étapes sont malgré cela souvent vécues comme révélatrices du positionnement minoritaire des femmes de l’immigration postcoloniale dans l’ordre des rapports sociaux.

  • 7 Ces structures d’hébergement sont par exemple des foyers d’accueil, des maisons passerelles, des ce (...)

21Le « logement de l’immigré » restant toujours, avant tout, un « lieu de travail social » (Bernardot, 2008 ; Sayad, 1980), les femmes hébergées7 sont d’abord contraintes d’accepter l’accompagnement social associé à ce type d’hébergement, de rendre des comptes aux travailleurs sociaux et de respecter les règlements intérieurs. Preuve douloureuse de l’effondrement de « la vie d’avant » et du délitement de tout ce qui constituait l’identité sociale avant le VIH et la migration, l’accompagnement social proposé au sein de ces structures ainsi que leurs règlements symbolisent souvent une « mise sous tutelle » infantilisante, qui vulnérabilise les femmes, en nuisant à leur estime sociale. De la même manière, l’accompagnement vers l’emploi constitue une forme de déclassement humiliante pour des femmes invariablement orientées vers le secteur de l’aide à la personne en France (Annequin, Gosselin, Dray-Spira, 2017 ; Scrinzi, 2013), malgré l’hétérogénéité de leurs profils. Une part non négligeable des femmes rencontrées au sein des associations étaient juristes, enseignantes, cadres infirmières, assistantes sociales, chargées de mission pour des organismes internationaux, autoentrepreneuses ou encore étudiantes avant d’émigrer. Elles assument néanmoins en France des tâches peu valorisées, peu valorisantes, qui leur déplaisent et dont la pénibilité (Lada, 2009 ; Puech, 2006) est peu compatible avec leur état de santé fragile.

22Les associations constituent des soutiens de taille face à ces épreuves. Sans surinterpréter le rôle des collectifs dans la négociation de ces situations, il convient en effet de reconnaître les effets des processus de subjectivation impulsés par l’auto-support et la grammaire du care.

Les associations, des dispositifs de négociation

23En se posant comme des lieux refuges au sein desquels les souffrances des femmes sont entendues et des conseils prodigués, les associations apparaissent comme des dispositifs de négociation des épreuves qui jalonnent leur insertion sociale et professionnelle. Le partage d’expériences est d’abord l’occasion pour les femmes de mettre en récit ces situations humiliantes, en mutualisant les tactiques qu’elles déploient afin de gérer ces épreuves.

La ruse permet par exemple aux femmes hébergées en structure institutionnelle de détourner le sens des situations humiliantes, « en métaphorisant un ordre dominant […] sans quitter la situation dans laquelle il est inscrit » (Soulet, 2003, 185).

24Honorine O. dispose d’un appartement individuel au sein d’une structure d’hébergement thérapeutique. Bien que les travailleurs sociaux ne soient pas en permanence présents à son domicile, une conseillère en économie sociale et familiale lui rend visite plusieurs fois par mois et a notamment pour mission de lui apprendre à gérer son budget mensuel. Pour ce faire, elle l’accompagne faire ses courses et la conseille sur ses choix de consommation. Cadre infirmière dans son pays et provenant d’un milieu social aisé, Honorine O. vit mal cet accompagnement, d’autant que la conseillère est à peine plus âgée que sa fille restée au pays. Bien qu’elle n’ait que peu de revenus en France, elle reçoit régulièrement de l’argent de son époux qui dispose d’importants moyens financiers. Ces transferts d’argent lui permettent de contourner les recommandations économiques de sa conseillère sans s’y opposer frontalement. Tandis qu’elle fait mine de les suivre, elle continue en réalité d’acheter les produits qu’elle avait l’habitude de consommer au pays. En effet, « la ruse consiste à corroder de l’intérieur ce qui ne semble pas pouvoir être attaqué de front » (Balandier, 1977, 29). Un autre exemple est celui de Marie F., hébergée en appartement collectif pendant près de deux ans. Dans ce type de logement, l’une des règles les plus critiquées est l’impossibilité de recevoir des invité.e.s pour la nuit. Afin de contourner ce point de règlement sans risquer le renvoi, Marie F. a choisi une chambre située directement face à la porte d’entrée. Elle peut ainsi recevoir des invité.e.s sans que ses colocataires ni l’équipe sociale ne s’en aperçoivent. La ruse comme force des minoritaires apparaît donc comme « l’art de trouver [...] la juste mesure entre le contingent et le possible » (Vidal-Naquet, 2014).

25Le choix de « métiers d’homme » et le travail intérimaire sont deux tactiques mobilisées par les femmes afin de contourner les assignations professionnelles, sans remettre fondamentalement en cause la division genrée et racialisée du marché de l’emploi en France. En choisissant ce qu’elles qualifient comme des « métiers d’homme », les femmes s’orientent en réalité vers des emplois généralement assignés aux hommes immigrants. Une femme, travaillant dans le secteur de la petite enfance tandis qu’elle était agente administrative dans son pays, a rapidement bifurqué vers une formation d’agente de sécurité. « Moins fatigant » que de s’occuper d’enfants, être agente de sécurité lui permettra de s’asseoir au besoin et il sera plus aisé, selon elle, de justifier un aménagement de poste au sein d’une entreprise que face à un particulier. Le choix de tels « métiers d’homme » protège les femmes de la pénibilité qui caractérise les emplois « féminins » de service à la personne (Lada, 2009) et des risques de stigmatisation qu’elles appréhendent en travaillant chez des particuliers. Cadre infirmière dans son pays, Honorine O. obtient un diplôme d’aide-soignante en France. Elle est alors principalement sollicitée pour travailler auprès de personnes âgées ; secteur qu’elle juge très dévalorisant. Afin d’atténuer ce déclassement professionnel, elle opte pour le travail intérimaire. D’une part, parce que le travail temporaire lui permet de voyager à sa guise pour rendre visite à sa famille. D’autre part, car elle peut sélectionner des missions au sein de services hospitaliers « plus techniques » afin de se soustraire au « sale boulot » qui lui revient en tant qu’aide-soignante auprès de personnes âgées (Arborio, 2001 ; Molinier, 2013), et de continuer de se former. Par cette tactique, Honorine O. cherche à se maintenir dans les secteurs les plus valorisés de la profession de soin.

26Le partage de telles expériences au sein des collectifs met d’une part en lumière les capacités d’agir déployées au quotidien par ces femmes afin de maintenir une identité positive d’elles-mêmes dans un contexte vulnérabilisant. La mise en commun de ces tactiques intervient d’autre part comme une stratégie collective d’encouragement des modes de résistance individuelle aux assignations minoritaires humiliantes. La mutualisation de ces épreuves permet enfin aux femmes d’inscrire le déclassement social et professionnel subi en France dans une histoire globale des femmes immigrantes. C’est ce que suggère le témoignage de Marie F. : « En France, quand on arrive en tant qu’immigrée, on n’a pas beaucoup de choix. C’est-à-dire que ta connaissance, ton expérience, c’est de ton pays, ça n’a pas de valeur ici. Les services sociaux, ils t’orientent, si t’es une femme, c’est le ménage ou l’aide aux personnes. Donc tu choisis entre les deux. Garde d’enfants, ménage, personnes âgées. T’as le choix… » Par cet usage ambivalent de la notion de choix, tantôt comme défaut, tantôt comme option, Marie F. justifie son incapacité à accéder à d’autres secteurs d’activité, en tant que femme immigrante. Par cette « généralisation de soi-même » (Spivak, 1988), les femmes dénoncent, entre elles, la position minoritaire qu’elles occupent dans l’ordre social en France.

  • 8 Les femmes fréquentent souvent plusieurs associations en parallèle.

27Les associations constituent par ailleurs des lieux d’accompagnement social informel dont les femmes se saisissent, lorsqu’elles ne sont pas satisfaites des réponses apportées par les travailleurs sociaux ou lorsqu’elles cherchent à s’extraire des rapports de dépendance institutionnelle. Lorsque Juliette W. s’est vu refuser son statut de travailleuse handicapée, elle a demandé à l’assistante sociale hospitalière qui la suivait d’engager un recours. Face au refus de cette dernière qui savait ce recours inutile, elle s’est tournée vers les deux associations qu’elle fréquentait8, afin d’obtenir ce soutien. L’aidante de l’un des collectifs l’a alors aidée à rédiger un courrier à l’attention de la Maison départementale des personnes handicapées et l’a encouragée à demander une copie de son dossier de suivi à l’assistante sociale, passablement irritée par cette démarche entreprise à son insu. La mise en concurrence des acteurs de l’accompagnement social est ainsi utilisée par les usagères associatives afin de reprendre la main sur leur trajectoire d’insertion sociale et de réaffirmer leurs capacités d’agir sur des situations qu’elles jugent humiliantes.

28Replacé dans le contexte de lutte contre le VIH, l’agir minoritaire prend une dimension collective et politique. En effet, érigées comme les représentantes légitimes de la cause des femmes immigrantes confrontées à l’épidémie, aidantes et usagères associatives accèdent à différents espaces de représentation, au sein desquels elles sont appelées à porter la voix des femmes de l’immigration. Les associations assurent en ce sens une fonction de tribune politique depuis laquelle les femmes mettent publiquement en récit et en scène les assignations minoritaires dont elles font collectivement l’objet.

La représentation : un usage subversif des figures de vulnérabilité

29L’histoire de la lutte contre le VIH souligne combien l’invisibilité des femmes immigrantes jusqu’au début des années 2000 reposait tant sur la non-publication des statistiques épidémiologiques les concernant (Fassin, 1999), que sur l’impossibilité de faire entendre leur voix dans l’espace public (Fassin, 2004). « Ces “autres” du discours dominant n’[avaient] pas de mots, ni de voix pour élaborer leur propre terrain ; [elles étaient] réduit[e]s à être [celles] “pour qui on parle”, pour qui parlent ceux qui possèdent le pouvoir et les moyens de parler » (Bahri, 2010, 34). Elles étaient alors représentées au prisme d’une vision occidentale de la « femme moyenne du tiers-monde » (Mohanty, 2009) vulnérable et manquant structurellement de ressources. Partant de ces représentations, l’empowerment (Bacqué, Biewener, 2013) des femmes nées en Afrique subsaharienne est devenu un objectif primordial de la lutte contre le VIH en France, faisant consensus parmi les acteurs de ce monde social. Dans cette logique, l’image de la femme d’Afrique subsaharienne digne d’être publiquement représentée s’est posée comme celle d’une femme libérée du joug de la domination patriarcale et devenue sujet de son existence (ou cherchant à le devenir). Dans cette logique, les aidantes associatives, faisant figure de vulnérables émancipées, ainsi que les usagères, témoins authentiques d’un processus d’empowerment en cours, sont apparues comme les porte-parole légitimes des femmes immigrantes vulnérables.

30Tandis que la plupart des usagères perçoivent la représentation comme un « fardeau » (Shohat, 1995) les exposant à des risques de stigmatisation, les aidantes s’en saisissent stratégiquement. La reconnaissance de leur expertise dans le monde du VIH les mène à être sollicitées afin d’intervenir dans divers espaces (conférences sur le VIH, plateformes de démocratie sanitaire, groupes de travail ministériels, instituts de formation…) pour porter la parole des femmes immigrantes. Elles investissent alors activement ces espaces afin de mettre en scène les processus d’empowerment qu’elles incarnent et de contester la position minoritaire assignée aux femmes immigrantes.

Mettre en scène l’empowerment

31Médiatrice en santé séropositive au VIH, Grâce N. est invitée à animer l’atelier dédié aux « femmes migrantes » d’un colloque national sur le VIH. Elle introduit la séance en revenant sur son parcours personnel, comme cela le lui a été demandé par les organisatrices. Elle présente alors les circonstances de son diagnostic de séropositivité, « la déchéance psychique et physique » dans laquelle cette annonce l’a plongée, puis les différentes étapes et souffrances de son installation en France. Elle poursuit en narrant le « déclic » provoqué par sa rencontre avec l’association qui l’emploie aujourd’hui. « Mon Dieu ! J’arrive, je rencontre des femmes, et curieuse que je suis, je pose un peu des petites questions et le parcours était presque le même. Le soir quand je suis rentrée, j’ai pris un document sur l’association, j’ai passé toute cette nuit à lire. Et je me suis dit “tiens, voici une association qui est en phase avec ce que je veux faire”. Je me suis portée volontaire d’être bénévole. Pendant un an trois mois, je faisais un peu de tout. J’étais auprès des femmes, et ce qui m’intéressait le plus, je faisais la démonstration du préservatif féminin parce que c’était ce que je faisais au pays. Et après l’obtention de mon titre de séjour, j’ai été recrutée à l’association comme médiatrice en santé. Je me suis dit : “Grâce, chapeau ! Ça, c’est bien !” Et aujourd’hui sans vous mentir, le travail que je fais à l’association va en phase de ce que j’aime faire et de mon projet professionnel. Et mon projet professionnel c’est de donner les informations, d’être conseillère en santé sexuelle et droits humains. »

32Cet extrait du témoignage de Grâce N. souligne la manière dont les « témoins » mobilisent le vocabulaire attendu, la façon de dire qui interpelle et fait sens pour l’auditoire. Les aidantes associatives, ayant bien à l’esprit la nécessité d’incarner le processus d’empowerment tant attendu, utilisent stratégiquement leurs témoignages personnels lorsqu’elles sont invitées à intervenir lors d’événements publics sur le VIH. Elles soulignent par leurs récits les souffrances traversées et le soutien reçu par les associations, tout en incarnant par leur performance une transformation de soi. En effet, le témoignage est significativement mobilisé comme la preuve d’un processus bien engagé de subjectivation, de transformation de l’individu en sujet de sa propre existence (Nguyen, 2010). Par le recours à cette « technique de soi » (Foucault, 1999b), les femmes « habitent » et « accomplissent » les normes (Mahmood, 2009), tout en présentant leur parcours comme similaire à celui des autres femmes immigrantes vivant avec le VIH. Dans ce contexte, la « généralisation de soi-même » (Spivak, 1988) est utilisée pour mettre publiquement en scène la force émancipatrice de ces mobilisations de vulnérables. Dans d’autres situations, elle apparaît comme une forme « d’essentialisme stratégique » (Bahri, 2010 ; Spivak, 1988) visant à dénoncer l’expérience minoritaire des immigrant.e.s en France.

Dénoncer l’expérience minoritaire des immigrant.e.s en France

33Lors de la journée annuelle des acteurs d’une Coordination régionale de lutte contre l’infection à VIH (Corevih), une aidante et deux usagères associatives assistent à un atelier autour de l’hébergement thérapeutique. En pénétrant dans la salle, l’une des usagères, nerveuse depuis le matin, exprime un malaise en apercevant la directrice de la structure qui l’héberge. La directrice de l’hébergement de la seconde usagère est également présente. Toutes deux semblent surprises de voir leurs résidentes participer à cet atelier. Les intervenant.e.s (une assistante sociale et deux représentant.e.s nationaux des hébergements thérapeutiques) présentent le fonctionnement des appartements de coordination thérapeutique (ACT) et les trajectoires des personnes hébergées en leur sein. La « débrouillardise des femmes africaines » dans leur parcours d’installation en France est mise à l’honneur et l’expérience de l’hébergement en ACT est présentée comme une « parenthèse » du parcours des individues. L’aidante associative manifeste d’abord son désaccord, sans intervenir directement, par des chuchotements aux usagères et des grimaces assez explicites. La parole est ensuite donnée à la salle et une travailleuse sociale propose de mettre en place des « ateliers d’éducation à la parentalité » pour les femmes immigrantes hébergées avec leurs enfants en bas âge. L’aidante interpelle alors l’assemblée : « Les femmes que vous souhaitez “éduquer” à la parentalité sont souvent mères de plusieurs enfants et depuis bien longtemps ! Et vous souhaitez que de jeunes travailleuses sociales d’à peine vingt ans, tout juste sorties de l’école, leur apprennent comment devenir mère, alors que ce sont elles-mêmes encore des enfants ? Comme si c’était des jeunes placés sous surveillance judiciaire ! Les femmes immigrantes sont-elles donc sous tutelle ? » Elle poursuit en pointant l’incohérence des règlements intérieurs de ces structures et notamment l’interdiction de recevoir des invités pour la nuit qui met les femmes en danger. L’aidante explique en effet que, contraintes d’avoir des relations sexuelles dans des lieux non sûrs, les femmes s’exposent au bon vouloir de leurs partenaires et ne sont donc plus en mesure de se protéger. À la sortie de l’atelier, la directrice de l’hébergement de la première usagère citée la rattrape dans les couloirs, et lui glisse « petite cachotière, je ne savais pas que tu allais être ici, qu’est-ce que tu fais là ?! On ne te voit pas beaucoup à la résidence, tu es bien discrète… ». L’usagère se tourne vers l’aidante qui l’accompagne, implorante. Cette dernière défend alors le « droit » de l’usagère à être présente et ajoute que, dans son association, « il est important que les personnes vivant avec le VIH puissent s’exprimer en leur nom » plutôt que de laisser les professionnel.le.s le faire à leur place. Elle suggère à la directrice d’« être fière [de l’usagère] plutôt que de la réprimander ». La directrice, contrariée mais arborant un sourire de convenance, prend congé.

34La reconstitution de cet événement révèle comment les aidantes associatives s’insèrent dans les espaces ouverts par la lutte contre le VIH afin de faire entendre leur vision de la situation et des besoins des femmes immigrantes. Dans cet exemple, l’aidante dénonce leur infantilisation, tout en revendiquant la valorisation de leur parole au même titre que celle des autres acteurs du VIH. Les espaces de représentation ont ainsi une fonction politique notable en ce qu’ils permettent aux aidantes, érigées en porte-parole légitimes des femmes immigrantes, de verbaliser ce qu’elles vivent collectivement comme des humiliations et de faire écho aux tactiques individuelles que les usagères imaginent au quotidien. L’aidante essentialise ici stratégiquement (Spivak, 1988) l’expérience des femmes hébergées afin de dénoncer les stéréotypes dont elles font l’objet en France et qui façonnent leur « mise sous tutelle ». Ce faisant, elle dénonce plus globalement le traitement sociopolitique des étrangèr.e.s en France, tout en subvertissant les espaces qui leur sont traditionnellement assignés. Notons cependant qu’au sein de ces espaces, la possibilité des femmes immigrantes de faire entendre leur point de vue et de se politiser reste limitée à la voix contestataire émise par celles qui font figure de vulnérables émancipées.

Les « vulnérables émancipées » au cœur de transformations sociales et politiques

35La cause du VIH apparaît comme un espace où l’agir comme « être vulnérable » devient moteur de transformation sociale et politique. L’investissement des espaces de représentation ouverts par la lutte contre le VIH permet en effet aux femmes immigrantes mobilisées dans cette cause de porter des revendications qui dépassent la sphère du VIH. En effet, « l’identité sociale, [...] en se politisant, devient le lieu privilégié de la contestation » (Mahmood, 2009, 281). La représentation offre aux aidantes qui s’en emparent la possibilité de dépasser leur situation minoritaire, en dotant les femmes qu’elles représentent d’une voix et d’un visage et en élaborant un terrain depuis lequel interroger l’ordre social. Les interventions de l’aidante lors de l’atelier de la Corevih en sont un exemple significatif. À l’issue de cet atelier, son animatrice – une assistante sociale hospitalière largement investie dans des initiatives de travail en réseau – a proposé à l’aidante en question de créer un groupe de travail, au sein de cette Corevih, autour des enjeux de l’hébergement thérapeutique des femmes immigrantes. Ce groupe de travail visait à rechercher des solutions collectives et à élaborer conjointement des outils afin d’agir sur les situations d’accompagnement jugées humiliantes. Une fiche de liaison sociale a par exemple été créée afin de recueillir les commentaires et les propositions des usagères hébergées. Cet outil était encore à l’état de projet à la fin de mes recherches. Néanmoins, tout comme le groupe de travail qui l’a fait naître, cette initiative symbolise la volonté des acteurs du VIH d’accorder aux femmes de l’immigration le pouvoir d’intervenir de manière critique sur leur trajectoire d’insertion sociale. L’investissement d’un tel espace de représentation a, en ce sens, permis d’engager une négociation autour de la condition minoritaire de ces femmes ; la dénonciation des situations productrices de souffrance ayant favorisé l’ouverture d’un dialogue avec les professionnel.le.s de santé et de l’action sociale afin d’atténuer les effets vulnérabilisants de leurs accompagnements.

36La cause du VIH favorise par ailleurs des formes de reconnaissance particulières pour les aidantes associatives. Amenées à côtoyer des personnalités (re)connues dans le milieu médical comme dans le monde politique, l’engagement associatif dans la cause du VIH – même bénévole – est en effet tout autant porteur de visibilité publique que d’un ensemble de gratifications symboliques. Cette cause permet par exemple aux aidantes d’accéder à certains emplois associatifs – ceux de médiatrices en santé – plus valorisants que ceux qui leur sont habituellement proposés en France. Tout en respectant les sphères professionnelles qui leur sont traditionnellement assignées, elles s’élèvent ainsi symboliquement dans la hiérarchie des métiers du care. Leur engagement associatif facilite en outre la reconnaissance publique du travail qu’elles réalisent au quotidien. Les différentes instances de lutte contre l’épidémie proposent ainsi un ensemble de dispositifs favorisant leur participation aux décisions politiques autour de l’épidémie. Au sein des Corevih, elles peuvent être élues représentantes des usagèr.e.s et prendre activement part aux avancées de la lutte au niveau régional. Au sein des groupes de travail organisés par la Direction générale de la santé (DGS) ou des comités d’expert.e.s, elles font valoir leur expertise de l’accompagnement et des besoins des femmes immigrantes. Mais au-delà de leur participation à ces plateformes de démocratie sanitaire, l’engagement associatif dans la lutte contre le VIH leur ouvre parfois l’accès à une carrière politique, comme dans le cas de quelques femmes devenues conseillères municipales. La cause du VIH se présente ainsi comme un espace depuis lequel les femmes peuvent exercer une forme de citoyenneté, autrement peu accessible aux étrangèr.e.s en France, et lutter contre la « citoyenneté de deuxième classe » à laquelle sont assignées les populations immigrées non naturalisées françaises. Cette assignation minoritaire « consiste non seulement à priver les personnes de ressources essentielles et à leur refuser le partage de l’autorité, mais elle implique aussi l’idée que les citoyens de deuxième classe ne sont pas, par leur nature même, des êtres humains à part entière : autrement dit, qu’ils ne peuvent devenir des adultes responsables. En ce sens, les citoyens de deuxième classe sont exclus d’une participation totale non seulement à la société, mais aussi à la « communauté des adultes » (Margalit, 2007, 147). L’engagement dans la cause du VIH représente pour les femmes immigrantes, malgré les risques de stigmatisation, une manière de lutter contre le manque de reconnaissance et les stéréotypes infantilisants auxquels elles sont confrontées en France.

Conclusion

37Les réflexions développées dans cet article laissent entrevoir le processus d’agir minoritaire émergeant de cette mobilisation de vulnérabilités. L’engagement associatif dans la cause du VIH, tout en reposant sur une grammaire du care ancrée dans des rapports sociaux de genre et de race inégalitaires, alloue aux femmes un ensemble de ressources leur permettant de négocier les situations de vulnérabilité provoquées par le VIH en contexte migratoire et de monter « en puissance politique » (Bhabha, 2007, 32). Tandis qu’elles ont été construites comme un « groupe vulnérable », les femmes d’Afrique subsaharienne émettent par là une voix autrement peu audible dans l’espace public français : celle de femmes dotées de subjectivités plurielles qui puisent, dans la position minoritaire qu’elles occupent au sein de l’ordre social, les ressources nécessaires pour s’ériger en tant que sujets et agir sur les représentations dont elles sont l’objet. La reconnaissance et les gratifications disponibles dans l’espace social du VIH favorisent en effet le (re)déploiement de capacités d’agir plurielles, qui transcendent l’objet de la cause et touchent aux inégalités mêmes qui les placent dans cette position minoritaire. En décryptant les mécanismes de subjectivation qui soutiennent ce processus d’agir minoritaire, mes analyses soulignent de manière pragmatique la portée politique du care, comme réponse sensible aux situations de vulnérabilité.

38Néanmoins, la portée de l’agir minoritaire reste limitée, en ce qu’elle procède directement des inégalités sociales et politiques auxquelles les femmes de l’immigration sont exposées en France. L’agir minoritaire de ces femmes comporte en effet plusieurs barrières, inhérentes aux incidences sociales de l’épidémie, la stigmatisation par exemple, et d’ordre structurel. Si la cause du VIH s’est historiquement construite comme un microcosme au sein duquel la voix des groupes minoritaires s’est imposée comme prioritaire, cet espace social est traversé d’enjeux politiques et économiques qui limitent les contre-pouvoirs.

39Par ailleurs, cette recherche invite à interroger le paradigme de la vulnérabilité qui soutient la visibilité accordée aux femmes de l’immigration dans la lutte contre l’épidémie en France. De quelle vulnérabilité parle-t-on ici et par qui est-elle produite ? Ce que l’agir minoritaire de ces femmes met en exergue, c’est moins la vulnérabilité stéréotypée de la « femme moyenne du tiers-monde » (Mohanty, 2009) qu’une vulnérabilité produite symboliquement, par le stéréotype, et matériellement, par les inégalités sociales. Ériger la « vulnérabilité » en catégorie d’action publique comporte ainsi des dérives, tendant à réifier les personnes ciblées, en occultant leurs ressources et capacités d’agir, tout en produisant de nouvelles situations vulnérabilisantes comme le souligne l’accompagnement vers l’insertion sociale en France. Les mécanismes sociaux et politiques qui contribuent en France à maintenir certains groupes populationnels en situation minoritaire freinent donc inévitablement l’expression d’une voix différente pour les populations faisant figure de « vulnérables ».

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Notes

1 Voir la synthèse de l’épidémie du VIH en France, publiée par le CRIPS en 2019 : https://vih.org/sites/default/files/fichierattaches/vih2019.pdf.

2 Tandis que d’autres groupes sociaux, tels que les homosexuels ou les personnes hémophiles (Fassin, 2004) ont très tôt pu faire entendre leurs voix et se positionner à l’avant-garde des avancées de la lutte contre le VIH.

3 L’empowerment, concept dont la traduction en français est complexe, désigne « le pouvoir d’agir » des individus et des collectifs pensé dans une perspective d’émancipation (Bacqué, Biewener, 2013).

4 La lutte contre l’épidémie s’est très tôt construite autour de mobilisations « communautaires », au sens de communauté d’expériences et de proximité socioculturelle (les homosexuels, les hémophiles, les usagers de drogues, les travailleuses du sexe).

5 Dans la continuité des réflexions d’E. Dorlin (2005) et de D. Kergoat (2009), cet article considère la consubstantialité des rapports sociaux et non leur intersectionnalité (Crenshaw, 2005), concept qui tend à séquencer les catégories sociales et à les dissocier des rapports sociaux au sein desquels elles sont construites. Parler de consubstantialité invite à penser la dynamique complexe et mouvante des rapports sociaux de genre, de classe et de race, en considérant qu’ils se coproduisent et sont en perpétuelle évolution.

6 L'immigration comme produit de la colonisation en constitue une continuité historique et sociologique et les immigrant.e.s occupent la place qu'occupait hier le sujet colonial dans l'ordre des relations de domination (Sayad, 1991).

7 Ces structures d’hébergement sont par exemple des foyers d’accueil, des maisons passerelles, des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou encore des appartements de coordination thérapeutique (ACT), généralement gérées par des associations prestataires d’État.

8 Les femmes fréquentent souvent plusieurs associations en parallèle.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marjorie Gerbier-Aublanc, « Décoloniser la vulnérabilité : penser l’agir minoritaire des femmes d’Afrique subsaharienne dans la cause du VIH en France »Genre, sexualité & société [En ligne], 25 | Printemps 2021, mis en ligne le 12 juillet 2021, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gss/6524 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/gss.6524

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Auteur

Marjorie Gerbier-Aublanc

Docteure en sociologie, ingénieure de recherche, CHU RENNES/ESO UMR 6590 CNRS-université Rennes 2
marjorie.gerbieraublanc@gmail.com

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Droits d’auteur

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