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Analyses & comptes rendus

Courduriès Jérôme, Être en couple (gay) : Conjugalité et homosexualité masculine en France

Lyon, PUL, 2011
David Paternotte
Référence(s) :

Courduriès Jérôme, Être en couple (gay) : Conjugalité et homosexualité masculine en France, Lyon, PUL, 2011

Texte intégral

  • 1  Enrichie de données recueillies durant son post-doctorat.
  • 2  On peut regretter que les travaux d’auteurs tels que Daniel Borrillo, Didier Éribon, Éric Fassin o (...)

1L’ouvrage de Jérôme Courduriès, Être en couple (gay) : Conjugalité et homosexualité masculine en France, est issu de sa thèse de doctorat en anthropologie1, dirigée par Agnès Fine (qui signe la préface) et soutenue en novembre 2008 à l’Université de Toulouse-le-Mirail. Il s’agit d’un travail pionnier qui offre, pour la première fois en France, une étude ethnographique des couples homosexuels masculins. D’emblée, l’auteur pose les limites de son terrain : il étudie des couples d’hommes qui se reconnaissent comme tels et sont pour cette raison susceptibles de répondre à son appel à participation. Comme le reflète également le titre, Jérôme Courduriès n’étudie donc ni l’ensemble de la « communauté » gaie, ni le désir d’être en couple ou les expériences conjugales des homosexuels masculins. Si ce choix limite la portée de l’ouvrage, il lui confère une plus grande cohérence. Surtout, il permet à l’auteur d’interroger ce qui définit un couple gay et ce en quoi ce dernier pourrait se différencier des unions hétérosexuelles. L’étude des tensions entre un idéal conjugal plus accessible et socialement valorisé et le désir d’autonomie individuelle, tout aussi profondément ancré dans les sociétés occidentales et renforcé par l’expérience singulière de l’homosexualité, traverse l’ensemble de l’ouvrage. Par une utilisation fine de la littérature, surtout francophone et en sociologie de la famille2, et une confrontation minutieuse à son terrain, ce livre participe à une compréhension plus globale de la vie gaie contemporaine en France. En outre, il examine ce qui constitue un couple, les dynamiques qui le définissent et ses modes de fonctionnement. À ce titre, il contribue de manière importante aux débats sur le couple et la famille en sciences sociales.

2Pour réaliser son étude, Jérôme Courduriès a analysé le parcours de cinquante-neuf hommes. Aucun d’entre eux n’était en couple avec une autre personne interviewée et certains ont depuis lors rompu leur relation. Ils ont été recrutés suivant diverses méthodes. L’auteur a longtemps évité de contacter les associations afin de recueillir ce qu’il appelle des « discours ordinaires » (p. 377). Il a diffusé un appel à témoignages par le biais de sites internet à destination des gays et la newsletter du magazine Têtu, par courriels et sur des forums en ligne (notamment liés au quotidien Libération). Les données ont été recueillies selon différentes modalités. L’auteur a la plupart du temps privilégié l’écrit, que ce soit via des récits de vie (vingt-trois lui sont parvenus), des courriels (souvent sous forme de questions/réponses) ou des forums de discussion. Toutefois, quelques entretiens et des observations ont également été effectués. Certaines personnes ont de plus été suivies pendant plusieurs années, ce qui apporte une dimension dynamique essentielle à la compréhension de la vie en couple. Cette combinaison originale a permis à l’auteur de créer une relation de confiance avec les hommes qu’il a étudiés, indispensable pour approcher le domaine de l’intime. Enfin, malgré la longueur (375 pages sans les annexes et la bibliographie), Être en couple (gay) est un livre quise lit avec plaisir et fluidité. L’écriture est à la fois claire et élégante et le propos n’est jamais chargé de jargon inutile.

3Cet ouvrage examine le couple gay sous de très nombreuses facettes. Il s’ouvre par l’étude du « ravissement amoureux » et décrit comment, dès les premiers émois de la rencontre, le couple se met progressivement en place. Ce chapitre passe notamment en revue des questions comme le choix (ou non) de la vie commune, la question de la visibilité, les difficultés posées par l’existence de convictions religieuses ou le rapport à la famille. Dans un deuxième temps, le livre s’intéresse au pacs et en examine les usages tant matériels que symboliques. Il analyse aussi les raisons pour lesquelles certains couples préfèrent ne pas se pacser. Cette partie n’est pas sans faire écho au travail plus ancien de Wilfried Rault (2009), qui est cité à plusieurs reprises. Ensuite, Jérôme Courduriès examine la gestion conjugale de l’argent. Il s’agit peut-être du chapitre le plus surprenant. En effet, à partir de questions a priori anodines, telles que la décision d’ouvrir un compte commun ou l’enjeu du loyer ou d’un prêt hypothécaire conjoint, Jérôme Courduriès dessine la nature des relations entre les partenaires et les dynamiques entre ceux-ci. Dans un quatrième temps, l’auteur s’intéresse à la répartition des tâches domestiques. Contre l’idée selon laquelle les couples gays véhiculeraient un ethos et, surtout, des pratiques égalitaires, ce chapitre montre la diversité des situations et souligne combien le genre reste un facteur majeur, y compris au sein de couples du même sexe. Enfin, ce livre s’attarde sur la sexualité conjugale. Il montre notamment comment, y compris dans le cadre de relations non exclusives, la pénétration anale constitue souvent (mais pas nécessairement) un élément propre à la sexualité conjugale, marquant la différence entre le couple et d’autres types de relations. Il souligne également l’importance de l’interchangeabilité des rôles dans la relation sexuelle et examine les enjeux, souvent débattus au sujet de l’homosexualité masculine, de la fidélité et de la sexualité protégée.

4Si, à bien des égards, l’analyse proposée est passionnante, elle souffre peut-être de deux biais, qui constituent pourtant deux clés d’analyse importantes de l’ouvrage et sont à ce titre rappelées dans le dernier paragraphe de la conclusion (p. 375). D’une part, dans une approche sociologique qui semble privilégier les grands processus aux décisions des individus, l’auteur accorde une portée explicative importante à la socialisation genrée des interviewés, tout en reconnaissant sa complexité. En d’autres mots, une partie importante de leurs représentations et de leurs comportements pourrait être expliquée par le fait qu’ils ont été éduqués en tant qu’hommes. Si cette hypothèse est convaincante dans le cadre de l’étude du travail domestique, elle paraît moins évidente, par exemple, en ce qui concerne la vie amoureuse et sexuelle de ces individus. Au-delà du fait qu’il est difficile de tirer de telles conclusions à cause de la taille limitée de l’échantillon, il paraît réducteur d’affirmer que le style de vie amoureuse ou sexuelle d’un certain nombre de gays serait étroitement lié à leur socialisation masculine et d’autres éléments semblent a priori importants. En effet, on pourrait aussi imaginer que plusieurs d’entre eux, de part leur différence sexuelle et du fait que la stigmatisation découle de leur sexualité, aient fait le choix du rejet d’un modèle de sexualité conjugale tout en partageant leur vie avec quelqu’un. Dans ce cadre, des pratiques comme le multipartenariat pourraient aussi participer d’une démarche politique. Alternativement, la sexualité plus libre d’un certain nombre de gays ou la volonté de vivre sans attaches pourrait aussi découler du fait de vivre ou d’avoir vécu pendant longtemps dans les marges de la légitimité sociale et familiale, souvent créatrices d’espaces de liberté. Or, ces hypothèses concurrentes sont rarement envisagées ou elles sont rapidement écartées et il semble que ce choix découle notamment des orientations épistémologiques et théoriques qui sous-tendent l’analyse.

5D’autre part et sans doute en contre-point à certains discours triomphalistes, l’auteur insiste à de nombreuses reprises sur la discrimination dont fait (encore) objet l’homosexualité et ses conséquences en termes de construction de soi et de choix personnels. Cet argument traverse l’ouvrage et contribue à expliquer, notamment, les raisons pour lesquelles certains couples évitent le domicile commun ou décident de ne pas se pacser. Certes, il s’agit là d’un fait incontestable. Toutefois, le statut social de l’homosexualité a beaucoup changé et on peut imaginer que cette expérience de rejet n’est pas vécue de manière uniforme à tous les âges et dans tous les milieux. Dès lors, il conviendrait d’emprunter une approche dynamique qui tienne compte de l’âge et du milieu social, ainsi que de sa dimension évolutive dans la trajectoire d’un individu. On pourrait ainsi imaginer que c’est la mémoire de la discrimination plutôt que son expérience quotidienne qui explique certains comportements, tout particulièrement chez les plus âgés. Enfin, cette insistance sur les effets du stigmate pose la question suivante : y a-t-il une spécificité française, comme il est parfois affirmé dans les débats sur le pacs ou sur la violence homophobe, ou s’agit-il d’un phénomène dépassant les frontières de l’Hexagone ? À ce niveau, une recherche comparative sur base des critères mis au jour par Jérôme Courduriès permettrait d’éclairer d’éventuelles variations nationales, ainsi que l’impact des différences en termes de législation et d’acceptation sociale.

6Pour terminer, deux autres limites peuvent être soulignées. Par moments, Jérôme Courduriès semble prisonnier de sa méthode. L’auteur est bien conscient que son approche ethnographique l’empêche de généraliser ses observations et le rappelle à plusieurs reprises. Il souligne aussi combien, à l’inverse, celle-ci lui permet de plonger dans l’épaisseur du social. Toutefois, on sent parfois une tension et il semble que l’auteur aimerait aboutir à des conclusions plus solides. En outre, le lecteur, parfois perdu dans les détails d’un terrain fort riche, aimerait savoir en quoi l’expérience de ces hommes représente (ou non) celle de leurs pairs et il pourrait par moment déplorer l’absence d’une synthèse plus ambitieuse. Par ailleurs, on peut aussi regretter que cet ouvrage ne s’engage pas plus passionnément dans les débats scientifiques, tant français qu’internationaux. Comme je l’ai indiqué, Jérôme Courduriès propose une bibliographie vaste et par moments fort originale, tant il cite certains travaux espagnols ou brésiliens peu connus dans le monde francophone. Toutefois, cette littérature est plutôt mobilisée en appui ou en illustration de son terrain. En effet, l’auteur s’engage peu avec les auteurs qu’il cite. Il n’indique pas assez clairement où il se situe par rapport à ceux-ci et n’articule pas vraiment sa thèse par rapport à leurs travaux. Néanmoins, malgré ces quelques limites, Être en couple (gay) : Conjugalité et homosexualité masculine en France est un ouvrage important. Il s’imposera sans nul doute comme une référence en France et marquera tant la sociologie de la famille que l’étude des sexualités.

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Bibliographie

RAULT Wilfried, L’invention du PACS : Pratiques et symboliques d’une nouvelle forme d’union, Paris, Presses de Sciences Po, 2009

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Notes

1  Enrichie de données recueillies durant son post-doctorat.

2  On peut regretter que les travaux d’auteurs tels que Daniel Borrillo, Didier Éribon, Éric Fassin ou Bruno Perreau n’aient pas été plus largement mobilisés.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Paternotte, « Courduriès Jérôme, Être en couple (gay) : Conjugalité et homosexualité masculine en France »Genre, sexualité & société [En ligne], 6 | Automne 2011, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gss/2025 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/gss.2025

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Auteur

David Paternotte

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