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Dossier

L’homopaternité en Italie, ou quand une « nouvelle parentalité » devient un cas national

Enrica Bracchi et Gloria Paganini-Rainaud

Résumés

En Italie, Nichi Vendola s’est affirmé ces dernières années comme l’une des personnalités politiques les plus influentes de la gauche et comme un acteur irremplaçable de la cause homosexuelle. Au mois de février 2016, il annonce que son compagnon et lui-même sont devenus pères d’un enfant, né aux États-Unis grâce à une gestation pour autrui. Quelques minutes après cette annonce, le « cas Vendola » occupe le premier plan des médias et réseaux sociaux italiens, lesquels relatent en même temps les discussions autour d’un projet de loi portant sur les unions civiles et qui devrait, entre autres, autoriser l’adoption d’un enfant, y compris par un couple homosexuel. Dans cet article, nous nous proposons de faire émerger, sur la base d’un corpus constitué de textes publiés en ligne après l’annonce de cette naissance, les modalités linguistiques qui connotent et orientent le champ de représentations, au sens sociologique du terme, dans lequel s’affrontent, aussi bien au niveau idéologique que sur le plan culturel et (bio)éthique, des positions opposées, voire inconciliables à l’égard de la filiation.

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Texte intégral

1Au mois de février 2016, l’annonce officielle de la naissance, grâce au recours à une mère porteuse, de l’enfant d’un couple homosexuel déclenche en Italie une réaction médiatique de grande ampleur et donne lieu à ce qui est très rapidement désigné, d’après le nom de famille de l’un des deux « nouveaux pères », comme il caso Vendola (« le cas Vendola »). Les circonstances qui ont transformé un événement privé, voire intime, comme une naissance, en une affaire publique aux implications politiques immédiates, constituent, à notre avis, une entrée en matière particulièrement pertinente lorsque l’on souhaite cerner les représentations qui incarnent et potentiellement perpétuent, dans une aire culturelle et à un moment historique donnés, les imaginaires liés à la parentalité. En effet, cette naissance, qui s’est accomplie dans des conditions inhabituelles pour l’Italie et dans un contexte social déjà sensiblement crispé autour des questions de filiation (Galeotti, 2009 ; Lingiardi, 2007 ; Paterlini, 2006 ; Winkler et Strazio, 2014 ; Zajczyk et Ruspini, 2008), a eu pour double effet de lever massivement les opinions et d’en désinhiber les modalités d’expression. En introduisant une rupture, de par son caractère relativement inédit, dans le spectre des manières ordinaires, usuelles ou traditionnelles, d’appréhender la paternité, la nouvelle de cette naissance a fait émerger des visions de la parentalité qui restent habituellement à l’état latent ou implicite. Ainsi a-t-elle créé les conditions qui nous permettent ici de questionner le caractère d’évidences partagées, ou « d’auto-évidences » (Saraceno, 2012 : 7), que ces représentations revêtent d’ordinaire, dans la société italienne contemporaine.

  • 1 Les textes que nous avons rassemblés sont répertoriés à la fin de cette contribution. Pour ceux qui (...)
  • 2 En ayant recours à Google plutôt qu’à une base de données type PressToday (équivalent d’Europresse (...)

2Dans ce but, nous avons rassemblé les textes de différente nature publiés en ligne pendant les quinze premiers jours qui ont suivi l’annonce de cette naissance, du 27 février 2016 au 14 mars 20161. Notre corpus se compose de vingt-sept articles de quotidiens nationaux et locaux repérés à travers une recherche via Google2 à l’aide des mots-clés suivants : Eddy Testa ; nascita (naissance) ; Nichi Vendola ; Tobia Antonio. Il s’agit d’un ensemble de réactions « à chaud » et « en chaîne » au sujet de cette naissance, circonscrit à la période indiquée : ce recueil de données ne prétend nullement être conforme à un traitement statistique ou quantitatif ; il se prête en revanche à une première analyse à visée exploratoire, dont le but est d’identifier les principes organisateurs des contenus réunis. Nous nous proposons donc de faire émerger, sur la base du corpus ainsi constitué, les modalités linguistiques et terminologiques qui expriment, connotent, orientent ce champ de représentations sociales dans lequel s’affrontent, aussi bien au niveau politique et idéologique que sur le plan culturel et (bio)éthique, des positions opposées, voire inconciliables, à l’égard de la filiation.

3Les représentations sociales (Jodelet, 1989) se situent à l’interface du psychologique et du social, de l’individuel et du collectif, et assurent, au sein de l’interaction sociale même, des fonctions spécifiques : elles ont une fonction d’anticipation du développement des dynamiques sociales, dans la mesure où elles captent les transformations en cours même avant que celles-ci puissent faire l’objet d’une connaissance objective ou scientifique ; elles ont une fonction justificative, puisqu’elles servent à motiver, par exemple dans des rapports de domination et de discrimination, l’action que l’on entreprend à l’encontre, ou bien en faveur, de telle ou telle personne ou instance sociale. Mais elles permettent surtout, selon l’expression unanimement attribuée à Serge Moscovici, de « domestiquer l’étrange », c’est-à-dire d’apprivoiser les effets de la rencontre avec des faits inattendus : face à un élément inconnu, elles mobilisent les défenses indispensables au maintien de la cohérence, de l’équilibre social et cognitif préexistants, tout en favorisant l’intégration de l’élément nouveau dans le système de références préalable. La notion de représentation sociale s’avère donc particulièrement pertinente dans l’analyse du contexte qui nous occupe, puisque la naissance d’un « enfant à deux pères » constitue dans la société italienne contemporaine un événement à la fois inédit et « étrange », toujours selon le terme emprunté à Moscovici, dans la mesure où il s’écarte des conditions ordinaires de la procréation : c’est à ce titre, sans doute qu’il suscite les effets déstabilisants, troublants même, dont notre corpus rend compte.

4Dans cette contribution, nous allons situer la naissance de cet enfant dans son contexte, en évoquant d’abord la trajectoire biographique du « nouveau père » et l’impact de sa prise de position personnelle, au sein de la société italienne actuelle. Nous allons ensuite décrire l’arrière-plan législatif et politique au sein duquel cette paternité, non conventionnelle, a assumé un rôle fortement catalyseur. Enfin, nous nous attacherons, dans une dernière partie, à faire émerger quelques-unes des composantes les plus significatives des représentations de la parentalité, telles qu’elles se sont rendues manifestes et tangibles à l’occasion de cette naissance.

La naissance et son contexte

  • 3 La traduction en français de toutes les citations est de nous ; pour la version italienne, nous ren (...)

5Né en 1958 dans le sud-est de l’Italie (région Pouilles), Nicola Vendola, comme nombre de ses congénères, doit son prénom au saint protecteur de sa ville (San Nicola, Bari) : le diminutif Nichi/Niki, qui deviendra son surnom officiel, lui est attribué par son père, communiste engagé, en hommage à Nikita Khrouchtchev, considéré comme un acteur décisif de la déstalinisation soviétique (Remori, 03.08.2010). Suivant l’exemple paternel, Nichi Vendola s’engage en politique et, dès 1972, adhère au Parti Communiste Italien (PCI). Ainsi, dans ce double héritage familial – catholique et communiste : « Je suis né à Bari le 26 août 1958, dans une famille catholique et communiste » (http://www.nichivendola.it/​chi-sono/​)3 – s’enracinent les deux composantes indissociables de son identité et de sa trajectoire, consciemment revendiquées comme telles par Nichi Vendola et par des millions d’autres Italiens de sa génération. Diplômé de la Faculté des Lettres de l’Université de Bari, après avoir soutenu une thèse sur le poète, écrivain et réalisateur Pier Paolo Pasolini, Nichi Vendola entame une carrière de journaliste. En 1990, il devient membre du Comité Central du PCI, puis sera, quelques années plus tard, parmi les fondateurs du Partito della Rifondazione Comunista, lequel, comme son nom l’indique, avait pour ambition de conférer de nouvelles fondations au communisme italien, en l’affranchissant du communisme soviétique. En 1992, Nichi Vendola est élu au Parlement italien. En 2005, il devient Président du Conseil Régional des Pouilles : sa carrière et son importance politiques prennent alors un essor considérable. En assurant ce mandat pendant dix ans, de 2005 à 2015, il parviendra en effet à hisser une région jusque-là historiquement défavorisée parmi les plus dynamiques au niveau national, aussi bien sur le plan économique que culturel. En 2010, il fonde le parti SEL-Sinistra Ecologia e Libertà (Gauche, écologie et liberté), dont il a assuré la présidence jusqu’à la fin de l’année 2016. Dès 1978, Nichi Vendola se déclare homosexuel ; dès lors, il contribue à fonder les principaux organismes nationaux de défense et promotion de l’égalité entre les individus, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Ainsi, par son volontarisme et son esprit novateur, Nichi Vendola s’affirme comme l’un des hommes politiques les plus influents de la gauche italienne des dernières décennies et comme un acteur irremplaçable de la cause homosexuelle dans son pays. C’est sur ces deux terrains, et bien au-delà, comme nous allons le voir, qu’il sera questionné, attaqué, parfois injurié, lorsqu’il décidera de rendre officielle sa paternité.

  • 4 Legge 19 febbraio 2004, n° 40 – Norme in materia di procreazione medicalmente assistita.

6Au mois de février 2016, Nichi Vendola et son compagnon Eddy Testa, graphiste designer italo-canadien, annoncent publiquement la naissance d’un garçon, dont ils se déclarent les heureux parents. L’enfant du couple, dont la paternité génétique revient à Eddy Testa, est né aux États-Unis grâce à une gestation pour autrui (GPA), à laquelle ont donné leur concours une femme canadienne (donneuse d’ovule) et une femme américaine d’origine indonésienne (mère porteuse). L’enfant a vu le jour en Californie : selon les lois de cet État, les noms des deux pères auraient pu figurer sur son acte de naissance ; dans ce cas spécifique, toutefois, ne sera enregistré que celui d’Eddy Testa, en qualité de parent unique : c’est à cette seule condition, en effet, que l’acte pourra être immédiatement transcrit en Italie, pays où la pratique de la GPA est illégale (art. 12, par. 6 ; loi 40/20044). Pour ce qui est de Nichi Vendola, sa paternité sera donc officiellement reconnue au Canada, pays de son compagnon, alors qu’en Italie, son propre pays, il pourrait en tant que « deuxième père » ou « père social » soit avoir recours au droit privé afin de se voir assigner le statut de tuteur légal (qui n’instaure pas de lien de filiation), soit démontrer auprès du Tribunal des mineurs que l’adoption de l’enfant dont son compagnon est le père légal se ferait dans le total respect de l’intérêt du mineur. L’intervention d’un juge sera donc indispensable pour la reconnaissance de sa paternité en Italie (nous reviendrons plus loin sur les aspects juridiques). Le nouveau-né, qui porte le nom de famille du seul père biologique, est prénommé Tobia ; un deuxième prénom, Antonio, lui est assigné, ce qui, selon un usage traditionnel largement répandu, l’inscrit symboliquement dans la lignée des familles parentales (le père d’Eddy Testa s’appelle Antonio et la mère de Nichi Vendola, Antonia). Aussi, à sa naissance, Tobia Antonio Testa serait-il en possession de trois passeports : américain (en raison de sa naissance sur le sol californien), canadien (comme son père biologique) et italien (comme le compagnon de celui-ci).

  • 5 À titre d’exemple : « Italien : Empörung über Vaterschaft eines schwulen Politikers », Queer.de, 29 (...)

7Une venue au monde si singulière, dans le contexte italien, ne peut que susciter une certaine curiosité et on conçoit aisément que l’événement ait pu attirer l’attention des médias. Toutefois, ce qui paraît réellement surprenant, et d’autant plus significatif aux yeux de tout observateur, est l’ampleur des réactions suscitées par la nouvelle, quelques minutes à peine après l’annonce de cette naissance (Amadori, 28.02.2016 ; Morosi, 28.02.2016 ; F.Q., 01.03.2016). L’information occupe la une de la presse nationale et déclenche ensuite, pendant plusieurs jours, une série de réactions, aussi massives que virulentes, dans tous les médias et réseaux sociaux. Les commentaires autour de l’événement assument des tons particulièrement exacerbés, voire outranciers, dont rendent compte aussi les médias étrangers5.

  • 6 Également nommée stepparent adoption, stepadoption, ou avec les néologismes italiens adozione copar (...)
  • 7 Ce néologisme indiquerait la paternité et la fonction paternelle du père qui dans le couple (y comp (...)

8Le débat soulevé par cette naissance, et surtout par les contextes procréatif (une femme donneuse d’ovule) et gestatif (une deuxième femme « mère couveuse ») qui l’ont rendue possible, vire immédiatement à la polémique, d’autant plus explosive qu’au même moment le Parlement italien peine à faire voter une loi sur les unions civiles, non fondées sur le mariage, entre personnes de sexe différent ou de même sexe (projet de loi Cirinnà, sur lequel nous reviendrons). Le point le plus contrasté du projet de loi est l’article 5, qui devrait autoriser le « parent social » (non biologique et/ou non légal) à adopter l’enfant, biologique ou adoptif, de son partenaire, grâce à une stepchild adoption6. S’il était approuvé, cet article permettrait, y compris à des couples homosexuels, d’obtenir la légalisation, et de ce fait la reconnaissance officielle, de leur parentalité : ce qu’une partie notable de l’opinion publique et de la classe politique italiennes, au début de l’année 2016, refuse catégoriquement. Aussi, l’espace public italien est-il déjà fortement polarisé autour de positions antagonistes et irréductibles face à la relation entre parentalité et homosexualité lorsque Nichi Vendola annonce sa copaternità/« copaternité »7, et, sans doute, son désir de la faire (un jour ?) officiellement reconnaître, y compris dans son propre pays.

L’homoparentalité face au droit italien

  • 8 Les couples gays pourraient, théoriquement, avoir recours à un donneur de sperme extérieur au coupl (...)
  • 9 Cours d’Appel de Milan (décision du 16 octobre 2015), Tribunal des mineurs de Rome (décision du 22 (...)

9Il convient de rappeler qu’il existe deux typologies de familles homoparentales (Winkler et Strazio, 2014). Tout d’abord, les familles où le père ou la mère, à l’origine mariés ou en couple avec une personne de sexe différent, se sont séparés et par la suite se sont mis en couple avec une personne du même sexe que le leur. Dans ces familles, le parent hétérosexuel utilisait souvent l’orientation sexuelle de son ex conjoint pour obtenir la garde exclusive de leur(s) enfant(s). Depuis 2006, l’orientation homosexuelle n’étant plus considérée comme « pathologique ou illégale » (Tribunale ordinario di Napoli, sentenza del 28 giugno 2006), le fait que l’un des deux parents soit homosexuel ne justifie plus l’attribution de la garde exclusive à l’autre parent (Tribunale di Bologna, decreto del 7 luglio 2008) : les aptitudes parentales des personnes homosexuelles ne sont plus mises en question d’un point de vue légal (Corte di Cassazione, sentenza n° 601 dell’11 gennaio 2013). La seconde typologie de famille homoparentale est celle où « le projet procréatif a lieu entièrement au sein du couple de même sexe » (Winkler et Strazio, 2014 : 105), à l’aide des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) : grâce à une fécondation avec donneur de sperme extérieur au couple parental pour les couples lesbiens8 et au recours à une mère porteuse (gestatrice et le cas échéant génitrice) pour les couples gays. En Italie, la loi condamne au paiement d’une amende allant de 200 000 à 400 000 euros toute personne ayant appliqué des techniques de procréation médicalement assistée à des couples de même sexe (loi n° 40 de 2004, article 12, paragraphe 2). La loi italienne n’interdit cependant pas formellement aux personnes célibataires et aux couples de même sexe de se rendre à l’étranger afin de réaliser leur projet procréatif (ibid.), ce qui alimente un phénomène sociétal en expansion nommé, avec un terme très controversé, « tourisme procréatif », « exil procréatif » ou encore cross-border reproductive care (CBRC) (Pennings, 2004 : 2689-2694 ; Zanini, 2011 : 565-572). Ces interdictions relatives aux techniques procréatives sont source de trois formes de discrimination : sociale (en fonction des revenus), géopolitique (entre pays riches et pays pauvres : Anfossi, 29.02.2016) et juridique (non-reconnaissance du lien de filiation). Qu’en est-il alors de la reconnaissance juridique du lien de parenté entre l’enfant et ses deux pères ou ses deux mères, lorsqu’un couple de même sexe rentre en Italie, après une AMP à l’étranger ? Dans la plupart des cas – et pour l’instant dans le cas de Tobia Antonio aussi – seul le géniteur (parent biologique) est reconnu comme parent légal de l’enfant. Parfois, selon la législation du pays où l’enfant est né, le parent non biologique de même sexe peut adopter l’enfant de son conjoint. Ce n’était pas le cas en Italie ; toutefois, depuis 2013, des décisions des instances judiciaires ont commencé par confier la garde temporaire à un couple gay d’une petite fille (Tribunale di Parma, decreto del 3 luglio 2013) et d’un garçon (Tribunale per i minorenni di Palermo, decreto del 4 dicembre 2013). Même si ces deux premières décisions ne concernaient que la garde et non l’adoption plénière d’un enfant mineur, elles ont été décisives dans le processus de reconnaissance du couple homosexuel comme famille à part entière, apte à accueillir des enfants (Winkler et Strazio, 2014 : 114). Il faudra attendre une décision de 2014 (Tribunale per i minorenni di Roma, sentenza n. 299 del 30 giugno-30 luglio 2014) pour que soit accueillie la demande d’une mère souhaitant adopter la fille de sa compagne grâce à la stepchild adoption. À la suite de cette décision, ainsi que dans les jugements et arrêts d’autres Tribunaux et Cours d’Appel9, la question de la stepchild adoption a été placée au centre de débats très animés au Parlement, et ceci avant l’approbation, le 12 mai 2016, du décret n° 14 du 25 février 2016 – Disciplina delle coppie di fatto e delle unioni civili (« décret Cirinnà »). Le 20 mai 2016, l’Italie se dote, pour la première fois de son histoire politique – et après une condamnation de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en juillet 2015 (affaire Oliari et autres c. Italie) – d’une loi (loi n° 76 du 20 mai 2016) réglementant les unions non fondées sur le mariage, y compris entre personnes de même sexe. La loi 76/2016 ne prévoit pas d’étendre l’institution du matrimonio/mariage aux gays et aux lesbiennes. Ces derniers pourront, en revanche, choisir soit une unione civile (« union civile »), soit le statut de coppia di fatto (« couple de fait »), contrat qui peut également être choisi par les couples de sexe différent. Cette différence de traitement par rapport aux couples hétérosexuels est accentuée par le fait que, dans sa version finale, la loi n° 76 ne prévoit plus la stepchild adoption pour les couples de même sexe. Ici encore c’est la jurisprudence qui comble le vide laissé par la loi dans l’accès à la parentalité pour les couples homosexuels : le 27 mai 2016, la Cour d’Appel de Turin accorde l’adoption d’un enfant de la part de la compagne de sa mère. Le 20 juin 2016 c’est la Cour italienne de Cassation qui se prononce en faveur de la stepchild adoption dans « des cas particuliers » et dans l’intérêt supérieur de l’enfant mineur (décision n° 12962).

10C’est dans ce contexte que parvient la nouvelle de la paternité de Nichi Vendola, laquelle donne lieu aux réactions que nous allons ici analyser.

Une paternité controversée

11Une première analyse de notre corpus (dont nous rappelons le caractère non représentatif, mais tout aussi probant) fait émerger quelques pôles d’items significatifs, que nous allons regrouper successivement sur la base soit de leur fréquence, soit de leur caractère révélateur. Lorsqu’on parcourt les textes réunis, on constate d’emblée que les réactions qui se sont manifestées à l’occasion de cet événement sont caractérisées non seulement par leur étendue, mais aussi par l’hétérogénéité des éléments constitutifs de l’événement qui se prêtent à la réprobation. C’est le cas, par exemple, des deux prénoms attribués à l’enfant : alors que Tobia s’inscrit dans la tradition biblique et alors que Antonio a été attribué dans le respect d’une convention toujours vivante, ils font l’objet, l’un et l’autre, de commentaires mettant directement en doute le bien-fondé de leur choix. Tout se passe, à une première lecture, comme si cette parentalité, à partir de ces aspects relativement accessoires, devait se placer en marge des usages standards, dits « normaux », jusqu’à perdre d’emblée la légitimité qu’elle revendique.

Nouveaux pères, nouveaux « barbares » ?

12Dès que la nouvelle de la paternité de Nichi Vendola est rendue publique, des élus de droite de Vénétie (région à forte tradition catholique dans laquelle une demande avait été présentée afin de rendre illégal le recours à la GPA, y compris lorsqu’elle se réalise à l’étranger) demandent l’incarcération du leader politique et de son compagnon : le couple, suivant les termes de cette requête, devrait être arrêté (richiesta d’arresto/demande d’arrestation ; A.Pe., 02.03.2016) pour commerce d’enfant ; l’annonce même de cette naissance devrait valoir, aux yeux de la loi, comme autodenuncia/autodénonciation d’un délit avéré. Sur la paternité des deux présumés coupables se greffent alors les attributs du hors-la-loi, susceptible d’être reclus afin de protéger la société du danger qu’il représenterait. « Le choix de Nichi Vendola et de son compagnon est aberrant » (ibid.), déclare Flavio Tosi, le maire de centre-droite de Vérone, l’aberration étant définie par les dictionnaires comme un écart, une déviation par rapport à une norme attendue ; si l’adoption du petit Tobia par Nichi Vendola était un jour validée par les magistrats, affirme une autre élue, de centre-droite également, ceci ne ferait que légitimer une « pratique barbare » (ibid.) qui permettrait d’encourager l’achat et la vente d’enfants, en avilissant la femme (porteuse) et sa dignité de mère.

13« Arrestation », « prison », « choix aberrant », « pratique barbare » : au-delà des principes proclamés, cette paternité semble devoir se construire, sur le plan des déclarations, en marge non seulement des usages reconnus, mais aussi des frontières culturelles italiennes.

14Marie-Françoise Baslez rappelle que pour les Grecs anciens

« les Barbares sont d’autant plus éloignés de cette norme raisonnable qu’ils vivent plus loin du monde grec. Ils sont ‘excentriques’ dans tous les sens du terme ! […] Le Barbare est l’homme des extrêmes, notion morale autant que géographique » (Baslez, 1984 : 23).

15Toutes proportions gardées, cette définition pourrait être pertinemment transposable à la situation qui nous occupe : n’est-ce pas précisément l’ex-centricité de ces nouveaux pères qui serait pointée, par exemple, par la mise en cause publique d’un choix de prénom (« Mais pourquoi l’a-t-il appelé Tobiaaaa ? » ; Rame, 28.02.2016) ou d’une procréation à l’étranger, c’est-à-dire en dehors des limites nationales d’application du droit ? Ne se seraient-ils pas ainsi (consciemment ?) éloignés de cette norme raisonnable, pour reprendre les termes de Marie-Françoise Baslez, que leurs détracteurs réaffirment et renforcent au moment même où ils font de ces présumés transgresseurs des étrangers par rapport à leur propre système social ? Le corps social réagit et tend visiblement, dans ce premier ensemble de termes, à expulser l’élément (excentrique, extrême, anormal, encore une fois « étrange ») qui vient troubler l’équilibre préexistant.

  • 10 Pour pouvoir « faire » un enfant avec son mari, Nichi Vendola a dû recourir aux corps de deux femme (...)
  • 11 Dans l’impossibilité de prendre en considération tous les aspects significatifs de notre corpus, no (...)

16Un deuxième ensemble d’unités terminologiques peut être identifié, dont le fonctionnement se rapproche de la figure rhétorique de la synecdoque : comme dans toute forme métonymique, un même procédé consistant à prendre une partie pour le tout est appliqué dans nombre d’occurrences linguistiques, qu’il s’agisse des mots employés ou des qualificatifs qui leur sont associés. Si deux femmes ont bien contribué à cette procréation, elles sont désignées non pas dans leur intégralité d’individus, mais à travers la référence à une partie précise et limitée de leur corps10 : l’une à travers l’ovule qui lui a été prélevé en vue de la fécondation, l’autre à travers l’utérus qui a permis à l’embryon de se développer. La focalisation sur l’appareil reproductif féminin produit la série la plus dense d’énoncés (« a loué l’utérus d’une californienne » : « Nichi Vendola diventa papà, il web si divide : Salvini lo attacca, altri si congratulano », tgcom24.mediaset.it, 28.02.2016 ; « donneuse d’utérus » : Bernieri, 18.02.2016) et de syntagmes, dont utero in affitto/utérus en location est le plus fréquent et représentatif11. Les deux femmes ayant contribué à cette GPA semblent ainsi réduites à leur corps (avec relative disparition de toutes les autres dimensions, non biologiques, de leur existence), voire à un seul de leurs organes, avec comme conséquence la dissolution de l’intégrité de leur personne, la disparition de tout ce qui permettrait, à partir de leur point de vue d’individus (ici présumés libres et consentants), de saisir le sens de leur implication dans cette procréation. Une forme analogue d’identité tronquée se manifeste aussi dans des formes linguistiques plus rares que la précédente, forgées à l’occasion de cette controverse et de ce fait très marquantes. Le terme de utero-badante (Bernieri, 18.02.2016) par exemple, difficilement transposable en contexte non italophone, est composé sur le modèle anglais de baby-sitter et employé pour désigner la mère porteuse de l’enfant : la formation de ce mot résulte d’une énième dissociation sélective exercée sur la femme, représentée d’un côté par son utérus (utero-) et, de l’autre, par sa fonction : en tant qu’utérus, elle accomplirait à l’égard de l’embryon accueilli la même fonction exercée par l’aide-soignante (badante) vis-à-vis de son assisté. De même, l’expression donna incubatrice (« Palermo – Crocetta : ‘Non esiste il diritto ad avere figli’« , Repubblica.it, 01.03.2016), qui indique comme la précédente la mère porteuse, fait état d’une sur-réduction dans la mesure où la femme est identifiée à un appareil (incubatrice) et en même temps spoliée de toute dimension maternelle (non pas madre incubatrice/mère incubateur, mais donna incubatrice/femme incubateur), ce qui souligne, encore une fois, qu’il s’agirait d’un simple réceptacle, de nature mécanique, dépourvu de tout caractère affectif, psychologique, humain.

Nouveaux « monstres » ?

  • 12 Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1995.

17Le corps masculin n’échappe pas à ce procédé sélectif et réducteur. Cependant, si la paternité d’Eddy Testa est effectivement réduite, comme dans le cas de figure précédent, à sa seule dimension biologique, circonscrite à sa semence (« la semence du compagnon » : Montolli, 26.02.2016), c’est la figure du « deuxième père » qui suscite une image quelque peu amputée (réduction à une partie de son corps), mais surtout la concentration la plus sensible d’énoncés stigmatisants, voire injurieux. Dal culo non esce niente/Rien ne sort du cul (« Vendola, Sgarbi su Facebook : ‘Figlio costruito come un peluche. Dal c… non esce niente’« , 01.03.2016) déclare sur sa page Facebook Vittorio Sgarbi, critique d’art, homme politique de droite et personnage assez controversé de la télévision italienne. Il ajoute : due persone dello stesso sesso non generano/deux personnes de même sexe n’engendrent pas (ibid.). La résonance médiatique qu’une déclaration ainsi formulée escompte obtenir (et que de fait elle obtiendra) peut être ici considérée comme révélatrice du degré de connivence culturelle qu’elle présuppose : en effet, si une formule quelque peu caricaturale comme celle-ci peut prouver son efficacité en provoquant toutes sortes de commentaires et de gloses (qu’elles soient favorables ou défavorables), c’est bien parce que l’auteur de ces énoncés et ses destinataires, réels ou potentiels, partagent le même schéma culturel sous-jacent. L’utilisateur de cette image stéréotypée (le stéréotype étant ici pris simplement comme une « opinion toute faite, réduisant les singularités »12) peut l’employer parce qu’il sait, par anticipation, que le récepteur est en mesure d’en saisir pleinement l’allusion ; sans quoi, l’allusion serait caduque et la déclaration inefficace. Son retentissement prouve qu’au contraire elle a eu l’écho espéré : quel serait alors le schéma sous-jacent, socialement partagé, ainsi réactivé ? En mettant l’accent, de manière exagérée et dans une intention ironique, sur un trait jugé caractéristique du sujet (son équipement génital et son rôle dans l’acte sexuel) cette déclaration nous rend accessible la représentation du sujet qu’elle sous-tend : les hommes homosexuels sont à catégoriser en fonction de leur orientation sexuelle et surtout du rôle, actif ou passif, qu’il assurent dans l’acte sexuel ; la parentalité est directement et nécessairement liée à la sexualité ; une orientation sexuelle non hétéronormée exclut automatiquement les individus de toute forme de parentalité. Ce « nouveau père » est de cette manière soumis à un processus de représentation qui le dépossède de son pouvoir générateur car il ne coïncide pas avec une puissance phallique. On peut se demander dans quelle mesure un tel énoncé – Dal culo non esce niente – viserait, délibérément ou non, à attiser une vision dégradante des orientations sexuelles jugées non conformes. Dans nombre de sociétés anciennes l’homosexualité masculine était véritablement proscrite non pas en tant que telle, mais en tant que passive : « C’est dans l’inversion des rôles que réside le crime véritable et répréhensible. Un homme se livrant au plaisir à la place de la femme se pervertit » (Udiany, 2014 : chapitre 5 « Sodoma et Gomorrhe », en ligne). La résurgence de cette vision et de ses implications – homosexualité comme inversion, comme perversion – semble bien confirmée par la publication conjointe, en guise d’illustration de la déclaration de Vittorio Sgarbi, d’un tableau représentant un « homme » allaitant un nouveau-né (Redazione, 01.03.2016). Il s’agit en réalité du portrait de Magdalena Ventura, peint en 1631 par José Ribera et plus connu sous le titre La Femme à barbe : cette femme des Abruzzes dont le visage et le corps, après un mariage et plusieurs grossesses, avaient subi un processus très marqué de virilisation fut appelée à la cour de Naples où elle fit objet de curiosité en tant que miracle de la nature, merveille, monstruosité :

« Le monstre est, par essence, une figure du fantastique parce qu’il inaugure l’indécision du réel : […] confusion des sexes, des âges et des fonctions corporelles. Il y a bien là transgression des classifications, transgression de la limite naturelle » (Samper, en ligne).

  • 13 Le terme mammo, formé sur la racine de mamm(a) et apparu en 1987, et il désignait à l’origine, par (...)

18« Le Gay-monstre est désormais tout proche » (Bernieri, 18.02.2016), nous annonce-t-on ; la violation des catégories et des normes socialement reconnues est visiblement associée à la notion d’inversion monstrueuse, dont on peut ici ajouter une variante linguistique : le père biologique est ironiquement désigné par le terme babba (féminisation de babbo/papa) et le deuxième père par celui de mammo (masculinisation de mamma/maman)13. Une autre intervention de Vittorio Sgarbi, dans le même style, délibérément vulgaire, qui caractérise ses prises de position – « Les nouveau-nés s’attachent au sein et pas aux couilles » (F.Q., 01.03.2016 ; Rossi, 29.02.2016 ; Vittorio Sgarbi) – complète et conforte les observations précédentes, mais pose aussi la question de savoir dans quelle vision de la maternité, et plus globalement, de la parentalité s’inscrit la perception ainsi proclamée d’une nouvelle naissance.

Familles contre nature ?

19« Celui qui vient de naître ne peut pas être le fils de Vendola » (F.Q., 01.03.2016 ; Rossi, 29.02.2016), écrit encore le même polémiste, en inaugurant un troisième champ sémantique, caractérisé par la profusion des modalités de dénégation. De cet ensemble se détache, en tant que représentative de toutes les autres et nombreuses occurrences, la prise de position de Ferdinando Camon, écrivain et journaliste de premier plan : Caso Vendola, un nuovo tipo di orfanità/Cas Vendola, une nouvelle manière de rendre orphelin un enfant » (Camon, 02.03.2016). Le mot orfanità est tombé en désuétude, mais sa signification est ici renouvelée par analogie avec le mot paternità, qu’il imite et écrase, au sens informatique du terme. Vittorio Sgarbi, quant à lui, compare Tobia Antonio à une peluche, un enfant qui aurait été « construit sur mesure » (Rossi, 29.02.2016). L’homme politique de droite Mario Anidolfi se prononce aussi sur sa page Facebook, en assimilant le petit Tobia Antonio à une « chose » qui aurait été achetée et dont les pères peuvent désormais disposer à leur gré :

« Bon courage Tobia, petit enfant rendu orphelin de mère car deux riches ‘de gauche’ en ont décidé ainsi sans rien te demander, te considérant comme une chose achetée et donc une chose à eux, de leur propriété à laquelle imposer l’absence de la seule personne dont un enfant si petit a tellement besoin : sa maman » (Morosi, 28.02.2016).

20L’orfanità désignant la condition de l’orphelin, la paternité dont il sera question dans l’article fait l’objet d’une première réfutation, que tout lecteur saisit, avant même de comprendre le sens précis d’un terme vétuste. Cette dénégation (orfanità/paternità) est ensuite sensiblement corroborée dans le corps du texte à travers la prolifération de formes négatives – « il n’y a pas de père » ; « mère […] pas-vue par personne, même pas par l’enfant. Une mère qui n’est pas là » ; « Ce n’est pas son enfant » ; « ce n’est pas leur neveu », etc. (Camon, 02.03.2016) – dont le principal effet, sans doute consciemment recherché, est bien celui de proscrire cette nouvelle paternité du champ des parentalités jugées réelles et légitimes. « Ceux d’entre nous qui ont déjà pu observer les réactions des parents et des autres membres de la famille autour du berceau d’un nouveau-né ne pourront plus les oublier », écrit Ferdinando Camon (ibid.), en alimentant à nouveau l’opposition, commentée plus haut, entre un « nous » (noi) qui se réaffirme et celui qui, de ce fait, devient « autre ». En quoi la naissance dont il est question est-elle non admissible au nombre des parentalités autorisées et attestées comme telles, du point de vue du noi ici entériné ? La scène maîtresse, fondatrice, on l’a vu, est celle de la famille autour d’un berceau : « Le petit est allongé dans le berceau, il sommeille, avec ses petites mains serrées en poing, les paupières fermées, tellement fines qu’elles semblent transparentes » (Camon, 02.03.2016). La fragilité (sottili, trasparenti), la petitesse (le manine), la vulnérabilité du piccolo constituent autant de leviers émotifs : dans son rôle ancestral de défenseur de membres plus faibles et plus exposés de la famille, chacun d’entre nous est amené à ressentir de l’attendrissement. Mais de quel danger l’emphase ici employée vise-t-elle à nous préserver, en même temps que nous en préservons les petits de notre famille ? L’immense joie éprouvée à l’occasion d’une naissance, déclare Ferdinando Camon, dépend du fait que

« dans ce petit naissent à nouveau le père, la mère, le grand-père, la grand-mère, tous ceux et celles qui voient en lui des ressemblances avec eux-mêmes. La naissance d’un enfant est la renaissance de ceux et celles qu’il réincarne. C’est leur immortalité. La victoire de la lignée sur la mort » (ibid.).

21Dans cette optique, la présumée paternité de Nichi Vendola ne peut qu’être invalidée car ce père autoproclamé ne pourra jamais chercher de ressemblances physiques (somiglianze) dans son soi-disant fils (ibid.) et celui-ci ne pourra jamais ressembler à ce père, dont le rôle est, pour cette raison, déclaré abusif.

22Cette position s’enracine dans l’équation établie entre parentalité et transmission biologique (du patrimoine génétique, biologique, physionomique même des parents), mais aussi et surtout dans une vision de l’individu comme chaînon d’une reproduction universelle, gravée dans l’ordre de la Nature. L’existence individuelle n’a de sens qu’en tant qu’elle garantit la perpétuation de l’espèce et, en même temps, dans la mesure où elle crédite, au sein de l’espèce, le prestige et l’influence de son propre groupe familial, face aux autres : « la naissance d’un enfant est accompagnée par ces émotions, chez le père, chez la mère, chez leurs pères et mères, chez toute la famille, et chez tout le clan, c’est-à-dire chez les familles qui composent leur lignée » (ibid.). La relation familiale s’insère dans un ordonnancement (quelque peu implacable) agencé autour de la différence des sexes et de la dualité sexuelle (padri e madri/pères et mères) appliquée à la parentalité. La thèse renvoie l’image d’un corps social sacralisé par la Nature et animé d’une puissante volonté normalisatrice, à l’intérieur de laquelle l’individu semble difficilement pouvoir s’octroyer des marges de liberté. Ce double déterminisme – biologique (ressemblance) et social (clan, lignée) – s’allie de manière complémentaire à une définition de la relation mère-fils comme union indéfectible et inaltérable, une perfetta simbiosi/symbiose parfaite (ibid.) qui devancerait la gestation (« la mère est mère avant d’être mère », ibid.), qui se maintiendrait comme telle tout au long de l’existence individuelle (un unico corpo/un seul et unique corps, la nascita e la vita sono una continuazione di questo rapporto/la naissance et la vie sont la continuation de cette relation, ibid.), et qui resterait à jamais inaccessible à ceux qui ne font pas matériellement l’expérience de la maternité (un’esperienza che l’uomo, come maschio, non può capire/une expérience que l’homme, en tant que mâle, ne peut pas comprendre, ibid.).

  • 14 Dans notre corpus, l’adoption est parfois présentée comme une « arme de dissuasion » face à la prat (...)

23La question se pose ici alors de savoir comment des formes de parentalités différentes de celle fondée sur la transmission biologique (on pense ici notamment à l’adoption14) pourraient trouver leur légitimité à l’intérieur d’une représentation de l’individu qui gravite exclusivement autour du « fil qui unit un enfant à la mère et à la lignée de la mère » (ibid.). Quoi qu’il en soit, la paternité de Nichi Vendola, comme toutes les autres parentalités qui s’écartent historiquement des formes perçues comme naturelles de la reproduction de l’espèce, ne peut être comprise comme une « inacceptable » anomalie, qui destitue, par définition, les potentiels aspirants de tout droit parental : « ici il n’y a pas de père » (ibid.).

Conclusion

  • 15 Il serait notamment utile de prendre en considération les quelques articles exprimant un soutien ou (...)

24Notre étude est partie de l’hypothèse que le repérage et la catégorisation des termes et appellations employés pour désigner cette « nouvelle paternité » controversée, et surtout ses acteurs (les pères, les mères, l’enfant), pourraient efficacement nous conduire à identifier quelques composantes de la représentation sociale de la parentalité. D’après les éléments que nous avons recueillis et qui méritent certainement d’être approfondis, élargis et complétés15, la représentation de la parentalité, telle qu’elle se dessine à la lumière du seul cas ici étudié, semble polarisée autour de trois piliers : 1) la stricte assimilation entre procréation et acte sexuel, ce dernier étant défini en conformité avec une culture et des pratiques essentiellement hétérosexuelles ; 2) une gestation basée sur l’identification, indissoluble et définitive, entre femme et mère, excluant par principe toute alternative à une maternité strictement biologique, et se prolongeant dans une prise en charge exclusive du nouveau-né par le corps féminin, exalté dans ses attributs reproductifs et nourriciers ; 3) une paternité emphatisée dans son apport initial – génital, génétique et biologique – mais perçue ensuite comme nécessairement complémentaire et fonctionnelle à la maternité, dans une vision fortement bipolarisée des sexes et de leurs rôles.

25On pourrait pertinemment se demander si ces positionnements sont représentatifs de la société italienne actuelle : notre corpus et notre analyse n’autorisent ici aucune généralisation. Toutefois, d’après cette première étude, des formes de résistance assumées, et revendiquées comme telles, se manifestent de manière marquante lorsqu’il s’agit d’envisager des parentalités nouvelles ou en tous cas différentes de celles qui définissent la famille nucléaire traditionnelle, perçue ou revendiquée comme la seule configuration possible puisque « naturelle », la seule qui soit apte à légitimer, y compris au niveau juridique, la procréation et la filiation. La famille homoparentale, cette « horror family » (Bernieri, 18.02.2016), apparaît donc comme étant « inconcevable » (Winkler et Strazio, 2014 : 99) par opposition à la famille « naturelle » (père, mère et un ou plusieurs enfants), qu’elle ne peut qu’« altérer » (Winkler et Strazio, 2014 : 101). La famille homoparentale serait, en ce sens, « éversive » et « dangereuse » car elle porterait atteinte à l’ordre social et aux droits des enfants (ibid.). Par conséquent, le destin de tout enfant qui serait né grâce à d’autres modalités de procréation ne peut être imaginé qu’en négatif, au sens photographique du terme : sa représentation est socialement construite autour de l’absence, de la défaillance, de la privation des trois fondements qui assurent socialement la persistance de la seule et unique « véritable parentalité ». Dans un champ de représentations ainsi orienté, paternité et maternité font l’objet d’un processus d’essentialisation visant à mettre le concept de filiation à l’abri de toute forme de relativisme ou d’historicisme, en faisant abstraction des innombrables situations humaines dans lesquelles la parentalité se manifeste à l’époque actuelle, y compris en Italie. De ce point de vue, notre étude rejoint, dans ses conclusions, le constat de Chiara Saraceno, sociologue de la famille, qui affirme : « il résulte qu’il est plus difficile en Italie que dans d’autres pays d’ouvrir la norme légale à une définition plus ouverte et pluraliste des liens familiaux et de ce qui constitue une famille » (Saraceno, 2012 : 130).

  • 16 Fin 2016, la Cour d’Appel de Milan a ordonné la transcription de l’acte de naissance de deux jumeau (...)

26Les récents progrès dans les domaines scientifiques ainsi que les mutations sociales en cours ces dernières décennies contribuent au développement de familles dites « nouvelles » : l’apparition de figures maternelles ou paternelles inédites favorise une déclinaison de la parentalité selon des modalités qui peuvent clairement s’écarter de celles que la société italienne a faites siennes par héritage historique et par convention culturelle. Ces changements, comme toute évolution sociétale, aspirent à une reconnaissance officielle et juridique, que ces « nouvelles » familles parviennent très exceptionnellement à acquérir16. C’est le cas, que nous avons ici étudié, des familles homoparentales, mais aussi des familles monoparentales, de celles qui se sont constituées par adoption ou par recomposition familiale : autant de parentalités qui questionnent et dépassent les limites du déterminisme biologique. Pourtant, à l’issue de cette étude, la coïncidence entre parentalité biologique et parentalité sociale est loin d’être ébranlée : l’impossible paternité de ce « nouveau père » n’est pas affirmée sur la base de critères affectifs, psychologiques, sociaux, éducatifs, mais exclusivement en lien avec ce qui est posé comme incapacité procréative. Notre époque s’efforce de contourner les formes de stérilité, d’infertilité et de dysfonctionnement qui, en contexte hétérosexuel, peuvent meurtrir le désir parental ; généralement, ces efforts de tout ordre ─ médical, génétique, psychologique ─ parviennent à satisfaire, selon des modalités variables, l’aspiration de tout candidat à la parentalité ; cependant, après avoir étudié le caso Vendola, nous pouvons encore une fois nous associer à Chiara Saraceno pour affirmer que « la filiation de la part d’un couple homosexuel, précisément parce qu’elle enfreint le tabou de l’hétérosexualité comme fondement de la famille, semble le passage le plus difficile à accepter » (Saraceno, 2012 : 109). Au vu des formes d’inertie, de résistance et de rejet de l’homopaternité ici étudiées, nous nous demandons s’il s’agit effectivement d’un simple moment de « passage », auquel la société italienne contemporaine ne saurait se soustraire, ou des symptômes d’une (plus probable ?) paralysie. Mais là où pointent ces conjectures, s’arrête, du moins provisoirement, le travail du scientifique.

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Vittorio Sgarbi, page facebook (https://www.facebook.com/SgarbiVittorio/ ?ref =page_internal).

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Notes

1 Les textes que nous avons rassemblés sont répertoriés à la fin de cette contribution. Pour ceux qui seront directement analysés dans cet article sera précisée, dans le texte, la position politique du média source.

2 En ayant recours à Google plutôt qu’à une base de données type PressToday (équivalent d’Europresse pour l’Italie), nous avons adopté une démarche de pré-enquête avant d’envisager un recensement exhaustif ultérieur.

3 La traduction en français de toutes les citations est de nous ; pour la version italienne, nous renvoyons directement au texte source (livre, loi, articles de journal…) référencé à la fin du présent article.

4 Legge 19 febbraio 2004, n° 40 – Norme in materia di procreazione medicalmente assistita.

5 À titre d’exemple : « Italien : Empörung über Vaterschaft eines schwulen Politikers », Queer.de, 29.02.2016.

6 Également nommée stepparent adoption, stepadoption, ou avec les néologismes italiens adozione coparentale (« adoption coparentale ») ou adozione del configlio (« adoption du co-enfant »).

7 Ce néologisme indiquerait la paternité et la fonction paternelle du père qui dans le couple (y compris hétérosexuel) n’est ni le père biologique ni le père légal de l’enfant de son/sa conjoint(e). Il existe également les néologismes co-padre (« co-père »), co-madre/« co-mère », co-genitore (« co-parent ») ainsi que configlio (« co-enfant »).

8 Les couples gays pourraient, théoriquement, avoir recours à un donneur de sperme extérieur au couple. Toutefois, les législations permettant une fécondation hétérologue, c’est-à-dire une fécondation médicalement assistée avec un donneur ou une donneuse de gamètes masculins ou féminins extérieur(e) au couple parental, imposent généralement que l’enfant à naître ait le patrimoine génétique d’au moins l’un des deux parents, ce qui interdit la fécondation hétérologue avec le recours à deux donneurs. Pour ce qui est de cette pratique en Italie, au mois d’avril 2014, la Cour italienne de Cassation (décision n. 162/2014) a déclaré le caractère illégitime de l’interdiction à une fécondation hétérologue pour un couple hétérosexuel (art. 1 paragraphe 3, loi 40/2004).

9 Cours d’Appel de Milan (décision du 16 octobre 2015), Tribunal des mineurs de Rome (décision du 22 octobre 2015), Tribunal des mineurs de Rome (décision du 23 décembre 2015), Cours d’Appel de Rome (décision du 23 décembre 2015).

10 Pour pouvoir « faire » un enfant avec son mari, Nichi Vendola a dû recourir aux corps de deux femmes, même si au cours de ces dernières années, il s’est plusieurs fois prononcé contre la marchandisation du corps des femmes (Redazione, « L’ipse dixit di Nichi Vendola sul corpo delle donne », ilfoglio.it, 02.03.2016.).

11 Dans l’impossibilité de prendre en considération tous les aspects significatifs de notre corpus, nous n’avons pas abordé ici le volet particulièrement nourri d’items portant sur l’aspect économique et « commercial » rattaché à la pratique de la GPA, et mis en exergue par l’expression « utérus en location ». Nichi Vendola et Eddy Testa auraient contribué financièrement à la gestation de Tobia Antonio à hauteur de 130 000 euros ; ils déclarent que des années lumières séparent leur parcours et leur choix de devenir pères de l’expression utero in affitto , et de tout ce qu’elle implique. Le champ sémantique lié à la représentation de la mercantilisation du corps humain dans la gestation pour autrui fera l’objet d’une publication ultérieure, portant notamment sur les textes suivants : Montolli, 26.02.2016 ; Morosi, 28.02.2016 ; Parise, 16.02.2016 ; Sappino, 29.02.2016.

12 Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1995.

13 Le terme mammo, formé sur la racine de mamm(a) et apparu en 1987, et il désignait à l’origine, par plaisanterie, un père qui s’occupe de ses enfants et, par extension, un père qui instaure avec ses enfants un rapport de type maternel. Cependant, dans l’usage courant, ce terme cache une nuance réductrice et péjorative, qui ferait du père proche de ses enfants une sorte de « subrogé » de la mère. L’homme-père perdrait ainsi sa physionomie masculine et son rôle ne serait pas reconnu. (Lo Zingarelli. Vocabolario della lingua italiana, Bologna, Zanichelli Editore, 2009 et Quilici Marco, « Mammo ? No grazie ! ». Disponible sur : http://www.ispitalia.org/doc/mammo.pdf). Plus récemment, le terme mammo a été attribué, par les journalistes, à Thomas Beatie, le premier homme (transsexuel) enceint ; le premier véritable uomo-mamma/homme-maman qui en est aujourd’hui à sa troisième grossesse (« Usa, trans diventerà ‘mammo’« , 2008 ; « Il trans ‘incinto’ diventa ‘mammo’« , 04.07.2008 ; Marino, 2008).

14 Dans notre corpus, l’adoption est parfois présentée comme une « arme de dissuasion » face à la pratique de la GPA (Associazioni gay, auguri a Vendola e avanti su legge adozioni, 29.02.2016.) et « qui ne peut faire des enfants […] peut faire des grands gestes comme adopter » (« Palermo – Crocetta : ‘Non esiste il diritto ad avere figli’« , 01.03.2016.).

15 Il serait notamment utile de prendre en considération les quelques articles exprimant un soutien ou une attitude favorable vis-à-vis de cette forme de paternité. Nous ne les avons pas analysés dans cette contribution car il s’agit, pour la plupart, de textes publiés en réaction aux prises de position virulentes ici étudiées.

16 Fin 2016, la Cour d’Appel de Milan a ordonné la transcription de l’acte de naissance de deux jumeaux nés grâce à une GPA (Décret 28 décembre 2016).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Enrica Bracchi et Gloria Paganini-Rainaud, « L’homopaternité en Italie, ou quand une « nouvelle parentalité » devient un cas national »Genre en séries [En ligne], 6 | 2017, mis en ligne le 01 novembre 2017, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/940 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.940

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Auteurs

Enrica Bracchi

Enrica Bracchi est maîtresse de conférences en Études Italiennes, membre du CRINI (Centre de Recherche sur les Identités Nationales et l’Interculturalité – EA 1162) et membre associée de l’IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé – EA 1166), à l’Université de Nantes. Ses recherches portent sur des questions sociales et sociétales contemporaines, liées notamment aux nouvelles familles et aux nouvelles manières d’avoir et de faire des enfants au XXIe siècle. Son approche comparée (Italie et autres pays européens et non-européens) se fonde sur une réflexion inter/intradisciplinaire langue-culture-droit. À travers l’analyse des termes (juridiques, journalistiques, sociologiques…) employés pour désigner ces nouvelles configurations familiales et parentales et à travers l’étude des discours (politiques, médiatiques, d’associations…) portant sur ces mêmes questions sociales et sociétales, elle essaye de montrer comment le droit et une société évoluent (ou non), se montrent réticents (ou non) face à ces changements dans la constitution des familles « non traditionnelles », en les reconnaissant (ou non). Elle fait partie du groupe de recherche « EnJeu[x] – Enfance et Jeunesse », porté par l’Université d’Angers, et elle est responsable de l’action « Étude des usages langagiers autour de l’expression des filiations et de la parentalité : témoignages sur sites et forums ». Elle est membre du groupe de recherche « Osservatorio sull’euroletto », Università degli Studi Internazionali di Roma – UNINT (évolution de la terminologie de genre dans les textes de l’Union Européenne).

Gloria Paganini-Rainaud

Gloria Paganini-Rainaud est maître de conférences en Études Italiennes et membre du CRINI (Centre de Recherche sur les Identités Nationales et l’Interculturalité – EA 1162), à l’Université de Nantes. Ses recherches, centrées autour la notion de représentation sociale et culturelle de l’altérité, se développent principalement dans le domaine de la civilisation de l’Italie contemporaine. Actuellement, elle étudie la représentation de l’altérité dans le cinéma italien contemporain et en particulier les deux figures d’« étrangers de l’intime » représentées par l’enfant adopté et par la badante (aide soignante vivant au domicile de la personne soignée). Depuis 2001, elle dirige le festival annuel de cinéma italien de Nantes et, depuis 2008, elle préside l’association Univerciné (http://univercine-nantes.org), qui regroupe les festivals de cinéma allemand, britannique, russe et italien.

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