Schreiber Michele, American Postfeminist Cinema. Women, Romance and Contemporary Culture
Schreiber Michele, American Postfeminist Cinema. Women, Romance and Contemporary Culture, edinburgh, edinburgh university press, coll. « tradition in american cinema », 2015, 200 pages.
Texte intégral
- 1 Yvonne Tasker et Diane Negra (éds.) (2007), Interrogating Postfeminism : Gender and the Politics of (...)
1Dans American Postfeminist Cinema, Michele Schreiber questionne les liens entre le genre cinématographique de la romance (les comédies et les drames romantiques) et le postféminisme, en se concentrant sur des films étatsuniens produits entre 1980 et 2012. Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité de travaux sur la « rhétorique postféministe » (p. 2), qui « a œuvré à accommoder le féminisme via la représentation de la femme comme consommatrice émancipée »1. L’auteure part du constat que dans le cinéma populaire contemporain, la vie des femmes américaines n’est mise en scène pour ainsi dire que dans les romances. Elle cherche alors à étudier les enjeux politiques et sociaux des films s’inscrivant dans le genre, en se focalisant sur quatre points de tension entre celui-ci et le postféminisme : entre le format narratif de la romance et le plus grand pouvoir des femmes dans la sphère publique (chapitre 1) ; entre pragmatisme et romantisme (chapitre 2) ; le passé et le présent (chapitre 3) ; la dépendance et l’indépendance (chapitre 5). Un chapitre est également consacré à la représentation de la sexualité à l’écran, entre divertissement et érotisme (chapitre 4).
- 2 Selon des modalités différentes cependant, comme le montre la comparaison de Me Myself I (Karmel, 1 (...)
- 3 Irène Jonas (2011), Moi Tarzan, toi Jane. Critique de la réhabilitation « scientifique » de la diff (...)
- 4 Diane Negra (2009), What A Girl Wants ? Fantasizing the Reclamation of Self in Postfeminism, New Yo (...)
2Les romances postféministes sacralisent les capacités rédemptrices de l’amour et du couple hétérosexuel et les présentent comme la seule source véritable d’accomplissement de soi pour les hommes mais surtout pour les femmes2, tout en faisant peser la réussite de la relation amoureuse sur ces dernières3. De plus, elles stigmatisent les femmes célibataires, qui apparaissent souvent comme « abjectes ». En effet, la principale différence entre les romances postféministes et les romances précédentes reposerait sur le fait que la « malchance » de l’héroïne en amour représenterait un « manque » et serait le résultat d’un « problème » dont elle souffre. Ce problème est présenté comme lié à son caractère (trop dépendante ou trop indépendante, trop égoïste ou altruiste, trop investie dans la romance ou ne l’étant pas assez), mais en réalité il découle de son statut social et politique. Pour le démontrer, l’auteure mobilise trois exemples : Kitty Floyd (Wood, 1940), An Unmarried Woman (Mazursky, 1978) et 27 Dresses (Fletcher, 2008). Ces films seraient représentatifs de l’évolution du genre de la romance, puisqu’ils appartiendraient respectivement aux cycles « classique » (1934-1968), « féministe » (1968-1980) et « postféministe » (1980-2012). Là où dans les deux premiers films, les difficultés amoureuses de l’héroïne sont mises en parallèle avec les évolutions politiques et sociales concernant les femmes dans la société, dans 27 Dresses, le célibat de l’héroïne découlerait uniquement de son excès d’altruisme et de son obsession pour les mariages. Elle doit donc changer pour avoir une relation amoureuse réussie. Or, ces deux traits de caractère ne font que témoigner de sa conformité aux attentes sociales concernant les femmes4.
3Selon Michèle Schreiber, les films postféministes révèlent les préoccupations de la société contemporaine concernant les femmes : leur « horloge biologique » ; leur libido ; leur plus grand pouvoir professionnel et leur indépendance économique, leur consommation ; leur émotivité trop grande ou leur attachement excessif aux divertissements destinés aux femmes (p. 45). Par ailleurs, si l’épanouissement amoureux de l’héroïne est présenté comme faisant partie intégrante de son développement personnel, son accomplissement sexuel est au mieux périphérique et au pire hors-sujet. Par exemple, dans 13 going 30 (Winick, 2004), la relation harmonieuse (platonique à l’écran) entre Jenna et son meilleur ami d’enfance Matt serait la conséquence naturelle de leur amitié d’adolescents. À l’inverse, le petit ami de la Jenna de 30 ans envisage sa relation avec Jenna essentiellement dans sa dimension sexuelle. Il est dépeint comme rebutant et ridicule, notamment lorsqu’il fait une danse suggestive accompagnée d’un striptease à une Jenna horrifiée. Les femmes sont donc représentées dans les romances comme centrées sur les émotions et les connexions romantiques, au détriment d’autres dimensions.
- 5 Diane Negra, op. cit.
- 6 C’est-à-dire la multiplication d’adaptations ou de pastiches dans les dernières décennies de romans (...)
4Les fictions postféministes sont traversées par une ambivalence, entre les aspirations féministes du public concernant l’indépendance des femmes, et l’importance accordée au couple traditionnel dans le genre de la romance. Selon Diane Negra5, cette tension est résolue par le renoncement des personnages féminins à un investissement professionnel « excessif » au profit d’une relation sentimentale. À l’inverse, selon Michele Schreiber, cette tension est résolue par des ponts faits entre le passé et le présent. Elle en explore deux formes : « the idea of Jane »6 (p. 58) et le voyage temporel. Ces deux approches ont en commun de présenter le monde contemporain comme source de stress professionnel et de relations amoureuses décevantes, tandis que le passé serait plus simple et permettrait l’accomplissement amoureux. Plus largement, les romances passées et présentes permettraient la constitution d’un langage féminin commun, par la mobilisation d’œuvres supposées connues des spectatrices. Par exemple, dans Sleepness in Seattle (Ephron, 1993), les protagonistes féminins se réfèrent à An Affair to Remember (McCarey, 1967) pour bâtir leur représentation de ce qu’une histoire d’amour peut et doit être, et s’identifient aux personnages de ce film. L’évocation de ces romances « classiques » dans des films plus récents présente les dilemmes romantiques des femmes contemporaines comme similaires à ceux des héroïnes passées et présentes.
- 7 Lori Gottlieb (2010), Marry him : the Case for Setteling Mr. Good Enough, New York, Dutton.
5Un des autres « ponts » au fondement de la culture postféministe est le brouillage des frontières entre réalité et fiction. En effet, si la réalité a transformé le genre de la romance en induisant la mise en scène de l’indépendance des femmes, réciproquement les romances auraient un effet performatif sur la vie des femmes. Michele Schreiber cite un ouvrage de développement personnel qui accuse les romances d’avoir placé dans l’esprit des femmes des attentes trop élevées ou déplacées concernant leurs relations amoureuses7. Selon Lori Gottlieb, ces fictions inciteraient les femmes à attendre le « prince charmant » au détriment d’hommes convenables de leur entourage.
6L’ouvrage repose sur un corpus très large, non seulement de films de romance postféministes produits dans les deux dernières décennies, mais aussi de films plus anciens ou appartenant à d’autres genres, de romans sentimentaux et de séries télévisées, ainsi que d’ouvrages de développement personnel. Cette approche permet de montrer la centralité des films de romance dans la culture postféministe. La mise en évidence du schéma narratif propre à ces films met en évidence l’idéologie qu’ils véhiculent et son effet performatif sur la vie des spectatrices.
- 8 Diane Negra, op. cit.
- 9 Hilary Radner (2010), Neo-Feminist Cinema : Girly Films, Chick Flicks, and Consumer Culture, Londre (...)
7Cependant, cet ouvrage présente des limites méthodologiques. Le choix des films analysés n’est pas explicité (pas plus que le corpus exhaustif des films étudiés). Par ailleurs, si la définition retenue par Schreiber du postféminisme met l’accent sur le consumérisme, la tension entre activité professionnelle féminine et relation amoureuse est en définitive peu étudiée. C’est d’autant plus étonnant que cette tension est présentée comme au cœur du postféminisme par Negra8 et Radner9. De plus, en mettant l’accent sur la confusion entre réalité et fiction concernant les romances, l’auteure suscite notre curiosité pour une analyse en réception. Elle est appréhendée ici par le biais de quelques témoignages et d’ouvrages de développement personnel. Il serait intéressant d’étudier plus avant la relation que les spectatrices entretiennent aux représentations véhiculées par les romances, et la façon dont ces dernières façonnent (ou non) celles des spectatrices. On aimerait que l’auteure interroge plus largement le public et les pratiques de consommation de ces films : sont-ils regardés uniquement par les femmes ? Quels sont les discours et les pratiques des spectateurs concernant ce genre cinématographique ?
Notes
1 Yvonne Tasker et Diane Negra (éds.) (2007), Interrogating Postfeminism : Gender and the Politics of Popular Culture, Durham, Duke University Press, p. 2 (cité p. 3). « Worked to commodify feminism via the figure of woman as empowered consumer » (notre traduction).
2 Selon des modalités différentes cependant, comme le montre la comparaison de Me Myself I (Karmel, 1999) et The Family Man (Ratner, 2000) dans le troisième chapitre. Dans le premier film (où le personnage principal est une femme), la vie mariée est présentée comme intrinsèquement meilleure que le célibat (même s’il permet l’accomplissement professionnel). À l’inverse, dans le second (où le personnage principal est un homme), la morale du film est que la richesse sans famille avec qui la partager est décevante.
3 Irène Jonas (2011), Moi Tarzan, toi Jane. Critique de la réhabilitation « scientifique » de la différence hommes/femmes, Paris, Syllepse.
4 Diane Negra (2009), What A Girl Wants ? Fantasizing the Reclamation of Self in Postfeminism, New York, Routledge.
5 Diane Negra, op. cit.
6 C’est-à-dire la multiplication d’adaptations ou de pastiches dans les dernières décennies de romans de Jane Austen, d’Emily Brontë ou d’Edith Wharton, ouvrages où l’héroïne choisit un partenaire qui ne semble à première vue pas fait pour elle. Dans ces fictions, un partenaire « risqué » est privilégié à un partenaire qui représenterait un choix « pragmatique ».
7 Lori Gottlieb (2010), Marry him : the Case for Setteling Mr. Good Enough, New York, Dutton.
8 Diane Negra, op. cit.
9 Hilary Radner (2010), Neo-Feminist Cinema : Girly Films, Chick Flicks, and Consumer Culture, Londres, Routledge. Notons cependant que Radner préfère le terme « néo-féministe » à celui de « postféministe » car selon elle, l’idéologie véhiculée par les films adressés à un public féminin tient davantage du néolibéralisme que du féminisme.
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Référence électronique
Myriam Chatot, « Schreiber Michele, American Postfeminist Cinema. Women, Romance and Contemporary Culture », Genre en séries [En ligne], 5 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/909 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.909
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