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Notes de lecture

Mary Harrod, From France with Love : Genre and Identity in French Romantic Comedy

London and New York, I.B. Tauris, 2015, 213 p.
Alice Guilluy
Référence(s) :

Mary Harrod, From France with Love : Genre and Identity in French Romantic Comedy, London and New York, I.B. Tauris, 2015, 213 p.

Texte intégral

  • 1 Amy Nicholson (2014), « Who Killed the Romantic Comedy? », LA Weekly, http://www.laweekly.com/2014- (...)
  • 2 Mary Harrod (2013), « Comedy and Social Change in French Cinema 1990-2010: The Rise of the Rom-Com (...)

1À l’heure où la comédie romantique hollywoodienne est dite en crise1, l’ouvrage de Mary Harrod se penche sur le phénomène inverse outre-Atlantique : le véritable essor de ce genre cinématographique en France depuis les années 1990 et 2000. L’ouvrage est sorti en 2015 et est adapté de la thèse doctorale de l’auteure2. Sa question principale est la suivante : comment expliquer la prolifération et le succès « spectaculaire » (p. 2) de la comédie romantique française ces deux dernières décennies ? Pour Harrod, ce phénomène accompagne et reflète les profondes transformations sociales provoquées en particulier par l’émancipation des femmes au siècle dernier.

  • 3 Comme de nombreux travaux en études cinématographiques ou l’analyse filmique reste la norme, celle- (...)

2Cette lecture s’appuie sur une conception de la relation entre cinéma et société qui s’inscrit dans la lignée des cultural studies britanniques. Se référant à Stuart Hall en particulier, Harrod note que « les films reflètent autant qu’ils nourrissent le changement social » (p. 4). Tout en soulignant la capacité d’action des spectateurs.rices et le caractère « polysémique » des objets culturels (p. 10), elle suggère que ces derniers encouragent certaines interprétations et prises de position. Son approche méthodologique3 en découle : Harrod se concentre sur l’analyse filmique rapprochée d’un impressionnant corpus d’une centaine de films sortis entre 1990 et 2010 (p. 241-245), mise en relief par une analyse textuelle de leurs critiques de presses et chiffres d’audience.

  • 4 Tamar Jeffers McDonald (2007), Romantic Comedy: Boy Meets Girl Meets Genre. London, New York: Wallf (...)
  • 5 On note quelques exceptions, comme les travaux de Raphaëlle Moine, Les Genres Du Cinéma ([Paris] : (...)

3From France with Love est composé de 5 chapitres, dont le premier présente un état de l’art du champ des études sur la comédie romantique. Comme d’autres auteur.e.s4, Harrod souligne la misogynie latente liée à la dévalorisation du genre, et le manque d’intérêt que lui portent notamment les études cinématographiques. Ceci est particulièrement le cas de la comédie romantique contemporaine (ou « rom-com ») : la majeure partie de travaux sur le genre se sont en effet focalisés sur des films considérés comme des « classiques », à l’instar des screwball comedies des années 1930 et 1940. Alors que la comédie romantique est souvent considérée comme du « pur divertissement », Harrod montre au contraire comment le genre fait fonction de baromètre social. Selon elle, la comédie romantique contemporaine se distingue de films plus anciens par les points suivants : la mise en avant d’une subjectivité féminine (elle souligne le nombre important de réalisatrices travaillant dans ce registre), de nombreuses références à Hollywood, une tonalité légère et une représentation de l’amour « vécu a la fois comme une transformation miraculeuse et comme socialement contingent » (p. 6). La comédie romantique est donc « un genre préoccupé par l’évolution des rôles genrés et des relations hommes-femmes au cours du temps » (p. 14). Si les travaux anglo-saxons sur la rom-com demeurent relativement peu nombreux, Harrod note qu’ils sont encore plus rares en France5. Ceci s’explique selon elle par un mélange de snobisme particulièrement marqué à l’égard de la comédie au cinéma et d’anti-américanisme profond, la comédie romantique apparaissant comme un genre « parfaitement hollywoodien » (p. 24).

  • 6 Harrod cite par example Ma femme est une actrice (Yvan Attal, 2001) ou Mauvaise foi (Roschdy Zem, 2 (...)
  • 7 David Shumway, Modern Love: Romance, Intimacy, and the Marriage Crisis (New York; London: NYU Press (...)

4Les trois chapitres qui suivent analysent la façon dont les comédies sentimentales françaises des 20 dernières années reflètent d’importants changements sociaux, à commencer dans le premier d’entre eux (chapitre 2), par une analyse de l’amour romantique à l’ère contemporaine, confronté à la fragmentation et l’individualisation des sociétés urbaines, mais aussi à l’impact de la technologie et au déclin de la religion dans la société occidentale : elle note par exemple qu’un certain nombre de films mettent en scène des couples interconfessionnels6. Harrod se penche d’abord sur l’exemple du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, 2001), qu’elle décrit comme un mélange de conte de fée et de portrait de solitude. Son analyse souligne l’ambivalence du film à l’égard des nouvelles technologies et la façon dont il isole son personnage principal, à la fois de façon auditive (par la narration et l’incapacité des personnages à s’exprimer) et visuelle (par l’utilisation de plans grues et la segmentation de l’image). Comme de nombreuses rom-com françaises — Venus Beauté (Institut) (Tonie Marshall, 1999) par exemple —, note Harrod, Amélie Poulain insiste sur le caractère féminin de l’isolement post-moderne. Un autre changement important par rapport à la tradition du cinéma français porte sur la représentation de l’adultère. La « tradition française » (p. 58) le traite le plus souvent de manière humoristique. Au contraire — et particulièrement dans des films réalisés par des femmes — la comédie romantique contemporaine présente l’adultère masculin comme inacceptable ; et quand il est commis par des personnages féminins, il s’agit de revanche ou de transgression. S’appuyant sur les travaux de David Shumway7, Harrod suggère que la comédie romantique française privilégie le discours de l’intimité, défini comme « une conception de l’amour basée sur la compatibilité et le partenariat, au-delà du désir physique » (p. 67), à celui de la romance. « Basé sur la contradiction » (p. 71), le discours de l’intimité s’accorde particulièrement bien à la forme du « film choral » : ces films aux multiples personnages permettent une fragmentation narrative et une tonalité discordante plus proche du réalisme associé au cinéma français que la narration invisible et individuelle d’Hollywood (p. 72-73). Elle conclut le chapitre en notant que, malgré les apparences, la comédie romantique est de fait « loin d’être immunisée aux anxiétés d’une société post-moderne […] définie par un manque de connections véritables » (p. 80) : contrairement à sa réputation « légère », le genre reflète au contraire d’important changements sociaux à travers le prisme du couple.

  • 8 Harrod suggère que cela reflète les progrès qui restent à faire à ce sujet dans la société français (...)

5Le chapitre suivant (chapitre 3) se concentre sur la dimension de genre de ces films. Paraphrasant Judith Butler, Harrod note que le genre est « en constante réinvention à travers de multiples formes discursives, dont le cinéma populaire » (p. 81), et pose la question suivante : quelles identités (féminines, masculines ou queer) sont donc construites par la comédie sentimentale au tournant du siècle ? Pour Harrod, cette contribution est pour l’essentiel ambivalente et contradictoire. Elle observe que « les comédies romantiques françaises contemporaines se réduisent rarement à des prises de positions politiques uniquement régressives ou progressives » (p. 59). Ce thème récurrent de l’analyse d’Harrod tout au long de son livre mérite d’être souligné, au vu des fréquentes critiques du genre exprimées au nom du féminisme. Par exemple, alors que de nombreux films rendent visible et thématisent le désir féminin, la tendance est aussi à un modèle de féminité désexualisée, personnifié par des stars au physique enfantin telles qu’Audrey Tautou ou Cécile de France. De plus, bien que les rom-coms françaises mettent systématiquement en scène des femmes actives sur le marché du travail (ce qui n’est pas le cas de leurs équivalents américains), les métiers qu’elles pratiquent sont souvent dépeints comme insignifiants, ou socialement inférieurs à ceux de leur partenaire : « le travail, et surtout le travail des femmes, ne peut avoir qu’une importance limitée des lors que la raison d’être du genre est l’union entre les sexes » (p. 106). Enfin, la légalisation du mariage et de l’adoption pour les couples homosexuels sont aussi reflétés par la présence grandissante de personnages gays ou lesbiens dans ce genre de films, bien que ceux-ci restent, pour le moment encore marginaux8.

  • 9 David Canfield (2015), “The Romantic Comedy Is Having a Revolution — And It’s Happening on TV,” Ind (...)

6Le quatrième chapitre se penche sur la représentation d’une autre institution sociale en pleine évolution : la famille. Harrod souligne ici deux tendances particulières de la comédie romantique française. Tout d’abord, on l’a souligné plus haut, elle note que ce thème est souvent exploré par le biais de films dits « choraux », comme La Bûche ou Fauteuils d’orchestre (Danièle Thompson, 1999 et 2005), par ailleurs très souvent écrits ou réalisés par des femmes — une rareté au sein d’une profession qui continue d’être majoritairement masculine. Harrod note également que cette subdivision du genre représente une part considérable du marché en France : environ un tiers du corpus étudié relevé de cette catégorie. Deuxièmement, selon Harrod, la présence d’enfants et le thème de la parentalité sont beaucoup plus présents dans la comédie romantique made in France, alors que le genre hollywoodien privilégie le mariage. Il est intéressant de noter que les choses semblent avoir changé sensiblement depuis la soi-disant « disparition » de la comédie romantique grand public hollywoodienne au cinéma et sa renaissance à la télévision et grâce aux services de Vidéo à la Demande tels que Netflix. Ce changement de format a reçu les éloges de la critique, justement parce qu’il permet une plus grande diversité d’histoire de personnages : le format épisodique de la série télévisée, notamment, semble permettre d’aller au-delà de l’inévitable « happy end »9. Ainsi, dans plusieurs récents succès tels que The Mindy Project (Fox/Hulu, 2012-2017), Jane the Virgin (CW, 2014-) ou Catastrophe (Channel 4, 2015- ), l’acte de procréation précède l’histoire d’amour. On note cependant que ces séries ne sont distribuées en France que de façon limitée, et qu’au contraire, les comédies romantiques hexagonales sont produites majoritairement pour le grand-écran.

7Le dernier chapitre se penche sur la relation, encore une fois caractérisée par l’ambivalence, entre la France et les États-Unis telle qu’elle apparaît à travers le genre de la comédie romantique. L’anxiété hexagonale face à « l’hégémonie » américaine se manifeste, par exemple, dans l’opposition de stéréotypes masculins nationaux : dans L’Arnacoeur (Patrice Chaumeil, 2010) par exemple, la virilité d’Alex (Romain Duris) contraste avec la propreté et la bienséance de l’anglais Jonathan (Andrew Lincoln). Néanmoins, Harrod suggère que si le cinéma français continue de marquer l’origine américaine de la comédie romantique à grand coup de citations, il s’est pleinement approprié les codes du genre, qui lui permettent d’assurer sa place sur le marché mondial du film, comme le montre le succès international de films tels L’Arnacœur ou Populaire (Régis Roinsard, 2013). Analysant les critiques de presse, Harrod démontre que cette appropriation nationale dépasse le cinéma : ainsi le terme « comédie romantique », qui n’apparaît dans la presse qu’autour de 2006, fait aujourd’hui partie du langage courant.

  • 10 Claire Mortimer (2010), Romantic Comedy, London, Routledge; Hilary Radner (2011), Neo-Feminist Cine (...)

8L’ouvrage de Mary Harrod ajoute une importante pierre à l’édifice des études sur la comédie romantique. Tout d’abord parce qu’il s’agit du premier volume (en France aussi bien qu’au Royaume-Uni ou aux États-Unis) consacré aux productions françaises ; mais aussi car la grande force de l’ouvrage réside dans le sérieux et la minutie de ses analyses qui traitent autant de la forme que du fond. La plupart des études sur la « rom-com » se sont concentrées jusqu’ici sur le développement des personnages ou le déroulement du scénario — souvent d’ailleurs jugés rétrogrades —, certaines suggérant que la comédie romantique n’a pas de conventions stylistiques distinctives10. À l’inverse, Harrod propose ici une analyse de l’image riche et détaillée. Dans le chapitre 5 par exemple, elle suggère que l’auto-référentialité de films tels que Ma femme est une actrice (Yvan Attal, 2002), Ma vie n’est pas une comédie romantique (Marc Gibaja, 2007) ou De l’autre côté du lit (Pascale Pouzadoux, 2008) leur permet de rendre hommage et d’apprivoiser en même temps les codes stylistiques du genre hollywoodien, dont elle montre au contraire qu’ils sont bien définis. Son analyse fait référence à de nombreux éléments stylistiques, tels que la photographie (notamment l’éclairage, les couleurs ou l’usage du gros-plan), le jeu des acteurs.rices, la bande son et la voix-off, ou bien encore le rythme du montage. On notera que, comme dans la plupart des travaux sur la comédie romantique, Harrod tend à assimiler le genre au cinéma américain, bien qu’elle soulève la question d’autres cinémas transnationaux tels que Bollywood (p. 166). Cette focalisation semble justifiée dès lors que l’un de ses arguments principaux est que la comédie romantique française se caractérise notamment par le dialogue qu’elle engage avec Hollywood. En abordant la comédie romantique de façon pleinement cinématographique, Harrod réaffirme l’importance culturelle (et académique) d’un genre trop souvent méprisé.

*

9Disclaimer: Alice Guilluy et Mary Harrod ont toutes deux effectué leur recherche doctorale sous la direction de Ginette Vincendeau. Elles ont également coorganisé une journée d’étude sur la comédie romantique au Musée du Cinéma de Londres en Novembre 2014.

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Notes

1 Amy Nicholson (2014), « Who Killed the Romantic Comedy? », LA Weekly, http://www.laweekly.com/2014-02-27/news/who-killed-the-romantic-comedy/.

2 Mary Harrod (2013), « Comedy and Social Change in French Cinema 1990-2010: The Rise of the Rom-Com », thèse de doctorat en études Cinématographiques sous la direction de Ginette Vincendeau, King’s College London.

3 Comme de nombreux travaux en études cinématographiques ou l’analyse filmique reste la norme, celle-ci n’est pas explicitement discutée en dehors d’un court développement situé en fin d’introduction.

4 Tamar Jeffers McDonald (2007), Romantic Comedy: Boy Meets Girl Meets Genre. London, New York: Wallflower, 15–17; Stacey Abbott and Deborah Jermyn (2009) eds., Falling in Love Again: Romantic Comedy in Contemporary Cinema, London; New York: I.B. Tauris,.

5 On note quelques exceptions, comme les travaux de Raphaëlle Moine, Les Genres Du Cinéma ([Paris] : Armand Colin, 2005); ou Brigitte Rollet, “Transatlantic Exchanges and Influences: Décalage horaire (Jet Lag) Gender and the Romantic Comedy à la française” dans Abbott and Jermyn, Falling in Love Again: Romantic Comedy in Contemporary Cinema.

6 Harrod cite par example Ma femme est une actrice (Yvan Attal, 2001) ou Mauvaise foi (Roschdy Zem, 2006), mais on pourrait ajouter l’énorme succès de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? et Qu’est ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ? (Phillippe de Chauveron, 2014 et 2017), sortis après la parution de cet l’ouvrage.

7 David Shumway, Modern Love: Romance, Intimacy, and the Marriage Crisis (New York; London: NYU Press, 2003).

8 Harrod suggère que cela reflète les progrès qui restent à faire à ce sujet dans la société française. On notera ici que l’ouvrage n’échappe cependant pas toujours aux raccourcis problématiques dans son association entre homophobie et Islam : Harrod donne pour exemple la tentative d’assassinat de Bertrand Delanoë par un immigré musulman en 2012, mais n’évoque pas La Manif pour Tous.

9 David Canfield (2015), “The Romantic Comedy Is Having a Revolution — And It’s Happening on TV,” IndieWire, http://www.indiewire.com/2015/07/the-romantic-comedy-is-having-a-revolution-and-its-happening-on-tv-60577/; Rachel Aroesti (2017), “How TV Made Us Fall Back in Love with Romcoms,” The Guardian, http://www.theguardian.com/tv-and-radio/2016/feb/17/how-tv-made-us-fall-back-in-love-with-rom-coms-love-catastrophe-youre-the-worst.

10 Claire Mortimer (2010), Romantic Comedy, London, Routledge; Hilary Radner (2011), Neo-Feminist Cinema: Girly Films, Chick Flicks, and Consumer Culture, New York, Routledge.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alice Guilluy, « Mary Harrod, From France with Love : Genre and Identity in French Romantic Comedy »Genre en séries [En ligne], 10 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/758 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.758

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Auteur

Alice Guilluy

Alice Guilluy est docteure en études cinématographiques et allemand, et dirige la licence de réalisation à la London Film Academy. Soutenue en 2017 à King’s College London et effectuée sous la direction de Ginette Vincendeau et Erica Carter, sa thèse était consacrée à la réception européenne de la comédie romantique hollywoodienne contemporaine. Elle est notamment l’auteure de « The Lady Knows the Recipe : Challenges of Carrying Out a Feminist Study of Hollywood Romantic Comedy », Bulletin de Méthodologie Sociologique, 2018.

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