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Dossier

De la réception engagée à l’engagement militant : l’exemple des « fanarts féministes » de princesses Disney

Hélène Breda

Résumés

À travers l’étude de la pratique du fanart, cet article a vocation à interroger l’intersection entre deux formes d’engagement en ligne liées à des réceptions médiatiques : un engagement spectatoriel, et un engagement de type militant. Plus précisément, il s’agira d’analyser un corpus de fanarts « féministes » consacré aux Princesses Disney, qui prend en charge des enjeux inscrits dans « l’espace de la cause des femmes » (Bereni, 2012). Après avoir rappelé la dimension identitaire des créations faniques, l’article montrera qu’un grand nombre de fanarts du corpus interrogent les stéréotypes de genre dans les films d’animation dont les Princesses Disney sont issues. L’étude d’un second pan du corpus montrera que ces figures « iconiques » peuvent être détournées de manière à diffuser des messages féministes au sens large, détachés de leurs fictions d’origine. En conséquence, ce texte a pour ambition d’étudier une pratique de « fanactivisme » à travers laquelle des héroïnes de la pop-culture sont mises au service d’une critique à la fois culturelle et sociale des rapports genrés et du système patriarcal.

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Texte intégral

  • 1 Ouvrage « grand public » (l’autrice est une journaliste et blogueuse féministe) analysant et dénonç (...)
  • 2 Figurant à l’origine sur les affiches d’une campagne menée aux États-Unis lors de la Seconde Guerre (...)
  • 3 Depuis la fin des années 1990, plusieurs protagonistes féminines issues de différentes production D (...)

1Blanche-Neige annonçant à son prince que son livre préféré est The Purity Myth (Valenti 20091), Ariel la Petite Sirène découvrant pour la première fois ses jambes non épilées, le visage de Cendrillon photoshoppé sur le corps de Rosie the Riveter2 (Fig. 1) : de tels détournements se retrouvent aujourd’hui aisément sur la Toile. Les princesses Disney, figures incontournables de la fiction enfantine, rendues populaires non seulement par les films d’animation qui les mettent en scène mais aussi par un merchandising intensif3, offrent en effet un matériau de choix pour ce que Sébastien François nomme les « créations dérivées » (François, 2013).

Figure 1 : Montage inspiré de l’affiche « Rosie the Riveter »

Figure 1 : Montage inspiré de l’affiche « Rosie the Riveter »
  • 4 Les formes « fan art » ou « fanart » sont toutes deux usitées par les publics créatifs comme par ce (...)

2Dessin, peinture, collage, photomontage… Toutes ces activités graphiques, regroupées sous l’appellation de fanart4 lorsqu’elles représentent des personnages issus d’univers culturels préexistants, sont l’une des formes possibles d’engagement de la part de publics amateurs. Le terme d’« amateur.e » renvoie ici aux personnes ou aux pratiques « non professionnelles », par opposition aux créateurs et contenus « officiels » d’une industrie culturelle – en l’occurrence Disney – même si, comme le rappelle Sébastien François (2013 : 47-48), il n’existe pas toujours de frontière fixe et définitive entre les deux. Dans le même temps, ce mot est à rattacher à son sens étymologique (il dérive du verbe latin amare, « aimer »), puisque les artistes produisant des créations dérivées telles que des fanarts éprouvent généralement de l’attachement envers les objets culturels qui les inspirent. Il ne s’agira donc pas d’opposer dans cet article la figure de l’« amateur éclairé d’œuvres reconnues ou d’activités « nobles », qui s’attache au contenu des choses et aux propriétés formelles des œuvres » et celle du fan, « admirateur en quête d’identification et […] consommateur des produits du star-system » (Donnat 2009 : 11), dichotomie selon laquelle, explique Olivier Donnat, l’amateur se distinguerait par son individualité et sa singularité, tandis que le fan ferait nécessairement partie d’une communauté.

  • 5 L’expression « idées féministes » désigne « les représentations des rapports de genre portées dans (...)
  • 6 Le patriarcat peut être défini comme un « système de subordination des femmes aux hommes dans les s (...)
  • 7 L’expression « culture du viol » désigne un ensemble d’idées et de pratiques qui, dans une société (...)

3Je proposerai plutôt d’analyser ici une articulation possible entre engagement créatif et engagement militant, ce dernier terme devant être pris dans une acception très large. Certes, le dispositif sociotechnique qu’est le Net permet l’adoption de nouvelles stratégies de communication et de nouvelles formes d’action collective autour de mouvements structurés et d’« organisations militantes formelles » (Blandin, 2017 : 13). Mais s’y déploie aussi, conjointement ou complémentairement, une multitude d’appropriations « par le bas, ordinaires » (Jacquemart et Albenga, 2015 : 10) et individuelles de revendications politiques, diffusées entre autres grâce aux blogs (Blandin, 2017 : 12). C’est en l’occurrence une forme particulière d’« appropriation ordinaire des idées féministes »5 que j’entends étudier, à partir d’un corpus de fanarts construits autour de l’objet culturel des « princesses Disney ». Le féminisme, « défini, au sens large, comme une mobilisation pour l’égalité entre les femmes et les hommes et une promotion des droits des femmes » (ibid. : 9), a pour finalité l’abolition du patriarcat6. En l’occurrence, les créations que j’ai sélectionnées prennent en charge des problématiques genrées qui, si elles ne se réclament pas toujours explicitement d’un engagement féministe, s’inscrivent dans ce que Laure Bereni (2012) nomme « l’espace de la cause des femmes », en abordant notamment les inégalités professionnelles et salariales, l’autonomie féminine dans la société, le droit à une sexualité libre ou la dénonciation de la culture du viol7

4Ces images pourront être envisagées comme des « écrits de la réception », qu’elles s’accompagnent ou non de (para-)textes, en ce qu’elles servent de vecteurs à l’expression d’idées, d’évaluations, de commentaires de la part de leurs auteur.es à partir des œuvres d’origine. Il n’est d’ailleurs pas rare que mots et images soient associés au sein de pratiques textuelles de la part de publics médiatiques : Dominique Pasquier (1999 : 9) a par exemple remarqué, en analysant les courriers de jeunes fans d’Hélène et les garçons, qu’il « y a autant à regarder qu’à lire », les lettres étant très fréquemment accompagnées de dessins, collages, etc.

5Puisqu’elle a vocation à étudier la convergence entre engagement spectatoriel et engagement militant, cette étude ne saurait faire l’économie d’un développement sur les enjeux sous-tendus par ces activités, qui sont notamment identitaires. Le second pan de l’analyse s’attachera ensuite à examiner le phénomène de détournement par lequel les « fanartistes » vont émettre des critiques relatives aux représentations genrées. Le dernier volet montrera enfin que leurs auteur.es peuvent également se réapproprier les figures « iconiques » que sont les princesses Disney pour diffuser d’autres messages militants.

Élaboration du corpus

  • 8 Selon ma propre expérience des fanarts féministes liés aux princesses Disney, il me semblait en amo (...)
  • 9 Bien que la circulation des fanarts sur la Toile rende leur datation assez difficile, ceux-ci sembl (...)
  • 10 Les mots « feminism » et « gender », déjà porteurs de connotations militantes ou annonçant du moins (...)

6Pour cette recherche, j’ai mené une analyse qualitative d’un corpus de dessins et montages où figurent une ou plusieurs princesses Disney (éventuellement associées à d’autres personnages issus des mêmes films), à travers la sélection d’œuvres qui questionnent les normes genrées en vigueur dans les dessins animés et/ou dans la société, en véhiculant des messages implicitement ou explicitement militants. Entre août et septembre 2017, j’ai procédé de cette façon à une recherche, essentiellement via des mots-clés anglophones8, sur plusieurs plateformes de partage (Tumblr, Pinterest) ainsi que, plus largement, sur le moteur de recherche Google Images, de manière à obtenir des œuvres disséminées sur des sites nombreux et variés9. Les mots-clés, combinaisons de termes et expressions ainsi employés étaient les suivants10 : « princesses Disney » / « Disney princess(es) » + « féministe » / « feminist » / « féminisme » / « feminism » / « gender » ; à cela, se sont ajoutées des recherches combinant certains de ces mots-clés avec les noms de princesses spécifiques, par exemple « feminist » + « Cinderella » ou « feminist » + « Disney » + « Ariel ». Le choix d’une élaboration de corpus fondée sur une recherche par mots-clés comporte certes des limites, dans la mesure où l’on peut supposer qu’il existe par ailleurs sur le Net des créations qui entrent dans ma définition des « fanarts féministes de princesses Disney » sans qu’aucun indice textuel n’en fasse état. Il ne m’a cependant pas été permis, dans le cadre de cette première étude, d’élaborer des stratégies de recherche qui permettent de lever cette réserve. J’avancerais néanmoins que le corpus établi ici comporte un nombre d’images suffisant pour mener des analyses pertinentes sur l’articulation entre pratique du fanart et diffusion de messages associés au féminisme.

  • 11 Entre autres exemples, j’ai pu croiser des représentations des héroïnes modernisées (les princesses (...)

7A contrario, quoique la présence de termes comme « féministe / feminist » ou « gender » dans les paratextes constitue un indice utile pour identifier la vocation militante potentielle d’une partie de ces productions, il ne s’agit pas non plus d’un outil infaillible. Maintes images trouvées par ce biais, si elles mettent en scène des princesses Disney, ne sont pas des fanarts (on relève notamment de simples photogrammes issus des films d’origine, sans aucun ajout), ou proposent des relectures et détournements de ces héroïnes qui ne prennent pas en charge d’« idées féministes »11 telles que je les ai définies, là encore à la suite d’Albenga et Jacquemart (2015). Une étape de tamisage a ainsi été nécessaire pour élaborer le corpus définitif, composé de 166 images, dont seul un échantillon représentatif pourra être examiné dans le cadre du présent article.

  • 12 J’y associe quelques dessins amateurs copiant trait pour trait l’apparence des princesses.
  • 13 Ces textes, de longueur et de nature variées, peuvent aller du simple slogan à la longue analyse cr (...)

8Il apparaît de prime abord que la majorité de ces créations dérivées sont des montages réalisés à partir de photogrammes issus des films d’animation originaux12 auxquels les auteur.es ont juxtaposé ou superposé des textes qui sont soit des commentaires directs de leur part13, soit des dialogues réécrits pour les personnages, insérés dans des phylactères de bande dessinée. L’autre pan du corpus consiste en des dessins réalisés par les artistes-mêmes, adoptant des styles visuels qui leur sont plus personnels. Ces créations sont alors régulièrement l’occasion d’opérer des transformations physiques sur les héroïnes de Disney : s’il peut sembler excessif d’attribuer chaque fois de réelles revendications féministes, je considère toutefois que de telles œuvres s’inscrivent dans « l’espace de la cause des femmes » (Bereni, 2012) en cela qu’elles interrogent des injonctions genrées. Enfin, certains fanarts représentent des princesses qui prennent en charge des enjeux féministes d’autres manières : ajouts de slogans, d’éléments anachroniques (fusil, pancartes de manifestantes), etc.

9Plus précisément, le tableau suivant peut donner une première idée des contours de notre corpus (Fig. 2) :

Figure 2 : Typologie des fanarts militants présents dans le corpus

  • 14 Les quatre catégories qui constituent cette typologie sont mutuellement exclusives.
  • 15 Cette catégorie rassemble des créations hétéroclites, telles que des représentations des Princesses (...)

Type de fanarts14

Proportion dans le corpus

Photogrammes + textes militants

38 %

Photogrammes + phylactères

26 %

Modifications corporelles des princesses

17 %

Autres réappropriations picturales militantes15

19 %

  • 16 Aux onze princesses de la franchise commerciale Disney s’ajoutent d’ailleurs trois figures féminine (...)

10Si je n’ai souhaité laisser de côté aucune héroïne Disney considérée comme « princesse » au début de mon étude16, il est apparu que ces figures étaient d’une popularité très inégale auprès des auteur.es de fanarts (Fig. 3).

Figure 3 : Occurrences des différentes princesses Disney dans le corpus

Princesses

Nombre d’occurrences dans les fanarts du corpus

Film d’origine

Année de production

Cendrillon

26

Cendrillon

1950

Ariel

24

La Petite Sirène

1989

Blanche Neige

22

Blanche Neige et les Sept Nains

1937

Plusieurs princesses

19

Aurore

14

La Belle au Bois Dormant

1959

Belle

13

La Belle et la Bête

1991

Jasmine

12

Aladdin

1992

Mulan

12

Mulan

1998

Mérida

7

Rebelle

2012

Pocahontas

6

Pocahontas

1995

Tiana

5

La Princesse et la Grenouille

2009

Raiponce

3

Raiponce

2010

Elsa

1

La Reine des Neiges

2013

Esméralda

1

Le Bossu de Notre-Dame

1996

Mégara

1

Hercule

1997

11Certaines parmi les plus anciennes (Blanche-Neige, Cendrillon, Ariel) font partie des plus récurrentes, tandis que les princesses « récentes » comme Raiponce ou Elsa de La Reine des Neiges sont quasi-absentes. L’une des pistes explicatives que j’envisage, sans avoir encore la possibilité de la confirmer (puisqu’il faudrait pour cela en savoir davantage sur les fanartistes, et notamment leur âge), est que les princesses « classiques » sont celles qui font peut-être le plus facilement partie d’un socle culturel commun, au point d’accéder à un statut d’« icônes » que n’ont pas (encore) leurs cadettes : elles constitueraient, de fait, des supports plus efficaces pour diffuser largement des messages engagés. Dans le même temps, la suite de cette étude rappelle que les films d’animation dont elles sont issues sont les plus problématiques en termes de représentations genrées : dans cette perspective, le recours au fanart servirait précisément à la distanciation et à la relecture critique des œuvres concernées.

À la croisée du fanart et du militantisme : quels enjeux identitaires ?

12Le nom de « fanarts » donné aux créations dérivées graphiques (dessins, photomontages, etc.) rattache bien entendu leur étude au champ académique des fan studies, lui-même ancré dans celui des cultural studies. À travers une approche transdisciplinaire, les fan studies ont en effet contribué à mettre au jour les manières dont des publics passionnés s’emparent des objets culturels qui les fascinent, se les approprient, les transforment et les détournent, participant en cela d’une « réception créatrice » (Flichy, 2010 : 13).

13L’(auto-)appellation de « fan » renvoie notamment à des formes d’engagement spécifiques dans la réception. Loin du cliché du spectateur passif dans sa consommation de la culture (en particulier celle dite « de masse ») et entièrement soumis aux valeurs qu’elle véhicule, les études de réception ont montré que les publics coconstruisent le sens des messages reçus et peuvent s’engager dans une relation active avec les œuvres, à différents degrés et selon des modalités variées. Le phénomène, observé pour les pratiques de lecture (Chartier, 1988), concerne par exemple tout autant le cinéma (Odin, 2000) et la télévision (Morley, 1992 ; Le Grignou, 2003), l’existence de fanarts inspirés des films Disney n’ayant en cela rien de surprenant. Les déploiements contemporains des recherches en fan studies mettent aussi en exergue le rôle-clé joué par Internet et les nouvelles technologies numériques dans l’élaboration et la circulation de ces créations, bien que l’apparition de telles activités soit antérieure à l’avènement du Net (François, 2013 : 13). Pour le dire comme Henry Jenkins (2013 [2006] : 171), « le web a rendu visibles les compromis cachés qui ont permis à la culture participative et à la culture commerciale de coexister pendant la majeure partie du XXe siècle ».

  • 17 Récits explicitement dérivés d’œuvres culturelles antérieures.

14Les travaux menés sur les pratiques amateures et faniques en ligne révèlent notamment que l’un des principaux enjeux qui les sous-tend est l’expression identitaire de leurs auteur.es : « créer est », selon David Peyron (2013 : 153), « l’une des manières les plus efficaces d’affirmer son identité ». À l’ère d’Internet, l’identité d’un.e fan, construite via sa réception créatrice, peut être présentée aux autres grâce à la diffusion de ses productions dérivées sur des sites, blogs et réseaux sociaux ; les fans sont à la fois générateurs et membres de communautés de récepteurs d’une œuvre ou d’un univers fictionnel (Flichy, 2010 : 31). Sébastien François, dont les recherches sont consacrées aux fanfictions17, explique également que « comme toute pratique culturelle, cette activité participe de la présentation de soi de l’individu et à travers elle, les auteurs commencent à interagir avec autrui, ici leurs lecteurs, même dans le contexte souvent dématérialisé et désynchronisé d’Internet » (François, 2013 : 21). C’est donc non seulement à travers la création d’œuvres dérivées de productions culturelles premières (dont le choix révèle déjà des informations sur les goûts et la sensibilité de leurs fans), mais aussi via les échanges et l’inscription des auteur.es/artistes amateur.es dans des réseaux communautaires (Donnat, 2009), qu’a lieu le processus de construction identitaire (Flichy, 2010 : 88). Celui-ci repose donc conjointement sur un « individualisme expressif » (Allard, 2005 ; Peyron, 2013 : 153) et une logique d’appartenance (Besson, 2015 : 291).

  • 18 Philippe Le Guern remarque à ce sujet que la notion de « braconnage » bénéficie d’une souplesse plu (...)

15Dans ces conditions, les enjeux identitaires de la réappropriation – voire du détournement – d’objets issus de la « culture de masse » sont à mettre en lien avec le sentiment qu’ont les fans de ne pas entièrement se retrouver dans ces productions hégémoniques, en particulier concernant les publics issus de groupes socialement discriminés : femmes et personnes LGBT+ (Quemener, 2017 : 11), mais aussi minorités ethno-raciales, personnes handicapées, etc. Face à une représentation insuffisante ou inadéquate de certaines identités culturelles dans les œuvres d’origine, les publics concernés, loin de les rejeter en bloc, peuvent opérer des lectures négociées ou oppositionnelles (Hall, 1994 [1980]), ou pratiquer ce que Michel de Certeau (1980) nomme le « braconnage culturel »18. En découlent des « stratégies re-créatives » élaborées par les fans, qui « mettent en jeu les politiques de la norme », entre autres sur des questions de genre (Le Guern, 2009). Les travaux anglophones, plus marqués par les studies, ont depuis longtemps tenu compte de l’articulation entre fan studies et gender studies. En France, si les recherches de Dominique Pasquier (1999) sur le public adolescent d’Hélène et les garçons marquent un jalon incontournable, l’intérêt est plus récent : plusieurs recherches témoignent néanmoins de la dissémination de cette approche croisée, comme celles rassemblées dans l’ouvrage collectif dirigé par Arnaud Alessandrin et Mélanie Bourdaa en 2017. Ces derniers expliquent que « les fans explorent et questionnent les messages et les idéologies de la culture de masse, à commencer par les enjeux genrés – la façon dont les séries télévisées, les chansons de variété ou bien les comics représentent les hommes, les femmes, les LGBT, etc. » (Alessandrin et Bourdaa, 2017 : 16).

  • 19 Mais aussi des blogs et des forums (François, 2013 : 245).

16Pour autant, il n’est pas simple de déterminer avec certitude si les fanartistes de mon corpus sont bien des « publics concernés », et s’ils sont issus de groupes minoritaires et socialement discriminés. Aborder cette question sous un angle sociologique nécessiterait une étude rigoureuse des indices numériques relatifs à la « présentation de soi » (Goffman, 1996 [1959]). Or, en la matière, une recherche académique sur la pratique du fanart est vouée à se heurter à un écueil de taille. D’autres types de créations dérivées sont majoritairement postés sur des supports numériques spécifiques (par exemple, des sites comme fanfiction.net pour les « fanfics »19, des plateformes de partage de vidéos comme Youtube pour les fanvids), de sorte qu’il est relativement aisé de remonter à leurs sources lorsqu’elles sont mises en circulation. En comparaison, les œuvres de fanart sont présentes sur le Net d’une manière bien plus éclatée et volatile, en raison de l’immédiateté avec laquelle on appréhende leur contenu et de la facilité technique avec laquelle elles peuvent être copiées, stockées puis re-postées ailleurs. Dans ses travaux sur la diffusibilité et l’appropriation des images numériques, André Gunthert explique ainsi que « le ressort fondamental des plates-formes visuelles […] a été un principe de collectivisation des contenus. De ce principe découle un nouvel état de l’image comme propriété commune, qui a transformé fondamentalement les usages. Aujourd’hui, la véritable valeur d’une image est d’être partageable » (Gunthert, 2009). L’appropriation des contenus visuels, fondée sur l’activité de copie privée, devient selon lui un véritable « fait social » (Gunthert, 2011).

  • 20 À titre d’exemple, lors de mes recherches, j’ai pu reconstituer le parcours d’une série d’œuvres re (...)

17S’il existe des plateformes dédiées à la diffusion d’images qui accueillent de façon privilégiée des dessins et autres photomontages relevant du fanart, par exemple les sites DeviantArt ou Pinterest, la pratique dont il est question ici n’est nullement circonscrite à ces territoires : ces œuvres graphiques, accompagnées ou non de textes, se répandent conjointement sur des blogs, les réseaux sociaux, et sont même fréquemment relayées par des sites d’information ou de divertissement à l’image de Buzzfeed. On touche ici à ce que Laurence Allard (2005) nomme la « syndication de contenus » sur le Net, c’est-à-dire ce « procédé selon lequel l’auteur d’un blog rend disponible tout ou partie de son contenu pour publication sur un autre site web […] gratuitement. De nombreux blogs sont ainsi construits de l’agrégation de chroniques, messages, publiés par d’autres que soi-même ». En certaines occurrences, cette circulation de fanarts n’omet pas de mentionner, à chaque étape, la source originale du dessin et le nom – ou pseudonyme – de son auteur.e20, tandis que quelques artistes prennent pour leur part le soin d’apposer leur pseudonyme ou l’adresse de leur blog directement sur leurs productions, à la manière d’un copyright. La tendance est cependant loin d’être généralisée, ce qui peut conduire à une dissolution – au moins partielle – de la notion d’auctorialité appliquée aux fanarts. En conséquence, sans laisser totalement à la marge les informations, certes souvent lacunaires, que j’ai rassemblées sur leurs auteur.es, mon étude ne prétend pas discuter la sociologie des publics à l’origine de ces créations dérivées, ni mesurer systématiquement leur degré d’amour ou de détestation des dessins animés originels.

18Partant, la suite de cet article sera centrée sur les œuvres de fanart proprement dites et sur la manière dont elles endossent, via des détournements et des réappropriations du matériau de départ, une fonction de remise en question de normes genrées. Je développerai l’analyse de cette portée polémique (Alessandrin et Bourdaa, 2017 : 16), en mobilisant essentiellement des outils issus des SIC et des études audiovisuelles.

Détourner les princesses Disney pour questionner les représentations genrées

  • 21 Le terme fandom « permet […] de désigner de manière condensée l’ensemble des fans d’un même produit (...)

19La première grande tendance qui se dessine dans mon corpus est le recours au fanart en vue de remettre en cause les normes et stéréotypes genrés qui caractérisent, chez Disney, les « dessins animés de princesses » et leurs héroïnes. En dépit de leur popularité durable (qui dépasse largement les contours de l’enfance), les personnages de princesses sont décriés par une frange du public en raison des représentations des rôles féminins qu’ils véhiculent, tandis que les fictions dont elles émanent font l’objet de « critiques féministes profanes » (Breda, 2017 : 99 ; 109). Dès lors, il est légitime de se demander si l’on peut attribuer automatiquement aux auteur.es des productions de mon corpus le nom de « fans ». Appartiennent-ils/elles à une même communauté interprétative ? Se revendiquent-ils/elles du fandom21 des princesses Disney ? Entretiennent-ils/elles un rapport affectif positif avec les œuvres de départ, ou leur engagement est-il plutôt à situer du côté de « réceptions ironiques » (François, 2013 : 62) qui se manifesteraient au sein de « communautés critiques » (Pasquier, 1999 : 204-206) ? Serait-il plus pertinent ici de parler d’« anti-fans » (Hills, 2002) ?

  • 22 La notion de fan activism renvoie à ces pratiques militant.es qui naissent et se développent au sei (...)

20En l’absence d’indices suffisants relatifs à leurs identités et à la manière dont ils et elles se situent par rapport à l’univers Disney, je prendrai le parti de garder les appellations de « fans » et de « fanartistes », voire celle de « fanactivistes »22, pour désigner les auteur.es des œuvres ici analysées. Tout d’abord, parce que ces dernières, en tant que créations dérivées, sont qualifiées par défaut de « fanarts » par le public et les médias. Ensuite, parce que le terme « fan » en lui-même est polysémique, doté de définitions multiples (Alessandrin et Bourdaa, 2017 : 15) et recouvre une pluralité de relations engagées à des œuvres. Il n’y a pas, du reste, d’incompatibilité a priori entre féminisme et appréciation d’œuvres issues de la « culture de masse », quand bien même cette dernière contribue largement à relayer une idéologie paternaliste (Ang, 1985 : 118).

21Quoique « [leurs] représentations du masculin et du féminin connaissent […] des métamorphoses notables » (Massei, 2015 : 98) entre les princesses de la période « classique » (Blanche-Neige, Cendrillon, Aurore) et des figures plus récentes (Mulan, Raiponce, Mérida notamment), les films d’animation Disney peuvent difficilement passer, encore à l’heure actuelle, pour des parangons de progressisme. De fait, la part des fanarts de princesses qui soulève des questions de genre avec une vocation plus ou moins explicitement militante participe d’une vaste réflexion sur les représentations véhiculées par une industrie culturelle hégémonique, avec la possibilité de nuancer et de prendre en compte les évolutions d’un « univers Disney » souvent perçu comme plus monolithique qu’il ne l’est réellement (Bruno, 2001).

22Simon Massei (2015 : 96), lorsqu’il analyse les rôles féminins et masculins dans quelques films d’animation Disney, emploie la métaphore du « mille-feuille » pour expliquer que ces œuvres « [agrègent] plusieurs strates de représentation de genre ». Cette stratification ressort dans l’examen de mon propre corpus, dont une partie a pour vocation de cibler et de dénoncer les défaillances des dessins animés de princesses relatives aux stéréotypes genrés et aux dynamiques relationnelles entre personnages masculins et féminins.

23L’un des enjeux de la critique féministe pris en charge par ces créations dérivées concerne la passivité des princesses dans la trame narrative des dessins animés. De ce point de vue, Massei (ibid.) rappelle justement que les contes dont sont inspirés les Disney étaient des « instruments de socialisation féminine », mettant en scène des « princesses dociles, irresponsables et promises à de glorieux mariages ». Si de telles représentations ont été transposées dans les films d’animation auxquels ces contes ont donné lieu, notamment les Disney « classiques », bon nombre de fanarts vont mettre en lumière ce défaut d’agency23 féminine pour mieux la critiquer. Une vignette issue de La Belle au Bois Dormant24 va ainsi permettre de dénoncer à la fois la passivité de la princesse sauvée par son prince et le non-respect par ce dernier du consentement de la jeune femme, qu’il embrasse alors qu’elle est endormie (Fig. 4).

Figure 4 : Aurore : OUAH. Excuse-moi, mais quelle partie de moi endormie ici toute seule t’a donné à penser que j’étais consentante ?

Figure 4 : Aurore : OUAH. Excuse-moi, mais quelle partie de moi endormie ici toute seule t’a donné à penser que j’étais consentante ?
  • 25 http://feministdisney.tumblr.com/ [consulté le 19 mars 2018]. Ce blog a été la source la plus fécon (...)
  • 26 En attestent, entre autres exemples récents très médiatisés, le mouvement de dénonciation #MeToo (# (...)
  • 27 Il est à noter que j’ai dû laisser hors de mon corpus de nombreux fanarts qui endossaient des enjeu (...)

24Cette création, postée sur le blog « Feminist Disney »25 hébergé sur la plateforme Tumblr, s’accompagne d’un long texte qui analyse les représentations et relations entre personnages féminins et masculins de La Belle au Bois Dormant à l’aune de valeurs progressistes et égalitaires. L’enjeu d’une telle critique n’est pas simplement de scruter dans les moindres détails le scénario du dessin animé, mais de rappeler à quel point les fictions participent du façonnage des imaginaires collectifs. Certaines « critiques féministes » s’attachent ainsi à dénoncer la romantisation d’agressions sexuelles dans une multitude d’œuvres culturelles ; l’enjeu sous-jacent est la question plus large du consentement sexuel (en premier lieu celui des femmes), prépondérante dans la lutte féministe contemporaine contre le harcèlement, les agressions sexuelles et le viol26. Dans le même temps, les analyses critiques qui encadrent les fanarts étudiés s’attaquent aux dynamiques des rapports amoureux asymétriques entre les princesses et leurs « princes » (ou assimilés) dans les dessins animés Disney qui, sauf exception, « ont pour caractéristique commune de retracer la formation d’un couple hétérosexuel et d’édicter, en filigrane, toute une grammaire des rapports de séduction et des comportements sexués » (Massei, 2015 : 95)27.

25Tandis que ces créations dérivées adressent aux dessins animés « de princesses » des critiques féministes relatives à leur construction narrative et aux dynamiques relationnelles entre personnages masculins et féminins, un autre pan du corpus est centré plus directement sur l’apparence physique des héroïnes. Les partis pris esthétiques des studios constituent une autre « strate » de représentations genrées identifiée par Simon Massei (2015 : 97), qui explique que ces princesses « bénéficient […] de traits harmonieux et d’une anatomie correspondant peu ou prou aux normes esthétiques dominantes. Leur minceur n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle des mannequins de publicité […] ». Même dans les productions les plus récentes, « les critères de minceur et de beauté continuent de s’imposer à toute prétendante au titre de princesse Disney » (ibid. : 98). Or, puisqu’il s’agit précisément de créations graphiques, les fanarts de princesses Disney s’avèrent propices à la mise en lumière d’injonctions genrées relatives aux critères de beauté féminine occidentaux contemporains. Leurs auteur.es ont par exemple bien conscience du fait que les médias et la culture visuelle contribuent à la diffusion et à la perpétuation de normes stéréotypées, qui peuvent revêtir une valeur prescriptive pour les (très jeunes) filles en dépit de l’irréalisme des modèles. Ici encore, ce peut être l’utilisation de photogrammes issus directement des fictions d’origine qui met en exergue les proportions anormales des princesses, tel ce fanart représentant Jasmine (Fig. 5)28 :

Figure 5 : Jasmine : Sais-tu ce qui est plus large que ma taille ? Mon cou ! Et ma tête ! Et mes mains !

Figure 5 : Jasmine : Sais-tu ce qui est plus large que ma taille ? Mon cou ! Et ma tête ! Et mes mains !

26Certain.es fanartistes mettent en lumière les mêmes problématiques relatives aux corps féminins chez Disney en allant plus loin : plutôt que l’adjonction de textes sur les images tirées des films d’animation, ces auteur.es opèrent des transformations de l’apparence des princesses directement par le dessin ou des retouches. Dans ces cas précis, le militantisme est parfois moins explicite, mais les détournements visuels du matériau de départ permettent de comprendre que certain.es de leurs créateur.ices interrogent les représentations hégémoniques des figures féminines de Disney. Apparaissent ainsi des séries de fanarts montrant les princesses avec des corps aux proportions dites « normales », voire grosses29 (Fig. 630).

Figure 6 : Des princesses Disney aux morphologies « réalistes »

Figure 6 : Des princesses Disney aux morphologies « réalistes »

27Parfois, de telles œuvres juxtaposent les créations des fanartistes aux visuels officiels de Disney, afin de marquer le contraste et d’accentuer le caractère irréaliste des modèles. C’est notamment le cas de princesses photoshoppées, diffusées sur le site Buzzfeed31 ; si ces créations dérivées ne comportent aucun message direct, l’article, intitulé « Si les princesses Disney avaient des tours de taille réalistes32 », a pour sous-titre « Des tours de taille plus réalistes pour elles et une plus grande estime de soi pour nous quand nous grandissons33 ». Ce paratexte réaffirme l’enjeu sous-tendu par ces détournements des princesses Disney : les dessins animés d’origine, en cela qu’ils forment les imaginaires collectifs dès la plus tendre enfance, contribuent à véhiculer une image irréaliste et jugée malsaine de la « féminité parfaite »34. De manière similaire, j’ai pu relever quelques fanarts sur lesquels les princesses normalement glabres s’étaient vu ajouter des poils sur les parties du corps qui en comportent normalement : jambes, bras, duvet sur le visage ou sourcils touffus35. Ceux-ci font écho à une autre injonction pesante à laquelle sont soumises les femmes dans la société contemporaine : l’épilation.

28Quoique les différentes pratiques fanartistiques qui viennent d’être recensées aient pour trait commun de dénoncer les représentations genrées véhiculées par les princesses Disney (textes à l’appui ou non), il n’est pas nécessaire d’opérer des lectures oppositionnelles des dessins animés pour se les approprier via le fanart dans une perspective militante. Pierre Bruno rappelle en effet que la « culture Disney » véhicule une « idéologie protéiforme » (Bruno, 2001) et des messages qui ont évolué au fil des décennies : ainsi, les princesses récentes seraient plus à même de transmettre des valeurs d’émancipation féminine (Bruno cite alors la guerrière Mulan). Indépendamment de ces évolutions dans le temps, il apparaît que toutes les princesses Disney font l’objet d’une « pluralité de formes d’appropriation », pour reprendre une expression d’Olivier Donnat36 (2009). De fait, le public en général et les fanartistes en particulier peuvent tout à fait réaliser des lectures négociées des films d’animation mettant en scène ces figures féminines, ou pratiquer le « braconnage » à la de Certeau, en sélectionnant dans les œuvres originelles les traits particuliers qui les séduisent et entrent en adéquation avec leurs valeurs. En témoigne, entre autres exemples, un fanart issu du blog Walt Disney Confessions37 et relayé dans un article de Buzzfeed justement intitulé « 23 Fois où les princesses Disney ont été de vraies féministes38 ». Sur un photogramme d’Aladdin, où le héros s’apprête à embrasser la princesse Jasmine, a été ajouté cet encart :

  • 39 It always frustrates me when I read « feminist » articles saying the Disney princesses aren’t stron (...)

Je suis toujours frustré.e quand je lis des articles « féministes » qui disent que les princesses Disney ne sont pas des personnages forts, surtout ceux qui tournent uniquement autour de l’idée qu’« elles sont faibles parce qu’elles finissent avec un homme ». Techniquement, aucune d’elles n’avait BESOIN d’un homme, il se trouve juste qu’elles sont heureuses avec eux. Qu’est-ce qu’il y a de mal à tomber amoureuse ?39

29De tels écrits, qui produisent simultanément une évaluation des personnages Disney et une réponse aux critiques émises par d’autres récepteur.ices, attestent de la polyphonie des commentaires suscités par les dessins animés concernés lorsqu’on les examine à l’aune de critères genrés. Il apparaît que c’est précisément la dimension polémique des lectures et réappropriations plurielles faites d’œuvres culturelles via des commentaires et des créations dérivées qui permet de se saisir de l’objet « princesses Disney » pour en faire le vecteur de revendications antisexistes.

30Il pouvait sembler paradoxal de prime abord que des créations dérivées des films d’animation Disney prétendent prendre en charge des enjeux militants, se positionner en faveur d’une lutte pour l’égalité femmes/hommes et de l’abolition du patriarcat. Pourtant, les analyses menées dans cette partie ont justement rappelé que des activités faniques ont parfois la capacité d’introduire une distance critique dans la réception d’œuvres et de mettre au jour des résistances culturelles, ici sur l’axe du genre. C’est exactement le rôle qu’a endossé ce premier volet du corpus : révéler qu’une partie des fanartistes qui travaillent le matériau constitué par les « princesses Disney » ont mené, en amont ou en parallèle, des analyses approfondies des œuvres premières, adossées à des lectures oppositionnelles de ces classiques enfantins. Ces discours évaluatifs peuvent être rédigés et offerts complémentairement aux productions dessinées pour contextualiser leur création et développer une réflexion plus pointue. De tels écrits de la réception relèvent alors pleinement de la pratique plus large de « critique féministe profane en ligne » de fictions audiovisuelles (Breda, 2017).

S’approprier les princesses Disney pour relayer d’autres discours militants

31Les œuvres amateures analysées jusqu’à présent avaient pour point commun d’articuler revendications féministes et évaluations critiques des films d’animation Disney eux-mêmes. Or, une étude globale du corpus révèle que la plupart des représentations dont les princesses font l’objet à travers cette pratique fanique se désolidarisent de leur contexte diégétique. Les messages alors véhiculés prennent une tout autre ampleur, puisque les héroïnes Disney deviennent les porte-voix de causes socio-politiques contemporaines détachées de l’univers des contes de fées.

  • 40 Excorporation is the process by which the subordinate make their own culture out of the resources a (...)
  • 41 […] contradictions […] are so typical of the popular culture, where what is to be resisted is neces (...)

32À nouveau, il peut sembler contradictoire que ces figures émanant d’une industrie culturelle hégémonique et véhiculant un certain nombre de valeurs patriarcales – en dépit de la pluralité de lectures possible – soient choisies comme figures de proue de mouvements d’émancipation féministes. On est alors en présence d’un phénomène d’« excorporation », tel que l’a défini John Fiske (1989 : 11), c’est-à-dire d’un « processus par lequel les personnes subordonnées fabriquent leur propre culture à partir des ressources et des produits fournis par le système dominant, ce qui est central pour la culture populaire40 ». Le paradoxe devient non seulement compréhensible, mais incontournable : « les contradictions […] sont si typiques de la culture populaire, où ce à quoi on doit résister est nécessairement présent dans la résistance qu’on y oppose41 » (Ibid. : 4). Dès lors, il n’est pas incohérent que les figures des princesses Disney fassent l’objet de détournements pour contrer les injonctions et oppressions structurelles subies par les femmes dans un système patriarcal. Les stratégies développées dans cette perspective sont plurielles.

33Comme dans les cas de critiques féministes, certain.es auteur.es de fanarts vont réemployer des photogrammes auxquels ils ajoutent des phylactères, cette fois-ci pour dispenser de petites « leçons de féminisme ». En certaines occurrences, les dialogues gardent quelques liens avec les univers diégétiques de départ ; ainsi, sur une image tirée de Cendrillon42, la princesse éponyme et sa marraine tiennent la conversation suivante (Fig. 7) :

Figure 7 : La Fée : Je sais ce que tu souhaites réellement, et je vais exaucer ton vœu ! Cendrillon : Vous allez supprimer l’écart salarial entre les hommes et les femmes ? La Fée : Je voulais dire… aller au Bal

Figure 7 : La Fée : Je sais ce que tu souhaites réellement, et je vais exaucer ton vœu ! Cendrillon : Vous allez supprimer l’écart salarial entre les hommes et les femmes ? La Fée : Je voulais dire… aller au Bal
  • 43 L’auteur.e n’en est pas clairement identifiable, mais on retrouve la création à la fois sur le Tumb (...)

34Dans un tel fanart, comme dans d’autres exemples du corpus, la référence au dessin animé de départ permet de mettre en exergue le décalage qui existe entre les attentes genrées créées par les contes et les réalités de la lutte sociopolitique dont la finalité est l’abolition du patriarcat. Le lien avec les œuvres que j’ai analysées supra n’est pas rompu, mais cette catégorie particulière de créations dérivées s’éloigne de la critique pure des productions Disney pour inscrire plus directement leurs discours militants dans le contexte social actuel. D’autres images conçues sur le même principe vont pour leur part évacuer entièrement les clins d’œil aux films dont sont issues les princesses. Ce montage représentant Blanche-Neige attristée43 opère par exemple une recontextualisation de la représentation de la princesse, qui se retrouve « propulsée » en plein XXIe siècle (Fig. 8) :

Figure 8 : Blanche Neige : Ils n’ont pas arrêté de me dire que je devais être misandre si j’étais féministe. Personne n’a voulu m’écouter quand je disais que les rôles genrés entravent à la fois les hommes et les femmes !

Figure 8 : Blanche Neige : Ils n’ont pas arrêté de me dire que je devais être misandre si j’étais féministe. Personne n’a voulu m’écouter quand je disais que les rôles genrés entravent à la fois les hommes et les femmes !

35Les exemples de ce type sont multiples et constituent, in fine, autant de « micro-fanfictions » où dessins et textes sont combinés pour mettre en scène des princesses au militantisme très contemporain, loin des préoccupations stéréotypées que l’on attribue aux jeunes femmes dans un schéma conservateur (coquetterie, attente du prince charmant, etc.). L’univers des contes de fées se révèle propice à la dénonciation du système patriarcal : qu’il y soit fait ou non référence aux scénarios d’origine, les autres personnages y incarnent les hérauts des valeurs « traditionnelles », offrant un fort contraste avec les « princesses féministes ». Les fanarts concernés tendent alors un miroir grossissant aux débats bien réels auxquels prennent part au quotidien des militant.es féministes, tel cet échange entre Belle et Gaston44, personnage misogyne et grossier de La Belle et la Bête (Fig. 9) :

Figure 9 : Gaston : Pourquoi est-ce que je ne peux pas faire des blagues sur le viol ? Pourquoi est-ce que vous, les féministes, vous êtes aussi exagérément sensibles ? Belle : Clairement, tu peux, puisque tu l’as fait – tu es juste en colère que je te tienne pour responsable de tes paroles. Les blagues n’existent pas dans une espèce de vide magique hors de la société – les blagues sur le viol renforcent des mythes dangereux sur les violeurs et leurs victimes, rejettent et banalisent l’expérience des victimes de viol, et si tu ris avec un violeur sans t’en rendre compte, il va interpréter ça comme une absolution son comportement. C’est un problème qui vaut la peine d’être « sensible ».

Figure 9 : Gaston : Pourquoi est-ce que je ne peux pas faire des blagues sur le viol ? Pourquoi est-ce que vous, les féministes, vous êtes aussi exagérément sensibles ? Belle : Clairement, tu peux, puisque tu l’as fait – tu es juste en colère que je te tienne pour responsable de tes paroles. Les blagues n’existent pas dans une espèce de vide magique hors de la société – les blagues sur le viol renforcent des mythes dangereux sur les violeurs et leurs victimes, rejettent et banalisent l’expérience des victimes de viol, et si tu ris avec un violeur sans t’en rendre compte, il va interpréter ça comme une absolution son comportement. C’est un problème qui vaut la peine d’être « sensible ».

36De cette façon, les fanactivistes exploitent par leurs œuvres le décalage entre univers de dessins animés et préoccupations relatives au système patriarcal contemporain pour relayer leurs propres argumentaires par la bouche des princesses ; dans le même temps, ces auteur.es pointent du doigt les discours adverses, jugés rétrogrades et ridicules.

37À ces textes – parfois longs – issus de réflexions militantes structurées, mis dans la bouche des princesses via ces nouveaux dialogues, d’autres auteur.es préféreront privilégier de petits slogans. C’est notamment le cas pour les princesses dessinées par l’artiste Amanda Niday, dont les pancartes arborent des messages anti-patriarcaux inspirés des diégèses d’origine : par exemple, « Je ne suis pas un prix à gagner45 » pour Jasmine (Fig. 1046), ou « Comment pouvez-vous ignorer tant de choses ?47 » pour Pocahontas.

Figure 10 : Jasmine, l’une des « princesses militantes » d’Amanda Allen Niday

Figure 10 : Jasmine, l’une des « princesses militantes » d’Amanda Allen Niday

38S’ils perdent sans doute en profondeur par rapport aux vignettes façon « BD » précédemment analysées, ces visuels gagnent en simplicité et donc en diffusibilité : le nombre de sites d’information et de divertissement qui les ont repris en témoigne (The Huffington Post, Teen Vogue et Buzzfeed peuvent par exemple être recensés).

  • 48 Cela ne semble pas être le cas pour les autres créateur.ices de mon corpus : non pas qu’il soit imp (...)
  • 49 Il est aussi intéressant de relever que Saint Hoax constitue le seul exemple d’artiste de mon corpu (...)

39Comme Amanda Niday, le Syrien « Saint Hoax » a un statut un peu particulier parmi les auteur.es des œuvres rassemblées dans mon corpus. L’une et l’autre sont en effet des artistes professionnels qui se présentent comme tels48. Ils trouvent toutefois leur place dans mon étude, puisqu’ils ne travaillent pas pour les studios Disney, mais ont fait le choix de se réapproprier les figures de princesses dans leurs créations, lesquelles se trouvent ensuite diffusées sur le Net49.

40À la manière les autres fanartistes supposé.es « amateur.es », Saint Hoax réalise divers détournements culturels pour véhiculer des messages socio-politiques, notamment en pastichant des campagnes de sensibilisation. En l’occurrence, ma recherche m’a permis de découvrir des séries d’œuvres dans lesquelles il s’est approprié les princesses Disney afin de dénoncer les violences conjugales (en présentant leurs visages tuméfiés, accompagnés de slogans qui font écho à leurs diégèses d’origine50) ou les violences sexuelles envers les enfants (en montrant des princesses embrassées de force par leurs pères fictionnels51). D’après les déclarations de l’artiste, les princesses Disney ont été choisies « parce qu’elles appartiennent à un langage visuel qui plaît à [s]on audience52 ». Dans cette démarche, des figures iconiques de la pop-culture servent de tremplin pour transmettre des messages susceptibles de toucher le plus grand nombre. Un tel parti pris, ici énoncé clairement, confirme qu’il n’est pas paradoxal pour des féministes de se réapproprier des figures normalement stéréotypées et jugées comme les incarnations d’une féminité entièrement soumise au patriarcat : en usant de leur popularité et en ébranlant les symboles qu’elles véhiculent, les fanartistes/fanactivistes souhaitent marquer les esprits en subvertissant le matériau d’origine.

Conclusion

41Cet article avait l’ambition d’examiner la combinaison de deux formes d’« engagement » : engagement d’un public actif dans sa réception de fictions issues de la « culture de masse », et engagement militant. J’ai choisi pour objets d’étude des fanarts, créations dérivées qui, si elles sont avant tout graphiques, doivent être considérées pleinement comme des « pratiques textuelles » – qu’elles s’accompagnent ou non de productions écrites. Ici, les (para-)textes de ces représentations des princesses Disney permettent de les identifier comme des fanarts engagés dont la vocation est de véhiculer des valeurs féministes. Un pan du corpus a ainsi pu être rattaché directement à la pratique plus large de « critique féministe profane en ligne » de fictions (Breda, 2017). Celui-ci comporte des évaluations genrées de films d’animation qui tendent à diffuser des représentations féminines et des schémas narratifs jugés réducteurs et stéréotypés. À travers un phénomène d’excorporation, d’autres fanarts s’éloignent des diégèses de départ et opèrent une réappropriation des princesses Disney pour médier des messages relatifs aux enjeux sociaux du féminisme contemporain. In fine, c’est donc un large panel de problématiques liées au système patriarcal (et à la lutte contre celui-ci) qui est pris en charge par les auteur.es « fanactivistes » de ces créations.

42L’identité de ces artistes reste toutefois pour l’heure un point aveugle de cette recherche, notamment en raison de la difficulté posée par ce terrain numérique et la dissolution de la notion d’auctorialité au gré de la circulation des œuvres. À ce stade, on peut seulement supposer que certain.es (la majorité ?) d’entre elles/eux appartiennent à des classes socialement dominées sur l’axe du genre, et que leur démarche créatrice vise à opérer un « rééquilibrage » par rapport aux valeurs hégémoniques endossées par une industrie culturelle. Si je me suis trouvée dans la nécessité, dans le cadre de cet article, de me centrer sur des études de contenus, les prolongements logiques d’une telle étude devraient se déployer autour de la question de la présentation de soi des fanartistes, lorsqu’on peut les identifier, ainsi que des choix opérés quant à la diffusion et à la circulation de leurs dessins ou montages, qui suscitent à leur tour des commentaires polyphoniques de la part des internautes. Ce faisant, il sera peut-être possible de réinvestir la question de l’appellation de « fan », afin de savoir si les auteur.es de ces créations féministes s’insèrent réellement dans le fandom des princesses Disney. En parallèle, s’intéresser à la réception des fanarts permettrait de mesurer leur retentissement et d’évaluer leur degré d’efficacité pour diffuser des messages susceptibles de faire évoluer les mentalités.

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Notes

1 Ouvrage « grand public » (l’autrice est une journaliste et blogueuse féministe) analysant et dénonçant l’« obsession américaine » pour la virginité féminine.

2 Figurant à l’origine sur les affiches d’une campagne menée aux États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale, le personnage a été créé pour inciter les femmes à apporter leur force de travail dans les usines d’armement. Rosie est ensuite devenue une icône féministe, dont le retroussage de manches et le slogan « We Can Do It ! » ont donné lieu à une multitude de reprises, pastiches et parodies.

3 Depuis la fin des années 1990, plusieurs protagonistes féminines issues de différentes production Disney et assimilées à des « princesses » (au nombre de onze en 2018) ont été réunies sous la franchise commune « Princesses Disney » (ou « Disney Princess » en anglais). Les princesses « officielles » sont par exemple recensées sur un Wiki, une encyclopédie en ligne entretenue par des fans qui leur est dédiée : http://disneyprincess.wikia.com/wiki/List_of_Disney_Princesses [consulté le 19 mars 2018]

4 Les formes « fan art » ou « fanart » sont toutes deux usitées par les publics créatifs comme par ceux qui participent à la circulation de ces œuvres. J’opte ici pour la seconde graphie.

5 L’expression « idées féministes » désigne « les représentations des rapports de genre portées dans l’espace public par les mouvements féministes au-delà des luttes de définition et des conflits qui les traversent : en premier lieu, la contestation de la hiérarchie matérielle et symbolique des sexes et l’affirmation de l’autonomie des femmes » (Jacquemart et Albenga, 2015 : 11).

6 Le patriarcat peut être défini comme un « système de subordination des femmes aux hommes dans les sociétés industrielles contemporaines ». Il s’agit donc d’un système socio-économique fondé sur la domination masculine et l’oppression des femmes (Delphy, 2013 [1998] : 7-8).

7 L’expression « culture du viol » désigne un ensemble d’idées et de pratiques qui, dans une société patriarcale, véhiculent et maintiennent des préjugés permettant d’« excuser » les violences sexuelles en rejetant la responsabilité sur leurs victimes.

8 Selon ma propre expérience des fanarts féministes liés aux princesses Disney, il me semblait en amont que ces œuvres étaient majoritairement anglophones. J’ai toutefois choisi de ne pas entièrement décentrer mon regard hexagonal, en choisissant d’inclure également la version française de mes mots-clés. Pourtant, il s’est avéré que ces mots-clés en français renvoyaient le plus souvent vers des œuvres en anglais, ou éventuellement vers des traductions en français de fanarts anglophones : in fine, au sein de mon corpus, seules deux œuvres comportent des textes en français.

9 Bien que la circulation des fanarts sur la Toile rende leur datation assez difficile, ceux-ci semblent tous avoir été créés et mis en ligne dans les années 2010. Outre leur présence sur des blogs et pages personnelles, certains ont été relayés sur des sites d’information et de médias professionnels comme Buzzfeed ou le Huffington Post.

10 Les mots « feminism » et « gender », déjà porteurs de connotations militantes ou annonçant du moins la prise en charge de problématiques genrées, étaient nécessaires pour circonscrire efficacement mon corpus. L’usage de ces termes se fondait sur le présupposé selon lequel cette dimension sociopolitique était consciente, voire revendiquée par les auteur.es des fanarts et par les internautes qui les relaient.

11 Entre autres exemples, j’ai pu croiser des représentations des héroïnes modernisées (les princesses Disney en bikini ou version « hipster »), voire des contenus à classer dans un registre érotique.

12 J’y associe quelques dessins amateurs copiant trait pour trait l’apparence des princesses.

13 Ces textes, de longueur et de nature variées, peuvent aller du simple slogan à la longue analyse critique de l’un ou l’autre dessin animé au prisme du genre.

14 Les quatre catégories qui constituent cette typologie sont mutuellement exclusives.

15 Cette catégorie rassemble des créations hétéroclites, telles que des représentations des Princesses dans le style personnel d’un.e artiste, éventuellement munies d’accessoires plus ou moins anachroniques (pancartes, mitraillette) et accompagnées de petits slogans comme « Fight like a girl » ou « Fight sexism ». On relève également plusieurs dessins ou montages qui constituent des pastiches ou des parodies d’affiches (celle de Rosie the Riveter déjà mentionnée) et de campagnes publicitaires (de sensibilisation contre l’inceste ou les agressions sexuelles).

16 Aux onze princesses de la franchise commerciale Disney s’ajoutent d’ailleurs trois figures féminines qui semblent leur être associées dans les imaginaires collectifs, et qui sont apparues lors de ma recherche par mots-clés : Mégara, Esméralda et Elsa (qui a effectivement le titre de « princesse » dans La Reine des neiges).

17 Récits explicitement dérivés d’œuvres culturelles antérieures.

18 Philippe Le Guern remarque à ce sujet que la notion de « braconnage » bénéficie d’une souplesse plus grande que le modèle de codage/décodage établi par Stuart Hall ; selon lui, « les trois modèles de lecture, dominant, négocié et oppositionnel, figent les attitudes de réception dans des postures extrêmement stabilisées, tandis que, chez de Certeau, le jeu des lectures populaires est beaucoup plus fluide, dynamique. » (Le Guern, 2009).

19 Mais aussi des blogs et des forums (François, 2013 : 245).

20 À titre d’exemple, lors de mes recherches, j’ai pu reconstituer le parcours d’une série d’œuvres représentant les princesses Disney munies de pancartes arborant des slogans féministes inspirés de leurs univers diégétiques respectifs. Ces visuels ont été publiés sur le site de micro-blogging Tumblr par un.e utilisateur.ice dont le pseudonyme est « nerd-utopia », qui cite comme source un article du site médiatique Huffington Post. En suivant le lien indiqué, l’on découvre que ledit article dérive d’un autre paru dans Teen Vogue, qui renvoie vers les comptes Instagram et Society6 de l’auteure des fanarts : Amanda Allen Niday, qui dispose elle-même d’un compte Tumblr pour présenter ses créations. Évidemment, il y a fort à parier que « nerd-utopia » n’est pas l’unique internaute à avoir reposté les créations de Niday sur la Toile, sans que cette dernière ait toujours été créditée.

21 Le terme fandom « permet […] de désigner de manière condensée l’ensemble des fans d’un même produit médiatique et toute leur production profane à son sujet » (François, 2013 : 22).

22 La notion de fan activism renvoie à ces pratiques militant.es qui naissent et se développent au sein de fandoms et à l’aide de ces derniers (Jenkins et Shresthova, 2012).

23 Soit la « capacité d’agir » ; le terme est parfois traduit par « agentivité » en français (Haicault, 2012).

24 http://feministdisney.tumblr.com/post/13301468172/sleeping-beauty-a-rose-with-no-thorns [consulté le 19 mars 2018].

25 http://feministdisney.tumblr.com/ [consulté le 19 mars 2018]. Ce blog a été la source la plus féconde pour la constitution de mon corpus.

26 En attestent, entre autres exemples récents très médiatisés, le mouvement de dénonciation #MeToo (#BalanceTonPorc en France) à l’automne 2017, ou encore les vives réactions féministes suite à la parution dans Le Monde du 8 janvier 2018 d’une tribune prônant une « liberté d’importuner » masculine.

27 Il est à noter que j’ai dû laisser hors de mon corpus de nombreux fanarts qui endossaient des enjeux queer et contribuaient plus explicitement à dénoncer l’hétéronormativité présente dans les Disney. La tendance du gender swap, qui consiste à dessiner sous des traits masculins des personnages initialement féminins et inversement, ainsi que les fanarts mettant en scène des baisers entre deux princesses ou deux princes, mériteraient selon moi une étude à part entière.  

28 https://www.pinterest.co.uk/pin/45458277459070709/ [consulté le 19 mars 2018].

29 Je fais le choix ici d’employer le terme « grosses » plutôt qu’un euphémisme, car le qualificatif est défendu par les militant.es anti-grossophobie, qui veulent le débarrasser de sa connotation négative.

30 https://fr.pinterest.com/pin/108508672251361771/ [consulté le 19 mars 2018].

31 https://www.buzzfeed.com/lorynbrantz/if-disney-princesses-had-realistic-waistlines?utm_term=.udnVbZOA4z#.wxZ8QKVDoR [consulté le 19 mars 2018].

32 If Disney princesses had Realistic Waistlines. 

33 Healthier waistlines for them and healthier self-esteem for us growing up.

34 Paroxysme de ces dénonciations : j’ai relevé deux ou trois fanarts qui constituaient dans le même temps des critiques de la maigreur des princesses et des témoignages selon lesquels leur morphologie aurait provoqué des troubles alimentaires chez de jeunes spectatrices. L’auteur.e d’une création dérivée de La Petite Sirène raconte ainsi que sa sœur, longtemps obsédée par la taille fine d’Ariel, est morte suite à des complications de son anorexie (http://waltdisneyconfessions.tumblr.com/post/153126063170/trigger-warning-anorexia-i-cant-watch-the)

35 Voir par exemple une série publiée sur Buzzfeed : https://www.buzzfeed.com/kathryncorvino/disney-princesses-with-body-hair?utm_term=.nxbpGZBaWK#.hudEJNqy51 [consulté le 19 mars 2018].

36 Cette pluralité, explique Donnat, est autant autorisée pour les « plus grandes œuvres d’art et de l’esprit » que pour les « produits les plus standards des industries culturelles ».

37 http://waltdisneyconfessions.tumblr.com/

38 23 Times Disney princesses were actually feminists. https://www.buzzfeed.com/lizardb1/23-times-disney-princesses-were-actually-feminists-p5jo?utm_term=.ne8bjvzyV9#.gne8KroD9V [consulté le 19 mars 2018].

39 It always frustrates me when I read « feminist » articles saying the Disney princesses aren’t strong characters, especially the ones where they all hinge aroung: ‘They’re weak because they get a man in the end.’ None of them technically NEEDED a man, they just happened to be happy with one. What’ so wrong with falling in love?

40 Excorporation is the process by which the subordinate make their own culture out of the resources and commodities provided by the dominant system, and this is central to popular culture […]. (Ma traduction.)

41 […] contradictions […] are so typical of the popular culture, where what is to be resisted is necessarily present in the resistance to it. (Ma traduction).

42 https://www.pinterest.fr/pin/352758583283389597/ [consulté le 19 mars 2018].

43 L’auteur.e n’en est pas clairement identifiable, mais on retrouve la création à la fois sur le Tumblr « Feminist Disney » et sur plusieurs comptes Pinterest sans lien avec ce blog. L’image est notamment visible ici : https://www.pinterest.fr/pin/482307441334631881/ [consulté le 19 mars 2018].

44 https://i.pinimg.com/736x/87/3b/a6/873ba6e3490abb8386bd815870be78f3--disney-characters-disney-movies.jpg [consulté le 19 mars 2018].

45 I am not a prize to be won.

46 https://www.teenvogue.com/gallery/illustrator-amanda-allen-niday-disney-princesses-womens-marchers#4 [consulté le 19 mars 2018].

47 How can there be so much that you don’t know?

48 Cela ne semble pas être le cas pour les autres créateur.ices de mon corpus : non pas qu’il soit impossible que d’autres artistes professionnel.les se trouvent parmi les auteur.es de fanarts, mais je n’ai simplement pas trouvé d’informations à leur sujet me permettant de les identifier ainsi.

49 Il est aussi intéressant de relever que Saint Hoax constitue le seul exemple d’artiste de mon corpus clairement identifié comme étant un homme, car en dépit du brouillage autour de l’identité – en particulier de genre – des fanartistes, les indices de présentation de soi donnent à penser que cette pratique est pourtant majoritairement féminine.

50 http://www.huffingtonpost.fr/2014/07/11/violences-domestiques-princesses-disney-couple-violence-conjugale_n_5576730.html [consulté le 19 mars 2018].

51 http://www.elle.fr/Societe/News/Des-princesses-Disney-victimes-d-inceste-la-campagne-choc-2717226 [consulté le 19 mars 2018].

52 Ibid.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Montage inspiré de l’affiche « Rosie the Riveter »
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/docannexe/image/640/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 161k
Titre Figure 4 : Aurore : OUAH. Excuse-moi, mais quelle partie de moi endormie ici toute seule t’a donné à penser que j’étais consentante ?
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/docannexe/image/640/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 90k
Titre Figure 5 : Jasmine : Sais-tu ce qui est plus large que ma taille ? Mon cou ! Et ma tête ! Et mes mains !
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/docannexe/image/640/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 87k
Titre Figure 6 : Des princesses Disney aux morphologies « réalistes »
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/docannexe/image/640/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 106k
Titre Figure 7 : La Fée : Je sais ce que tu souhaites réellement, et je vais exaucer ton vœu ! Cendrillon : Vous allez supprimer l’écart salarial entre les hommes et les femmes ? La Fée : Je voulais dire… aller au Bal
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/docannexe/image/640/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 90k
Titre Figure 8 : Blanche Neige : Ils n’ont pas arrêté de me dire que je devais être misandre si j’étais féministe. Personne n’a voulu m’écouter quand je disais que les rôles genrés entravent à la fois les hommes et les femmes !
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/docannexe/image/640/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 146k
Titre Figure 9 : Gaston : Pourquoi est-ce que je ne peux pas faire des blagues sur le viol ? Pourquoi est-ce que vous, les féministes, vous êtes aussi exagérément sensibles ? Belle : Clairement, tu peux, puisque tu l’as fait – tu es juste en colère que je te tienne pour responsable de tes paroles. Les blagues n’existent pas dans une espèce de vide magique hors de la société – les blagues sur le viol renforcent des mythes dangereux sur les violeurs et leurs victimes, rejettent et banalisent l’expérience des victimes de viol, et si tu ris avec un violeur sans t’en rendre compte, il va interpréter ça comme une absolution son comportement. C’est un problème qui vaut la peine d’être « sensible ».
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/docannexe/image/640/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 182k
Titre Figure 10 : Jasmine, l’une des « princesses militantes » d’Amanda Allen Niday
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/docannexe/image/640/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 97k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Hélène Breda, « De la réception engagée à l’engagement militant : l’exemple des « fanarts féministes » de princesses Disney »Genre en séries [En ligne], 7 | 2018, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/640 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.640

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Auteur

Hélène Breda

Hélène Breda est Maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paris 13, au sein du LabSIC, et chercheuse associée à l’IRCAV. Ses recherches, qui embrassent à la fois des analyses de contenu d’œuvres et des études de réception, portent sur les relations entre médiacultures et appartenances identitaires. Ancrées dans le champ des cultural studies, elles questionnent les manières dont la fiction et les médias travaillent les imaginaires collectifs et sont, en retour, influencés par la société dont ils émanent. Ses travaux les plus récents se sont orientés du côté des nouvelles technologies d’information et de communication, en particulier des mobilisations militantes en ligne via des pratiques de « critiques féministes » d’œuvres audiovisuelles.

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