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Notes de lecture

Christine Planté et Marie-Ève Thérenty (dir.), Féminin / Masculin dans la presse du XIXe siècle

Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. « Des deux sexes et autres », 2022.
Marie-Pier Tardif
Référence(s) :

Christine Planté et Marie-Ève Thérenty (dir.), Féminin / Masculin dans la presse du XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. « Des deux sexes et autres », 2022.

Texte intégral

1Fruit d’un programme de recherche mené sur plusieurs années, cet ouvrage codirigé par Christine Planté et Marie-Ève Thérenty, vient combler une lacune importante dans les études portant sur la presse. Ancré dans une approche transdisciplinaire entrecroisant l’histoire culturelle, l’histoire des femmes, l’histoire des médias et les études littéraires, il mobilise la notion de genre pour problématiser les rôles et les représentations du masculin et du féminin dans des publications diffusées entre la Révolution française et l’entre-deux-guerres. Dans l’introduction, les coordinatrices expliquent que cette période s’avère particulièrement féconde pour examiner comment la presse participe à la reconfiguration des rapports et des normes de genre au moment où la division entre sphère publique et sphère privée impose une bipartition sexuée des activités sociales (p. 5-35). C’est pour cette raison, d’ailleurs, qu’elles justifient l’intérêt quasi exclusif consacré aux femmes dans l’ouvrage, dans la mesure où elles incarnent le « pôle délaissé des études de la presse » (p. 9). Ce volume ne prétend pas répondre à une ambition d’exhaustivité, mais plutôt proposer des études de cas et des pistes de réflexion susceptibles d’« explorer des interrogations et des contradictions » (p. 35) qui perdurent encore dans la société d’aujourd’hui. Il s’agit ainsi pour les coordinatrices d’analyser l’impact de la presse sur l’évolution des stéréotypes de genre sans pour autant la réduire à un outil de transformation ou de reconduction de ces derniers.

2Les articles présentés dans l’ouvrage sont regroupés en cinq parties qui suivent un ordre relativement chronologique. La première d’entre elles, intitulée « Diffusion ou contestation des stéréotypes : inflexions de la ligne de genre », en constitue la section la plus volumineuse. Le premier texte, proposé par Catherine Nesci, traite de la complexification des modèles d’identification dans la presse de mode féminine au xviiie siècle français et anglais (p. 39-58). Il souligne la tension sociale qui traverse la construction de la féminité, reposant à la fois sur des critères normatifs et sur l’influence de nouvelles pratiques d’individuation, dont la lecture et la consommation. Caroline Fayolle se penche quant à elle sur les femmes qui ont pris la plume au tournant du xixe siècle pour dénoncer les hiérarchies sexuées, naturalisées par des discours médicaux ayant pour effet de les écarter des lieux associés à l’éducation et au savoir (p. 59-75). L’originalité de cette contribution est de faire apparaître les thématiques et les stratégies communes employées par les femmes dans des journaux qui desservent pourtant des intérêts politiques différents. Christine Planté, codirectrice de l’ouvrage, s’intéresse aux débuts de la presse féministe française à travers une étude de La Femme libre et du Conseiller des femmes, journaux fondés au début de la décennie 1830 par des militantes associées au saint-simonisme (p. 77-96). Elle signale la radicalité de leurs prises de position et montre comment le journalisme leur ouvre une voie pour s’inscrire dans les débats intellectuels de cette époque. François Kerlouégan porte son attention sur les standards masculins diffusés dans les revues de mode françaises à destination des hommes (p. 97-116). Il étudie la manière dont la construction sociale du genre est déterminée par des critères anatomiques qui influencent le vêtement masculin. Des enjeux viennent toutefois brouiller l’association entre genre et sexe biologique, alors que les revues à destination des tailleurs s’ouvrent à la pluralité des corps masculins.

3Les quatre derniers articles de cette première section, dont trois font appel à des illustrations, se concentrent sur le dernier tiers du xixe siècle. À travers une étude de La Dernière mode, Barbara Bohac expose la manière dont Stéphane Mallarmé subvertit les normes de genre en proposant une nouvelle représentation du féminin ancrée dans l’idée que les femmes, en raison de leur exclusion de la vie politique, seraient plus disposées à atteindre un idéal poétique et spirituel (p. 117-128). C’est néanmoins avec justesse que l’autrice souligne qu’« un écart demeure entre les femmes réelles et la femme telle que la rêve Mallarmé » (p. 126), cette nuance s’avérant essentielle pour rappeler que cette représentation – aussi novatrice soit-elle – légitime en réalité la vision d’un monde binaire, où le féminin est associé à la sphère privée et le masculin à l’espace public. À l’aide d’une approche sociologique de la publicité, Nicolas Pitsos évalue la distinction genrée qui se dégage des discours et de l’iconographie entourant la commercialisation des produits de bien-être (p. 129-144). La publicité encourage des pratiques culturelles du bien-être qui se déclinent selon le genre, faisant ainsi de la presse un lieu de diffusion des attentes sociales liées au féminin et au masculin. Figure qui se répand dans la peinture française à partir des années 1870, la lectrice de journal est étudiée par Isabelle Matamoros qui en examine les représentations dominantes (p. 145-163). La peinture véhicule un imaginaire genré de la lecture du journal, les mises en scène de la lectrice s’articulant principalement autour du divertissement et de la rêverie. Mais une certaine modernisation du portrait de la lectrice s’effectue au moment où apparaît une « population urbaine féminine en quête d’indépendance, issue de la petite bourgeoisie » (p. 160). Sandrine Roll jette un nouvel éclairage sur La Fronde, journal féministe ayant contribué à inscrire les femmes dans la sphère publique en influençant leurs pratiques de consommation (p. 165-180). En l’absence de droits civiques, les femmes ont réussi à s’imposer comme actrices politiques grâce à leurs comportements d’achats et à des actions visant à améliorer les conditions de travail de la classe ouvrière.

4La deuxième section, « Discours sur l’art et la littérature au prisme du genre », s’ouvre sur un article signé par Hélène Marquié qui étudie le changement s’opérant dans la perception de la danse au début de la décennie 1830 (p. 183-199). Alors associée à un domaine masculin, la danse devient le lieu d’une redéfinition genrée qui associe le ballet à un art prétendument féminin et qui entraîne, par conséquent, la « stigmatisation des danseurs » (p. 187). La presse devient à la fois un miroir et un moteur de cette nouvelle image féminisée du ballet, qui engendre une rupture non seulement entre le ballet et le masculin, mais également entre l’aristocratie et la classe bourgeoise de la monarchie de Juillet. Laurence Brogniez s’attache à retracer la critique féminine des Salons telle qu’elle est pratiquée entre 1830 et 1880 (p. 201-220). À travers les comptes rendus portant sur le salon de peinture, considéré « comme lieu et comme genre médiatique » (p. 219), les autrices livrent des critiques sur les normes de genre qui s’imposent aux femmes. Conscientes des contraintes qui pèsent sur elles, elles formulent un discours sur le portrait et le nu qui, s’il s’inscrit dans les conventions de l’époque, leur autorise néanmoins une critique des enjeux liés au corps féminin. En focalisant son attention sur les années 1908 et 1909, Patricia Izquierdo tente de saisir les modalités qui entourent la réception des écrits de femmes (p. 221-235). Même si cette période témoigne d’une certaine reconnaissance envers les femmes de lettres, qui peuvent désormais aspirer au statut d’autrice, celle-ci s’effectue selon des critères essentialistes qui exigent qu’elles continuent de se conformer à une représentation traditionnelle de la féminité. C’est pour cette raison qu’elles restent elles-mêmes très prudentes vis-à-vis de l’image de la « femme nouvelle », « mettant prudemment en relief ses qualités traditionnelles : le sens du sacrifice, la compassion et le dévouement » (p. 234).

5La troisième section, axée autour du fait divers, débute par un article d’Amélie Chabrier qui examine l’émergence d’une nouvelle catégorie de femmes dans la chronique judiciaire, « les belles impressionnables » aussi appelées « les élégantes » (p. 239-253). Les chroniqueurs mettent en scène un public féminin dont l’inconvenance et la superficialité leur permettent de contourner les critiques qui pourraient leur être adressées. Selon l’autrice, cette représentation a néanmoins joué un rôle dans l’évolution du genre de la chronique judiciaire, la mise à l’avant-plan des émotions ayant contribué à l’inscription de la subjectivité dans un discours journalistique qui se voulait autrefois plus neutre. C’est ainsi que le compte rendu judiciaire aurait mené, dans les années 1860, à l’émergence d’une nouvelle pratique d’écriture – les impressions d’audience. Avec l’affaire Gouffé, ayant échauffé la presse à la fin du xixe siècle, Michèle Fontana dénote une faible évolution dans les discours sur la femme criminelle (p. 255-273). Les différents portraits de Gabrielle Bompard, présentée comme une femme fatale et une névrosée, rendent compte de l’influence de la littérature sur la manière d’écrire les enquêtes, « ce savoir en construction qu’est la psychiatrie ne s’[étant] pas détaché d’observations littéraires » (p. 273). Laetitia Gonon mobilise une approche stylistique pour analyser le fait divers criminel dans les grands quotidiens du xixe siècle (p. 275-295). Elle remarque que ce genre repose sur des scripts, soit des modèles narratifs communs qui sont repris d’une publication à l’autre en masquant certains éléments essentiels du récit – l’élément déclencheur ou le motif des violences, par exemple. Familier avec ce type d’écriture, le lectorat se montre en mesure de déduire par lui-même les causes implicites du crime. Selon l’autrice, l’introduction d’un lexique médical centré sur l’observation du corps, lequel vise à assurer une crédibilité journalistique, tend à neutraliser le genre en accordant davantage d’importance aux blessures qu’à l’identité des victimes. La couverture médiatique du procès d’Oscar Wilde, en 1895, sert de vitrine à Frédéric Canovas pour aborder la place des homosexuels dans la société française (p. 297-316). Il remarque que les réactions s’organisent à la fois autour de la défense de l’écrivain et de la condamnation du système judiciaire répressif de l’Angleterre. Or les commentateurs de l’époque ne prennent pas la plume au nom de l’homosexualité, mais plutôt pour faire valoir le caractère sacralisé de l’artiste. Canovas explique en effet que leur intervention vise à protéger le statut de génie accordé à l’écrivain et non à prendre position sur l’acceptation de l’homosexualité, quoique ces débats auraient tout de même contribué à rendre cette réalité plus visible dans la société.

6La quatrième section explore la place des femmes dans la presse qui, bien qu’elles y figurent en moins grand nombre que les hommes, manifestent tout autant de l’inventivité dans leur pratique d’écriture. À travers les trajectoires distinctes de Clémence Badère, de la comtesse Dash et d’Albertine Philippe, Sarah Mombert montre comment les femmes se taillent une place dans Le Mousquetaire, journal fondé par Alexandre Dumas (p. 319-336). Cette publication sert d’exemple pour illustrer les compétences professionnelles grâce auxquelles elles s’investissent dans le champ journalistique et contribuent à négocier leur rapport aux normes de genre. Marie-Ève Thérenty, codirectrice de l’ouvrage, observe les possibilités et les limites auxquelles les femmes journalistes font face sous la monarchie de Juillet et le Second Empire (p. 337-353). Elle dénote l’existence d’un « plafond invisible » (p. 353) qui écarte les femmes des rubriques journalistiques traditionnellement réservées aux hommes, notamment l’éditorial et la « une ». Elle s’intéresse plus particulièrement au cas de figure de Marie d’Agoult qui adopte une posture masculine pour signer, sous le pseudonyme Daniel Stern, un premier-Paris – chronique placée en tête d’un journal, dans La Liberté. Une telle trajectoire témoigne de la liberté relative qui est accordée aux femmes journalistes, laquelle « confirme plus qu’[elle] n’infirme [leur] ségrégation et [leur] ghettoïsation » (p. 348). Dans la même veine, Sandrine Lévêque interroge les stratégies déployées par les femmes dans La Fronde pour en faire un lieu d’invention et de créativité (p. 355-372). Conscientes des changements qui se dessinent dans le champ journalistique à la fin du xixe siècle, les femmes se tournent vers la pratique du reportage où elles se servent des préjugés formulés à leur égard pour les revaloriser sous forme de qualités professionnelles. Si elles subissent les contrecoups de cet éloge de la féminité, aboutissant en bout de course au maintien des clichés de genre, elles contribuent néanmoins à légitimer la place des femmes dans le métier de journaliste. Margot Irvine révèle l’existence d’un réseau de femmes journalistes à travers la création d’une revue internationale mixte, Les Matinées espagnoles : nouvelle revue internationale européenne, dirigée par Marie-Letitia de Rute (p. 373-386). Cette revue bimensuelle, parue à Paris et à Madrid de 1883 à 1886, est considérée comme une porte d’entrée pour les femmes dans la sphère journalistique, bien avant la création de La Fronde et du prix de la Vie heureuse. Elle tient lieu d’espace d’échanges et de soutien, les femmes exploitant notamment la pratique du compte rendu pour appuyer les projets littéraires de leurs consœurs. Guillaume Pinson met en lumière la part d’innovation qui caractérise le magazine Femina (p. 387-403), en dépit d’un certain discours traditionnel. À une époque où la presse mondaine diffuse encore une image conservatrice des femmes, ce magazine modernise la représentation de leur rapport au monde social en misant sur le reportage au féminin et l’art de la photographie.

7L’ouvrage se clôt sur une cinquième section portant sur les évolutions qui marquent la presse féminine et le statut des femmes journalistes au xxe siècle. Paul Aron brosse un portrait d’ensemble des femmes dans la presse française pendant l’entre-deux-guerres (p. 407-433). Une étude prosopographique lui permet d’abord de retracer la condition des femmes journalistes. À l’aide des souvenirs qu’elles ont publiés, il identifie ensuite deux stratégies rhétoriques distinctes qui vont de l’éthos discursif neutre et rationnel à celui d’une posture féminine assumée et pleine d’audace. Claire Blandin se penche sur le magazine féminin Marie-Claire, qui se situe à la croisée de la tradition et de la modernité (p. 435-447). S’il valorise une nouvelle image des femmes qui les écarte de celle de la ménagère, notamment à travers la place accordée aux illustrations promouvant la beauté et la séduction, il manifeste néanmoins des réticences idéologiques quant à leur émancipation en se montrant réfractaire vis-à-vis de leur accès à un travail salarié.

8Christine Planté et Marie-Ève Thérenty profitent de la conclusion de l’ouvrage pour expliquer en quoi cette incursion dans le passé peut être éclairante pour le présent (p. 449-454). Constatant la persistance des discriminations de genre au sein de la presse et la surreprésentation des hommes dans les médias actuels, elles insistent sur l’importance d’étudier l’histoire pour souligner les « blocages qui font encore obstacle à une réelle égalité des femmes et des hommes dans les médias aujourd’hui, en ouvrant plus généralement à une réflexion sur les rapports de genre » (p. 449).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Pier Tardif, « Christine Planté et Marie-Ève Thérenty (dir.), Féminin / Masculin dans la presse du XIXe siècle »Genre en séries [En ligne], 15 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/4144 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.4144

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Auteur

Marie-Pier Tardif

Marie-Pier Tardif est titulaire d’un doctorat en littérature avec concentration en études féministes, effectué en cotutelle internationale à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université Lumière Lyon 2. Depuis plusieurs années, elle s’intéresse à la place des femmes de lettres dans les réseaux anarchistes de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle. Elle a notamment collaboré au Maitron, grand dictionnaire biographique consacré à l’étude du mouvement ouvrier. En parallèle des recherches qu’elle mène, elle est professeure de littérature au collégial et chargée de cours à l’université.

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