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Notes de lecture

Eve Benhamou, Contemporary Disney Animation: Genre, Gender and Hollywood

Edimbourg, Edinburgh University Press, 2023, 264 p.
Mélanie Lallet
Référence(s) :

Eve Benhamou, Contemporary Disney Animation: Genre, Gender and Hollywood, Edimbourg, Edinburgh University Press, 2023, 264 p.

Texte intégral

1Dans cet ouvrage au croisement des études génériques des gender studies, Eve Benhamou examine le renouvellement des représentations genrées dans les films des studios Disney entre 2008 et 2018. La volonté affirmée d’inscrire son étude dans les réflexions sur les genres cinématographiques constitue la principale originalité de la démarche et conduit l’auteure à s’intéresser aux interactions entre les films d’animation Disney et l’univers cinématographique étendu de la compagnie. Comme elle le rappelle dans son introduction, les acquisitions réalisées par Disney dans les années 2000 contribuent à l’élargissement de son univers. C’est pourquoi la période considérée dans l’ouvrage s’ouvre avec l’année 2008, qui marque les débuts de la synergie entre les films Disney et Pixar, à laquelle s’ajoutent les rachats de Marvel et Lucasfilm en 2009 et 2012, qui renouvellent l’image du studio. La Reine des neiges, long-métrage récompensé en 2014 par l’Oscar du meilleur film d’animation et célébré tant par la critique que par le public, est selon elle emblématique de ce mouvement. Il incarne une tendance observable dans les autres films Disney de la période : une révision du caractère traditionnel des contes de fée au fondement de l’imaginaire du studio, combinée avec des références aux superhéros de Marvel. Intégrant peu à peu les éléments issus d’autres univers, les films Disney de cette période mêlent la persistance d’une forme de nostalgie à un ton plus parodique, teinté d’auto-dérision – notamment dans la mise en scène des romances.

2Après un premier chapitre retraçant l’histoire du studio Disney, les 7 chapitres suivants examinent 9 films diffusés entre 2008 et 2018 au prisme d’une analyse des textes médiatiques (« textual analysis », p. 2) : Volt (Byron Howard et Chris Williams, 2008), La Princesse et la Grenouille (Ron Clements et John Musker, 2009), Raiponce (Nathan Greno et Byron Howard, 2010), Les Mondes de Ralph (Rich Moore, 2012), La Reine des neiges (Chris Buck et Jennifer Lee, 2013), Les Nouveaux Héros (Don Hall et Chris Williams, 2014), Zootopie (Byron Howard et Rich Moore, 2016), Vaïana. La Légende du bout du monde (Ron Clements et John Musker, 2016) et Ralph 2.0 (Rich Moore et Phil Johnston, 2018). L’auteure dégage deux larges catégories, les romances et les films d’action-aventure, qui constituent les deux grandes parties de son ouvrage. Loin de s’exclure mutuellement, ces deux modes (« modes », p. 10) – eux-mêmes traversés par plusieurs genres et sous-genres qui font l’objet de diverses hybridations – se croisent et se nourrissent au point de constituer, pour Benhamou, l’identité contemporaine de Disney.

  • 1 Voir Wells Paul (1998), Understanding Animation, New York, Routledge.
  • 2 Pour la première édition, voir Denis Sébastien (2007), Le cinéma d’animation, Paris, Armand Colin.
  • 3 Voir Altman Rick (1999), Film/Genre, Londres, British Film Institute.
  • 4 Voir aussi Hermansson Casie and Janet Zepernick (2019), « Children’s Film and Television: Contexts (...)
  • 5 Voir Wells Paul (2009), The Animated Bestiary, New Brunswick, Rutgers University Press. Voir aussi (...)

3L’intérêt majeur de l’approche générique réside ici dans le fait que les films Disney ont largement été négligés dans les analyses sur les genres du cinéma, les films d’animation étant eux-mêmes relativement marginalisés au sein des études cinématographiques à l’échelle internationale. Nous pouvons ici renvoyer aux écrits de Paul Wells1 (1998), ou de Sébastien Denis2 (2007), qui montrent bien comment les animation studies ont dû lutter pour leur reconnaissance. À la suite de Rick Altman3 (1999), Eve Benhamou interroge les hiérarchies implicites réalisées entre les genres cinématographiques, reprenant à son compte la critique du légitimisme qui frappe les productions animées pour enfants, bien souvent considérées comme des objets de piètre qualité, voire néfastes4 (« bad objects », p. 9). L’auteure opte également pour un parti-pris qui invite à la discussion quant à la manière d’appréhender les productions animées : elle rompt avec les approches portées par Paul Wells et Suzanne Buchan5, qui considèrent que les films d’animation devraient être étudiés séparément en raison de leur différence intrinsèque avec les films en prise de vue réelle. Jugeant cette démarche « isolationniste » (« isolationist », p. 7), elle envisage au contraire les interactions entre les films d’animation et les tendances observables dans les autres films. Il nous semble ici que les deux visions sont propices à l’enrichissement des travaux sur l’animation. Les approches plus exclusives ont l’avantage d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un objet digne d’intérêt en soi, et favorisent l’institutionnalisation progressive d’un champ d’études spécialisé tel que les animation studies. Dans le même temps, l’intégration des productions animées aux côtés des films en prise de vue réelle au sein des corpus analysés en études cinématographiques constitue un décloisonnement qui œuvre tant à la reconnaissance de ces objets animés qu’à leur compréhension, à l’intérieur d’imaginaires plus larges. S’agissant des représentations genrées, les évolutions présentes dans les Disney sont à rapporter à des tendances plus généralement observables dans la culture et les médias.

  • 6 Voir Wilkins Heidi (2016), Talkies, Road Movies and Chick Flicks: Gender, Genre and Film Sound in A (...)

4Comme le souligne Eve Benhamou, l’analyse des représentations genrées est une dimension importante des études sur Disney et leur évolution constitue l’un des éléments majeurs du renouvellement de l’imaginaire du studio. Le cas des princesses illustre la relation complexe que Disney entretient avec son passé et les éléments historiquement constitutifs de son identité. Tandis qu’un ensemble de travaux féministes cherchent à évaluer la persistance d’un imaginaire patriarcal dans les films Disney, ou au contraire à montrer le potentiel subversif des nouvelles héroïnes, l’auteure insiste sur la nécessité d’élargir l’analyse à l’échelle des genres cinématographiques pour ne pas manquer des tendances plus globales (par exemple, le renouvellement des représentations dans les comédies romantiques). Elle s’intéresse en particulier à la façon dont le genre cinématographique et le genre (gender) sont articulés, à la suite des travaux d’Heidi Wilkins6 (2016). Les rebondissements amoureux vécus par Anna, dans La Reine des neiges, incarnent ainsi une tendance plus globale à la réflexivité dans les comédies romantiques, qui mettent en scène le désenchantement vis-à-vis de la romance à travers les yeux d’un protagoniste féminin (l’auteure cite notamment le film [500] jours ensemble). La notion de « véritable amour » qui semble aller de pair avec le schéma classique de la romance des anciens Disney est ainsi remise en question lorsqu’Anna découvre que le « prince charmant » dont elle s’éprend en début de film est en réalité un personnage manipulateur désireux de s’emparer de son royaume.

  • 7 Voir Gill Rosalind (2016), « Post-postfeminism? New Feminist Visibilities in Postfeminist Times », (...)
  • 8 Voir McRobbie Angela (2009), The Aftermath of Feminism: Gender, Culture and Social Change, Los Ange (...)
  • 9 Sur l’ambiguïté tendancielle du cinéma hollywoodien, voir Buch Noël (2000), « Double speak. De l’am (...)

5Benhamou entend également se départir d’une tendance à la polarisation des études féministes sur Disney, qui cherchent à déterminer si les films sont sexistes ou progressistes, choisissant pour sa part de faire émerger leur complexité et leurs ambivalences idéologiques. Tout comme Rosalind Gill7 (2016), Eve Benhamou qualifie d’« ère post-féministe » une période récente dont les origines se situent à la fin du xxe siècle, et qui se caractérise par la coexistence de visions concurrentes du féminisme se heurtant à différentes formes d’antiféminisme. À la suite d’auteures comme Angela McRobbie8 (2009), elle envisage le post-féminisme comme un ensemble de discours circulant dans les médias et la culture populaire, dont l’ambiguïté tendancielle9 permet l’émergence de nouvelles féminités et la reconnaissance de l’importance de l’égalité, tout en perpétuant par ailleurs une vision hiérarchisée des genres. Le caractère contradictoire et polysémique des représentations genrées dans les Disney situe selon elle les films de la période récente sur un « spectre post-féministe » (« post-feminist spectrum », p. 11) étroitement lié aux genres cinématographiques : le schéma classique de la romance de conte de fée constituerait l’extrémité traditionnelle du spectre, quand les films d’action-aventure proposeraient davantage de possibilités émancipatrices. Soucieuse de ne pas trahir la complexité des représentations et d’éviter les jugements de valeur, l’auteure souligne toutefois que plusieurs films Disney contemporains constituent en réalité des hybridations entre les genres. Pour documenter l’émergence du « couple Disney post-féministe », Eve Benhamou s’appuie sur l’exemple du film Raiponce, dont le ton parodique s’inspire selon elle des films Shrek des studios DreamWorks. Si l’humour se met au service d’un renouvellement de l’esprit des contes et des représentations genrées dans le couple – par exemple lorsque Raiponce se sert d’une poêle à frire comme d’une arme contre Flynn lors de leur première rencontre –, son personnage incarne aussi une féminité plus conventionnelle à certains égards, caractérisée par sa gentillesse, son innocence et sa beauté. Ces ambivalences, caractéristiques des films de cette période, conduisent l’auteure à considérer qu’il s’agit d’une œuvre « post-féministe ».

6L’outillage théorique mobilisé par Eve Benhamou intègre également les apports des recherches féministes intersectionnelles et des études queer, qui ont déjà porté leur attention sur différents films de la période pour articuler la dimension genrée à la question des représentations ethnoraciales et de sexualité. L’originalité du travail d’Eve Benhamou consiste là encore dans l’adossement d’une perspective intersectionnelle à une discussion sur le genre cinématographique. Ainsi, l’auteure montre comment l’usage créatif de l’anthropomorphisme dans Zootopie remet en question les inégalités genrées qui traversent le genre des comédies policières en duo (« live-action cop buddy film », p. 20), tout en soulignant les effets plus ambigus de ce même anthropomorphisme sur les représentations ethnoraciales. Au départ, les deux protagonistes du film Judy et Nick se voient réciproquement comme une fragile lapine devant faire ses preuves et un renard à l’attitude suspecte. La révision de leurs préjugés au fil de la narration constitue un sous-texte antisexiste et antiraciste. Néanmoins, le fait que la dichotomie entre « proies » et « prédateurs » dans Zootopie puisse être interprétée comme une représentation métaphorique de la division entre « Blancs » et « Noirs » aux États-Unis est pour l’auteure problématique. Même si les deux groupes sont supposés vivre en harmonie, la scène d’ouverture rappelle en effet qu’il y a des milliers d’années, les prédateurs avaient bel et bien le besoin biologique incontrôlable d’attaquer (« an uncontrollable biological urge to maim and maul », p. 200), renvoyant de ce fait à l’image raciste de personnes noires qui seraient à éduquer et civiliser.

  • 10 Voir Sauvage Célia (2023), Décoder Disney/Pixar, désenchanter et réenchanter l’imaginaire, Paris, L (...)
  • 11 Voir Breda Hélène (2018), « De la réception engagée à l’engagement militant : l’exemple des « fanar (...)

7En complément de l’ouvrage d’Eve Benhamou, notons qu’il existe désormais des travaux en français sur le genre et les Disney. L’ouvrage récent de Célia Sauvage10 (2023) mobilise également une approche féministe intersectionnelle, en proposant des outils pour décoder les 102 films Disney-Pixar, en lien avec la déconstruction de différents rapports de pouvoir (genre, classe, race, handicap etc.). Face à des objets aussi ambigus à l’égard du féminisme, il est intéressant de ne pas se limiter aux approches textualistes et d’opérer un déplacement du côté de la réception. Les travaux d’Hélène Breda11 (2018) entre autres insistent à cet égard sur l’idée que les significations ne sont pas entièrement déterminées par les contenus, mais bien le fruit d’une appropriation par des publics spécifiques. Les créations en ligne féministes issues de l’univers des Disney qu’elle étudie, sont ainsi susceptibles de détourner les figures iconiques des princesses au profit d’une critique des stéréotypes. À l’ambivalence des films s’ajoute donc les multiples façons dont ils sont reçus par les spectateurs, dans différents contextes culturels et géographiques.

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Notes

1 Voir Wells Paul (1998), Understanding Animation, New York, Routledge.

2 Pour la première édition, voir Denis Sébastien (2007), Le cinéma d’animation, Paris, Armand Colin.

3 Voir Altman Rick (1999), Film/Genre, Londres, British Film Institute.

4 Voir aussi Hermansson Casie and Janet Zepernick (2019), « Children’s Film and Television: Contexts and New Directions », in Casie Hermansson and Janet Zepernick (dir.), The Palgrave Handbook of Children’s Film and Television, Cham, Palgrave Macmillan, p. 1-33.

5 Voir Wells Paul (2009), The Animated Bestiary, New Brunswick, Rutgers University Press. Voir aussi Buchan Suzanne (dir.) (2013), Pervasive Animation, New York, Routledge.

6 Voir Wilkins Heidi (2016), Talkies, Road Movies and Chick Flicks: Gender, Genre and Film Sound in American Cinema, Edimbourg, Edinburgh University Press.

7 Voir Gill Rosalind (2016), « Post-postfeminism? New Feminist Visibilities in Postfeminist Times », Feminist Media Studies, vol. 16 (n° 4), p. 610-630.

8 Voir McRobbie Angela (2009), The Aftermath of Feminism: Gender, Culture and Social Change, Los Angeles, SAGE.

9 Sur l’ambiguïté tendancielle du cinéma hollywoodien, voir Buch Noël (2000), « Double speak. De l’ambiguïté tendancielle du cinéma hollywoodien », Réseaux, vol. 18 (n° 99), p. 99-130.

10 Voir Sauvage Célia (2023), Décoder Disney/Pixar, désenchanter et réenchanter l’imaginaire, Paris, Les Daronnes, 2023.

11 Voir Breda Hélène (2018), « De la réception engagée à l’engagement militant : l’exemple des « fanarts féministes » de princesses Disney », Genre en séries : cinéma, télévision, médias, n° 7. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.640. Consulté le 11 décembre 2023.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mélanie Lallet, « Eve Benhamou, Contemporary Disney Animation: Genre, Gender and Hollywood »Genre en séries [En ligne], 15 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/4133 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.4133

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Auteur

Mélanie Lallet

Sociologue des médias, Mélanie Lallet est l’auteure de l’ouvrage Libérées, délivrées ? Rapports de pouvoir animés (INA, 2020). Ses travaux portent sur le genre dans l’animation audiovisuelle française et sur différentes communautés en ligne ancrées dans le féminisme intersectionnel contemporain. À l’heure actuelle, elle développe des recherches sur la réception par les personnes autistes des représentations de l’autisme dans les fictions. Elle a rejoint l’UCO Nantes en août 2019 et elle dirige depuis septembre 2023 le Centre Humanités et Sociétés.

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